Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du mercredi 17 octobre 2018 à 14h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • AMP
  • autoconservation
  • don
  • fertilité
  • grossesse
  • infertilité
  • ovocyte
  • procréation
  • âge
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La réunion

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Mission d'information DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉVISION DE LA LOI RELATIVE À LA BIOÉTHIQUE

Mercredi 17 octobre 2018

Présidence de M. Xavier Breton, président de la Mission

La Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique procède à une table ronde sur la préservation de la fertilité et l'autoconservation des ovocytes : Mme Larissa Meyer, présidente du Réseau Fertilité France (R2F) ; Mme Virginie Rio, co-fondatrice du Collectif BAMP (association de patients de l'AMP et de personnes infertiles), et Mme Caroline Delavoux, responsable de l'antenne BAMP Nantes-Angers ; Dr Joëlle Belaisch Allart, professeur associé du Collège de médecine des hôpitaux de Paris, responsable du pôle Femme-Enfant du centre hospitalier des 4 villes Saint-Cloud, membre du bureau du Collège national des gynécologues et obstétriciens Français (CNGOF).

L'audition débute à quatorze heures trente.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous débutons notre séquence d'auditions par une table ronde sur le thème de la préservation de la fertilité et l'autoconservation des ovocytes. Aè cette fin, nous avons le plaisir d'accueillir : Mme Larissa Meyer, présidente du Réseau Fertilité France ; Mme Virginie Rio, cofondatrice du collectif BAMP, association de patients de l'assistante médicale à la procréation (AMP) et de personnes infertiles ; Mme Caroline Delavoux, responsable de l'antenne du collectif BAMP Nantes-Angers ; et le docteur Joeïlle Belaisch Allart, membre du bureau du Collège national des gynécologues et obstétriciens français, professeur associé du Collège de médecine des hôpitaux de Paris, responsable du pôle femme-enfant du Centre hospitalier des Quatre Villes aè Saint-Cloud.

Mesdames, je vous remercie d'avoir accepté d'intervenir dans le cadre de notre mission d'information.

La préservation de la fertilité et l'autoconservation des ovocytes sont des sujets qui reviennent régulièrement au cours des auditions menées par notre mission d'information. Aussi, nous souhaiterions bénéficier de votre expérience et connaître vos positions sur ces sujets afin d'alimenter nos réflexions.

Je vous donne donc la parole aè tour de rôle pour un court exposé, et nous poursuivrons par un échange de questions et de réponses.

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Joëlle Belaisch Allart

Monsieur le président, j'évoquerai principalement la préservation de la fertilité dans le cadre de l'autoconservation, mais nous pourrons aborder aussi les autres modes de préservation.

Le désir d'enfant est devenu de plus en plus tardif. On accuse toujours les femmes, la pilule, le carriérisme, mais il faut aussi le temps de rencontrer l'homme de sa vie ou le « prince charmant », c'est-à-dire celui avec qui on veut faire un enfant et fonder une famille, et surtout que celui-ci soit d'accord pour le faire. Toutes les études scientifiques sur ce sujet montrent que le problème principal est bien celui de l'homme et non celui de la femme carriériste.

De plus, la fertilité des femmes, ainsi que celle des hommes, chute avec l'âge. Contrairement à une idée reçue, l'assistance médicale à la procréation (AMP) « classique » – intraconjugale avec l'ovocyte et le sperme du couple – ne compense pas la chute de la fertilité due à l'âge. Si les ovaires sont vieux, s'il n'y a plus de follicules, on pourra toujours stimuler, il n'y aura jamais de réponse. À toutes les femmes dans la quarantaine qui viennent dans nos cabinets et dont la réserve ovarienne est trop faible, nous ne pouvons proposer que le recours au don d'ovocytes. À l'énoncé de l'expression, on pense en France : pénurie de donneuses. C'est vrai, mais à cela s'ajoute le fait que ces grossesses sont plus risquées, parce que le foetus est totalement étranger à la mère et non pas semi-étranger comme dans une grossesse classique. Il existe pourtant une solution permettant de régler ce problème pour toutes les femmes de la quarantaine concernées : c'est la conservation d'ovocytes à un âge où leur fertilité est encore optimale.

C'est le sujet de ce jour. L'autoconservation consiste tout simplement, autour de la trentaine, à trente-cinq ans maximum, à stimuler l'ovulation et à opérer une ponction pour recueillir les ovocytes afin de les congeler. En pratique, cela se fait dans un centre de fécondation in vitro (FIV). Or actuellement, cette conservation n'est légale en France que dans le cadre de la préservation de la fertilité avant un traitement potentiellement stérilisant. Le cas classique est celui d'une femme atteinte d'un cancer du sein qui va subir une chimiothérapie. Après avoir enlevé le cancer et avant la chimiothérapie, on peut prévoir une préservation de la fertilité. C'est possible dans un nombre de centres limité parce que le schéma régional d'organisation sanitaire (SROS) l'a cantonné à un nombre extrêmement réduit de centres.

Il y a des arguments « pour » et quelques arguments « contre », que nous acceptons tout à fait d'entendre. Les arguments « pour » sont le recul de l'âge du désir d'enfant, l'allongement de la durée de la vie, le fait que la technique de congélation par vitrification – la plus efficace – est autorisée depuis la loi de 2011 et la pénurie de dons d'ovocytes. Il suffirait, dit-on souvent, que les femmes fassent leurs enfants plus tôt. Mais un retour en arrière est impossible. Même si les patientes sont informées, elles n'ont pas toujours, j'y insiste, rencontré à temps l'homme avec qui faire un enfant. C'est leur liberté individuelle.

Pourquoi autoriser l'autoconservation ? Il y a l'égalité homme-femme. Il y a le fait que sur le plan médical, une grossesse avec ses propres ovocytes pose moins de problèmes qu'avec un don d'ovocytes. Et puis, comme les internautes l'ont exprimé au Comité consultatif national d'éthique (CCNE), si on ne l'autorise pas, on va pousser les femmes de quarante ans désespérées de n'avoir pas rencontré l'homme de leur vie ou leur « prince charmant », à faire un enfant seules, au risque d'augmenter le nombre des familles monoparentales involontaires, parce qu'elles se disent : c'est maintenant ou sinon je ne l'aurai jamais.

