Groupe de travail sur les conditions de travail à l'assemblée nationale et le statut des collaborateurs parlementaires

Réunion du mercredi 30 janvier 2019 à 13h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • RPS
  • harcèlement
  • harcèlement moral

La réunion

Source

GROUPE DE TRAVAIL N°2 – LES CONDITIONS DE TRAVAIL À L'ASSEMBLÉE NATIONALE ET LE STATUT DES COLLABORATEURS PARLEMENTAIRES

Mercredi 30 janvier 2019

Présidence de M. Michel Larive, président du groupe de travail

– Table ronde avec Mme Marie-France Hirigoyen, psychiatre et psychothérapeute, M. Gérard Valléry, professeur de psychologie du travail et ergonomie à l'université de Picardie-Jules Verne, MM. Marc Loriol et Gregor Bouville, respectivement directeur de recherche en sociologie à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne et maître de conférences en sciences de gestion à l'université Paris-Dauphine, membres du groupe d'études sur le travail et la santé au travail (GESTES).

La réunion commence à treize heures trente.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous abordons aujourd'hui la troisième phase de nos travaux, qui sera consacrée à plusieurs auditions sur le thème des risques psychosociaux (RPS) et du harcèlement.

La rapporteure, Jacqueline Maquet, et moi-même avons estimé qu'il était important de préciser, dans un premier temps, ce que recouvrent ces concepts, afin de mieux guider nos travaux. Ainsi, les RPS sont souvent confondus avec le stress, alors que plusieurs travaux, comme le rapport de mai 2011 de la commission des affaires sociales de l'Assemblée, montrent qu'il s'agit d'un concept bien plus large.

Pour nous aider à mieux cerner ces concepts, nous avons le plaisir de recevoir Mme Marie-France Hirigoyen, docteur en médecine, psychiatre et psychanalyste, spécialiste reconnue du harcèlement moral et sexuel, M. Gérard Valléry, professeur des universités, directeur du diplôme d'université RPS et santé au travail, à l'université d'Amiens, M. Gregor Bouville, maître de conférence en sciences de gestion à l'université de Paris Dauphine et M. Marc Loriol, sociologue du travail et de la santé, tous deux membres du groupe d'études sur le travail et la santé au travail (GESTES).

Permalien
Marie-France Hirigoyen

Merci de me permettre de m'exprimer sur ce sujet. En juin dernier, j'ai organisé, en partenariat avec l' International Association on Workplace Bullying and Harassment (IAWBH), le 11e congrès international sur le harcèlement au travail. Je le précise car tous les spécialistes mondiaux du harcèlement – moral et sexuel – s'accordent sur une définition internationale, mais il est vrai que l'on tend à confondre harcèlement et RPS.

La notion de harcèlement est apparue en France en 1998, après la parution de mon livre sur le harcèlement moral, à un moment où n'existait pas encore de définition des RPS. En revanche, il existait déjà dans d'autres pays, en particulier les pays nordiques, des études s'intéressant aux risques psychosociaux, dans la mesure où il y avait un intérêt pour les problématiques psychiques liées au travail et la prévention de ces maladies. En France, ou au Japon, la prise de conscience du harcèlement s'est faite à partir des observations de cliniciens comme moi. Dans la mesure où cette problématique, bien que liée à un contexte organisationnel, touchait les personnes de façon individuelle, les syndicats, par exemple, davantage centrés sur les luttes collectives, n'en ont pas tenu compte.

Assez vite, nous nous sommes rendu compte que le harcèlement concernait aussi le secteur public, qu'il y durait même plus longtemps, sous des formes souvent plus graves, car les protections apportées par la loi y étaient moindres. Nous y reviendrons.

La définition légale du harcèlement, à l'élaboration de laquelle j'ai participé, vise des agissements répétés « qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail (du salarié) susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. » Il est important de noter que les agissements ne sont pas nommés mais que le harcèlement est défini par ses conséquences sur la santé et, surtout, sur la dignité.

La définition du harcèlement, quel que soit le pays, retient trois facteurs. Les agissements doivent être répétés, sauf dans le cas de harcèlement sexuel par abus de pouvoir et dans celui de discrimination, où un seul agissement suffit. La relation doit être complémentaire : le harceleur est en position de pouvoir en raison d'un lien de subordination, ou parce qu'il abuse d'une compétence dont l'autre peut avoir besoin, ou parce qu'il peut prendre le pouvoir sur la personne harcelée en situation momentanée de vulnérabilité – classiquement, au retour d'un congé maternité ou d'un congé maladie. Enfin, le harcèlement n'est pas forcément le résultat d'une intentionnalité malveillante. Dans la plupart des pays – à l'exception des textes internes adoptées par les institutions européennes –, la notion d'intentionnalité n'est pas retenue : on peut harceler sans le vouloir, par maladresse ou par incompétence.

Pourtant, la notion d'intentionnalité n'est pas indifférente pour la personne ciblée. Ce n'est pas la même chose de se sentir malmené par un groupe ou par de mauvaises conditions de travail et d'avoir l'impression que l'on essaie de se débarrasser de vous. C'est une systématisation qui n'existe pas, par exemple, dans le stress au travail. Une personne qui se plaint de harcèlement se base sur un ressenti qui ne correspond pas forcément à la définition scientifique et légale. Il faut donc être prudent et bien faire la différence avec les RPS. Il convient aussi de tenir compte de ce que l'on appelle le phénomène d'attribution d'intentions hostiles : lorsque l'on est fragilisé, que l'on se trouve dans une situation d'interactions ambiguës, on peut être amené à interpréter à tort qu'autrui nous est hostile.

