Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Réunion du jeudi 7 février 2019 à 9h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • carburant
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  • internationale
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La réunion

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L'audition débute à neuf heures quarante.

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Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux avec une table ronde consacrée à la transition énergétique dans le transport maritime.

Nous sommes heureux d'accueillir M. Hervé Brulé, adjoint au directeur des affaires maritimes du ministère de la transition écologique et solidaire, Mme Charlotte Lepitre, coordinatrice du réseau santé-environnement à France Nature Environnement (FNE), M. Camille Bourgeon, fonctionnaire technique à la division de l'environnement marin de l'Organisation maritime internationale (OMI), M. Hervé Thomas, délégué général d'Armateurs de France, organisation professionnelle des entreprises françaises de transport et de services maritimes et M. Victorien Erussard, fondateur et capitaine d'Energy Observer.

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Madame, messieurs, nous vous souhaitons la bienvenue. Quelques mots pour replacer cette table ronde dans le contexte plus général de la mission d'information relative aux freins à la transition énergétique. Les travaux de celle-ci sont organisés autour de sept thèmes : la vision que nous avons de notre pays dans le nouveau monde de l'énergie ; le développement des filières d'énergie renouvelable ; la mobilité et les nouveaux modes de transport, thème qui vous concerne plus particulièrement ; les économies d'énergie ; la manière dont les grands groupes de l'énergie se projettent dans l'avenir ; les territoires et la manière dont ils s'approprient l'enjeu de la transition énergétique ; enfin, la fiscalité et les taxes liées à cette transition.

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Nous vous proposons de présenter en cinq minutes les constats et les enjeux qui vous tiennent à coeur mais surtout les solutions que vous préconisez, avant de laisser place au débat.

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Hervé Brulé, adjoint au directeur des affaires maritimes du ministère de la transition écologique et solidaire

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames les députées, en matière de transition énergétique, nos deux axes prioritaires sont la réduction des émissions de gaz à effet de serre et celle des pollutions atmosphériques causées par les navires, enjeux majeurs qui préoccupent nos concitoyens à juste titre.

Il existe une dynamique générale très positive marquée par une grande convergence entre les acteurs maritimes, qu'il s'agisse des armateurs français et européens, des organisations non gouvernementales ou des services de l'État.

Agir sur le transport maritime permet d'avoir un impact fort : il achemine 80 % à 90 % des marchandises mondiales et revêt un caractère vital pour les produits et services nécessaires à nos sociétés.

Pour les émissions de gaz à effet de serre, selon le chiffre communément admis en 2015, le transport maritime représente de 2,6 % des émissions totales, soit 800 millions à 900 millions de tonnes. Beaucoup de comparaisons sont faites avec les voitures mais il faut bien voir que les émissions diffèrent selon les polluants. Les émissions de CO2 varient entre 10 et 30 grammes par tonne transportée sur un kilomètre contre 90 grammes pour les camions. En revanche, les émissions de polluants atmosphériques sont plus élevées et atteignent des niveaux très significatifs. Nous avons étudié très précisément les trajectoires des navires en Méditerranée et avons abouti aux constats suivants : la pollution est équivalente à celle produite par quelques milliers de voitures pour les particules fines et les oxydes d'azote, les navires de croisière et, dans une moindre mesure, les porte-conteneurs émettant autant que 3 000 à 4 500 voitures. Pour les oxydes de soufre, les émissions sont particulièrement élevées et peuvent atteindre l'équivalent de 5 000 voitures pour un ferry à quai et de 800 000 à 900 000 voitures pour un navire de croisière.

Ce qui a structuré notre action, c'est le constat suivant : depuis vingt-cinq ans, les émissions de polluants atmosphériques liées au transport maritime ont diminué dans des proportions assez modérées allant de 10 % à 15 % alors que les émissions terrestres, elles, ont connu une réduction forte, de l'ordre de 80 % pour les oxydes d'azote et de plus de 50 % pour les oxydes de soufre. La trajectoire pour le transport maritime n'est pas aussi positive que pour le transport terrestre. C'est la raison pour laquelle il est nécessaire de prendre un virage.

Une dynamique internationale est à l'oeuvre en matière de réduction des émissions de CO2. Les premières décisions remontent à 2011 et, à la suite de la COP21 et de l'Accord de Paris, une accélération très nette des travaux de l'Organisation maritime internationale (OMI) s'est produite si bien que nous avons abouti en 2018 à la définition d'une stratégie et à la fixation d'objectifs. Les deux principaux sont la réduction de moitié des émissions de CO2 en 2050 et le plafonnement des émissions le plus tôt possible.

Nous travaillons au niveau international sur la réduction des gaz à effets de serre, en particulier sur des mesures de court terme à mettre en oeuvre avant 2023. Il s'agit principalement de la réduction de la vitesse et d'actions pour réduire la pollution en Méditerranée. Une première étape sera franchie dans moins de dix mois avec un abaissement du taux de la teneur en soufre des carburants au 1er janvier 2020 mais nous voulons aller plus loin.

Au niveau national, nous avons retenu plusieurs axes.

Le premier consiste à créer un environnement favorable. La priorité de court terme est de développer le plus possible le gaz naturel liquéfié (GNL) qu'il s'agisse de l'équipement des navires ou des infrastructures portuaires car les possibilités d'avitaillement jouent un rôle fondamental. Par ailleurs, nous nous focalisons sur la fiscalité. Aujourd'hui, le GNL est exonéré de droits d'accise et nous travaillons sur d'autres outils comme l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER), la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ou encore le dispositif dont votre collègue Saïd Ahamada est à l'origine, je veux parler du suramortissement pour les armateurs investissant des navires utilisant le GNL ou d'autres énergies, en particulier décarbonées.