Bien sûr, il y a des arguments « contre », notamment l'inégalité sociétale, si c'est payant – le coût est d'environ 3 000 euros –, et les risques liés à la stimulation de l'ovulation et à la ponction. Ces derniers sont très faibles, inférieurs à 1 %. Je me permets de vous signaler que dans le cadre du don d'ovocytes, la France entière, dans le cadre de la loi, a jugé qu'on pouvait faire prendre ces risques à une donneuse pour le bénéfice de quelqu'un d'autre. Dès lors, on ne voit pas pourquoi on refuserait à une femme de prendre ces risques pour elle-même.

On met en garde contre le faux espoir que peut donner le recours à l'autoconservation. Est-ce que ce sont des « bébés au congélateur » ? Fort heureusement, non : ce ne sont que des ovocytes. Nous disposons aujourd'hui de données claires. En congelant dix ovocytes avant l'âge de 35 ans, les chances de naissance sont de 60 % ; après l'âge de 35 ans, elles sont de 30 %.

On évoque aussi l'encouragement qui serait apporté à des grossesses tardives. Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), que je représente, estime qu'idéalement, les femmes doivent reprendre leurs ovocytes avant l'âge de 40 ans et que, dûment informées des risques, elles peuvent le faire jusqu'à 50 ans. Pourquoi avoir rédigé une phrase un peu ambiguë ? Parce qu'en fixant un âge limite à 45 ans, on autoriserait l'autoconservation à une femme de 44 ans et neuf mois, obèse, hypertendue, diabétique, dont la grossesse serait très dangereuse, tandis qu'on la refuserait à une femme de 45 ans et un jour, « jeune », mince et en bonne santé. Nous avons donc décidé, à l'unanimité, de considérer que le retrait pour utilisation serait optimal avant 45 ans et possible entre 45 et 50 ans, si l'état de la femme le permet.

J'ajoute qu'un sondage réalisé au sein du Collège montre que 80 % des professionnels soutiennent la demande d'autoconservation. Nous pensons qu'il n'y a pas de raison de ne pas laisser les femmes libres de décider. Surtout – et je le dis à titre personnel – il est difficile à l'ère d'internet de ne voir que des frontières financières. Actuellement, tout autour de nous, l'autoconservation est possible.

Vous savez mieux que moi que si nul remet en cause des lois universelles comme « Tu ne tueras pas » ou « Tu ne voleras pas », une loi qui n'existe que d'un côté de la frontière, parfois fondée sur des croyances ou des idées religieuses discutables, pose question. On ne comprend donc plus la loi actuelle. L'Académie nationale de médecine a tranché en faveur de l'autoconservation, de même que le CCNE, dont j'ai été membre, et les professionnels.

Pour nous, il ne resterait plus que deux interrogations. Premièrement, en quoi la société est-elle concernée ? Elle l'est au regard d'une éventuelle prise en charge, mais nous pensons tous que l'on peut dissocier autorisation et prise en charge. Deuxièmement, et c'est la vraie question éthique, comment l'autoriser sans l'encourager ? Bien sûr, il vaut mieux que l'enfant ait des parents pas trop vieux, bien sûr il vaut mieux convaincre et expliquer. Nous voudrions que toutes les femmes soient informées. Cela ne signifierait en rien que toutes les femmes franchiraient le pas, puisque les dernières statistiques de l'Institut national d'études démographiques (INED) et de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) montrent que 78 % des femmes font leurs enfants avant 35 ans, en sorte que moins de 25 % seraient concernées.

Enfin, les professionnels de santé insistent sur le fait que la préservation n'est actuellement possible que dans un très petit nombre de centres autorisés par le SROS, dans le cadre de la préservation avant un traitement potentiellement stérilisant. Nous voudrions que l'autoconservation ovocytaire soit possible dans tous les centres d'AMP, actuellement au nombre de 102 selon les dernières données de l'Agence de la biomédecine (ABM), privés et publics, et que cela ne relève plus d'une autorisation, comme celle du SROS pour le cancer. Dans notre dernier sondage, 77 % des gynécologues se déclarent favorables à l'autoconservation dans tous les centres publics et privés, parce que nous n'en pouvons plus de voir les femmes sortir en larmes de nos bureaux ou aller à l'étranger, pour celles qui le peuvent. Il ne nous semble pas très conforme à la justice et au progrès que celles qui le peuvent le fassent et que celles qui ne le peuvent pas ne le fassent pas.

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Virginie Rio

Notre association de patients de l'AMP et de personnes infertiles et stériles regroupe en majorité des couples hétérosexuels âgés de 31 à 36 ans, ainsi que des femmes seules, des hommes et des femmes marqués par différentes infertilités et qui vivent des parcours d'AMP intraconjugaux ou avec don de gamètes, en France ou à l'étranger – des parcours d'ailleurs plus ou moins longs.

Notre projet associatif s'inscrit dans un champ large, qui s'étend de la prévention à la sensibilisation du grand public au sujet de la fertilité, de l'infertilité et de l'AMP, en passant par l'information, l'accompagnement et le soutien des personnes en parcours d'AMP, ainsi que de celles qui en sortent, avec ou sans enfant.

Nous nous investissons pour témoigner, informer et agir sur toutes les questions médicales liées aux infertilités et à l'AMP. Nous participons pour cela à des congrès médicaux, à des groupes de travail avec l'ABM et des professionnels de l'assistance médicale à la procréation. Nous essayons d'organiser tous les ans une semaine de sensibilisation sur l'infertilité. Nous accompagnons quotidiennement les personnes qui s'adressent à nous. Pour cela, nous proposons aussi des groupes de parole et de soutien dans différentes villes de France.

Nos actions concernant aussi les questions administratives et sociales, notamment les autorisations d'absence, qui permettent de mieux articuler les protocoles de soins avec les obligations professionnelles.

Nous menons également des actions culturelles et artistiques, afin de montrer à la société que l'infertilité n'est pas un tabou. Nous proposons des ateliers créatifs. Nous avons même organisé une exposition.

Pour nous, la révision de la loi de bioéthique est une formidable occasion de remettre à plat les quelque cinquante ans d'assistance médicale à la procréation en France. Je rappelle que la société française des débuts de l'assistance médicale à la procréation n'est plus du tout la même qu'aujourd'hui et n'est même plus la même que celle de la première loi de bioéthique, qui date d'il y a déjà vingt-quatre ans. Il en va de même des techniques médicales. Nous souhaitons que la loi de bioéthique gagne en cohérence et en pertinence sans contrevenir aux principes éthiques que sont la bienfaisance, l'autonomie, la non-malfaisance et la justice.

Pourtant, actuellement, le système médico-juridique de l'AMP induit des inégalités, maintient des discriminations, empêche l'amélioration de certains diagnostics et de certaines thérapeutiques. Il provoque aussi des tensions dans la société et surtout ne permet pas le respect de ces quatre grands principes pour nombre de nos concitoyens. C'est pourquoi, forts de notre expérience, nous souhaitons insister sur quatre points.

