Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Réunion du jeudi 24 janvier 2019 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • hydrogène
  • industrie
  • industriel
  • renouvelable
  • réseau
  • électricité
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  PS et divers gauche    En Marche    MoDem  

La réunion

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L'audition débute à neuf heures trente.

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Monsieur le rapporteur, chers collègues, nous commençons cette matinée par une audition consacrée à la filière hydrogène.

Je précise à titre liminaire que l'hydrogène n'est pas une source d'énergie, mais un vecteur permettant le stockage de l'énergie.

Nous sommes très heureux d'accueillir ce matin M. Daniel Hissel, professeur à l'université de Franche-Comté, directeur de la Fédération de recherche FCLAB-fuel cell lab au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), responsable de l'équipe « systèmes hybrides électriques, actionneurs électriques, systèmes pile à combustible » (SHARPAC) de l'institut FEMTO-ST du CNRS, Mme Alice Vieillefosse, directrice de cabinet du directeur général de l'énergie et du climat au ministère de la transition écologique et solidaire, M. François-Xavier Olivieri, secrétaire général de la business unit « Hydrogène » d'Engie et Mme Mercédès Fauvel Bantos, déléguée d'Engie aux relations avec le Parlement. Nous entendrons également M. Philippe Boucly, président de l'Association française pour l'hydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC) et Mme Christelle Werquin, déléguée générale de l'AFHYPAC, ainsi que M. Marc Jedliczka, porte-parole de l'association Negawatt.

En préalable à cette table ronde, je rappelle à l'attention des personnes que nous recevons ou qui suivent nos travaux à distance que la mission d'information va organiser à partir de début février, sur le site internet de l'Assemblée nationale, une consultation publique sur les freins à la transition énergétique et les solutions qui peuvent leur être apportées, à laquelle chacun est invité à contribuer.

Pour bien nous entendre sur le contexte, les mots et les techniques, je vous propose d'écouter tout d'abord le propos introductif de M. le rapporteur, puis de commencer cette table ronde en donnant la parole à M. Hissel.

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Bonjour à toutes et tous. En matière de freins à la transition énergétique, notre mission a identifié sept domaines à investiguer. Le premier de ces thèmes est la vision que nous pouvons donner à la population de ce que sera le monde à un horizon de dix, vingt ou trente ans, tant en termes de production que de consommation. Le deuxième aspect renvoie au sujet certainement le plus classique et le plus discuté, que nous allons traiter aujourd'hui : il concerne les différents moyens permettant de développer les filières d'énergies renouvelables. Le troisième élément à considérer est celui des économies d'énergie, dans le bâtiment ou l'industrie notamment. La quatrième thématique est celle de la mobilité. Le cinquième domaine concerne les grands groupes de l'énergie et la manière dont ils imaginent leur évolution dans les décennies à venir, dans la mesure où ils travaillent essentiellement aujourd'hui avec les énergies fossiles. Le sixième volet est celui des territoires : puisque le mix sera, à l'avenir, essentiellement décentralisé, l'idée est de savoir comment les territoires s'approprient la question énergétique, sachant que cela nécessitera de se doter de méthaniseurs, d'éoliennes, de panneaux solaires et d'un réseau. Le dernier point enfin, essentiel, est celui de la fiscalité susceptible d'accompagner ces changements. Aujourd'hui, notre fiscalité est « addicte » au pétrole, et la question est donc d'envisager des pistes d'évolution.

C'est sur cette base de questionnements que nous organisons différentes auditions et tables rondes, dont celle de ce matin consacrée à la filière hydrogène.

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Pour une bonne organisation des débats, je demanderai à chaque intervenant de s'exprimer pendant cinq minutes maximum, à l'issue desquelles nous disposerons d'un temps de questions et réponses.

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Daniel Hissel, professeur à l'Université de Franche-Comté

Je souhaite, en guise d'introduction, vous présenter en quelques mots la Fédération FCLAB. Cette fédération travaille depuis vingt ans environ dans le domaine des systèmes pile à combustible, de la recherche amont jusqu'à l'accompagnement des industriels au service de la filière. Nous disposons donc d'une vision relativement complète, tant de la situation française que du contexte mondial.

En matière de transition énergétique, l'hydrogène présente, d'un point de vue scientifique, un atout qu'il convient de souligner : il est en effet l'élément le plus abondant, constituant 92 % des atomes de l'univers. Il s'agit d'un vecteur énergétique, fabricable en tout lieu à partir de l'électricité. Son intérêt est également lié au fait qu'il présente un bon rendement en termes de production, en particulier lorsque cette dernière est envisagée à partir d'énergies renouvelables, d'électrolyseurs. L'hydrogène est de surcroît facile à stocker et à transporter, quasiment sans perte. Il est surtout non polluant à l'usage, puisque lorsqu'il est utilisé dans des piles à hydrogène, il n'émet que de la vapeur d'eau. Il représente donc le vecteur énergétique par excellence, pour différentes applications, du domaine du transport à la production énergétique stationnaire.

Je travaille sur ces sujets depuis une vingtaine d'années et constate depuis deux ou trois ans une très forte évolution du marché, qui est passé d'une logique d'offre à une logique de demande, avec des enjeux sur des marchés précurseurs allant de la mobilité de niche à l'alimentation de sites isolés, aux groupes électrogènes, avec d'importants investissements publics et privés. Je recevais par exemple hier dans mon laboratoire un grand industriel chinois qui fabrique des véhicules et a décidé d'investir de façon considérable dans l'ensemble de la filière, avec un objectif de commercialisation de véhicules en 2022.

La France est très bien placée dans ce contexte mondial, avec une recherche reconnue de très haut niveau sur toute la chaîne de valeur et un tissu important de TPE, de PME et de grands groupes, présents ici ce matin.

Il est important de souligner que l'on se situe dans une logique de substitution, consistant à remplacer des technologies existantes par d'autres, ce qui engendre un certain nombre de freins.

Le premier frein est lié aux réticences de la part de certains industriels présents dans les industries carbonées. Nous faisons ainsi face aujourd'hui à divers lobbies.

J'estime par ailleurs que nous manquons d'une véritable feuille de route au niveau de l'État, donnant une vision claire sur un grand nombre d'années tant au secteur de la recherche qu'au monde industriel. Nous nous interrogeons par exemple de façon récurrente sur la potentielle instauration d'une taxe sur l'hydrogène à moyen terme, qui pourrait infléchir les décisions d'investissement des industriels, tant au niveau de la recherche que pour le déploiement de la filière.

Il est également important, dans ce contexte, d'être en capacité de déployer un grand plan pluriannuel pour l'hydrogène en matière de recherche, via l'Agence nationale de la recherche (ANR), afin que les laboratoires puissent avoir une idée claire de la politique de l'État dans ce domaine. La mobilisation des chercheurs nécessite en effet d'avoir une perspective à moyen et long terme ; il ne s'agit pas de répondre à des sollicitations au coup par coup.

Il serait en outre intéressant de bénéficier du soutien de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) pour l'achat de systèmes hydrogène énergie à destination des particuliers et pas uniquement pour accompagner l'installation ou la démonstration. Cela permettrait de déclencher des achats, donc de mettre progressivement en place une filière.

Il convient par ailleurs d'insister sur l'enjeu majeur qui est la production propre d'hydrogène. Il existe différentes voies de production de l'hydrogène : à partir d'énergies fossiles, de la valorisation de l'hydrogène coproduit dans l'industrie ou encore et surtout à partir d'énergies renouvelables. Imaginons que l'on fasse rouler 100 % de la flotte de véhicules routiers française actuelle à l'hydrogène issu par électrolyse d'énergies renouvelables – hydraulique, photovoltaïque, éolien et biomasse–, alors il faudrait alors multiplier par cinq ce qui existe en matière d'énergies renouvelables, ce qui n'apparaît pas totalement insurmontable. Certes, cela n'a pas de sens d'un point de vue technologique, mais constitue une indication intéressante. e.