Le deuxième vise à donner une visibilité à nos objectifs, notamment ceux qui concernent les laveurs de fumées, les scrubbers, ou les particules fines.

Enfin, nous nous associons à la démarche encouragée par le Cluster maritime français de définition d'une vision à 2050. Nous voulons accompagner les acteurs économiques dans cette voie.

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Victorien Erussard, fondateur et capitaine d'Energy Observer

En tant qu'officier de la marine marchande, de pont et de machine, j'ai pu voir de près quels problèmes posaient ces grosses machines thermiques que sont les navires de croisière avec les émissions élevées de particules fines et de CO2. En tant que coureur au large, à l'occasion de nombreuses courses transatlantiques comme la Route du Rhum, j'ai eu l'occasion de naviguer sur des bateaux très techniques qui avancent non grâce à des énergies fossiles mais avec la force du vent. Un jour, j'ai subi un black-out énergétique au beau milieu de l'Océan atlantique et j'ai vraiment regretté que le navire ne soit pas assez intelligent pour exploiter le vent et le soleil. D'où l'idée de créer un navire à la pointe de la technologie qui soit un symbole des énergies de demain, Energy Observer. Ce démonstrateur de trente mètres a été développé avec de nombreux partenaires industriels français et le laboratoire d'innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux (LITEN) du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) situé à Grenoble. Il est propulsé grâce aux énergies renouvelables et à de l'hydrogène produit par électrolyse de l'eau de mer et dispose d'un double système stockage.

Nous avons constaté des défaillances sur les batteries. Elles ont une densité massique problématique car elles sont extrêmement lourdes. Le stockage de l'hydrogène sur notre bateau contient 7,35 fois plus d'énergie. Par ailleurs, nous nous heurtons au problème du cycle de vie. Vous avez tous constaté avec vos téléphones portables qu'au bout de quelques mois, les batteries se déchargent plus vite. L'hydrogène n'est pas une source d'énergie primaire mais un vecteur d'énergie. Il faut utiliser de l'énergie pour le produire mais l'avantage, c'est qu'il peut être produit n'importe où. Il suffit de maximiser la production des énergies renouvelables. À l'image de l'agriculture raisonnée, il s'agit d'une production locale et responsable.

Nous testons les capacités de l'hydrogène à travers un tour du monde qui durera six ans. Après la France en 2017, la Méditerranée en 2018, nous parcourrons l'Europe du Nord. Nous passerons même par le canal de la Mer blanche pour rejoindre le Spitzberg.

Je suis convaincu que la rupture technologique et la transition énergétique se feront par l'hydrogène. Le GNL pose certains problèmes. Je sais que la Compagnie maritime d'affrètement Compagnie générale maritime (CMA-CGM), qui a investi dans neuf porte-conteneurs au GNL, s'intéresse déjà à l'hydrogène. Certes, avec le GNL, il y a 50 % de particules fines et 15 % d'émissions de CO2 de moins, mais il suffit de 4 % de fuites pour que les émissions de CO2 soient aussi importantes qu'avec le charbon. Les publications scientifiques montrent qu'il ne peut s'agir d'une vraie solution. L'hydrogène, lui, ne produit pas de CO2 en cas de fuite. À poids égal, il libère quatre fois plus d'énergie que le charbon, trois fois plus que l'essence et deux fois plus que le gaz. Dès lors que vous diminuez les atomes de carbone dans l'énergie, la densité énergétique devient en effet de plus en plus importante. La masse volumique de l'hydrogène est, quant à elle, extrêmement faible : il est soixante-dix fois plus léger que l'air.

On entend beaucoup dire dans les médias et ailleurs que le rendement de l'hydrogène n'est pas bon. En réalité, il faut prendre en compte son rendement global. Il constitue un bon vecteur énergétique. Pour la conversion de l'énergie photovoltaïque en batterie, le rendement est de l'ordre de 90 %. Les moteurs électriques ont un rendement exceptionnel, de l'ordre de 97 %, mais ils alourdissent le poids des navires ce qui nécessite de consommer beaucoup plus d'énergie pour avancer. La production de l'hydrogène implique certes de passer par l'électrolyse, le stockage, la compression et la pile à combustible mais elle repose sur des systèmes beaucoup plus légers et une utilisation des matières premières beaucoup plus vertueuse.

Je considère que la transition énergétique doit se faire très rapidement à travers l'hydrogène. En France, nous avons du retard. Nous voyons tous nos voisins européens mais aussi les Japonais, les Chinois, les Coréens investir massivement dans cette énergie. Une accélération est nécessaire !

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Charlotte Lepitre, coordinatrice du réseau santé-environnement à France Nature Environnement (FNE)

En matière de transport maritime, France Nature Environnement joue un rôle de lanceur d'alerte depuis 2015. Nous nous sommes focalisés sur les polluants atmosphériques en effectuant des mesures dans différents ports français méditerranéens, en commençant par Marseille. Cela nous a permis de faire émerger une prise de conscience des conséquences de cette pollution de l'air.

Si nous ne sommes pas opposés au transport maritime, nous tenons à promouvoir des solutions alternatives, inspirées notamment d'exemples étrangers.

Les chiffres qui nous ont le plus alarmés sont liés à l'impact sanitaire de ces pollutions. Chaque année en Europe, la pollution atmosphérique du transport maritime est à l'origine de 60 000 décès prématurés, soit un coût de 60 milliards d'euros pour la santé publique.