Premièrement, il est indispensable que la santé environnementale et la santé reproductive deviennent des sujets de premier plan dans notre pays et que la société comme les acteurs politiques en prennent pleinement conscience. Il importe de penser l'infertilité et l'assistance médicale à la procréation en termes de santé publique globale. Nous déplorons, avec le CCNE, le peu d'intérêt qu'a suscité le thème « santé et environnement » lors des États généraux de la bioéthique. Pour nous, c'est pourtant le point essentiel, car sans action en direction de la santé environnementale, la fertilité humaine n'ira pas bien loin, même avec une AMP plus performante. Pour nous, cela n'a pas de sens que de ne penser qu'à la solution « AMP » sans s'occuper des causes des infertilités. L'AMP est une chance incroyable pour les couples infertiles, mais c'est une chance que nous aimerions tous ne pas avoir à utiliser. Pour cela, il faut une prise de conscience et une mobilisation majeure autour des enjeux, sanitaires, démographiques et économiques, actuels et futurs, de la fertilité et de l'infertilité de l'AMP. C'est pourquoi nous demandons, avec notre partenaire le Réseau Environnement Santé (RES), une grande loi de santé environnementale pour 2019.

Deuxièmement, il faut absolument que l'assistance médicale à la procréation continue à s'inscrire dans les valeurs de solidarité nationale, de droits de l'homme, de respect des libertés humaines fondamentales, dont la santé sexuelle et reproductive fait partie au niveau mondial. Il faut absolument intensifier le respect de la dignité des hommes et des femmes qui ont recours à l'AMP et des enfants qui en sont issus. Nous tenons à rappeler que les enfants que nous avons du mal à avoir ont quand même des yeux et des oreilles, comme tous les autres enfants, et entendent tous les propos négatifs prononcés au sujet de l'assistance médicale à la procréation depuis ces dernières années.

Troisièmement, nous souhaitons affirmer que l'assistance médicale à la procréation doit rester dans le domaine de la santé. Pour nous, c'est une nécessité éthique absolue de maintenir l'AMP du côté du soin. Il faut la protéger des lois libérales du marché. Le domaine de la reproduction humaine ne doit pas devenir un nouveau marché à conquérir et à développer. Les personnes infertiles ne sont pas des cibles commerciales mais bien, comme l'indique l'Organisation mondiale de la santé (OMS), des patients ayant des libertés et des droits.

Quatrièmement, il faut recadrer et limiter les pratiques indignes et illégales qui ont toujours cours en France, comme le recours par défaut au don de spermatozoïdes en dehors de tout cadre sanitaire et juridique, la pression exercée sur les couples pour pallier le manque de dons, avec la pratique du don relationnel, les discriminations par l'argent qui persistent, l'inégalité dans l'accès aux soins en fonction du statut conjugal ou de la sexualité ou du phénotype.

Lors de notre audition au CCNE, nous avons sélectionné quatre thèmes à étudier et à faire évoluer. Nous ne reviendrons pas sur les éléments détaillés figurant dans les documents que nous vous avons remis, mais nous voulons rappeler ici les titres principaux, qui sont pour nous les points essentiels.

Il faut modifier la définition de l'AMP et les indications de recours à cette technique, actuellement prévues à l'article L. 2141-2 du code de la santé publique. Ouvrir cet article permettrait de moderniser la loi de bioéthique et de mettre en oeuvre les droits fondamentaux relatifs à la santé reproductive, de mettre fin aux discriminations et d'apporter plus de cohérence.

Il convient aussi de repenser la question du don de gamètes. Nous proposons la mise en place d'une commission regroupant tous les acteurs qui ont émergé via différentes associations, depuis une dizaine d'années, sans jamais travailler ensemble. Nous souhaitons évidemment que les professionnels soient associés à cette commission, parce qu'il faut absolument penser ensemble toutes les questions relatives au don de gamètes.

Concernant l'autorisation de l'autoconservation des ovocytes, c'est pour nous une nécessité. Elle doit s'inscrire dans un programme global de prévention de la fertilité, de nature à réaliser des économies financières, sociales et psychiques importantes. Cela permettrait aussi de réduire la pression exercée sur les donneuses d'ovocytes.

Pour notre association, il est vraiment temps de penser et d'agir différemment au sujet de la fertilité et de l'infertilité. Ces sujets ne doivent plus être traités comme une source de polémique idéologique ni vécues comme un tabou ou une honte. Nous demandons que tout soit mis en oeuvre pour qu'ils deviennent des sujets de santé publique de premier plan.

C'est à vous, Mesdames et Messieurs les députés, mais aussi aux sénateurs ainsi qu'au Gouvernement, de relever ce défi d'une révision de la loi de bioéthique à la hauteur des besoins et des attentes des professionnels, mais surtout des patients, une loi plus cohérente, notamment sur les questions environnementales actuelles, et qui fasse sortir l'assistance médicale à la procréation de la marge dans laquelle elle est maintenue. C'est un sujet complexe car il faut, dans le même temps, ouvrir les indications de l'AMP, améliorer les résultats des techniques actuelles et lutter contre l'augmentation du nombre des situations générant l'infertilité et la stérilité. Nous pensons qu'en regardant en face les problèmes sans parti pris idéologique, nous pouvons réussir cette évolution, car face à la fertilité humaine qui est menacée et au recours à la technique d'AMP qui augmente, la fuite en avant n'est plus possible.

Nous espérons que cette révision de la loi de bioéthique enclenche enfin une prise de conscience collective, parce que les alertes existent depuis bientôt soixante ans et sont encore plus anciennes que l'AMP en France. Il y a cinquante-six ans, Mme Rachel Carson, une biologiste, a écrit un livre qui alertait sur la santé reproductive des oiseaux. L'appel de Wingspread, qui a permis la première définition des perturbateurs endocriniens et évoqué leur impact sur la fertilité des mammifères, c'était il y a vingt-sept ans. L'étude danoise qui a mis en évidence une chute de la qualité et de la quantité du sperme humain date de vingt-six ans. La hausse du nombre de jeunes femmes en insuffisance ovarienne précoce, de celles atteintes du syndrome des ovaires polykystiques, d'endométriose et autres maladies qui impactent la fertilité, les 10 % de couples qui, aujourd'hui, sont atteints d'infertilité inexpliquée, les plus de 147 730 tentatives d'AMP qui ont été réalisées en France, tous ces éléments sont vécus par nos concitoyens.