Il faut savoir aussi que les harceleurs sont rarement conscients de la gravité de leurs agissements : ils ne perçoivent pas ce qui pose problème dans leur comportement ou ils considèrent qu'étant donné le contexte, leur comportement est justifié.

Le harcèlement est un risque psyschosocial parmi les autres – stress, conflits, violences externes, burn-out. Ce dernier terme est très en vogue et je m'autoriserai une remarque sur le sujet. Le burn-out n'est répertorié dans aucune classification internationale des maladies mentales. Les classifications DSM-5 ou CIM évoquent un « trouble de l'adaptation », ce qui ne veut pas dire grand-chose. On a du mal à le différencier d'un stress intense et chronique ou d'une dépression. Il s'agit en fait d'une problématique qui se situe à la croisée de l'individuel, du collectif et de l'organisationnel, et qui, à ce titre, concerne plusieurs disciplines.

Je dirais qu'il s'agit davantage d'une maladie de civilisation, dans la mesure où elle touche des personnes qui ont surinvesti leur travail, intériorisé un discours managérial classique, et à qui l'on a demandé de s'investir beaucoup trop. Ces personnes consciencieuses, scrupuleuses, qui cherchent à se réaliser à travers leur travail, sont alors victimes d'un épuisement émotionnel, d'un désinvestissement des relations personnelles qui peut aller jusqu'au cynisme, et d'une baisse du sentiment d'accomplissement personnel.

Le terme burn-out permet une externalisation de la responsabilité : « ce n'est pas ma faute, c'est dû à un trop grand investissement dans le travail ». Pour simplifier, le burn-out est une forme d'auto-harcèlement : la personne se met elle-même la pression, au point de se rendre malade et de se faire arrêter par le médecin.

Une dernière remarque sur le harcèlement sexuel. Je reçois beaucoup de personnes qui viennent consulter pour du harcèlement moral et à qui je dois expliquer qu'elles sont victimes de harcèlement sexuel. Il est difficile de parler du harcèlement sexuel et a fortiori de le dénoncer ; nous pourrons en reparler.

Permalien
Gérard Valléry

On s'aperçoit que, sous l'influence notamment de l'accord national interprofessionnel de 2013, la notion de qualité de vie au travail (QVT) l'emporte désormais, dans la littérature et les journaux, sur celle de RPS. Or la QVT désigne un objet beaucoup plus large, et dans une certaine mesure bien plus flou. Cela pose question quant à la façon dont les structures et les personnes s'approprient ces termes.

Un grand nombre d'accords ont été conclus sur les RPS ces dernières années, même s'il n'en existe pas de définition légale, hormis pour le harcèlement – je pense notamment à l'accord-cadre sur la prévention des RPS dans la fonction publique. Cela montre que les choses bougent, qu'il existe une sensibilisation et des actions, du côté de l'Etat comme des branches.

Les RPS représentent un coût, réparti de façon triangulaire entre l'individu – qui le paie de sa santé physique ou psychique –, les structures et la société. On estime ce coût entre 2 et 3 milliards d'euros. Cela n'est pas rien, et justifie que l'on continue à se pencher sur ce phénomène.

On a tendance à associer RPS et troubles alors que le RPS est ce qui produit un trouble. Ce dernier, qu'il s'agisse de stress, de violences internes et externes ou de burn-out est la conséquence d'une situation. La question de l'isolement au travail a émergé récemment et des actions de lutte contre ce phénomène et contre les comportements antisociaux au sein des structures ont été mises en place.

Ces nouvelles situations sont dues au fait que le travail se transforme, qu'il évolue, qu'il s'effectue de façon plus morcelée et davantage dans l'urgence. On demande aux personnes d'être plus autonomes et davantage responsables tout en les contraignant, ce qui les place dans une position paradoxale. Ce phénomène est par ailleurs renforcé par le développement de la digitalisation et du numérique.

Il est possible de travailler sur un certain nombre de facteurs pour mieux prévenir les RPS. Certains sont liés au travail lui-même – son intensité, sa complexité –, d'autres à l'organisation du travail – charge, notamment mentale, moyens mis à disposition – d'autres encore aux relations – individuelles ou managériales. On sait, par exemple, que le faible niveau de soutien social est un facteur qui dégrade les conditions de travail.

Il existe en France un paradoxe que des enquêtes, et notamment les travaux de Dominique Méda, ont mis au jour. Les Français sont très attachés au travail : ils sont plus de 70 % à considérer que le travail est primordial dans leur vie et, contrairement à d'autres Européens, lui accordent une valeur identitaire, en termes de reconnaissance notamment, bien plus grande que sa valeur matérielle. Mais dans le même temps, ils ont tendance à rejeter le travail. Ce sont donc les conditions de travail qui posent question – ce ne sont pas les gens qui sont malades, mais le travail. C'est dans ce domaine qu'il faut agir pour une meilleure prévention primaire.