Il est également envisageable de mener une politique incitative ou coercitive pour développer des marchés et faire évoluer certains industriels vers ce domaine. Cela pourrait consister par exemple à interdire l'accès aux centres-villes pour les véhicules thermiques, à un horizon à définir, ce qui permettrait de créer un marché de flottes captives, de type bus, taxis ou bennes à ordures ménagères électriques, tout en apportant des améliorations en termes de nuisances sonores et de qualité de l'air, donc de santé.

Je terminerai en évoquant la question des normes et certifications. Nous avons réellement besoin d'un centre de référence français pour la certification des produits et, au niveau des normes, d'un véritable « choc de simplification ». L'installation d'hydrogène dans un établissement recevant du public est, par exemple, régie par un arrêté du 25 juin 1980, comportant 320 occurrences liées aux gaz combustibles, dont 23 concernent le butane et le propane et seulement deux concernentl'hydrogène.

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Alice Vieillefosse, directrice de cabinet du directeur général de l'énergie et du climat

Je vous remercie d'avoir invité le ministère de la transition énergétique et solidaire à participer à cette table ronde.

Je vais vous présenter, en quelques mots introductifs rapides, la feuille de route que nous nous sommes fixée et les actions que nous sommes en train de mettre en oeuvre pour identifier les freins au déploiement de l'hydrogène et les manières de les lever.

Notre feuille de route est aujourd'hui essentiellement basée sur le plan « Hydrogène », présenté le 1er juin 2018 par le Gouvernement. Ce plan s'articule autour de trois principaux axes.

Le premier axe concerne l'hydrogène dans l'industrie. Aujourd'hui, l'industrie utilise déjà de l'hydrogène, qui présente la particularité d'être carboné. L'objectif est donc de parvenir à décarboner cet hydrogène pour déclencher les investissements et développer la filière. La production par électrolyse s'amorce et croît de manière conséquente, avec des baisses de coût très significatives. Il existe là un véritable potentiel. L'objectif fixé dans le plan hydrogène est d'atteindre une cible de 10 % d'hydrogène décarboné dans les usages de l'hydrogène industriel à l'horizon 2023 et de 20 % à 40 % en 2028. Ce but est indicatif, mais guide notre feuille de route.

Le deuxième axe sur lequel nous souhaitons travailler est celui de la mobilité. On observe dans ce domaine, comme l'a souligné M. Hissel, de réelles perspectives pour le développement de l'hydrogène, en complément d'autres solutions de mobilité que sont notamment le biogaz ou les options 100 % électriques. Le potentiel nous semble surtout considérable dans les mobilités lourdes, incluant les véhicules lourds mais aussi la mobilité ferroviaire et maritime, voire aéronautique. Nous nous inscrivons donc essentiellement dans une logique de développement de flottes captives et non dans l'optique d'une généralisation de l'hydrogène à tous les véhicules particuliers. Notre objectif est de 200 véhicules lourds et 5 000 véhicules utilitaires légers d'entreprises ou de collectivités en 2023 et de 800 à 2 000 véhicules lourds et 20 000 véhicules légers en 2028.

Le troisième axe concerne l'énergie. L'hydrogène dispose d'un énorme potentiel pour nous aider à gérer les énergies intermittentes renouvelables et permet notamment le stockage intersaisonnier, ce qui constitue une opportunité relativement importante. À court terme, cela représente un véritable potentiel pour les zones non interconnectées. Selon les divers scénarios de modélisation, les usages de stockage en France métropolitaine seraient réellement effectifs à moyen terme, à l'horizon 2025-2030. La logique actuelle consiste essentiellement à développer cela au niveau de zones non interconnectées, pour préparer un déploiement ultérieur plus massif.

Le deuxième sujet est celui de l'injection d'hydrogène dans les réseaux de gaz existants. Nous avons demandé aux gestionnaires de réseaux d'étudier les possibilités et les limites techniques, afin d'envisager les actions à mettre en oeuvre pour permettre l'injection d'hydrogène : leurs travaux ont donné lieu à la rédaction et à la remise d'un rapport intermédiaire fin décembre 2018, dans l'attente d'un rapport final en 2019.

Depuis la présentation du plan hydrogène, nous avons lancé un important travail avec l'ensemble de la filière sur des engagements pour la croissance verte, qui prennent la forme de green deals comportant des engagements réciproques de la part de la filière et de l'État, avec pour objectifs de valoriser et faire connaître toutes les initiatives portées par la filière française, de faciliter le déploiement de la filière hydrogène grâce à un travail sur les freins à lever, et naturellement de faire en sorte que les différents acteurs prennent des engagements concrets. Le copilotage de ces travaux est assuré par l'AFHYPAC et le CEA-Liten, que je remercie au passage pour le travail considérable qu'ils mènent. Plusieurs groupes de travail, correspondant aux divers axes du plan hydrogène, ont été constitués dans ce cadre. Nous espérons ainsi aboutir à la signature des premiers engagements au cours du premier trimestre 2019 pour l'industrie et la mobilité terrestre.

Bien évidemment, un regard attentif est porté, dans le cadre de cette réflexion, sur les travaux réglementaires de simplification que nous avons déjà initiés au niveau du ministère et qui sont menés par la direction générale de la prévention des risques.

Concernant le secteur ferroviaire, nous attendons les conclusions du groupe animé par Pierre Izard suite aux travaux du député Benoît Simian pour décider s'il sera nécessaire ou non d'établir un engagement pour la croissance verte.

Le dernier point de mon exposé concerne les aspects financiers. Nous sommes conscients de la nécessité, pour parvenir à faciliter le déploiement de l'hydrogène, d'accompagner les projets. Un investissement de 100 millions d'euros est ainsi prévu dans le cadre du plan hydrogène, dont 70 millions en 2019. Nous avons lancé en octobre 2018 un premier appel à projets sur la mobilité, avec une première relève au 11 janvier 2019 : plus de vingt projets ont été déposés et sont en cours d'examen par l'ADEME. Nous allons par ailleurs publier très prochainement un appel à projets pour la production d'hydrogène décarboné dans l'industrie, puis, courant 2019, pour les zones non interconnectées, sur le dernier axe du plan hydrogène.

De nombreuses initiatives sont ainsi actuellement en cours. Je suis à votre disposition pour répondre à toute question les concernant et vous remercie de votre attention.

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Philippe Boucly, président de l'Association française pour l'hydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC)

L'Association française pour l'hydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC) compte 120 membres, dont une vingtaine de grands groupes, une soixantaine de PME-PMI et des centres de recherche dont la fédération FCLAB, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ou le CNRS. Notre spécificité réside par ailleurs dans la présence en notre sein de collectivités territoriales, puisqu'à ce jour neuf régions sont adhérentes de l'AFHYPAC.

L'hydrogène est la clé de voûte de la transition énergétique, car il permet d'intégrer dans les réseaux d'énergie les énergies renouvelables, par essence variables, et ce faisant de les valoriser. Il s'agit, à notre connaissance, du seul moyen d'envergure permettant de stocker de grandes quantités, dans la durée. Cela permet également, comme nous l'avions montré dans une étude prospective menée en amont du plan national hydrogène et publiée début 2018, de décarboner l'ensemble des secteurs d'activité. Cette étude avait permis de mettre en lumière le fait qu'à l'horizon 2050, l'hydrogène pourrait représenter 20 % de la consommation finale d'énergie et contribuer à réduire les émissions de dioxyde de carbone de 55 millions de tonnes, c'est-à-dire de parcourir environ un tiers du chemin entre un scénario de référence de type business as usual et un scénario de type « Accord de Paris ». Nous ne nous sommes en effet pas placés dans l'objectif de neutralité carbone en 2050 affiché par le Gouvernement, mais plutôt dans la perspective de l'Accord de Paris.