En 2015, 3,1 % des enfants naissaient grâce à une assistance médicale à la procréation. Les chiffres sont stables, bien que l'INED ait prévu une augmentation, mais, depuis 2009, un peu plus de 2 % des enfants sont nés en France grâce à une technique d'AMP. En tant que parents, on s'en réjouit, mais en tant que personnes infertiles, on souhaite arrêter cette inflation. Trop de couples infertiles sont des lanceurs d'alerte qui s'ignorent mais qu'il faudrait pourtant écouter. Ils sont « invisibilisés » par les représentations sociales et les préjugés qui perdurent en France. Mais regardez autour de vous, allez dans les salles d'attente des gynécologues ou des centres d'AMP et vous les verrez, nombreux, bien trop nombreux. Nous les côtoyons au quotidien. N'omettons pas non plus tous les gens qui ne se savent pas encore infertiles, parce qu'ils ne sont pas encore dans le désir d'enfant. Pour nous, l'avenir de la santé reproductive et de la fertilité humaine se vit aujourd'hui, et c'est en 2019 que vous pourrez soit la moderniser, loin la maintenir dans ses incohérences et ses faiblesses. Les enjeux sont extraordinairement importants pour les enfants et les adultes d'aujourd'hui et pour la société française. Merci de nous donner la possibilité de le dire !

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Larissa Meyer

Je vous remercie de m'avoir invitée pour évoquer ces sujets au nom du Réseau Fertilité France, jeune association qui s'intéresse à la préservation de la fertilité, en particulier la fertilité ovarienne et, actuellement, aux sujets relatifs à l'autoconservation. Je m'efforcerai ne pas tenir des propos trop redondants avec ceux du docteur Belaisch Allart et d'apporter des éléments complémentaires.

Si l'âge de la première naissance recule et si des demandes de première naissance arrivent entre 35 et 40 ans, c'est moins le fait des seules femmes que celui d'un mouvement global qui concerne les hommes et les femmes, les femmes célibataires ou en couple, les couples entre eux, les couples qui se défont et se refont. C'est dû aussi, comme le remarquent les sociologues, à l'allongement de la durée de la vie qui fait qu'on n'est pas vieux plus longtemps, mais plus jeune à tous les âges de la vie, dont chacun dure plus longtemps. Il est donc cohérent que l'entrée en paternité et en maternité arrive plus tard et que le nombre des demandes de PMA augmente.

On dit que l'autoconservation des ovocytes risque de faire reculer l'âge de la première naissance, alors que c'est plutôt le recul de l'âge de la volonté de première naissance qui rend l'autoconservation nécessaire. D'autant que les femmes de la tranche d'âge de 35 à 45 ans concernées par ce recul sont déjà prises en charge par la PMA et qu'on leur propose de suivre le protocole actuel assez lourd, puisqu'il consiste, d'abord, en des inséminations par le sperme du conjoint accompagnées de stimulations ovariennes, puis en des fécondations in vitro, avant, en dernier recours, le don d'ovocytes. Les parcours peuvent prendre plusieurs années – jusqu'à cinq ou dix ans. Est-ce que ce ne sont pas les parcours d'aujourd'hui qui reculent l'âge de la première naissance ? Est-ce que toute mesure à même de les raccourcir ne serait pas un moyen d'amortir le recul de la première naissance plutôt que de l'encourager ? Nous considérons que permettre l'autoconservation à un âge opportun accélérerait la prise en charge par la PMA, procurant un bénéfice médical à la patiente qui subirait moins de traitements invasifs, moins de ponctions, moins de stimulations, pour une naissance qui arriverait plus vite et autoriserait, le cas échéant, une deuxième naissance. Par exemple, pour une femme qui fait un couple à 35 ou 36 ans, essaie pendant deux ans d'avoir un enfant, puis va consulter, on commence par pratiquer des stimulations pendant un an ou deux. Ensuite, il n'est pas exclu qu'elle soit mise en liste d'attente du don d'ovocytes vers 38, 39 ou 40 ans, pour être mère, si elle a de la chance, à 42 ou 43 ans, après un parcours de cinq à sept ans qui la conduit à renoncer à une deuxième naissance. Avec l'autoconservation, si le parcours est réduit à un ou deux ans et si la première naissance arrive vers 38 ans, on peut envisager une deuxième naissance et, de fait, un meilleur rapport coût-bénéfice-risque : coût médical, temps investi, risque pour la santé, mais également coût financier pour l'assurance maladie.

Au regard de l'efficience thérapeutique et de l'efficacité, l'autoconservation ne me pose aucune question éthique, d'une part parce que la technique est déjà autorisée, pratiquée sur la donneuse et validée sur le plan éthique, et d'autre part parce que l'autoconservation n'est rien d'autre qu'un don d'ovocytes pour soi-même, c'est-à-dire une technique de prévention de l'infertilité liée à l'âge. On entend dire souvent qu'il s'agit d'une mesure de convenance personnelle, mais en modifiant l'angle du regard sur le sujet, on réalise que c'est une technique de médecine préventive capable d'entrer dans la boîte à outils des gynécologues français qui font de la PMA, sans bouleverser en rien les modalités d'encadrement de la PMA.

J'évoquerai aussi le rapport entre l'autoconservation et le don d'ovocytes. Aujourd'hui, notre banque est déficitaire et l'attente des patients peut atteindre quatre ans. L'autoconservation est de nature à soulager la banque d'ovocytes, puisque nous savons qu'une bonne partie des patientes qui ont recours au don d'ovocytes ont une infertilité ovarienne liée à l'âge. On peut espérer que les patientes ayant autoconservé leurs propres ovocytes pourront les utiliser ou, à tout le moins, seront moins nombreuses à recourir à la banque. On peut aussi imaginer que les patientes ayant des ovocytes excédentaires, soit qu'elles n'aient pas entièrement utilisé leur réserve, soit qu'elles aient changé de projet ou aient pu avoir un enfant différemment, les donneraient à la banque. Dans l'ensemble, les femmes sont conscientes du caractère précieux des ovocytes prélevés. Dans d'autres pays, il leur est proposé de les donner à la banque ou à la recherche, et très peu de femmes les détruisent. Nous aurions un effet bénéfique sur notre banque d'ovocytes, aussi bien en soulageant la demande qu'en augmentant l'offre, par un don d'ovocytes très éthique dans la mesure où la patiente donnerait des ovocytes déjà prélevés et n'aurait pas à se soumettre au protocole de ponctions, comme on le fait actuellement pour les donneuses qui doivent donner plus que leurs ovocytes, à savoir de leur temps et du risque. Le don serait entièrement gratuit, comme le don de sperme, puisqu'il ne serait soumis à aucune autorisation, et sans risque. On obtiendrait un effet « dominos » sur la prise en charge en PMA globale, avec plus d'outils pour les gynécologues et une plus grande efficience pour les femmes qui autoconservent comme pour toutes les autres femmes en attente d'un don d'ovocytes, et via la recherche sur tout un système de PMA.