Nous nous sommes appuyés sur le vaste réseau de France Nature Environnement pour enquêter sur le terrain afin de cerner le ressenti des citoyens mais aussi leur degré de connaissance dans des villes du bassin méditerranéen. De nouveaux groupes citoyens se sont formés à l'initiative de plusieurs associations et nous avons pu recueillir des témoignages à Marseille, Nice, Toulon et en Corse. Désormais, nous sommes sollicités par d'autres villes : Sète et des ports de la façade atlantique.

Nous avons porté notre attention sur les bénéfices que l'on pourrait tirer de la création d'une zone de contrôle des émissions maritimes (ECA) en Méditerranée, objectif partagé par le gouvernement français, à notre grande satisfaction. Nous avons suivi les études menées par les autorités françaises, la Commission européenne et le Centre régional méditerranéen pour l'intervention d'urgence contre la pollution marine accidentelle (REMPEC). Nous avons également pris connaissance des derniers résultats de l'étude de l'Institut international pour l'analyse des systèmes appliqués IIASA qui sera présentée dans le cadre de la 74e session du Comité de la protection du milieu marin – Marine Environment Protection Committee (MEPC).

Nous soutenons les autorités françaises dans leur volonté de mettre en place une zone ECA en Méditerranée et, pour voir aboutir cette solution, nous avons créé un réseau d'associations en Espagne, en Italie et en Grèce. Nous comptons aussi sur l'action des associations de pays méditerranéens non européens pour qu'un maximum d'États se rallient à cette initiative.

Une autre piste réside dans les carburants alternatifs. Nous nous tenons informés pour faire évoluer nos avis et notre plaidoyer.

Nous avons également réfléchi aux initiatives prises à une échelle plus locale, au niveau des ports, des régions, des collectivités, qu'il s'agisse des bonus de fiscalité ou des branchements à quai. Même si le GNL n'est pas une solution parfaite, le développement des possibilités d'avitaillement nous paraît intéressant.

Nous reviendrons sur les autres solutions au cours de la table ronde.

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Hervé Thomas, délégué général d'Armateurs de France

Quelques mots pour présenter Armateurs de France. Il s'agit d'une organisation professionnelle des entreprises françaises de transports et de services maritimes. J'insiste sur la notion de services car, à la différence d'autres associations nationales d'armateurs, Armateurs de France se caractérise par une très grande diversité de métiers : transport de marchandises et de passagers mais aussi grandes entreprises de services dont on ignore parfois le caractère majeur, voire stratégique. Je pense à celles qui s'occupent de la pose et de l'entretien des câbles sous-marins par lesquels transitent 99 % des données numériques dans le monde, contrairement à ce que croient bon nombre de nos concitoyens qui pensent que ce sont les satellites qui jouent un rôle clef.

La flotte mondiale est composée de 60 000 navires de commerce et les armateurs français possèdent ou opèrent un millier de navires. Nous comptons plusieurs acteurs majeurs parmi nos adhérents. Je citerai CMA-CGM qui opère plus de 500 navires dans le monde, ce qui fait de lui le quatrième opérateur mondial en matière de porte-conteneurs, après avoir occupé pendant longtemps la troisième place, d'où il a été délogé par le jeu des alliances asiatiques.

Nous avons ainsi la capacité de faire peser nos choix dans la transition énergétique. Les armateurs français sont plutôt partants et nous travaillons très bien avec notre administration de tutelle – j'ose presque dire partenaire – et avec le Gouvernement. Nous sommes également très bien entendus par les parlementaires pour mettre en oeuvre diverses mesures.

Notre activité s'exerce dans le contexte d'une compétition internationale très agressive. Le transport maritime est un gros consommateur de carburants, c'est aussi ce qui lui donne un poids dans les choix techniques qui vont être opérés. Il pourra entraîner avec lui des filières entières. Nous reviendrons sur le GNL.

Pour nous, deux axes s'imposent.

Il y a d'abord un enjeu de court terme de santé publique : réduire l'impact des oxydes de soufre et d'azote et les particules fines, comme l'attendent nos concitoyens.

Il y a ensuite un enjeu de moyen et long terme : la décarbonation du transport maritime.

Nous sommes très favorables aux mesures de court terme. Le président d'Armateurs de France s'est rendu il y a une quinzaine de jours à Marseille pour la présentation de la fameuse étude d'impact sur la création d'une zone ECA en Méditerranée. Les armateurs français sont favorables à cette solution, dès lors que les mêmes règles s'appliquent à tous. L'intervention de l'OMI nous aidera, je pense, à comprendre les dynamiques de décision.

Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, nous disposons d'une palette de solutions. Par exemple, l'alimentation électrique à quai est déjà mise en oeuvre, notamment en Méditerranée, par La Méridionale et Corsica Linea. C'est une solution intéressante, particulièrement adaptée aux flottes domestiques et aux compagnies de ferries assurant des liaisons pendulaires, même si elle est ponctuelle et limitée. Ce système, qui nécessite un équipement du navire et du quai, représente un vrai investissement.

La filtration des carburants, grâce aux scrubbers, est également une solution. Le système, particulièrement efficace sur les oxydes de soufre, est encore en phase d'expérimentation sur les particules. S'il est efficace à terre, sur un bateau, c'est plus compliqué. Il serait aussi possible d'utiliser un carburant intrinsèquement moins polluant, en passant du fioul lourd au fioul léger.

Une autre solution très intéressante reviendrait à réduire la vitesse. Immédiatement opérationnelle, elle est facile à contrôler et s'applique à une grande partie de la flotte. Sans être la solution universelle, elle est extrêmement intéressante, notamment pour le transport du vrac.