La France dispose, en matière d'hydrogène, d'une filière dynamique, dont les acteurs sont présents sur toute la chaîne de valeur. Parmi les grands groupes adhérant à l'AFHYPAC, figurent notamment Total, EDF, Engie, Air liquide, la SNCF, la RATP, Keolis, Transdev, Faurecia, Plastic Omnium et Michelin. Nous comptons également, comme je le mentionnais en introduction, une soixantaine de petites et moyennes entreprises (PME) et petites et moyennes industries (PMI), ainsi que plusieurs collectivités engagées. Les territoires sont extrêmement motivés par le développement de l'hydrogène, qui pourrait leur permettre de répondre aux problématiques de qualité de l'air, de déchets, d'emploi, de bruit, etc. Nous avons publié il y a deux ans une plaquette énumérant l'ensemble des projets à l'oeuvre dans les territoires.

Notre objectif est de consolider une filière française de l'hydrogène compétitive. Nous nous heurtons toutefois, ainsi que le laisse entendre le titre de la réunion de ce jour, à divers freins. Nous sommes ainsi confrontés à des modes de soutien inadaptés, ainsi qu'à une absence de suivi des objectifs ou de leurs modalités d'atteinte.

Les technologies de l'hydrogène sont matures : la France compte un grand nombre de démonstrateurs, comme le montre la plaquette à laquelle je faisais précédemment référence. Elles sont toutefois encore émergentes, donc coûteuses, et soumises à ce que les économistes qualifient de « traversée de la vallée de la mort ». Or il n'existe pas à ce jour de véritable schéma pour couvrir par exemple le risque de faible utilisation des équipements au cours de la période de montée en régime. Une station de recharge hydrogène ne devient en effet rentable qu'à partir d'un taux d'utilisation d'au moins 70 %, ce qui est rarement le cas lors de son implantation. Cette difficulté se rencontre dans de nombreux autres domaines, dépourvus également de schéma permettant de « dérisquer » l'activité.

La situation évolue toutefois, puisque la banque des territoires, la Caisse des dépôts, réfléchit à la mise en oeuvre de ce type de moyens ; ce n'est toutefois pas encore effectif. Le rapport Canfin-Zaouati évoque par ailleurs la création de France Transition, susceptible d'intervenir également en ce sens. Il convient en outre de signaler l'existence, dans certains cas, d'avances remboursables. Ce n'est toutefois pas un réel soutien pour les PME-PMI, dans la mesure où ces fonds sont considérés comme une dette.

Nous observons en outre un manque de visibilité dans le temps des dispositifs de soutien. Ainsi, les bonus pour les véhicules propres sont annuels. Le plan national hydrogène, s'il a le mérite d'exister, n'apporte pas non plus d'éléments de visibilité à long terme. Nous avions, lors de la préparation de ce plan, milité pour que le soutien de 100 millions d'euros s'effectue sur une période de cinq ans, soit 500 millions au total, proposition qui n'a finalement pas été retenue. Le jour du lancement de ce plan, le ministre avait indiqué que le plan de soutien à la filière hydrogène s'élevait à 100 millions d'euros par an. Renseignements pris, 50 millions d'euros devaient provenir du programme d'investissements d'avenir (PIA) et 50 autres millions de l'ADEME. Nous avons alors contacté l'ADEME, qui nous a indiqué que 20 millions d'euros seraient débloqués en 2019, 20 millions en 2020 et 10 millions en 2021, ce qui ne correspondait pas aux annonces. Il s'avère que le budget de l'ADEME, que nous avons consulté, a augmenté pour le fonds « Chaleur », ce qui est très bien, et que les montants concernant l'hydrogène figurent dans la ligne air-mobilité, qui est certes passée de 20 à 30 millions d'euros, mais qui couvre tous les sujets de mobilité propre. À ce jour, je ne suis par conséquent pas en capacité de vous dire quel montant sera consacré au soutien du développement de l'hydrogène en 2019. Cela nous semble relativement grave, dans la mesure où l'ADEME a lancé dans le même temps son premier volet des appels à projets pour la mobilité, avec un fort écho puisque nous avons déjà reçu 24 projets, sachant que l'appel compte trois échéances, les 11 janvier, 3 mai et 8 novembre. J'ignore comment tout cela va être financé.

Le plan national hydrogène affiche par ailleurs un certain nombre d'objectifs, repris dans la présentation de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Comment les atteindre ? J'ai été désagréablement surpris d'entendre Mme Vieillefosse préciser que ces objectifs étaient indicatifs : il est en effet difficile d'atteindre une cible mobile ! Pourquoi ne pas imaginer, par exemple, des dispositifs tels qu'une obligation pour les fournisseurs d'intégrer du gaz propre ? La France entend être un leader de la transition énergétique, mais ne soutient pas véritablement son industrie.

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Nous y reviendrons, mais, le temps qui vous était imparti étant écoulé, il me faut à présent donner la parole à Mme Werquin, afin que chacun puisse s'exprimer.

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Christelle Werquin, déléguée générale de l'AFHYPAC

Je souhaite tout d'abord saluer le travail mené avec les services de l'État depuis la publication du plan national hydrogène, notamment sur les engagements pour la croissance verte auxquels nous travaillons quotidiennement à leurs côtés.

Dans ce contexte, deux éléments méritent tout particulièrement d'être soulignés. Le premier concerne le fait que la filière se structure et se mobilise dans le cadre de plusieurs groupes de travail, en vue de signer des engagements pour la croissance verte. L'enjeu pour nous est de disposer face à cela d'une équipe projet au niveau de l'État, réunissant divers services des ministères : nous travaillons ainsi avec la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), avec la direction générale de la prévention des risques (DGPR) et aimerions collaborer davantage avec la direction générale des entreprises (DGE).

Je souhaiterais à ce propos faire le lien avec les comités stratégiques de filière, placés sous l'égide du Conseil national de l'industrie. Nous sommes par exemple en train de travailler à l'élaboration du contrat stratégique de filière « nouveaux systèmes énergétiques ». Une fiche projet « hydrogène » existe et nous aimerions que la filière industrielle française puisse faire l'objet d'un accompagnement par la DGE et, d'une manière générale, par le ministère de l'économie et des finances. Il existe également un projet « hydrogène » au sein du contrat stratégique de la filière automobile, ainsi que des mentions de l'hydrogène dans le contrat stratégique de filière des industriels de la mer ou encore dans le secteur ferroviaire. L'hydrogène répond à des enjeux beaucoup plus larges qu'une simple brique technologique pour un usage donné : on pense bien entendu à la mobilité, à l'industrie, à l'énergie, mais aussi, sur les territoires, au développement d'écosystèmes complets comme les écosystèmes portuaires ou les zones industrielles ou de reconversion des territoires, où l'hydrogène peut apporter énormément de solutions. L'enjeu est, comme le soulignait Philippe Boucly, de disposer d'une vision claire quant à la volonté de l'État d'accompagner cette filière industrielle.

L'idée de définir des chaînes stratégiques au niveau européen se développe actuellement. La filière hydrogène fait potentiellement partie des dernières chaînes de valeur identifiées. Nous espérons que la France défendra auprès de Bruxelles l'idée selon laquelle cette chaîne de valeur est véritablement stratégique et pourrait faire l'objet de projets d'intérêts communs.