Je voudrais également souligner l'intérêt de la mise en place d'un plan global de lutte contre l'infertilité et d'un programme de consultation préventive pour tous. À l'image des consultations de prévention prévues par l'assurance maladie pour le bilan bucco-dentaire à l'âge de 6 ans, « M'T Dents », on pourrait imaginer une consultation entre 25 et 30 ans, non seulement pour les femmes, mais aussi pour expliquer aux jeunes gens la réalité de leur vie génésique, l'évolution dans le temps de la fertilité ovarienne, les techniques de prévention existantes et les meilleurs âges pour les mettre en place, afin d'éviter les surprises. On constate que beaucoup de femmes ne sont pas assez informées. Quand elles reçoivent l'information, il est souvent trop tard et des comportements de panique peuvent induire des risques. Certaines se rendent à l'étranger en catastrophe pour aucun résultat. La consultation serait proposée systématiquement, les gens restant libres d'y aller ou pas, mais ils pourraient anticiper, prévoir leur vie génésique sans pression, avec un accompagnement le plus respectueux possible des patients et de leurs bénéfices.

J'évoquerai enfin l'âge. On demande souvent à quel âge conserver les ovocytes et jusqu'à quel âge les utiliser. Je m'en suis entretenue avec un médecin belge. Les dernières études montrent que jusqu'à 35 ans, on obtient à peu près le même taux de naissances par cycle. Avec les ovocytes prélevés sur un cycle, on a à peu près les mêmes chances d'aboutir à une naissance, en sachant que plus on avance en âge, plus la qualité des ovocytes baisse. Non seulement le taux de réussite pour chaque ovocyte baisse mais le nombre d'ovocytes prélevés à chaque ponction diminue, et il convient de prendre en compte ces deux données pour calculer le rapport bénéfice risque pour les patientes.

Ce médecin me disait : lorsqu'une patiente de 30 ans me consulte, je ne refuse pas l'autoconservation, parce que je sais que plus la patiente est jeune, plus le rapport bénéfice risque est médicalement intéressant pour elle, car moins on aura besoin de la stimuler et plus vite on disposera du stock nécessaire. Je ne l'incite pas non plus à le faire, car je sais aussi qu'à 30 ans ou avant, le risque est grand qu'elle ne réutilise pas ses ovocytes, puisque, entre 30 et 35 ans, nombre de femmes célibataires trouvent un conjoint et ont des enfants sans PMA. Mais à partir de 35 ans, voire 33 ou 34 ans, quand une femme célibataire ou qui vient de rompre est sûre de vouloir des enfants, le besoin de recourir ultérieurement une PMA pour une deuxième grossesse ou même pour une première est grand. En ce cas, je conseille fortement l'autoconservation puisque, même si elle n'est pas utilisée pour la première grossesse, elle pourra l'être pour une deuxième, et une PMA sera bien plus efficace avec les ovocytes prélevés à 34 ans qu'avec ceux qui seront les siens après qu'elle aura formé un nouveau couple vers 38 ou 39 ans. Pour la tranche d'âge supérieure, au-delà de 37 ou 38 ans, du point de vue scientifique, le rapport bénéfice risque de l'autoconservation est moins bon mais reste correct. Même s'il n'est que de 30 % ou 40 % à 37 ans, avec 20 ovocytes, une récente étude montre 75 % de taux de naissances cumulatif.

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Joëlle Belaisch Allart

C'est discutable !

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Larissa Meyer

Il s'agit de l'étude figurant dans le document que j'ai fourni, l'étude de Goldman, qui date de l'année dernière

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Joëlle Belaisch Allart

C'est un algorithme qui donne le taux de succès en fonction du nombre d'ovocytes et de l'âge.

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Larissa Meyer

Ce tableau montre que, pour les femmes âgées de 37 ans, avec 20 ovocytes, on obtient un taux de naissances de 75 % cumulatif, en sachant qu'à 37 ans, pour obtenir 20 ovocytes, plusieurs stimulations sont nécessaires.

Ce médecin considère donc que, passé le meilleur âge, du point de vue éthique, il ne peut refuser, puisqu'il y a encore un bénéfice, même s'il est plus faible. Il ne refuse pas pour les jeunes, puisque c'est médicalement le mieux pour elles, il ne peut pas refuser sur le plan éthique pour les personnes plus âgées, puisqu'il y a encore un bénéfice. Certes, au-delà de 40 ou 42 ans, quand les chances sont infimes, il ne fait plus, mais dans la tranche 35-40 ans, il n'y a non plus d'exclusion de patientes.

Il ne me semble pas opportun de fixer ni un plancher ni un plafond à l'autorisation d'autoconservation, puisque le rapport bénéfice risque doit être calculé individuellement en fonction de critères médicaux et de critères sociologiques. Pourquoi refuserait-on à une jeune femme de 25 ans, désireuse de faire dix, douze ou quinze ans d'études, de conserver des ovocytes, alors que c'est médicalement le meilleur moment pour elle ?

Enfin, comme le disait le docteur Belaisch Allart, on ne saurait lier financement et autorisation. Il existe nombre de techniques médicales autorisées et non financées. Je pense à l'orthodontie de l'adulte, qui n'est pas prise en charge et qui n'est pas interdite. Le mieux serait une prise en charge à 100 % par la collectivité, mais en cas de blocage sur ce point, on peut envisager que les patientes participent pour partie aux frais de congélation, quitte à les rembourser ultérieurement si les ovocytes vont au don, ou de proposer aux femmes une prise en charge si elles acceptent que les ovocytes excédentaires aillent au don. Ou encore, si on veut approfondir la question du financement, on pourrait mettre tous les coûts de la PMA sur la table et mesurer quels bénéfices peuvent être réalisés en termes d'économie de santé sur les PMA suivantes. Si des ovocytes préconservés permettent d'éviter des stimulations, des FIV, des coûts de laboratoire, il est possible que la balance ne soit pas déficitaire et que la conservation soit compensée par ces économies, ou par d'autres à réaliser sur l'amélioration des techniques d'AMP, notamment le diagnostic, pour éviter d'implanter des embryons non viables. Si on rend l'AMP plus efficiente dans l'intérêt des patientes, le bénéfice économique pourrait permettre de couvrir le coût de cet outil médical mis à disposition des gynécologues.