Il faut aussi favoriser le passage à des carburants moins impactants : le fioul léger, le GNL et l'hydrogène. Aujourd'hui, le GNL est plus cher à la construction et sa chaîne d'approvisionnement n'est pas encore mature. Nous réfléchissons à des pistes fiscales, afin d'inciter à investir dans ces constructions et de soutenir la filière logistique d'approvisionnement.

Quant à l'hydrogène, c'est l'une des pistes, sinon la piste d'avenir, si et seulement s'il est d'origine décarbonée. Le transport maritime nécessitant une énorme puissance, l'hydrogène ne constitue pas encore la solution pour la propulsion principale ; mais il peut l'être pour la production d'énergies auxiliaires. Nous y travaillons. L'une de nos compagnies a ainsi établi un partenariat de recherche avec le Commissariat à l'énergie atomique, pour un petit navire alimenté à l'hydrogène.

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Camille Bourgeon, fonctionnaire technique à la division de l'environnement marin de l'Organisation maritime internationale (OMI)

Le transport maritime possède aujourd'hui une dimension internationale indéniable. Prenons l'exemple d'un navire possédé par un armateur norvégien, immatriculé à Singapour, affrété par une entreprise suisse ou française, qui va opérer dans toutes les mers du globe : à quel État rattacher ses émissions de gaz à effet de serre ? C'est très compliqué. Depuis la ratification du protocole de Kyoto, les États parties à la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) reconnaissent la responsabilité de l'OMI pour limiter et réduire les émissions du transport maritime international et celle de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) pour limiter et réduire les émissions en provenance de l'aviation civile.

L'OMI est une agence spécialisée des Nations unies, fondée en 1948. Son siège est à Londres. Elle compte aujourd'hui 174 États membres, dont la France qui est un membre actif. Elle comporte également plus de quatre-vingts organisations internationales, intergouvernementales ou non gouvernementales, des représentants d'armateurs, mais également des associations environnementales, qui ont un statut consultatif. L'organe de l'OMI chargé des questions environnementales est le Comité de la protection du milieu marin (MEPC), qui se réunit trois fois tous les deux ans. Il est l'organe en charge du développement et de la mise à jour du droit international en matière de protection du milieu marin et de prévention des pollutions causées par les navires. L'OMI a notamment élaboré deux grandes conventions : la Convention internationale pour la prévention de la pollution marine par les navires, dite MARPOL, et la Convention internationale pour le contrôle et la gestion des eaux de ballast et sédiments des navires.

Au sein des Nations unies, l'organisation a la réputation d'être relativement technique et de produire un nombre significatif d'instruments de nature obligatoire. Plus de cinquante instruments internationaux, conventions et instruments obligatoires ont été adoptés depuis sa création et sont en vigueur ou en cours de ratification à travers le monde. Elle a également édité plus de mille guides et directives.

Comme l'ont dit mes collègues, la réduction des émissions atmosphériques est une priorité de l'OMI. Si j'insiste sur les émissions de gaz à effet de serre, se pose également la question des polluants atmosphériques locaux. L'annexe VI de la convention MARPOL traite d'ailleurs d'abord de cette question – oxydes de soufre et d'azote. En 2011, les États membres ont ajouté un chapitre 4 à l'annexe VI sur l'amélioration du rendement énergétique des navires et, partant, la réduction de la consommation et des émissions de gaz à effet de serre associées.

En 2011, deux grandes mesures d'amélioration de la performance énergétique des navires ont été adoptées. L'indicateur opérationnel de l'efficacité énergétique des navires neufs (EEDI) est un standard de performance, et non pas technique, qui laisse toute liberté aux armateurs et aux chantiers pour développer les mesures les plus adaptées afin d'atteindre les objectifs de performance, qui sont de plus en plus stricts. Par exemple, un porte-conteneurs construit en 2025 devra être 30 % plus performant, en matière de consommation d'énergie, que le même bateau construit en 2008. Aujourd'hui, près de 4 000 navires sont certifiés EEDI.

Pour l'ensemble des navires, soit 60 000, l'OMI a adopté le plan de gestion de l'efficacité énergétique des navires (SEEMP), un système permettant de superviser les efforts d'amélioration de la performance énergétique à bord, dans une logique d'amélioration continue. Qui plus est, depuis le 1er janvier 2019, les plus gros navires, qui émettent 85 % des gaz à effet de serre du secteur, doivent collecter leurs données de consommation de soute à destination de l'OMI, afin d'informer les futures décisions de l'organisation.

À la suite de l'adoption, en décembre 2015, de l'Accord de Paris, qui a représenté un événement majeur, non seulement pour le monde mais aussi pour le secteur, même si le transport maritime n'y est pas explicitement cité, l'OMI a souhaité développer une stratégie fixant des objectifs de réduction des émissions. L'accord est ambitieux, puisqu'il a défini un objectif d'au moins 50 % de réduction des émissions absolues, dans un secteur qui est quasiment exclusivement dépendant des énergies fossiles. La stratégie a été adoptée en avril 2018.

En octobre 2018, le MEPC a adopté un programme de travail pour déterminer les objectifs de la stratégie qui s'appliquera après la prochaine session du MEPC, en 2019 : lancement d'une étude pour quantifier les émissions de gaz à effet de serre et les mettre à jour entre 2012 et 2018 ; adoption d'une procédure pour étudier l'impact des mesures proposées sur les États ; début de l'examen de propositions concrètes, dont certaines ont été citées, de court, moyen et long termes, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur. Parmi les nombreuses options sur la table, il est difficile de savoir celles qui seront retenues par l'OMI et les États membres.