Nous disposons, avec l'hydrogène, d'une occasion de porter un nouveau souffle au niveau de l'Union européenne. Ce serait l'occasion de se doter d'une politique industrielle permettant de tenir face à la concurrence mondiale, à grande échelle, soit au travers de partenariats franco-allemands, soit plus largement, à partir d'une chaîne de valeur française structurée, avec un portefeuille de brevets, notamment sur l'électrolyse à haute température, avec des chercheurs de très haut niveau, des territoires engagés, des grands groupes, des PME et des start-up, en développant une valeur ajoutée européenne. L'Europe peut en effet jouer un rôle face à la Chine et à d'autres pays se mobilisant très fortement sur la question de l'hydrogène. Cela suppose toutefois que l'on défende, au niveau de la France, l'idée qu'une politique industrielle doit pouvoir se mener à l'échelle européenne et peut-être également, comme cela a été porté notamment dans un rapport réalisé par la Fondation pour la nature et l'homme, qu'il est possible d'isoler les investissements verts du calcul du déficit public sans déroger aux traités. Des propositions ont été émises en ce sens. On pense notamment à l'outil Invest for EU, qui figurera certainement dans le prochain cadre financier pluriannuel de l'Union européenne.

Le dernier point de mon intervention porte sur les financements public-privé. Nous avons noté avec plaisir le soutien de l'État, marqué notamment par le plan hydrogène et sa concrétisation. Des progrès sont réalisés tous les jours et nous espérons très vivement que les budgets pourront être abondés si les projets sont au rendez-vous, ce qui semble être le cas. Nous avons noté les objectifs de la PPE et avons conscience que le financement public seul ne pourra pas nous permettre de passer à l'échelle voulue. Nous souhaitons donc attirer votre attention sur la proposition, formulée dans le rapport de MM. Canfin et Zaouati, de création d'un outil, France Transition, répondant aux problématiques de guichet unique soulevées par Daniel Hissel et permettant de générer de l'investissement privé à partir d'une couverture du risque par la puissance publique.

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François-Xavier Olivieri, secrétaire général de la business unit Hydrogène d'Engie

Groupe international présent dans 70 pays, Engie a axé son développement sur la production d'électricité bas carbone, les infrastructures énergétiques et les solutions clients. Cela nous positionne, au niveau français, comme le premier producteur d'électricité verte. Nous croyons véritablement à l'hydrogène pour libérer tout le potentiel des énergies renouvelables en France et dans le monde. C'est à ce titre que nous nous sommes intéressés très fortement à cette filière et y sommes actifs, considérant particulièrement trois usages dont le potentiel de développement est énorme : la mobilité, l'industrie et les réseaux de gaz et d'électricité.

Développer l'hydrogène à grande échelle impliquera de résoudre auparavant différents problèmes, en collaboration avec les acteurs publics. Lorsque l'on questionne les industriels et que l'on observe la situation à l'international, on s'aperçoit que les fonds publics ne sont pas la seule solution pour parvenir à déployer une filière. Mme Vieillefosse a cité précédemment les trois axes du plan hydrogène, qu'il convient de mettre en oeuvre de façon équilibrée. Dans l'axe des usages, la mobilité se développe et les solutions sont là, même s'il existe un problème de compétitivité. Les acteurs publics peuvent jouer un rôle essentiel dans ce domaine, par la commande publique, en ayant une vision des modalités de développement de la mobilité hydrogène.

Concernant les réseaux, il est également important d'avoir une feuille de route assez claire. On ne parviendra à fédérer des investissements et à développer les solutions de transition énergétique et de stockage de l'électricité renouvelable que si l'on connaît l'objectif visé et les perspectives d'évolution d'ici 2020 ou 2030. Il est important, pour l'électricité comme pour le gaz, d'avoir des cibles construites avec les opérateurs de réseaux, afin de savoir jusqu'où l'on souhaite aller. Pour ne vous citer qu'un exemple international, sachez que la ville de Leeds en Angleterre est actuellement en train de développer un projet ayant pour objet de transformer complètement son réseau de transport de gaz naturel en transport d'hydrogène. Il existe donc des ambitions dans ce domaine. À l'international, tout cela est très mouvant et des partenariats sont en train de se nouer.

Le troisième aspect, sur lequel nous manquons tout particulièrement de visibilité, est celui de l'industrie. Dans ce secteur, le potentiel de l'hydrogène est immense. Pour autant, les acteurs industriels disent manquer d'une vision sur les standards qui vont leur être imposés. Cela engendre un problème majeur pour le développement de l'hydrogène vert, dans la mesure où l'on s'accorde à dire que la finalité de toute cette démarche est de disposer d'un vecteur d'énergie décarboné, produit à partir d'énergies renouvelables. Faute de standards d'exigence de décarbonation inscrits dans le temps, faute d'un prix du carbone clair, rien n'est possible. Or, comme le mentionnait récemment lors d'une conférence mon collègue Bruno Seilhan de Total, il revient aux politiques de fixer la feuille de route et aux industriels, en fonction de la technologie et du coût, de trouver les moyens pour atteindre les objectifs définis. Il manque aujourd'hui un levier pour y parvenir.

Il est très intéressant d'observer la situation à l'échelle internationale et de voir comment des pays ou des régions comme le Japon ou la Californie abordent ces sujets. On s'aperçoit alors de l'importance de définir des standards, le cas échéant associés à des sanctions permettant de financer une partie de la filière. En Californie par exemple, la démarche a été largement axée sur la conversion d'une partie des flottes de véhicules en véhicules à zéro émission grâce à des programmes très ambitieux. Il existe également, mais dans une moindre mesure, quelques programmes dans l'industrie. Des standards sont définis, des feuilles de route rédigées en matière de décarbonation des réseaux, secteur dans lequel la France fait figure d'exemple : les États-Unis viennent ainsi voir nos démonstrateurs, dont les projets GRHYD (gestion des réseaux par l'injection d'hydrogène pour décarboner les énergies) et Jupiter 1000, afin d'étudier comment injecter de l'hydrogène dans les réseaux de gaz naturel. La France est à la pointe de ces technologies.

D'autres mécanismes sont en outre à trouver en matière d'aides et de subsides. Il faut savoir que la filière hydrogène ne bénéficie pas, comme le biométhane, de tarifs de rachat. On pourrait en revanche imaginer, puisque c'est là l'enjeu majeur, des mécanismes sur le modèle des contracts for difference développés par exemple en Angleterre, afin de compenser de manière temporaire l'écart de prix existant entre le carboné et le décarboné. Il existe aujourd'hui pour ce faire des poches de financement qui pourraient être utilisées pour développer la filière hydrogène. Prenons l'exemple des trains : des fonds très importants sont disponibles pour l'électrification des lignes. Or le développement d'une filière hydrogène peut être une alternative à l'électrification. C'est grâce à une telle agilité et surtout à un travail commun des acteurs publics et de l'industrie que l'on parviendra à lever ces freins. Il n'est pas possible, dans ce domaine comme dans nombre d'autres, de réussir seul.

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Marc Jedliczka, porte-parole de l'association Negawatt

Vous avez, dans votre propos introductif, évoqué la nécessité d'une perspective à long terme. L'association Negawatt, que je représente, partage totalement ce point de vue : il n'est pas possible de se projeter dans l'avenir immédiat, notamment sur les thématiques de l'énergie et du climat, si l'on ne dispose pas d'une vision à long terme du système énergétique vers lequel on se dirige. Cela doit tenir compte en premier lieu des usages, mais englober aussi la production et les questions de ressources, y compris physiques, minérales.

L'hydrogène apparaît comme la potentielle clé de voûte d'un système énergétique 100 % renouvelable, sur tous les vecteurs. Néanmoins, nous ne le percevons pas comme un vecteur à usage final dans tous les domaines.