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Merci, mesdames. Je propose que nous poursuivions notre échange par des questions et des réponses.

Vous avez fait état de la nécessité d'un plan de lutte contre l'infertilité, notamment l'infertilité masculine, qui est aussi une importante préoccupation, donc de faire de l'infertilité, avez-vous dit, « une question prioritaire de santé publique ». Nous en sommes d'accord. Mais, concrètement, avez-vous des actions à proposer ?

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Virginie Rio

Il s'agit de systématiser la prévention et l'information des jeunes générations, notamment les lycéens et les étudiants, au sujet de la fertilité humaine, de sa fragilité, de sa durée limitée pour les femmes et de l'impact de nos conditions de vie et des perturbateurs endocriniens sur nos fertilités.

Il s'agit ensuite de permettre aux gens de faire un bilan de leur fertilité. Une fois informés, ils peuvent faire des choix. Quelqu'un en couple pourra ainsi envisager de faire un enfant prochainement et quelqu'un qui n'est pas en couple pourra envisager d'être en couple. L'information permet le choix et la décision.

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Joëlle Belaisch Allart

Je voudrais revenir sur votre dernière question. Comme de nombreux médecins, nous considérons que le bilan d'infertilité est une fausse bonne idée. Certes, il a été fortement recommandé, par une personne. C'est une bonne idée, parce que c'est le moment de parler et de vérifier. Or, j'estime qu'avant les pesticides et l'environnement, le tabac et l'obésité sont les deux facteurs contre lesquels il faut d'abord lutter pour protéger la fertilité. C'est une fausse bonne idée, car nous savons que le premier marqueur de fertilité, surtout chez la femme, c'est l'âge. Il est donc inutile d'inciter la femme à aller en consultation. On lui fera des dosages de réserve ovarienne qui l'alarmeront pour rien, parce qu'il est prouvé que ces marqueurs, en dehors de la fertilité, n'ont aucune valeur pour une femme qui ne désire pas un enfant. C'est donc une fausse bonne idée de prévoir une consultation d'infertilité pour tous.

Il y a tout de même une bonne idée, qui est d'informer beaucoup plus tôt, dans les lycées, à la fac. Les journaux féminins jouent bien le jeu. J'ai été interviewée par tous les journaux féminins, mais je ne l'ai jamais été ni par L'Équipe, ni par un journal de voitures, ni par un journal d'avions, ni par quelque média « masculin » que ce soit. Le message que la fertilité de la femme chute avec l'âge n'est pas connu des hommes, et le message que la fertilité des hommes chute aussi avec l'âge est encore moins connu d'eux. La première information à faire passer aux hommes, c'est la chute de la fertilité avec l'âge de la femme et de l'homme. Si on obtient ça, ce sera déjà beaucoup mieux que d'organiser une consultation à 35 ans pour tout le monde et d'analyser un marqueur de la réserve ovarienne qui, certes, enrichira les laboratoires mais n'apportera rien et paniquera inutilement les jeunes femmes.

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À âge égal, il y a aussi une chute de la fertilité aujourd'hui par rapport au passé. L'âge n'est pas le seul facteur de l'infertilité.

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À ce sujet, existe-t-il un plan d'action ou de recherches ?

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Joëlle Belaisch Allart

J'ai peut-être mal compris votre phrase, mais vous avez dit « à âge égal ». Est-ce à dire qu'une femme des années 2018 serait moins fertile à 35 ans ?

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Un homme ! Ma question portait sur la fertilité masculine.

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Joëlle Belaisch Allart

En ce cas, oui, mais pour la femme, non. Bien que, pour de multiples raisons, les spermatozoïdes soient plus fragiles que les ovocytes, on peut s'interroger sur la baisse de la fertilité masculine. En tout cas, nous savons que l'un des deux premiers facteurs d'infertilité contre lesquels on pourrait lutter avant d'évoquer l'environnement est le tabac. Selon une enquête parue dans les hôpitaux, tout le monde connaît le cancer du poumon mais très peu savent que le tabac avance l'âge de la ménopause et favorise les fausses couches – le tabagisme du père favorise lui aussi les fausses couches. Une information à ce sujet me semble indispensable. Le second facteur est l'obésité, qui perturbe le sperme et qui perturbe aussi la femme. Or il y a de plus en plus d'hommes obèses.

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Je dirai, sous forme de boutade, qu'il ne faut peut-être pas trop le dire à certains hommes, qui se mettraient à fumer encore plus à titre contraceptif !

Je voudrais d'abord me réjouir de vous retrouver toutes les quatre réunies pour guider notre réflexion. Dans le passé, on a trop souvent engagé des réflexions professionnelles masculines, sans doute pas inutiles, mais il n'y aurait aucun sens que les femmes ne soient pas au premier plan de la réflexion. Nous nous réjouissons aujourd'hui que vous nous apportiez vos compétences et vos impressions sur l'état actuel de notre société sur ce sujet et sur ce vers quoi nous devons évoluer dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique.

Vous avez cité l'augmentation de l'âge moyen des grossesses. Il est aujourd'hui de 31 ans. Pour le premier enfant, il est passé à 29 ans, en augmentation de 5 ans en à peine plus de trois décennies, alors que l'âge moyen du maximum de fertilité est bien inférieur. Désormais, le premier enfant est conçu au moment où le taux de fertilité est déjà en chute significative. Le phénomène s'amplifie parce que l'on voit reculer encore l'âge de la première grossesse. Il est donc nécessaire de réagir. D'évidence, l'éducation est indispensable pour les jeunes filles mais aussi pour les jeunes garçons. Ils doivent être, les uns et les autres, conscients de l'horloge biologique, singulièrement de l'horloge biologique féminine qui, curieusement, reste méconnue. Aujourd'hui encore, beaucoup de femmes, et plus d'hommes encore, croient que la fertilité féminine reste constante jusqu'à la ménopause, moment où elle chuterait brutalement. L'éducation est donc indispensable. Comment impulser une forte action éducative ?