Certaines propositions visent à renforcer les exigences de l'EEDI pour les navires neufs ; d'autres à réduire la vitesse des navires en activité. À moyen et long termes, c'est un changement de paradigme qui s'esquisse. Les futurs carburants utilisés par le transport maritime font l'objet de discussions. Un effort de recherche, de développement et d'innovation a été exigé des États développés. Il est également nécessaire de définir un cadre réglementaire pour réduire les risques d'investissement dans les nouvelles technologies. Si certaines existent déjà, c'est toute la question de leur mise à l'échelle qui est réellement déterminante.

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Dans vos interventions, vous avez parlé de changement de paradigme. À court terme, la solution est celle des zones à faible émission ; à moyen terme, du GNL ; et de l'hydrogène à long terme. Comment pouvons-nous atteindre plus rapidement les objectifs fixés pour le long terme ? Le GNL, intéressant à court terme, reste une énergie fossile, et, même si la France pourrait produire en biogaz 50 térawattheures, le dédier entièrement au maritime ne serait pas une bonne idée. Comment accélérer la transition vers l'hydrogène ? Peut-on imaginer des bateaux autonomes ?

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Dans nos débats actuels, beaucoup s'interrogent sur l'absence de taxation du fioul lourd des navires, alors que les carburants des voitures et des camions sont taxés. Nos concitoyens ont un peu de mal à comprendre cette différence de traitement. La transition écologique dans le monde maritime n'est pas un mince problème, comme vous venez de nous le montrer. Lors des Assises de l'économie de la mer, à Brest, le ministre François de Rugy avait expliqué que le transport maritime s'inscrivait dans une démarche volontariste et que ses transformations passeraient moins par la fiscalité que par les normes, lesquelles sont, paraît-il, plus contraignantes. Or ne doit-on pas craindre qu'une transformation fondée sur le seul volontarisme soit synonyme d'inertie ou, au mieux, de lenteur ? Ne pourrait-on pas créer, en parallèle, une fiscalité destinée au monde maritime ? Enfin, à quel terme envisagez-vous que des navires fonctionnent totalement à l'hydrogène, lequel semble être le virage le plus vertueux et pertinent, à condition que sa production soit verte, bien sûr ?

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Je souhaiterais savoir quelle est la durée de vie d'un navire et s'il est possible d'envisager une reconversion du parc existant. Pour avoir vécu en Afrique, je sais qu'on y envoie toutes nos vieilles voitures, mais aussi nos vieux navires. Devrons-nous attendre que notre parc de navires arrive à bout de souffle, ce qui pose, par ailleurs, la question du retraitement des épaves ?

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Victorien Erussard, fondateur et capitaine d'Energy Observer

Pour ce qui de l'autonomie énergétique des bateaux, le tour du monde d'Energy Observer fait rêver, mais nous ne naviguons pas vite du tout ! Je suis complètement d'accord avec vous, monsieur Thomas, lorsque vous parlez d'essayer d'encadrer la vitesse des navires. L'énergie cinétique étant proportionnelle à la vitesse au carré, chaque noeud supplémentaire est extrêmement énergivore. Lorsque j'étais officier sur des navires à grande vitesse, entre Saint-Malo et les îles anglo-normandes, nous brûlions neuf tonnes de diesel à chaque aller-retour, pour couvrir une distance de seulement 37 milles, en quarante minutes. En réduisant la vitesse et en mettant une heure, nous divisions par deux la consommation de carburant. Cela m'avait profondément frappé ! En produisant notre énergie à bord d'Energy Observer, nous nous rendons mieux compte à quel point elle est précieuse... Les bateaux ne pourront pas être autonomes. Invité par la Fédération française des pilotes maritimes, il y a quelques semaines, pour partager mon expérience sur l'hydrogène, on m'a fait remarquer que des bateaux alimentés à l'hydrogène n'iraient pas vite. C'est faux : un système électrique et un stockage d'hydrogène adéquats permettent d'aller aussi vite qu'avec des énergies fossiles.

Vous avez cité des objectifs à court, moyen et long termes. À mon sens, le point de vue français n'est pas le meilleur. Nos voisins européens, américains ou asiatiques envisagent le GNL à court terme et l'hydrogène à moyen voire à court terme également. Dans le terrestre, les technologies sont matures. Si nous sommes perçus comme des communicants, sur Energy Observer, en réalité, nous avons différencié nos activités et, forts de notre expérience et de notre savoir-faire, nous allons mettre des ingénieurs au travail pour fabriquer des petits bateaux destinés à tester les technologies matures de piles à combustible d'une puissance allant jusqu'à 500 kilowattheures.

Dans le cadre de son programme Horizon 2020, l'Union européenne a lancé un appel à projet pour perfectionner la technologie des piles à combustible de haute puissance, après avoir réduit à 2 mégawattheures l'ambition initiale de 5 mégawattheures. L'hydrogène liquide a récemment fait l'objet d'avancées considérables. Lorsque cette technologie sera maîtrisée, le transport maritime en sera bouleversé. Sur mon bateau, de l'hydrogène gazeux est stocké à 350 bars – contre 700 bars pour le terrestre.

La question du reconditionnement est complexe. Nous en avons fait l'expérience avec Energy Observer, un bateau de course au large de trente mètres, qui avait remporté le trophée Jules Verne. Nous avons dépensé beaucoup d'argent pour trouver des solutions pour installer le système énergétique – le stockage d'hydrogène et la propulsion électrique. Nous allons reproduire l'expérience sur un vieux gréement, afin de voir ce qu'il est possible de faire dans ce secteur.