Permalien
Marc Loriol

Pour avoir travaillé sur des mondes aussi différents que celui de l'industrie, de l'hôpital, de la sécurité publique, des transports publics, de l'artisanat ou des très petites entreprises (TPE), je ne suis pas certain que les mots RPS, stress, burn-out ou harcèlement moral sont compris de la même manière selon les métiers.

Et pour m'être intéressé aux différences nationales dans le traitement du harcèlement, je vous dirai, comme Marie-France Hirigoyen, que cette notion ne recouvre pas non plus la même chose. D'ailleurs, on n'emploie pas les mêmes mots. Dans les pays scandinaves et en Europe du Nord, c'est plutôt le terme mobbing qui a été popularisé et qui a fait des petits, notamment en Italie, où je mène actuellement une recherche. En Grande-Bretagne, on préfère le terme bullying. Les différences nationales demeurent donc importantes, même s'il existe un travail international de codification, des réflexions et des échanges qui permettent de mieux s'entendre sur les mots.

Contrairement à Marie-France Hirigoyen, qui est clinicienne et cherche à comprendre comment ça se passe chez les personnes, je m'efforce, en tant que sociologue, de saisir les mécanismes à l'œuvre dans les entreprises. Les RPS forment un ensemble assez hétérogène, dont les statuts, les définitions, la place dans la nosologie varient considérablement. Pour les approcher, il convient de comprendre la notion de processus.

Avec les RPS, on observe une dégradation du processus, ce que les sociologues interactionistes appellent l'absence d'accommodements. Les accommodements sont des solutions qui sont trouvées au sein du groupe pour faire en sorte qu'un problème soit géré. Dans le cas du harcèlement moral, on s'aperçoit que certains comportements négatifs, ou actes agressifs, seront perçus de façon différente selon le milieu – les brigades de cuisine font montre d'une plus grande tolérance à la violence, par exemple – et ne seront pas gérés de la même manière. Marie-France Hirigoyen l'a montré, il existe des formes variées de gestion collective, qui vont du mouvement social – on se met en grève contre un petit chef autoritaire – au compromis avec la hiérarchie, en passant par des formes d'entraide ou d'entre-soi.

Le harcèlement a pris de l'importance parce que, du fait de l'isolement grandissant des personnes, les réactions collectives sont devenues plus compliquées. Les travaux que je mène avec mes collègues italiens montrent que l'effet de la violence au travail en Italie est modéré par le fait que cette violence est perçue comme visant un groupe, plutôt qu'une personne. La dévalorisation de soi, la remise en cause personnelle sont diminuées d'autant. Il faut ajouter à cela le contexte culturel, qui fait que cette forme de violence est peut-être mieux tolérée que dans d'autres sociétés.

Le processus part de conflits qui, dans la plupart des cas, sont résolus de façon informelle dans les organisations. Il existe un désaccord sur la reconnaissance du travail ou sur le niveau d'exigence imposé, et les gens se mettent d'accord ou acceptent le point de vue d'autrui. Si le harcèlement survient, c'est que le processus n'a pas été autorégulé, géré en interne : il reviendra au sociologue de se demander pourquoi.

Il en va de même pour le burn-out, dont Marie-France Hirigoyen a expliqué qu'il mettait en jeu un idéal inacessible. Dans une des études que j'ai menées ces dernières années, je me suis intéressé aux salles de concert dédiées aux musiques actuelles. Dans l'une d'entre elles, il y avait eu trois cas de burn-out d'affilée sur un poste de programmateur. Cette salle avait pour ambition de faire à la fois du culturel, du social, de l'artistique, d'associer des groupes professionnels à des amateurs, de faire venir tous les milieux sociaux – les tâches étaient si nombreuses et variées qu'elles ne pouvaient être remplies et que les personnes s'épuisaient à faire toujours plus pour tenter, en vain, d'atteindre un idéal. Dans les autres salles, il existait un consensus sur l'action attendue, plus modeste, l'organisation du travail avait défini une image commune de ce qu'est un travail réussi ; les salariés y étaient tout aussi investis et ne souffraient pas de burn-out. Comprendre le processus, les spécificités du secteur, la façon dont les problèmes sont pensés, réglés, comment ils sont perçus par les catégories, voilà ce qui fonde l'approche sociologique des RPS.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame Hirigoyen, dans votre ouvrage Malaise dans le travail : harcèlement moral, démêler le vrai du faux, vous indiquez que l'on parle de harcèlement au travail depuis 1998 seulement. Pourquoi cette notion a-t-elle été ignorée, du moins passée sous silence ?

Permalien
Marie-France Hirigoyen

Qu'il s'agisse du harcèlement moral ou des RPS, le processus est complexe et lié à plusieurs facteurs, de nature psychologique, sociologique et manageriale, qui interagissent.

De manière incontestable, le monde du travail a changé, et pas uniquement dans le secteur privé puisque l'on applique désormais au secteur public les méthodes de management. On met de plus en plus de pression sur les personnes. Le management a perdu de vue la dimension humaine : on manage, même dans le secteur public, avec des chiffres, des objectifs, des contrôles, des process – on ne dit plus « procédure », car on a tout anglicisé. Les salariés sont mis en concurrence pour sélectionner les meilleurs, ils deviennent des rivaux, on leur demande de s'investir énormément et de se réaliser à travers le travail.