Curieusement, assez peu d'études sont réalisées en France en comparaison des pays anglo-saxons. D'ailleurs, vous nous avez fourni un article rédigé par des auteurs internationaux publié dans la revue Human Reproduction, où on lit notamment : « Message must remain that woman best chances of having a healthy child are through natural reproduction at relatively early age », c'est-à-dire « la meilleure chance d'avoir un enfant en bonne santé est de le concevoir à un âge relativement précoce ». Il suffirait de faire connaître cette phrase à tout le monde. On ne le sait pas, parce qu'il existe des obstacles dans l'Éducation nationale, dans les familles, au sein de la société et sur les réseaux sociaux.

La première cause est l'efficacité de la contraception, que nous appelons pourtant tous de nos voeux. Sans contraception efficace, davantage d'enfants naîtraient de femmes beaucoup plus jeunes. Dès lors qu'elle existe, la tentation naturelle, non seulement pour la femme mais aussi pour le couple, est d'attendre, pour avoir un enfant, que la vie professionnelle, la vie familiale, les conditions de logement, et plus encore le couple, soient stabilisés. C'est souvent un facteur majeur. À notre siècle, les femmes entre 25 et 30 ans sont nombreuses à ne pas vivre encore en couple stable. Tant que les femmes ne sont pas assurées d'avoir trouvé le « prince charmant », elles ne font pas d'enfant. Il faut en prendre conscience. Nous avons un devoir d'éducation que nous ne savons pas encore bien remplir. Donnez-nous des idées.

Il faut aussi dire aux jeunes femmes que tout ce qui est mis en avant, c'est-à-dire la vitrification, la PMA avec ovocytes autoconservés, la possibilité de faire don des ovocytes autoconservés lorsqu'il n'y a plus de projet d'enfant, n'est pas simple. Pour beaucoup de femmes, c'est le parcours du combattant. La stimulation ovarienne, la vitrification des ovocytes, les PMA répétées parfois suivies d'échec avec leurs impacts psychologiques : les gens les découvrent après. En tant que médecin, de nombreuses femmes m'ont parlé a posteriori de leurs déboires en ces termes : « Je ne savais pas que c'était si compliqué, pourquoi cela ne marche-t-il pas à tous les coups ? » Il aurait mieux valu qu'elles l'apprennent et en soient conscientes très tôt pour concevoir leur projet de vie. Cela étant, tout en faisant cette éducation, nous devons respecter la liberté de choix. C'est dans cet esprit que nous essayons de réfléchir avec vous.

Vous évoquez une grande loi pour la santé et l'environnement. Nous l'appelons tous de nos voeux, mais je ne suis pas sûr qu'elle arrivera en 2018, ni même en 2019. Mais demandons-nous d'ores et déjà : qu'est-ce qui est urgentissime ? Certes, essayons d'exclure de nos champs et de notre environnement tous les produits tératogènes et cancérigènes, mais avant l'adoption d'une grande loi, essayons d'impulser la disparition des perturbateurs endocriniens, de lutter plus efficacement contre le tabac et de promouvoir une bonne nutrition et l'exercice physique.

Les hommes refusent de parler de la chute de la fertilité masculine. Tous les journaux féminins en parlent, aucun journal masculin ne le fait. On y voit des femmes assises sur des motos ou sur des voitures, mais on ne parle pas de ces sujets fondamentaux. Mais même si les hommes n'en parlent pas, et peut-être précisément parce qu'ils n'en parlent pas, ils sont très perturbés. L'infertilité est vécue douloureusement par beaucoup d'hommes comme une atteinte à leur honneur. C'est la raison, dans le passé, du secret sur les dons de sperme. Il s'agissait de préserver l'image sociale d'hommes fertiles. Il faut vaincre ces barrières. Donnez-nous des idées pour lancer des campagnes. Vous pouvez être fers de lance pour éduquer la population.

Troisièmement, la recherche est indispensable. La PMA a beaucoup progressé. Grâce à la vitrification, elle est presque aussi efficace avec des ovocytes congelés qu'avec des ovocytes frais, sauf qu'avec des ovocytes frais, le taux reste faible et augmente peu. Il faut développer la recherche scientifique, lui insuffler une dynamique nouvelle pour retrouver une meilleure fertilité et réaliser des études en sciences humaines. Les enfants nés d'ovocytes autoconservés sont très peu suivis en France. Il y a moins d'appétence sur ce sujet chez nos responsables des programmes de recherche, moins de thèses en sciences humaines, que dans les pays anglo-saxons. Il faut réduire ce déficit. Sans recherche universitaire ou par les organismes spécialisés, nous en resterons aux idées du XXe siècle. Il faut prévoir, peut-être pas dans la loi mais dans les textes réglementaires, la réalisation d'études prospectives sur l'évolution des enfants et des mères, car quelle que soit la réflexion que nous conduirons ou les auditions que nous réaliserons, notre loi ne sera pas parfaite. Ce sera un travail humain à améliorer. Engager une évaluation prospective dès le début permettra d'identifier les problèmes et d'apporter des corrections autant pour les enfants que pour les mères.

Pour conclure, quelles limites d'âge minimum et maximum proposeriez-vous ?

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Larissa Meyer

S'agissant des techniques capables d'améliorer le taux de succès de l'AMP, notamment la FIV, le diagnostic préimplantatoire (DPI) avec recherche d'aneuploïdies permet d'identifier les embryons manquant de chromosomes ou comportant une erreur et qui, non viables, ne pourraient s'implanter ou provoqueraient une fausse couche. Son interdiction en France explique en partie nos taux d'échec mais pose aussi des questions éthiques. Est-il éthique d'implanter des embryons non viables et de faire subir aux femmes fausses couches et stimulations pour rien, provoquant perte de temps, effets psychologiques sur la femme et sur le couple, alors qu'on sait scientifiquement n'implanter que des embryons viables ? Cet outil permettrait d'augmenter l'efficience de l'AMP.

Comme je l'indiquais auparavant, du point de vue scientifique, il n'y a pas d'âge minimum pour l'autoconservation. Si l'âge est précoce, le risque de non-utilisation des ovocytes est grand, mais le plus tôt est le mieux quand on est sûre de la nécessité d'autoconserver. Il ne semble donc pas opportun de fixer un âge minimum. Peut-être pourrait-il être de 25 ans, mais cela n'aurait pas de sens sur le plan médical. Quant à l'âge maximum, à partir de 35 ans, on constate une chute des taux de réussite et de la qualité des ovocytes. Pour autant, même si les chances sont de 30 %, cela représente néanmoins une femme sur trois. Les limites de l'autoconservation sont déjà fixées par l'assurance maladie qui ne prend plus en charge l'AMP à partir de 43 ans à cause du faible taux de réussite. De toute façon, l'âge maximum sera posé de fait par les praticiens et les cliniques. Nous ne voyons donc pas de raison de fixer un âge maximum dans la loi, d'autant qu'il existe un facteur de risque individuel à définir médicalement.