Concernant l'approvisionnement, nous avons des partenaires industriels très importants : Engie, qui travaille sur la production d'hydrogène vert, Air Liquide, qui travaille sur l'hydrogène gris et la captation de CO2 et investit aussi dans l'électrolyse et la production d'hydrogène vert, et Toyota. Le problème, c'est que les stations existantes coûtent très cher et n'ont pas suffisamment d'utilisateurs. Des collectivités investissent dans des stations produisant vingt kilogrammes d'hydrogène par jour, alors qu'elles n'ont que cinq véhicules à alimenter. Le modèle économique ne tient pas. Sans un nombre suffisant d'utilisateurs, l'hydrogène sera cher. Actuellement, il coûte entre 10 et 14 euros le kilo. Or, pour qu'il soit compétitif, il faudrait passer sous la barre des 8 euros. Les navires de commerce sont de gros consommateurs d'énergie. La navette verte qui transporte des passagers entre Saint-Raphaël, Sainte-Maxime et Saint-Tropez a besoin de 100 kilos d'hydrogène par jour, contre 10 kilos pour un bus. Pour favoriser le recours à l'hydrogène, il faut trouver des solutions pour approvisionner les ports en hydrogène et l'utiliser pour les véhicules terrestres et les bateaux.

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Hervé Brulé, adjoint au directeur des affaires maritimes du ministère de la transition écologique et solidaire

S'agissant des taxes, comme l'a dit le ministre, la priorité est à l'édiction de normes. Néanmoins, la France a mis sur la table, à l'OMI, la question des mesures de marché, notamment celle des taxes. Nous considérons qu'une taxation ne peut se concevoir qu'au niveau mondial, comme la plupart des mesures de régulation du transport maritime. Compte tenu de l'autonomie des navires, qui peuvent très peu souter, une taxe franco-française sur les carburants maritimes n'aurait pas d'effet, dans la mesure où elle pourrait être très aisément contournée. Néanmoins, cette taxation fait partie des orientations de l'OMI et des mesures que nous appelons à étudier, dans une approche internationale.

L'hydrogène est une énergie à laquelle nous croyons. Le chantier technique sur l'hydrogène est ouvert à l'OMI. Au niveau national, nous avons participé, il y a plusieurs années, au projet d'une navette fluviale dotée d'une propulsion à hydrogène à Nantes. La question majeure qui se pose est celle de la puissance. Cette technologie équipera de petits navires avant de se développer.

Pour ce qui est de la production d'électricité, certains petits navires offrent une voie au tout-électrique. Nous avons d'ailleurs signé un partenariat avec une entreprise pour mettre au point un semi-rigide électrique, afin de montrer que cela est possible. L'exemplarité fait aussi partie de notre stratégie.

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Hervé Thomas, délégué général d'Armateurs de France

La durée de vie d'un navire transportant régulièrement de lourdes cargaisons est de quinze à vingt ans, et elle peut atteindre quarante ans pour un bateau transportant des passagers. Cela montre que les choix que nous faisons aujourd'hui nous engagent jusqu'en 2050 environ. C'est la raison pour laquelle, si l'utilisation du gaz naturel liquéfié comme carburant de transition – j'insiste bien sur cette dimension –, représente un grand bénéfice au plan environnemental, ce n'est pas la solution à terme puisque c'est une énergie carbonée.

Comme l'a indiqué M. de Rugy, la transformation passe par la norme. C'est ce que l'on voit pour une activité maritime au niveau international. Malgré tout, et on peut rendre hommage à un certain nombre d'armateurs français, le volontarisme existe. C'est le cas par exemple lorsque CMA-CGM fait le choix pionnier, mais coûteux, de construire neuf navires de 22 000 conteneurs propulsés intégralement pour la première fois au GNL. Comme la technologie n'est pas nouvelle, elle est rassurante. Il faut éviter en effet de jouer les apprentis sorciers en utilisant des carburants qui pourraient se révéler dangereux. Mais si la technologie est maîtrisée, il n'en demeure pas moins qu'un tel choix représente un saut dans l'inconnu. C'est un choix raisonné sur le plan économique, mais il serait hasardeux de dire que 100 % des paramètres sont maîtrisés. Il y a en effet une volatilité des coûts, et il reste toujours la question de la chaîne logistique. Mais cela montre la voie. Tels sont les choix technologiques qui nous engagent pour une bonne vingtaine d'années. C'est la raison pour laquelle il est important de mettre en place des dispositifs. En l'occurrence, le suramortissement ne bénéficiera pas à ces navigations internationales, mais pour les ferries par exemple les solutions sont adaptées.

À quel terme y aura-t-il des navires fonctionnant à l'hydrogène ? C'est pratiquement possible dès demain pour les petites unités. C'est la force que nous avons avec cette flottille extrêmement diversifiée. Parmi les adhérents d'Armateurs de France, la Fédération française des pilotes maritimes a de petites unités qui ont besoin d'intervenir rapidement en sécurité, mais qui restent à proximité de nos côtes. Cela peut constituer une solution. L'utilisation de navires électriques pour transporter des passagers est aussi une solution tout à fait intéressante. Il faut donc s'engager dans cette voie.