Dans le domaine de l'industrie ou pour les services rendus au système électrique, le potentiel de l'hydrogène nous apparaît comme une évidence absolue. Dans le secteur de la mobilité en revanche, nous sommes plutôt réticents à l'idée de généraliser l'hydrogène. On n'imagine pas un réseau hydrogène allant jusqu'à transformer le parc complet des véhicules légers. Il est plus pertinent de réserver l'hydrogène aux véhicules lourds, dont les trains. L'hydrogène constitue en effet, comme cela vient d'être souligné, une alternative à l'électrification. Il est également très performant pour les bateaux.

À une période où les budgets sont contraints et les ressources économiques et physiques limitées, nous souhaitons alerter les décideurs publics et les inciter à investir l'argent public au meilleur endroit, à ne pas se disperser. Il va falloir faire des choix. De notre point de vue, l'hydrogène, tout comme les autres vecteurs, doit indéniablement occuper une place, mais pas toute la place. Aucun des trois grands vecteurs de réseau – quatre si l'on compte la chaleur – ne doit avoir une logique de monopole. C'est à l'interaction entre tous ces vecteurs qu'il convient de travailler. L'hydrogène constitue, de notre point de vue, un vecteur intermédiaire dans les réseaux.

M. Olivieri citait précédemment GRHYD et Jupiter 1000. Il me semble important de préciser qu'il existe une différence majeure entre ces deux démonstrateurs. GRHYD est basé sur le principe de l'injection d'hydrogène dans le réseau de gaz, dans une proportion limitée, de façon expérimentale. Il n'est en effet pas question d'avoir 20 % d'hydrogène partout dans le réseau gazier. Jupiter 1000 représente l'étape suivante, celle de la méthanation, qui consiste à combiner du dioxyde de carbone avec de l'hydrogène pour produire du méthane. Il s'agit d'une solution catalytique.

Il faut par ailleurs savoir que des solutions biologiques commencent à émerger en termes de recherche et développement, qui peuvent fonctionner avec le dioxyde de carbone issu du biogaz, composé quasiment à parts égales de méthane et de CO2. Il existe aujourd'hui des installations capables d'extraire le CO2 du biogaz, afin de l'injecter dans le réseau de gaz sous forme de biométhane, à 97 % de pureté. Il est ainsi possible d'utiliser ce dioxyde de carbone avec des solutions biologiques qui présentent un continuum technologique avec la production de biogaz. Ces solutions émergentes en sont au stade des premiers démonstrateurs au niveau européen et mondial. En France, des travaux de recherche sont menés dans ce domaine, autour de l'identification de bactéries. Nous avons notamment participé, avec l'Institut national des sciences appliquées de Toulouse, à des travaux de laboratoire qui nous semblent très prometteurs, dans la mesure notamment où les outils industriels issus de ces recherches sont maîtrisables par les territoires, échelon auquel s'accomplira l'essentiel de la transition énergétique. Pour les acteurs des territoires, cette démarche est finalement moins liée au changement climatique ou à l'écologie qu'à des enjeux de développement et de valorisation des richesses locales. Or les techniques de méthanation biologique seront accessibles à terme à ce type d'acteurs. Il s'agit aujourd'hui d'aider et d'accompagner ce mouvement. Nous souhaitons pour notre part alerter sur la nécessité d'investir le peu de moyens dont on dispose au bon endroit. L'hydrogène doit, dans ce modèle, avoir toute sa place, mais rien que sa place. Il ne doit pas prétendre à équiper l'ensemble des véhicules légers. Il serait en outre également absurde de financer un troisième réseau, dans la mesure où le réseau gazier fonctionne très bien et mérite d'être optimisé tel qu'il est aujourd'hui.

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Merci pour ces premières présentations. La principale question que je souhaite vous soumettre est la suivante : que représente le million de tonnes d'hydrogène produit aujourd'hui à partir d'énergies fossiles ? Si l'on devait produire cette même quantité d'hydrogène de façon décarbonée, imagine-t-on plutôt utiliser de grosses usines produisant beaucoup d'hydrogène avec des réseaux partout ou de petits hydrolyseurs disséminés sur le territoire ? Disposera-t-on sur les autoroutes de stations-service complètement autonomes, avec panneaux photovoltaïques et éoliennes, qui généreront de l'hydrogène ? D'une façon générale, quelle est aujourd'hui la vision de cette production et de cette consommation ?

L'un d'entre vous a également évoqué les lobbies ; je souhaiterais vous entendre plus précisément à ce sujet.

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Merci beaucoup à chacune et chacun d'entre vous pour les informations que vous nous avez apportées.

Comparativement à l'Allemagne, mais surtout à la Californie ou au Japon, la France reste en retard. Monsieur Boucly, vous émettez de nombreux doutes sur les fonds réellement affectés à l'hydrogène et pointez le manque de visibilité à ce stade. Vous insistiez quant à vous, messieurs Hissel et Olivieri, sur une feuille de route insuffisamment claire. Je m'adresse par conséquent à Mme Vieillefosse, de la DGEC, pour lui demander de nous préciser les éléments de répartition des 100 millions d'euros évoqués, en termes d'affectation, mais surtout d'exercices budgétaires auxquels ils se rapportent. Cette somme étant déjà relativement faible, elle n'aura aucun impact si elle est trop diluée.

Vous avez aussi, monsieur Olivieri, abordé la question de l'écart de prix entre le carboné et le décarboné, qu'une aide pourrait éventuellement venir compenser. Quel est cet écart actuellement ?

La technologie power-to-gas est en outre directement liée à la production d'hydrogène propre. Où en est-on aujourd'hui ? Cela me semble ne pas aller très vite ; mais peut-être ai-je tort. Quelles informations pouvez-vous nous donner à ce sujet ?

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Ma question concerne essentiellement l'évaluation de la politique publique, mais va malgré tout faire émerger des aspects en lien avec les freins identifiés. J'ai eu le sentiment, en écoutant les différents intervenants, d'un manque de dialogue, tant à propos des 100 millions d'euros que des objectifs. D'où peuvent provenir les difficultés et divergences pointées lors de vos prises de paroles ? Conviendrait-il, pour améliorer la situation, de renforcer le dialogue entre les pouvoirs publics et les différents acteurs, qu'il s'agisse des associations faisant la promotion de l'hydrogène et des piles à combustible, des grands groupes ou des instances imaginant la trajectoire possible en matière de transition énergétique ? Cela provient-il des moyens financiers très contraints des services de l'État ? Est-ce dû au fait que la filière est en émergence et que les besoins industriels comme les mécanismes nécessaires sont encore fluctuants ? Quels paramètres pourraient, selon vous, expliquer les divergences que j'ai notées dans vos propos ?

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Ma question porte sur les relations que vous pouvez entretenir avec les constructeurs automobiles français. Sont-ils intéressés par la filière hydrogène ? Quelles sont les voies de développement en cours ? Ne risquons-nous pas, comme pour l'électricité ou l'hybride, de « rater le virage » ?

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Alice Vieillefosse, directrice de cabinet du directeur général de l'énergie et du climat

Je vais tout d'abord répondre à la question de M. le rapporteur sur la façon dont l'État voit la structuration du marché. Nous avons choisi, suite au rapport qui a permis de bâtir le plan hydrogène, d'adopter une approche partant de l'industrie. Ce plan a vraiment été élaboré en partant des usages existants de l'hydrogène et en essayant dans un premier temps de voir comment les décarboner, avant d'envisager le développement de hubs autour de ces usages. Dans cette optique, il nous semble aujourd'hui que la démarche la plus rentable et nécessitant le moins d'aides publiques réside dans des usages diffus, pour lesquels il nous apparaît possible, avec un simple « coup de pouce », de déclencher des investissements. Certains acteurs plaident en revanche pour une vision beaucoup plus centralisée, avec de grosses usines, et se positionnent sur ce créneau. Nous cherchons ainsi, via nos appels à projets, à identifier les chaînes de valeur les plus pertinentes pour s'imposer sur le marché.