Dans ces organisations de travail, il existe des « styles » de management plus ou moins destructeurs : ce peut être un management exagérément autoritaire, qui amène du stress, de la pression, et potentiellement un harcèlement descendant ; ce peut être un management trop laxiste qui laisse les salariés se débrouiller, le plus malin prenant le pouvoir, ce qui peut entraîner un harcèlement entre collègues ou un harcèlement descendant ; ce peut être aussi un management pervers, irréprochable de l'extérieur, mais impliquant des jeux de pouvoir.

Ces nouvelles relations prennent place alors que le monde moderne est soumis aux nouvelles technologies, que nous nous imposons à nous-mêmes une certaine pression et que nous voulons être davantage autonomes. De nouvelles contraintes apparaissent, alors que nous nous voulons être plus libres.

Il faut aussi avoir en tête qu'individuellement, nous avons changé. Nous sommes de plus en plus en quête de reconnaissance, et c'est notre identité que nous mettons en jeu dans le travail – a fortiori dans un lieu de prestige comme l'Assemblée nationale. A la moindre anicroche, on se sentira donc disqualifié. On pourra en attribuer la faute à un collègue, et se sentir, à tort ou à raison, harcelé ; on pourra aussi entrer en burn-out et, par une réaction cynique et protectrice, attaquer les autres. A cause de ce changement de mentalité, le harcèlement, qui a toujours existé, flambe.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le rapport de 2011 de la commission des affaires sociales avait relevé l'importance du contexte économique et social sur le développement des RPS, la peur du chômage étant un facteur aggravant. Comment expliquez vous le développement des RPS dans une administration comme l'Assemblée nationale, où les fonctionnaires bénéficient d'une plus grande stabilité que dans une enteprise privée ? Je n'inclus pas dans ce constat les collaborateurs des parlementaires, qui sont contractuels, le plus souvent pour cinq ans.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La notion de harcèlement ne recouvre pas la même chose selon qu'on travaille dans une cuisine ou dans un bureau. Étant issue de la société civile, je sais que, dans certains secteurs, le travail est plus dur, dans tous les sens du terme, que dans d'autres. Je m'étonne que, même quand de tels faits sont racontés et avérés, ils soient parfois tolérés ; je m'en faisais la remarque en écoutant les uns les autres. Par ailleurs, le ressenti est quelque chose de très subjectif : une personne n'aura pas l'impression de harceler parce qu'elle parle d'une manière qui lui semble habituelle, quand la personne en face d'elle se sentira brimée parce qu'elle n'a pas l'habitude qu'on lui parle ainsi. C'est là toute la difficulté. On est souvent sur une ligne de crête. On a beau intellectualiser, poser des concepts, établir des critères et des normes, on est vraiment dans de la science humaine car le subjectif est important, voire essentiel, pour comprendre de quoi il retourne.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'ai apprécié la question de Mme Maquet. Je voudrais ajouter que, dans les collectivités, nous sommes également confrontés à des cas de ce genre. Quand j'étais maire, des fonctionnaires venaient parfois me signaler de tels actes. Quand je leur disais : « Maintenant, il faut déposer plainte », ils me répondaient : « Ah non ! ». Or s'il n'y a pas de plainte, on ne peut pas faire grand-chose. Mais il est vrai que, quand vous vivez dans une collectivité, parfois dans un village, c'est compliqué : il y a la peur des suites, la peur de l'inconnu. Certains petits chefs sont de véritables harceleurs – et pas forcément sur le plan sexuel : le harcèlement moral fait lui aussi beaucoup de dégâts.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je voudrais quant à moi poser deux questions.

Dans la mesure où les RPS mettent en jeu l'intégrité physique et la santé mentale des personnes, doit-on parler à leur sujet de véritables maladies, qui concernent donc au premier chef la personne, ou s'agit-il davantage de symptômes, révélateurs d'un environnement de travail inadéquat ? Cette question n'est pas du tout innocente, car la réponse que l'on y apporte a des conséquences, notamment juridiques et sociales.

Ma seconde question porte davantage sur les remèdes : reposent-ils sur une meilleure gouvernance des entreprises ou des administrations ? La seule réponse aux RPS est-elle une meilleure organisation du travail, une sensibilisation accrue de la hiérarchie à ce genre de problèmes, ou existe-t-il des solutions plus larges ?

Permalien
Gregor Bouville

Je voudrais revenir sur un point qui a déjà été un peu développé par Marie-France Hirigoyen. Il existe en réalité deux manières d'aborder la question du harcèlement moral au travail. La première approche, que l'on pourrait qualifier d'individuelle, consiste à s'intéresser à la personnalité du bourreau ou de la victime, pour chercher à expliquer les raisons pour lesquelles l'une est harcelée et l'autre est harceleur. On va ainsi chercher à diagnostiquer les personnalités un peu troubles. Marie-France Hirigoyen a ainsi mis en avant des personnalités de type pervers narcissique. Du côté de la victime, ce seraient plutôt des personnalités fragiles ou introverties.

Permalien
Marie-France Hirigoyen

Je n'ai jamais dit ça !

Permalien
Gregor Bouville

La seconde approche, qui serait plutôt organisationnelle, va chercher à identifier des facteurs liés soit à l'organisation du travail, soit aux conditions de travail, soit au système de management – c'est-à-dire aux pratiques de gestion des ressources humaines –, ou encore aux ressources professionnelles fournies aux salariés.