Un navire est un système complexe qui a besoin de beaucoup de puissance quand il s'agit de navigations transocéaniques, intercontinentales, l'objectif étant d'aller d'un point A à un point B en transportant une grande quantité de marchandises. Là, il faut alimenter le moteur principal. Mais quand le navire est en escale, on peut parfaitement imaginer, comme cela commence à se faire, d'arrêter le moteur principal et d'utiliser des moteurs de moindre puissance afin de produire l'énergie électrique nécessaire pour les besoins à bord. L'hydrogène peut donc être une solution sur ces moteurs auxiliaires. L'autre gisement peut être celui d'une énergie qu'on ne consomme pas : les panneaux solaires. On peut très bien imaginer, comme cela se fait pour les balises qui assurent le balisage des côtes, alimenter un point isolé du navire avec des panneaux photovoltaïques, ce qui pourrait éviter de faire cheminer un câble sur 200 ou 300 mètres. Ce n'est pas du tout de la science-fiction et, mis bout à bout, cela permet de faire des économies, d'alléger les poids et c'est une autre manière de réfléchir à la conception des navires. C'est aussi ce à quoi nous réfléchissons avec le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), qui est un acteur majeur dans ce domaine.

L'autre point crucial concerne le recyclage des navires en fin de vie. L'Union européenne s'est engagée dans un mouvement d'agrément d'un certain nombre de chantiers. Aujourd'hui, le marché international se situe dans le bassin asiatique et en Turquie. Il faut aider ces pays, en agréant les chantiers, parce qu'il est illusoire de penser qu'on va ramener toutes la capacité de démantèlement dans des installations qui n'existent pas ou plus aujourd'hui en Europe. Les navires devenant très techniques, il est important de prendre en compte cet élément dans les polluants finaux. J'insisterai également sur le rôle de l'administration en ce qui concerne la sécurité de la navigation à laquelle les armateurs sont très sensibles. Le diesel, qu'il s'agisse du fioul lourd ou du fioul léger, a l'avantage d'être disponible et d'avoir un bon rendement énergétique, ses inconvénients étant ses émissions polluantes et, en cas de sinistre, la marée noire qu'il risque de provoquer. C'est aussi un carburant extrêmement sécurisant pour les personnes. Quant à l'hydrogène, il faut savoir maîtriser les risques d'explosivité. Chacun a encore en tête l'explosion du dirigeable allemand Hindenburg, il y a près d'un siècle. Il convient donc de savoir rassurer nos concitoyens en leur expliquant qu'on réfléchit à l'utilisation de l'hydrogène de façon sécurisée. C'est un impératif des armateurs et des administrations de tutelle au niveau national et international.

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Camille Bourgeon, fonctionnaire technique à la division de l'environnement marin de l'Organisation maritime internationale (OMI)

On voit bien quel est le défi technique et logistique en matière d'approvisionnement en soute partout dans le monde et la nécessité de gérer la question au niveau international.

Mme Battistel nous demande comment accélérer la transition vers l'hydrogène. Il ne faut pas trop se projeter sur un mix énergétique avec demain un seul combustible. On ne passe pas du fioul lourd à l'hydrogène. Aujourd'hui, le shipping, c'est 85 % de fioul lourd et 15 % de distillat. Mais demain, ce qui est sûr c'est que le mix énergétique du transport maritime sera beaucoup plus diversifié. Voilà le défi. Comme le disait à l'instant M. Thomas, que vous alliez à Mombasa, à New York ou à Shanghai, vous trouvez le même combustible stable. Comment faire demain avec un mix énergétique plus diversifié ? On parle de l'hydrogène, mais aussi des biocarburants, de l'ammoniac comme vecteur d'énergie, des piles à combustible et des packs de batteries pour la navigation domestique. Comme l'a indiqué M. Brulé, dans le cadre des normes techniques de l'OMI, notamment du code IGF, il est possible d'immatriculer et de faire naviguer des navires avec des carburants alternatifs. Il faut également noter que la stratégie de l'OMI a représenté un signal important pour le secteur. Vous avez peut-être entendu parler du danois Maersk, le premier armateur de porte-conteneurs du monde, qui a annoncé, au mois de décembre dernier, viser la neutralité carbone en 2050. Ce n'est pas rien quand cela vient du premier acteur du secteur. Il s'est engagé également dans l'innovation et la recherche pour atteindre cet objectif. Outre le volontarisme des acteurs privés, il ne faut pas oublier celui des États. Je ne ferai pas ici l'incitation des mesures locales, ce qui serait mal vu de la part du secrétariat de l'OMI, mais les États peuvent, via la commande publique ou des encouragements à des programmes de recherche, accompagner cette transition. Par exemple, l'Allemagne a annoncé, au mois de décembre dernier, le lancement d'un programme de recherche de 45 millions d'euros pour un moteur marin zéro émission.

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En tout cas, il est nécessaire d'accélérer cette transition. Il faut pouvoir sortir de l'entre-soi, et que chacun prenne ses responsabilités dans cette organisation internationale, qu'il s'agisse des constructeurs ou des exploitants.

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Hervé Brulé, adjoint au directeur des affaires maritimes du ministère de la transition écologique et solidaire

Je souhaite apporter quelques précisions.

Le navire qui fonctionne à l'hydrogène dont je parlais tout à l'heure est à La Rochelle. Par ailleurs, l'association française qui se préoccupe de développer l'hydrogène est porteuse d'un certain nombre d'engagements. Enfin, un travail est précisément engagé sur l'hydrogène et le transport maritime et fluvial. Ce travail avance.

Nous espérons proposer, peut-être dans un nouveau One Planet Summit, un projet de charte qui dresse la liste d'un certain nombre d'engagements environnementaux qui seraient proposés aux compagnies mondiales.