Concernant la question des fonds, il a en effet été annoncé, lors du plan Hulot, un montant de 100 millions d'euros. Plusieurs débats ont par ailleurs eu lieu au sein de l'Assemblée nationale, notamment à l'occasion de l'élaboration du projet de loi de finances (PLF) sur ce sujet. Aujourd'hui, le budget prévu en 2019, via le Programme d'investissements d'avenir (PIA), est de 50 millions d'euros pour l'appel à projets industrie que nous allons lancer. L'ADEME a également inscrit dans son budget près de 20 millions d'euros pour cette même année. Lors de la discussion du PLF, le ministre avait indiqué qu'il regarderait, en fonction des projets déposés, si des modifications du budget provisionné s'avéraient nécessaires. Comme nous raisonnons par ailleurs année après année, les budgets alloués les années suivantes dépendront des discussions des prochains PLF. À ce jour, il nous semble que le montant provisionné donne de la visibilité aux appels à projets. Nous sommes actuellement dans une phase au cours de laquelle il va falloir sélectionner les bons projets, structurants et intéressants. Une étude doit être menée à cette fin. Ensuite, l'argent provisionné étant versé sur plusieurs années, les 70 millions prévus devraient être suffisants. Nous surveillerons toutefois ce point avec attention.

L'une des questions portait en outre sur le dialogue entre l'État et les acteurs de la filière. L'idée qui préside aux engagements pour la croissance verte étant de structurer un dialogue entre l'État et la filière, des rendez-vous sont programmés très régulièrement pour identifier ensemble tous les freins et définir conjointement les moyens de les lever. Nous avons notamment, pour l'élaboration de l'appel à projets sur l'industrie, invité tous les acteurs de la filière afin de connaître précisément leurs attentes et envisager la manière d'y répondre au mieux. Bien évidemment, nous restons attentifs aux voies possibles d'amélioration de ce dialogue, afin qu'il soit le plus construit possible.

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Daniel Hissel, professeur à l'Université de Franche-Comté

Je vais en premier lieu répondre à la question de M. le rapporteur sur les lobbies. Comme indiqué dans mon exposé, nous sommes dans une logique de substitution, en termes de marché et d'acteurs, ce qui signifie que les acteurs de demain ne seront pas nécessairement ceux d'aujourd'hui. On comprend aisément que ces derniers ne voient pas tous d'un très bon oeil se profiler un tel changement de paradigme. Ces réticences ne sont pas forcément structurées en permanence ; nous observons aussi des résistances de la part de quelques acteurs individuels.

Ceci est par ailleurs à mettre en lien avec un changement de positionnement de la filière. Vous évoquiez par exemple la filière automobile : on constate aujourd'hui que les équipementiers de rang 1, dont Faurecia en France, investissent dans la fabrication de piles à hydrogène, cette technologie étant appelée à terme à remplacer le moteur thermique qui alimente le véhicule. Les grands groupes industriels fabriquaient jusqu'alors pour l'essentiel leurs moteurs thermiques ; demain, la majeure partie d'entre eux ne fabriquera plus l'objet central associé à cette mobilité. Cela montre que le jeu des acteurs se modifie, ce qui peut créer une certaine crispation.

Ce problème est également lié à la formation. Pour reprendre l'exemple de l'automobile, les acteurs de ce secteur ont aujourd'hui, essentiellement, une formation dans le domaine du génie thermique et de la mécanique. Demain, il importera plutôt de maîtriser l'électrochimie et le génie électrique. Les filières de formation sont donc différentes. Cette situation conduit à ce que des corps informels, d'ingénieurs notamment, fassent éventuellement preuve de quelques réticences à l'idée d'aller vers de nouveaux sujets.

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Philippe Boucly, président de l'Association française pour l'hydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC)

Permettez-moi de vous communiquer quelques ordres de grandeur. Il faut ainsi savoir qu'un mégawatt d'électrolyseur permet de produire environ cent tonnes d'hydrogène par an. Ainsi, la production d'un million de tonnes nécessite de mobiliser 10 000 mégawatts d'électrolyseur, ce qui représenterait 20 % de la consommation finale, autour de besoins très spécifiques, dont la mobilité lourde.

En termes d'implantation, le modèle qui semble se dégager dans l'immédiat est semi-centralisé, ce qui correspondrait à un électrolyseur de taille significative de plusieurs mégawatts pour atteindre les effets d'échelle, situé près d'un gros consommateur comme un important dépôt de bus ou une grande entreprise industrielle, et délivrant également de l'hydrogène dans des stations de recharge satellites, certainement par camions dans un premier temps, puis progressivement par réseau. Il conviendra ainsi d'imaginer, à terme, la mise en place de réseaux dédiés à l'hydrogène. Ce modèle permettrait également de participer aux besoins de flexibilité du réseau électrique. Au mois de décembre par exemple, lors d'une situation de tension sur le réseau, le Réseau de transport d'électricité (RTE) a immédiatement demandé à certains industriels de s'effacer. Les électrolyseurs sont très flexibles et pourront s'effacer si besoin.

Nous sommes, en matière de mobilité, favorables au développement de l'hydrogène pour la mobilité lourde, c'est-à-dire les camions, le ferroviaire, les bateaux, les bus. Un programme européen vise à terme le chiffre de mille bus à hydrogène. Au niveau national, Mobilité Hydrogène France, qui est l'un des groupes de travail de l'AFHYPAC, travaille sur un programme à 1000 bus en France. Il s'agit de fédérer un maximum de collectivités désireuses de s'engager dans cette voie. Citons notamment Pau avec huit bus, Versailles avec un projet de sept bus, Auxerre avec cinq bus ou encore le syndicat de transport Artois-Gohelle avec six bus. Tout cela monte progressivement en puissance. Nous avons en outre la chance de disposer d'un constructeur français, qui fabrique à Albi de très beaux bus de 12 mètres. Il faut développer cette filière.

Je confirme par ailleurs les propos de Mme Vieillefosse sur le fait que le dialogue avec les services de l'État est formidable, tant au niveau du comité stratégique de filière que de la DGEC ou de la direction générale de la prévention des risques (DGPR). Les discussions entre la filière et la DGPR ont par exemple abouti à la publication d'un arrêté ministériel de prescription générale pour l'installation des stations de recharge hydrogène, en vigueur depuis le 1er janvier 2019. Il reste toutefois encore beaucoup à faire, pour les parkings souterrains, les tunnels ou les dépôts de bus. Pour autant, le dialogue est très satisfaisant, notamment au travers de ce très beau dispositif que sont les engagements pour la croissance verte.

Bien que n'ayant ni beaucoup de moyens, ni beaucoup de soutien, il convient de ne pas développer de complexe vis-à-vis de l'Allemagne par exemple, qui dispose d'un parc de 400 véhicules à hydrogène, contre 300 en France. La flotte de taxis hydrogène est par ailleurs plus importante en France qu'Outre-Rhin, avec par exemple 200 de ces véhicules à Paris actuellement et 600 en 2020. Je ne pense pas que d'autres villes dans le monde aient un parc aussi conséquent. Il faut aujourd'hui veiller à monter en puissance, à passer à l'échelle, d'où la nécessité d'un soutien accru.