Dans certaines disciplines, on va privilégier l'approche individuelle ; dans d'autres, telles que l'épidémiologie et la sociologie, l'approche organisationnelle.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La manière dont ces phénomènes sont perçus m'interroge : dans des environnements de travail assez divers – et l'Assemblée nationale est un lieu un peu particulier –, comment arrive-t-on, à partir de discussions, de l'expression par certaines personnes de difficultés qu'elles rencontrent, d'une souffrance, d'un mal-être, à se dire qu'il y a là quelque chose qui est de l'ordre des risques psychosociaux ou du harcèlement ? S'il est parfois compliqué de faire la différence entre harcèlement moral et harcèlement sexuel, il l'est également de faire la distinction entre un risque et un trouble avéré. On est dans le domaine de la perception par l'individu. Comment arrive-t-on, par conséquent, à détecter ces phénomènes de manière objective, à supposer que ce soit possible ?

Permalien
Marie-France Hirigoyen

Avoir un angle organisationnel dans l'approche n'empêche pas de prendre aussi en compte l'individuel : les deux ne s'excluent absolument pas. La prévention des risques psychosociaux en général, et du harcèlement en particulier, ne peut se faire qu'au niveau organisationnel ; cela n'empêche pas, ensuite, d'écouter les personnes et d'essayer de prendre leurs plaintes en considération.

Il a été question des métiers de bouche : très clairement, dans ce domaine, les apprentis sont souvent maltraités – car on est même parfois au-delà du harcèlement. Toutefois, ces apprentis sont jeunes, ils y croient et ils ont une grande tolérance à l'égard de ces situations, parce que, d'une certaine façon, ils estiment qu'il faut en passer par là. Cela dit, cette tolérance est individuelle : tel ou tel peut tout à fait dire qu'il ne trouve pas normal d'être traité ainsi. Par ailleurs, les enquêtes ont montré que les personnes qui sont le plus harcelées sont celles qui sont plus âgées, mais aussi celles qui reviennent de congé de maladie ou de maternité, car elles ont été fragilisées.

Si l'on veut mettre en place une prévention des risques psychosociaux et du harcèlement, il faut à la fois travailler sur le collectif – des professionnels s'en chargent et, au niveau du ministère du travail, des process ont été décrits – et prendre en compte les individus. Pour cela, il faut qu'il y ait des lieux d'écoute et d'échange. Or, dans le monde du travail actuel, ils sont de moins en moins nombreux. Il faudrait pouvoir écouter les petites plaintes individuelles pour désamorcer les risques : en procédant ainsi, on règle les trois quarts des problèmes.

Au sein de l'administration européenne, des personnes ont été formées à l'écoute de ces plaintes, de façon à ne pas les laisser prendre trop de place. Il est très difficile d'aller parler à son chef ou à un délégué syndical de harcèlement moral, et plus encore de harcèlement sexuel. Il faut pouvoir être accompagné dans cette démarche, savoir à qui on peut parler, dans un lieu dédié. C'est un véritable problème : à qui vais-je parler quand je suis en souffrance ? La plupart des gens ne le savent pas. Les choses dégénèrent, et on se trouve réellement confronté à du harcèlement, c'est-à-dire que l'on entre dans le domaine judiciaire. Les problèmes deviennent alors beaucoup plus difficiles à traiter.

Permalien
Gérard Valléry

Il faut effectivement comprendre le phénomène de RPS comme un processus et faire de la prévention primaire, se donner les moyens d'avoir des cadres adaptés, dans lesquels les gens peuvent s'exprimer et préparer ensemble des changements. L'Assemblée nationale étant elle aussi un cadre de travail, quoique pas tout à fait comme les autres, je ne vois pas pourquoi elle ne serait pas concernée par les RPS : on y trouve des individus, des transformations du travail s'y jouent aussi, ainsi que des transformations du rapport au travail. Le travail évolue dans son contenu, ses formes et son organisation, et les individus ont d'autres besoins, de nouveaux rapports au travail.

Il faut faire attention à deux points, me semble-t-il. Premièrement, on met souvent en avant la question des managers. Or, manager, c'est aussi du travail, et les managers sont confrontés à un certain nombre de difficultés. Travailler sur eux est d'ailleurs parfois un levier d'action pour transformer des choses. Il ne s'agit donc pas de jeter la pierre aux managers ayant des comportements non adaptés : il faut travailler sur ce que ça veut dire d'être manager, pour transformer les choses avec eux.

Il faut également faire attention aux nouvelles technologies. En soi, elles ne sont pas dangereuses, elles ne constituent pas des déterminants stricts du développement des RPS : tout dépend de ce que l'on en fait. La question essentielle est celle de la distribution et des modes d'usage de ces technologies.

Pourquoi, demandait Mme Trisse, les cas de harcèlement, même avérés, ne sont-ils pas nécessairement reconnus et traités ? Parce que le harcèlement reste un sujet tabou : je vois des cas où les partenaires sociaux font tout pour étouffer l'affaire.

En ce qui concerne la dimension du subjectif – et de l'intersubjectif, c'est-à-dire du rapport entre les individus –, dont on parle beaucoup, il est sûr que l'expérience vécue est extrêmement importante, mais il existe aussi des phénomènes objectifs : on sait par exemple que des conditions de travail difficiles peuvent susciter des troubles physiques, comme les troubles musculo-squelettiques (TMS), lesquels débouchent ensuite sur des RPS. On peut donc objectiver des choses à travers des conditions de travail difficiles, voire dégradées.