Quant au programme d'investissements d'avenir (PIA), il est tout à fait ouvert à des projets de recherche ou de mise au point de ces nouvelles technologies. C'est un des axes du comité stratégique de la filière de l'industrie navale. J'espère que des choses déboucheront.

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Charlotte Lepitre, coordinatrice du réseau santé-environnement à France Nature Environnement (FNE)

En tant que fédération nationale, nous travaillons avec les acteurs ici présents, tant au niveau international que national. Nous travaillons aussi avec les riverains qui exercent une certaine pression sur nous car ils souhaiteraient que les choses changent du jour au lendemain. Leur expliquer les difficultés tant politiques que techniques qui existent est compliqué.

Lorsqu'on parle du retrofit ou du parc existant, la mise en place d'une zone ECA avec un changement de carburant est une solution qui, même si elle n'est pas idéale, aurait des impacts positifs sur la qualité de l'air. Au niveau régional, voire très local, elle montrerait un certain volontarisme qui est encore souvent trop lent et isolé, même si l'on félicite ceux qui vont de l'avant. On a besoin d'aller plus vite, de montrer une vraie volonté pour éviter l'incompréhension et la disparité entre les différentes échelles.

Enfin, nous n'oublions pas la santé des travailleurs à bord et dans les ports qui est une grande préoccupation.

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Victorien Erussard, fondateur et capitaine d'Energy Observer

Il ne faut pas voir l'hydrogène comme un carburant dangereux. On parle souvent d'explosion, ce qui fait peur. Pour ma part, j'ai déjà parcouru 10 000 milles avec ce navire, j'ai emmené mes enfants en bas âge, je suis allé dans plus de quatorze pays, j'ai navigué dans des conditions difficiles, j'ai souvent subi des coups de vents, mais jamais je ne me suis senti en danger.

Des problèmes de reconversion des marins vont se poser. En effet, les mécaniciens vont devoir devenir à moyen terme des électriciens. Il faudra donc anticiper leur formation.

J'ai travaillé avec Marc Van Peteghem, un architecte naval incroyable qui a dessiné tous les bateaux vainqueurs de la Route du Rhum – pour ma part, j'ai fait la Route du Rhum en 2006 – et qui a mis au point des ailes rigides intelligentes. J'ai essayé l'aile de kite, mais je n'ai pas réussi. Beyond the Sea, l'allemand SkySails et Airbus font également des essais. Mon bateau n'est pas adapté, mais peut-être cette technologie se développera-t-elle un jour. Pour essayer de viser l'autonomie énergétique à des vitesses intéressantes en ce qui concerne la navigation de plaisance – je ne crois pas du tout à l'autonomie énergétique pour le transport maritime – j'ai trouvé plus opportun de tester la mixité énergétique, notamment en intégrant cette technologie ancestrale qu'est est voile. Mais je n'ai pas envie de parler de voile, sinon on va dire que je reviens en arrière… J'ai installé deux ailes d'avion de treize mètres de haut sur mon bateau – cela fait un an qu'on travaille avec le groupe CNIM et le cabinet VPLP. On part en Europe du Nord avec ces ailes qui sont intelligentes et arisables. Elles n'ont pas de gréement dormant, elles sont relatives à 360 degrés, elles peuvent s'affaler intégralement et elles sont asservies, c'est-à-dire que de mon poste de pilotage il me suffit de tourner une petite molette pour que les ailes se règlent automatiquement. On veut même intégrer des panneaux photovoltaïques sur ces ailes à partir du chantier prochain. Il est possible d'intégrer ces ailes sur les gros navires de commerce pour réduire, paraît-il, de 12 à 42 % les consommations énergétiques.

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Hervé Thomas, délégué général d'Armateurs de France

Je suis heureux que M. Erussard évoque la question de la propulsion vélique. C'est un élément intéressant dans la palette des outils, mais pas en énergie de substitution ou bien de manière très spécifique sur certaines lignes. Nous avons en effet des projets de ce type sur des lignes régulières où la voile peut vraiment constituer une réponse en appoint, en complément.

On peut donc dire qu'il n'y a pas une solution unique mais bien une palette de solutions. Il convient aussi d'insister sur l'enjeu de la compétition internationale qui est vraiment la caractéristique du transport maritime au niveau mondial. Mais je crois que vous l'avez bien compris. La régulation par l'OMI est donc importante. Nous considérons que la réduction de la vitesse est une réponse tout à fait significative. Enfin, les personnels vont devoir se former à ces nouvelles techniques. Aussi faut-il les accompagner. En France, nous avons la chance d'avoir un appareil de formation maritime secondaire et supérieure de très grande qualité. Aussi faut-il porter beaucoup d'attention à la pérennité de ce système.

En conclusion, permettez-moi un petit clin d'oeil. Le Président de l'Assemblée nationale nous fait l'honneur d'accueillir, pour un après-midi de conférence, le 9 avril prochain, le Shipping Day des armateurs de France. Nous aurons donc d'occasion de mettre en avant toutes les solutions que nous venons d'évoquer avec bon nombre d'acteurs du secteur maritime. Nous serons très heureux de vous y accueillir, à l'invitation du président Ferrand.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'imagine que c'est une compétition internationale à la transition écologique.

Je vous remercie, messieurs, pour votre participation. Soyez sûrs que votre contribution sera prise en compte dans nos travaux.

L'audition s'achève à onze heures.

Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 7 février 2019 à 9 h 30

Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Jennifer De Temmerman, M. Bruno Duvergé, Mme Véronique Riotton, Mme Nathalie Sarles

Excusés. - Mme Nathalie Bassire, M. Christophe Bouillon, M. Julien Dive, Mme Marjolaine Meynier-Millefert