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Christelle Werquin, déléguée générale de l'AFHYPAC

Je souhaiterais compléter les propos concernant la relation avec les constructeurs automobiles français et revenir sur le fait que nous disposons, au sein de l'AFHYPAC, d'un consortium, intitulé Mobilité Hydrogène France, réunissant l'ensemble des acteurs de la mobilité. Ce groupe a imaginé le plan de déploiement de la mobilité en France, non seulement via les bus, mais aussi avec une vision du déploiement et du maillage du territoire, par le biais de flottes captives à usage intensif, des véhicules utilitaires aux véhicules lourds. PSA a rejoint cette année ce consortium, qui compte également des acteurs comme la société Symbio, qui a équipé les Kangoo électriques en range extenders, c'est-à-dire en prolongateurs d'autonomie à hydrogène, ou encore des équipementiers de rang mondial, dont Faurecia, Plastic Omnium ou encore Michelin. Le dialogue entre ces différents partenaires se construit et se concrétise notamment dans le cadre des engagements pour la croissance verte et plus particulièrement de celui consacré à la mobilité terrestre, qui pourra être signé d'ici la fin du mois de février 2019. Nous y travaillons, côté filière, avec la Plateforme automobile (PFA), qui réunit, de l'amont à l'aval, l'ensemble de la filière automobile française. Dans ce contexte, figurent parmi les engagements qui vont être portés par la filière des engagements relatifs aux véhicules et au déploiement des infrastructures. Le contrat stratégique de la filière automobile a créé une fiche projet dédiée à l'hydrogène, qui correspond aux objectifs de déploiement tels qu'ils ont été proposés dans le plan national hydrogène.

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François-Xavier Olivieri, secrétaire général de la business unit Hydrogène d'Engie

Je vais tenter de répondre aux questions relatives aux modalités d'installation des électrolyseurs afin d'être compétitif et aux écarts de prix. L'enjeu est avant tout un enjeu de compétitivité. Si l'on se projette à un horizon de temps où l'on sait que le coût des électrolyseurs va baisser, on peut considérer que l'hydrogène vert sera à un prix deux fois supérieur à celui de l'hydrogène gris, sachant que le gros problème de la France dans ce domaine réside dans le prix de l'électricité, notamment de l'électricité verte. Dans certains pays comme le Chili ou l'Australie, des contrats d'achat d'électricité (power purchase agreements) sortent à 20 euros le mégawatt, alors que l'on est, en France, à plus du double. Bien évidemment, il y a là un enjeu très important et les discussions sur la manière de réduire la fiscalité de l'électricité et sur le tarif d'utilisation des réseaux de transport et distribution d'électricité (TURPE) sont des questions clés si l'on veut véritablement parvenir à déployer cette filière d'énergie verte en France.

Quelle taille faudrait-il adopter pour réussir à réaliser des économies d'échelle et parvenir, avant 2030, à une parité entre l'hydrogène gris et l'hydrogène vert, à condition de bénéficier de sources d'électricité à un prix compétitif, voisin de 2 euros le kilowatt ? À l'évidence, cela nécessite de très grosses installations, de l'ordre de 100 mégawatts, avec une croissance ultérieure, dans une logique de hub.

Où peut-on développer de telles installations en France ? C'est possible là où l'on trouve de l'industrie intensive au niveau de l'hydrogène, des besoins de mobilité ou de véritables enjeux de santé publique sur la décarbonation, comme à Marseille. Si l'on parvient à créer des écosystèmes avec des hubs de production massifiés d'hydrogène et à accéder à de l'électricité moins chère, alors on réussira, en achetant à une échelle suffisamment grande (at scale), à résoudre la problématique de réduction de prix des électrolyseurs.

Se pose ensuite un enjeu de mobilité : si l'on veut vraiment engager les constructeurs automobiles à développer des véhicules à hydrogène, il faut disposer des stations nécessaires.

En termes de rapidité de développement, la logique actuelle consiste à considérer qu'il va falloir, pour résoudre le problème d'échelle, élaborer de très gros projets là où l'on dispose des meilleures conditions, c'est-à-dire d'un prix de l'électricité favorable, d'un cadre réglementaire permettant de bénéficier d'un écosystème dans lequel les industriels sont prêts à payer un premium (un surplus) parce qu'ils ont des obligations de décarbonation et où existent des multiusages. C'est dans cette logique d'écosystème que l'on trouvera la clé pour arriver à développer la filière, sachant que la France présente, de ce point de vue, certains intérêts. En marge du sommet de Davos, une réunion de l'Hydrogen Council va réunir un certain nombre de chief executive officers (CEO) et de représentants des États, pour essayer d'engager une discussion sur la manière de parvenir à une meilleure coopération et de mener un véritable travail entre industrie et Etat, pour trouver des outils adaptés. Cela fait partie de l'équation qu'il va falloir réussir à résoudre pour élaborer les bons mécanismes.

De ce point de vue, regarder ce qui se fait à l'étranger peut être instructif. On s'aperçoit ainsi que chaque pays a sa logique propre. La France est considérée comme un pays intéressant au niveau de son plan hydrogène, dans la mesure où celui-ci est ciblé. Plusieurs États soulignent ainsi que le plan Hulot comporte un volant d'aides disponibles focalisées sur l'hydrogène, ce qui n'est pas le cas partout. Bien que l'on n'arrive pas at scale, cet élément est remarqué. L'intérêt du développement français réside également dans le fait de privilégier des logiques d'écosystèmes. Nous disposons donc de forces, de leviers. Encore faut-il trouver comment les actionner tous en même temps, pour attirer les investisseurs. Il est bien évident que Shell, Engie et autres très gros acteurs ne pourront pas développer éternellement des gigawatts de capacité d'électrolyseurs sans attirer des investisseurs financiers. Or cela nécessite de sécuriser la démarche.

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Dans mon esprit, l'hydrogène représente aussi la possibilité de stocker l'électricité lorsque l'on ne peut pas l'utiliser. Ne pourrait-on, en termes de prix de l'électricité, imaginer un écosystème comportant des hydrolyseurs près de fermes solaires ou de grands parcs éoliens, permettant d'hydrolyser lorsque l'on ne sait pas quoi faire de l'électricité ? Dans votre modèle, j'entends que l'on se branche sur le réseau au prix standard.

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Philippe Boucly, président de l'Association française pour l'hydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC)

L'hydrogène représente du capital, des frais d'exploitation et, pour les deux tiers, de l'électricité. Or les dépenses en capital (CAPEX) s'amortissent sur une certaine durée. Si l'on est branché sur un parc éolien ou une ferme solaire, la durée de l'amortissement sera relativement longue, dans la mesure où l'on ne bénéficiera que d'un certain nombre d'heures de vent ou de soleil.

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Je comprends bien qu'il faut hydrolyser en continu, mais on peut imaginer qu'à un moment donné l'électricité soit moins chère car non utilisable autrement.

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Philippe Boucly, président de l'Association française pour l'hydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC)

Des projets commencent à se monter avec des producteurs d'énergies renouvelables en fin d'obligation d'achat par exemple. Il faut faire une moyenne sur l'ensemble de l'année.

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Marc Jedliczka, porte-parole de l'association Negawatt

Je renvoie notamment, sur ce dernier point, aux publications de l'ADEME, et en particulier à l'étude GRTgaz-GrDF sur la méthanation.