Enfin, s'il existait des remèdes globaux, on les connaîtrait. Il faut travailler sur la question localement, autour de trois dimensions : sensibiliser, impliquer et co-construire. Je ne vois pas d'autre moyen que d'avancer dans cette direction, pour mettre les choses à plat, trouver des consensus et mettre en œuvre des modalités d'action ayant fait l'objet de discussions entre les acteurs et qu'ils ont intégrées.

Permalien
Marc Loriol

Je voudrais revenir à l'une des questions qui ont été posées : qu'est-ce qui fait que, dans certains secteurs, ces phénomènes sont tolérés ? Marie-France Hirigoyen le disait : outre les aspects individuels, il existe les aspects sociaux. Les gens tolèrent certains actes dans la mesure où ils ont le sentiment de s'y retrouver. J'ai pu le constater en travaillant sur l'apprentissage dans les métiers artisanaux. Dès lors qu'il semble y avoir une légitimité, l'acceptation est beaucoup plus grande. Tel chef cuisinier est certes très maltraitant envers ses apprentis, mais ces derniers ont l'impression qu'avec lui, ils vont apprendre leur métier et auront une chance de s'installer ou d'accéder aux cuisines de restaurants prestigieux, ce qui favorisera leur carrière. À l'inverse, dès lors que cette légitimité n'existe plus, la tolérance vis-à-vis des efforts demandés et de la maltraitance est bien moindre : on l'observe dans certains restaurants gérés par des gens ayant une approche de gestionnaire plutôt que de chef cuisinier.

Il existe aussi des différences d'un métier à l'autre. Par exemple, dans la boulangerie – métier très pénible à bien des égards –, on observe une tolérance parce que la possibilité de s'installer existe encore : il y a un marché et les boulangers ont réussi à montrer qu'ils avaient un savoir-faire supérieur à celui des supermarchés. Dans la boucherie, au contraire, la tolérance n'est pas la même car beaucoup de jeunes savent que leurs chances de s'installer sont faibles.

Il faut également prendre en considération une dimension sociale : les enfants d'artisans et de commerçants connaissent un peu ce parcours et vont mieux le supporter que d'autres. De même, des gens issus d'autres secteurs et ayant déjà vécu des expériences difficiles – cela s'est vu pour certains cuisiniers qui avaient connu d'autres milieux où il y avait aussi beaucoup de violence et de pression – vont relativiser.

Tout cela m'amène à un élément plus théorique. On oppose parfois – cela a été le cas ici même – l'objectif et le subjectif. À mon avis, c'est beaucoup plus compliqué : il existe ce que l'on appelle l'intersubjectif, c'est-à-dire des choses auxquelles toutes les personnes d'un milieu, ou la plupart d'entre elles, adhèrent. Une croyance fortement partagée dans un milieu ne relève plus du subjectif individuel : elle est également liée à une culture, à des façons de faire, à un contexte, à des formes de reconnaissance dans ce milieu. J'évoquais les métiers artisanaux, où l'on reconnaît les efforts et où ils sont récompensés : les gens savent que ce parcours va être payant. On est là dans de l'intersubjectif, car il existe une croyance partagée, qui donne lieu à un fonctionnement collectif. Parfois aussi, le subjectif joue sur l'objectif : si l'on pense que tel ou tel problème est d'ordre individuel et psychologique, on va accompagner les personnes en les formant à mieux gérer les relations ; si on considère au contraire que le problème est plutôt organisationnel, on va essayer d'agir sur l'organisation, en favorisant tel ou tel type de fonctionnement. Le subjectif et l'objectif entrent donc dans un processus d'interaction où ils se renforcent mutuellement – ou peuvent produire des effets pervers.

En ce qui concerne les solutions, comme cela a été dit, il n'y a pas de remède miracle. Plusieurs pistes complémentaires doivent être creusées. Pourquoi, dans les métiers où le risque de perdre son emploi est faible, observe-t-on aussi de la souffrance, du harcèlement moral, ou encore des burn-out ? Tout simplement parce que la précarité n'est pas le seul facteur en jeu. Comme l'a dit Marie-France Hirigoyen, les gens, notamment en France, ont à cœur de bien faire leur travail. C'est très important. Or cette notion est intersubjective : bien faire son travail, ce n'est pas forcément la même chose dans un milieu et dans un autre. Dans certains services hospitaliers, cela renvoie à quelque chose de très technique, quand, dans d'autres, c'est très lié aux relations personnelles que l'on noue.

Il est important de sensibiliser les managers au fait que, quand ils prennent des décisions et imposent des choses, ils doivent avoir en tête l'impact que cela peut avoir sur le sentiment qu'auront les personnes d'être en mesure de bien faire leur travail. Il importe donc, effectivement, de former les managers, et ces formations seront nécessairement ciblées, dépendant de chaque milieu professionnel, de chaque définition de ce que c'est, bien faire son travail, des différentes formes de reconnaissance et des jeux sociaux que j'ai évoqués en prenant l'exemple de l'artisanat et des métiers de bouche.