Je souhaite préciser que lorsque j'ai parlé de mobilité lourde, je pensais aux trains et aux bateaux. Concernant les camions, il faut savoir qu'aujourd'hui déjà des flottes entières passent au GNV, qui sera demain bio-GNV, sans aides de l'État. Il a été indiqué précédemment que l'on se situait dans une logique de la demande : cela ne me semble pas tout à fait vrai pour la mobilité aujourd'hui, qui s'inscrit davantage selon moi dans une logique de l'offre, la preuve étant que l'on demande des aides, des démonstrateurs, de l'argent public, de l'infrastructure pour un élément qui est encore aujourd'hui très cher. La pile à combustible n'a pas baissé ses coûts significativement. Il ne s'agit pas d'une technologie émergente : elle a été développée voici quelques dizaines d'années, à l'occasion de la conquête spatiale, avant que l'on change de trajectoire dans ce domaine. Nous craignons énormément, de même, cet effet d'éviction d'autres technologies matures.

Le réseau correspond par ailleurs à 130 térawattheures de stockage disponibles immédiatement. L'infrastructure est totalement amortie. Nous disposons d'opérateurs qui connaissent très bien leur métier. Il serait donc vraiment absurde d'imaginer stocker sous forme d'hydrogène si l'on part sur une logique massive. L'hydrogène est en effet composé de très petites molécules, qui présentent certains risques, même si l'on sait les maîtriser. Ce sont des coûts qu'il faut absolument éviter. La solution consistant à passer au power-to-gas, à la partie méthanation, serait de mon point de vue une erreur, dans la mesure où cela supposerait d'investir beaucoup de moyens, privés ou publics, dans une infrastructure de stockage d'hydrogène. L'hydrogène est un excellent vecteur intermédiaire, mais non un vecteur final, sauf pour quelques niches identifiables.

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Alice Vieillefosse, directrice de cabinet du directeur général de l'énergie et du climat

Nous envisageons potentiellement deux modèles sensiblement différents. Le premier est un modèle d'autonomie énergétique, avec des énergies renouvelables (ENR) à hydrogène. Aujourd'hui, on voit que les ENR commencent à être à des prix intéressants, voisins de 40 euros par mégawattheure (MWh), c'est-à-dire proches de celui de l'électricité, certaines grandes fermes photovoltaïques ne bénéficiant plus de soutien de l'État. Ces prix restent toutefois supérieurs à ceux de l'Australie et du Chili, situés aux alentours de 20 euros. Cette solution serait toutefois limitée à la durée de production de ces énergies intermittentes.

Le second modèle consiste en de l'hydrogène raccordé sur le réseau, donc en mesure de fonctionner sur des durées plus longues, avec une flexibilité plus importante.

Nous en sommes là de notre réflexion, qui évoluera selon la structuration du marché et l'offre que les industriels vont nous proposer.

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Christelle Werquin, déléguée générale de l'AFHYPAC

Je souhaitais revenir brièvement sur l'enjeu de la mobilité, en fonction du type de mobilité dont il est question. Nous sommes face à un enjeu de décarbonation et de passage à zéro émission en zones urbaines. On compte actuellement sept millions de véhicules utilitaires légers en France, dont un certain nombre constamment présents dans les centres-villes. Nous considérons que l'hydrogène a toute sa place dans ce contexte.

Concernant les constructeurs automobiles, il me semble qu'un signal politique clair doit être donné. Je pense notamment à la loi d'orientation des mobilités. Si l'on indique dans le plan climat que l'on cessera en 2040 les ventes de véhicules émettant des gaz à effet de serre, il faut que cela se traduise dans la loi et les politiques publiques par des signaux adaptés.

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François-Xavier Olivieri, secrétaire général de la business unit Hydrogène d'Engie

Une partie du prix de l'électricité correspond, comme indiqué par M. Boucly, à des CAPEX, une autre à des taxes ou à des frais d'utilisation du réseau. L'un des enjeux aujourd'hui pour les industriels qui ont parfois à développer des capacités de production d'énergies renouvelables, notamment photovoltaïques, est d'envisager la possibilité d'un régime d'autoconsommation. Or actuellement, cette solution est limitée à un seuil qui n'est absolument pas applicable aux industriels. Il existe là un levier très concret, que l'on peut utiliser dès à présent pour diminuer le prix de l'électricité, dans une logique de décentralisation de la production d'électricité et de l'hydrogène vert.

Outre la diminution du prix de l'électricité et de l'hydrogène vert, un autre paramètre peut consister à valoriser les externalités : on peut ainsi, par un processus de certification, donner à de l'hydrogène vert une valeur sur le marché ou vis-à-vis des industriels qui veulent afficher des programmes de décarbonation, leur permettant non de réduire le prix globalement, mais de mieux valoriser l'hydrogène. La France et l'Europe se sont engagées dans un tel processus, qu'il faudrait accélérer pour être en mesure de donner des valeurs aux externalités.

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Daniel Hissel, professeur à l'Université de Franche-Comté

Vous demandiez, monsieur le président, si nous ne risquions pas de « rater le virage » de l'hydrogène. Nos amis asiatiques sont en train d'investir massivement dans le domaine de l'automobile et de la mobilité notamment. On pense par exemple au groupe Hyundai, qui a fait très récemment des annonces à ce sujet. Pas plus tard qu'hier, je recevais par ailleurs dans mes locaux les représentants d'une entreprise chinoise, qui « faisaient leur marché » en Europe, d'un point de vue technologique et en matière de ressources humaines, afin de mobiliser et investir sur ces sujets. Il est encore temps pour nous de réagir, dans la mesure où nous disposons en France de toutes les bases, depuis la recherche jusqu'à l'industrie, mais cela devient urgent.

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Philippe Boucly, président de l'Association française pour l'hydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC)

Je crois qu'il faut se garder d'opposer les énergies renouvelables, et surtout les gaz renouvelables, qu'il s'agisse du biométhane ou de l'hydrogène issu des ENR. L'étude de l'ADEME sur un gaz « 100 % renouvelable » montre trois sources possibles : la méthanisation, la pyrogazéifiation qui produit de l'hydrogène et le power-to-gas, qui produit de l'hydrogène ou du gaz de synthèse à partir d'hydrogène.

Je souhaite revenir brièvement sur la question du prix de l'hydrogène, qui est la clé. En effet, si cette solution était compétitive, elle n'aurait pas besoin de soutien. À terme, nous disposerons d'hydrogène vert ; nous préférons d'ailleurs parler d'hydrogène décarboné. Total réalise par exemple actuellement un pilote avec la société norvégienne Equinor pour faire du vaporéformage du méthane fossile, ce qui suppose une capture puis un restockage du dioxyde de carbone dans des couches profondes. Il ne s'agit pas de la solution miracle définitive, mais cela peut contribuer, dans une période de transition, à fournir les quantités nécessaires.

Il faut par ailleurs savoir que le mix électrique français est très décarboné, avec 72 grammes par kilowattheure. À moins de 180 grammes, il vaut mieux faire de l'hydrogène avec de l'électricité décarbonée plutôt que de l'obtenir par vaporéformage. J'ai bien conscience que cela peut heurter, mais nous avons en France un avantage compétitif avec de l'électricité décarbonée et je crois qu'il est important d'utiliser cet atout, tout en sachant que l'Allemagne, dont le mix se situe à 500 grammes par kilowattheure, produit pourtant de l'hydrogène.

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Il me semble difficile de conclure cette table ronde, dans la mesure où nous sommes face à un débat très ouvert. Je pense que tous ces éléments mériteraient encore de nombreux développements, mais vos interventions, qui ont mis en lumière différents freins, vont assurément alimenter et enrichir notre réflexion. Nous vous remercions donc pour vos contributions.

L'audition s'achève à onze heures.

Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 24 janvier 2019 à 9 heures 30

Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Philippe Bolo, M. Bruno Duvergé, M. Adrien Morenas

Excusés. - M. Éric Alauzet, Mme Nathalie Bassire, M. Stéphane Buchou, Mme Anne-Laure Cattelot, Mme Jennifer De Temmerman, M. Julien Dive, Mme Célia de Lavergne