À côté de cela, d'autres éléments très importants doivent être pris en compte, notamment le fait que l'entreprise a pour but de gagner de l'argent. Marie-France Hirigoyen et Gérard Valléry en ont parlé : les RPS ont un coût. En termes économiques, on parle d'internaliser les coûts, c'est-à-dire d'essayer de trouver des mécanismes permettant de les imputer aux entreprises qui en sont à l'origine plutôt que de les laisser à la charge de la société – je pense notamment aux dépenses d'assurance maladie. On sait, en effet, que certains choix organisationnels ont pour conséquence qu'un plus grand nombre de personnes se retrouvent en arrêt maladie ou en invalidité.

L'un de mes étudiants a ainsi travaillé sur le passage aux commandes vocales dans les entrepôts logistiques. Il se trouve qu'on peut mesurer le nombre de personnes qui, du fait de ce choix, vont être déclarées invalides ou arrêtées pour des problèmes de TMS ou de dépression – ce qui a un coût. Les entreprises évaluent très bien l'avantage que représente pour elles l'utilisation des commandes vocales numériques : selon les grandes chaînes, le gain de productivité est de 30 %. Ce surcroît de productivité n'est-il pas largement balayé par le coût que représente, pour la collectivité, le fait de prendre en charge des gens en arrêt maladie et en invalidité, et qui vont se trouver, parfois très jeunes, exclus de façon durable du marché du travail ?

À mon avis, il est donc extrêmement important de réfléchir à la manière dont on peut internaliser ces coûts. C'est une voie qui a été empruntée avec un certain succès, notamment aux États-Unis, pour lutter contre les TMS. Il s'agit d'amener l'entreprise à prendre en compte les effets de ses choix d'organisation sur la santé, et leur coût économique, ce qu'elle n'est pas forcément encline à faire quand les coûts sont externalisés, à savoir reportés sur la collectivité publique à travers l'assurance maladie.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur Valléry, vous avez évoqué de nombreuses fois la prévention. Pensez-vous que la formation des salariés concernés, y compris celle des managers, peut aider à améliorer l'organisation, je dirais même à obtenir un mieux vivre au travail ?

Permalien
Gérard Valléry

J'abonde dans le sens de mon collègue Marc Loriol en ce qui concerne la question du travail bien fait – les gens s'inscrivent effectivement dans cette logique ; c'est important, de même que le sens du travail –, et les règles des différents métiers, qui sont des indicateurs forts du rapport au travail.

La formation des salariés et des managers à la prévention est importante, mais elle n'est pas suffisante : encore faut-il que cela se traduise de manière concrète dans les pratiques de travail. À travers la sensibilisation, mais aussi des groupes permettant d'échanger, ou encore des pratiques d'analyse du travail, il faut entrer dans le contenu des situations de travail. C'est une solution qui permet de mettre en évidence des éléments vécus dans la sphère de la subjectivité, mais aussi de les objectiver, pour rediscuter des pratiques professionnelles. La formation, en matière de prévention, n'a donc de sens que si elle s'inscrit dans les pratiques professionnelles des managers et de l'ensemble du personnel.

Permalien
Marie-France Hirigoyen

Monsieur le président, je voudrais répondre à la question que vous aviez posée et que nous avons laissée de côté jusqu'à présent : les RPS sont-ils des maladies ou des symptômes ? Il est très important de définir les choses. Le stress produit des symptômes. Le burn-out n'est pas une maladie reconnue, mais il constitue quand même un trouble grave, qui peut avoir des conséquences importantes. Le harcèlement a lui aussi des conséquences extrêmement graves sur la santé. Pour être un peu plus précise, je dirais que, dans un premier temps, lorsqu'on est victime de harcèlement, ou quand on commence à souffrir de burn-out, on présente des troubles de nature anxieuse ; puis, peuvent apparaître des états dépressifs, lesquels peuvent avoir des conséquences graves, puisqu'ils peuvent conduire à des suicides. Il faut donc les repérer très tôt. L'état dépressif est une maladie : il ne s'agit pas simplement d'un symptôme.

Le problème du harcèlement, qu'il soit moral ou sexuel, est que, très souvent, on est dans le déni : les personnes n'en prennent conscience que quand elles sont extrêmement malades, au point, par exemple, d'être incapables de sortir de leur lit. C'est un peu la même chose pour le burn-out : les personnes sont en surinvestissement, jusqu'au jour où elles s'écroulent complètement et ne sont plus capables d'aller travailler.

Dans le cas du harcèlement, même si la personne qui en est victime est placée en arrêt maladie, elle va développer ce qu'on appelle un stress post-traumatique, exactement de la même manière que les victimes d'attentats. Or cela se soigne extrêmement mal. Un des symptômes du stress post-traumatique est qu'on est dans l'évitement. On ressasse en permanence la situation de harcèlement, on en rêve la nuit, on a des crises d'angoisse dès qu'on voit quelqu'un qui ressemble au harceleur. Ces personnes sont incapables de retourner sur leur lieu de travail, et il est très difficile de mettre en œuvre des thérapies efficaces. Très souvent, ces personnes sont désinsérées du monde du travail.

Marc Loriol nous parlait du coût de cette problématique : apprendre à repérer le phénomène beaucoup plus tôt, à prévenir ce genre de situations permettrait à la société dans son ensemble de réaliser d'énormes économies. Il ne faut pas oublier non plus – on n'en parle pas très souvent – que ces phénomènes ont également un impact sur l'environnement professionnel : souvent, ils entraînent la démotivation d'une équipe entière. Même quand on a trouvé la solution à une situation de harcèlement, par exemple en éloignant les deux personnes en question, on constate que, si on ne travaille pas sur ceux qui ont été témoins de ce qui s'est passé – ou qui n'ont pas voulu le voir –, si on ne s'efforce pas de renforcer le supérieur hiérarchique qui n'a pas agi comme il aurait dû, voire qui a fermé les yeux, cela aura des conséquences à très long terme sur tout un groupe de personnes ; d'où l'importance de la prévention.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous allons bientôt clore cette première séance de travail. Je demanderai à chacun de nos invités de conclure en quelques mots.

Permalien
Gregor Bouville

Je rejoins les interventions de mes collègues quant au fait qu'une approche organisationnelle, s'intéressant à l'organisation du travail et aux pratiques de gestion des ressources humaines (GRH), est un moyen de questionner les problèmes de fond qui sont souvent à l'origine des situations de harcèlement moral au travail. Le développement d'un management par le stress, comme on dit souvent, avec la fixation d'objectifs élevés, voire inatteignables, et une pression très forte insufflée dans l'organisation, est un facteur délétère.

Permalien
Marc Loriol

Pour être complémentaire par rapport à ce que vient d'expliquer Gregor Bouville, je dirais que certains enseignements de l'enquête européenne sur les conditions de travail peuvent être intéressants dans le cas qui vous intéresse. Je les utilise moi-même. Cette enquête a porté sur 42 000 salariés en Europe. Je voudrais souligner un point dont il n'a pas été question mais qui pourrait éclairer ou problématiser un peu les débats : globalement, on constate que le risque de se sentir victime de harcèlement moral augmente avec le niveau de diplôme, avec toutefois une exception pour les diplômes d'ingénieur, c'est-à-dire les domaines techniques. Ce sont peut-être des domaines dans lesquels les controverses sur ce qu'est le travail bien fait sont plus facilement résolues, en raison de leur dimension technique : cela marche ou cela ne marche pas, pour dire les choses de façon un peu caricaturale. Quand on est dans le domaine de l'action politique et sociale, il est plus difficile de savoir si cela marche ou si cela ne marche pas : l'évaluation de la réussite d'une politique publique est une chose complexe. Ce n'est pas simplement une question de résultats chiffrés. Par conséquent, une des pistes de réflexion intéressantes pour votre groupe de travail pourrait être de se demander quels sont les objectifs qui doivent être atteints, quels sont les critères à partir desquels on reconnaît qu'un travail a été bien fait, et comment on passe de débats sur le travail à l'élaboration de solutions le concernant, plutôt que de déboucher sur des conflits personnels – car, bien souvent, le harcèlement moral est la transformation de débats autour du travail qui ne sont pas résolus en tant que tels et deviennent des conflits interpersonnels, donc qui sont vécus comme visant les personnes.

Permalien
Gérard Valléry

Je voudrais insister, une fois de plus, sur la nécessité de mettre en place une prévention primaire, car celle-ci joue sur un ensemble de coûts – aux niveaux individuel, collectif, organisationnel et sociétal. Autre point important à mes yeux : il faut chercher à mettre en discussion, localement, le travail réel. Généralement, les gens aiment parler de leur travail, si toutefois on leur offre des espaces idoines pour le faire. Le travail, même s'il est parfois souffrance, peut aussi receler des leviers d'action pour les différents acteurs – je veux parler de l'ensemble des partenaires : la direction, les instances représentants les salariés et tous ceux qui constituent les situations de travail, notamment les organisateurs et les concepteurs –, dans une logique de co-construction.

Permalien
Marie-France Hirigoyen

Je serai brève, et me contenterai de reprendre ce qu'a dit Gérard Valléry, qui me paraît important : l'Assemblée nationale ne peut pas être exempte de la problématique des RPS. S'agissant de la prévention, il me paraît essentiel de réintroduire de l'humain : à l'heure où le management est de plus en plus centré sur les procédures, il ne faut pas oublier que, derrière, il y a des humains. Ceux qui mènent le jeu sont des humains, et non des systèmes : ce sont des individus qui sont à l'œuvre, et qui doivent avoir une démarche individuelle auprès de chacun.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez raison, et il n'y a pas de vérité révélée en la matière.

Madame, messieurs, nous vous remercions pour ces échanges qui vont beaucoup nous servir pour la suite de nos travaux. Nous sommes d'ailleurs susceptibles de vous contacter de nouveau pour obtenir des précisions, si vous le voulez bien.

Chers collègues, nous nous retrouverons dans deux semaines pour de nouvelles auditions.

La réunion s'achève à quatorze heures cinquante.

Membres présents ou excusés

Groupe de travail sur les conditions de travail à l'Assemblée nationale et le statut des collaborateurs parlementaires

Réunion du mercredi 30 janvier 2019 à 13 h 30

Présents. - M. Régis Juanico, M. Michel Larive, M. Gilles Lurton, Mme Jacqueline Maquet, Mme Claire Pitollat, M. Jean-Charles Taugourdeau, Mme Nicole Trisse

Excusé. - Mme Jeanine Dubié