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Après un certain âge, la grossesse peut comporter des risques déraisonnables. Jusqu'à quel âge peut-on consentir de soutenir avec les remboursements appropriés une grossesse chez une femme ayant conservé des ovocytes beaucoup plus jeunes ?

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Larissa Meyer

Il y a aussi l'âge auquel nous refusons les donneuses. Nous pourrions continuer de conserver les ovocytes tout en refusant la prise en charge, compte tenu de la baisse des taux de réussite, mais au-delà de 40 ans, voire 38 ans, il n'y a plus de conservation. Il n'y a pas de délai au-delà duquel les ovocytes ne seraient plus utilisables, pas de date de péremption. Beaucoup de pays les conservent pendant dix ans. Le recul est insuffisant car la technique est récente mais a priori il n'y aurait pas de limite technique de conservation. Pour des patientes très jeunes, des adolescentes pour qui on conserve des tissus ovariens, nous savons qu'ils seront conservés pendant plus de dix ans.

Les autres critères concernent la grossesse et doivent être pris en compte selon les facteurs de risque de chaque personne. Une femme de 45 ans pourrait voir sa grossesse contre-indiquée alors qu'une femme plus âgée pourrait mener une grossesse avec un risque modéré. Il y a des pays comme la Belgique où elle n'est plus pratiquée après 45 ans et d'autres, comme l'Espagne, où elle l'est jusqu'à 50 ans et la ménopause. L'autorisation est donnée individuellement pour des raisons médicales mais aucune limite légale n'est fixée. La prise en charge de la sécurité sociale s'arrêtera à l'âge où elle s'arrête déjà. Mais on peut très bien considérer que ce n'est pas parce que ce n'est plus pris en charge que ça doit être interdit aux femmes ayant dépassé l'âge de 43 ans.

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Joëlle Belaisch Allart

S'agissant du diagnostic préimplantatoire visant à ne replacer que les bons embryons, les résultats scientifiques sont discutés, parce que l'embryon est fragilisé et des études montrent que cela n'améliore guère le taux de grossesses – on améliore le taux de grossesses par transfert, mais pas le taux de grossesses par ponction. Surtout, on ne fait aucune économie, puisqu'il faut bien faire la FIV et toutes les analyses génétiques nécessaires. On ne transfère pas les embryons anormaux, donc, c'est une avancée. Un peu envieuse, je demandais récemment à mon confrère Pédro Bari, qui en dispose à Barcelone, s'il y recourait pour toutes les femmes de 40 ans. Il m'a répondu : « Bien sûr que non ! Non seulement c'est cher, mais vous savez aussi bien que moi que cela n'augmente guère le taux de grossesses, et que cela ne l'augmente même pas du tout si l'on raisonne par ponction. » C'est une avancée, on se bat pour l'avoir, mais ce n'est pas la panacée.

Monsieur Touraine, j'adhère à tout ce que vous avez dit. Vous avez posé les bonnes questions. Pour lutter contre certains effets, il faut en connaître les causes. Il y a trois causes au désir tardif d'enfant.

La première est celle, évidente, que vous avez citée : la meilleure maîtrise de la contraception et la carrière professionnelle, qui sont des avancées.

La deuxième cause, dont l'évidence émerge désormais, est le déni de la chute de la fertilité avec l'âge. Je ne voulais pas trop vous charger en articles, d'autant qu'ils sont le plus souvent anglo-saxons, mais des enquêtes réalisées auprès de sages-femmes en France et d'autres auprès d'étudiants américains en médecine révèlent un déni de la chute de la fertilité avec l'âge et une confiance excessive dans l'AMP. On dit : « ce n'est pas grave, je ferai une FIV ». Comme l'a dit M. Henri Leridon, la FIV n'est pas la baguette magique qui rajeunit les ovaires. La baguette magique, c'est le don d'ovocytes ou l'autoconservation.

Une autre cause, non plus émergente mais actuelle, apparaît également dans toutes les études, elles aussi anglo-saxonnes, australiennes et américaines. Quand on demande aux femmes pourquoi elles ont fait une autoconservation, elles répondent à 80 %, 85 % ou 86 % selon les études, qu'elles n'avaient pas rencontré le partenaire avec qui faire un enfant. Donc, la cause la plus actuelle, c'est quand même l'homme. C'est une nouveauté. Le recours à l'autoconservation procède moins de la volonté de femmes carriéristes de reporter l'âge de la grossesse que du fait de n'avoir pas trouvé celui avec qui faire un enfant. C'est sur ce point qu'il faudrait le plus lutter.

Ensuite, nous ne demandons pas mieux que de faire plus de travaux. En France, la FIV rapporte moins de 3 000 euros à un hôpital. Je travaille dans un hôpital public dont le directeur voudrait fermer mon service de FIV pour manque de rentabilité. Je lui réponds que j'ai la chance de travailler aussi pour l'Agence de la biomédecine et que les dosages et les échographies réalisés sur place sont rentables. Il veut fermer mon bloc opératoire parce que mes ponctions embêtent les anesthésistes et il m'invite à les faire sans anesthésie. Je refuse car un certain nombre de femmes la réclament. Nous sommes donc tout à fait d'accord pour faire des choses, mais il faut rendre un peu de moyens à l'assistance médicale à la procréation en France.

Je suis attachée au terme d'AMP, qui est celui de la loi, et non à celui de PMA. L'AMP, c'est l'assistance médicale à la procréation, ce que je fais au quotidien ; la PMA, c'est la procréation médicalement assistée, avec la connotation négative qui s'y attache. Je sais bien que tout le monde parle de PMA, parce que les journalistes ont créé le terme. Je vous invite à lire le dernier rapport du Conseil de l'Ordre, qui est très favorable à l'extension de la pratique. Son titre contient le terme AMP, mais le texte emploie celui de PMA, ce qui est catastrophique.

En ce qui concerne l'âge limite, faire une autoconservation à une femme de plus de 38 ans, voire à 40 ans, surtout si sa réserve ovarienne est basse, c'est donner de faux espoirs. Trop jeune, ce n'est pas bien non plus. 78 % des femmes font leur premier enfant avant 35 ans. L'autoconservation est un processus lourd. Ce n'est peut-être pas la peine de le faire pour une femme de 25 ans. En tout cas, si mon centre est autorisé à le faire en 2019, ce que j'espère, grâce à vous, je tenterai d'expliquer qu'à 25 ans on a toutes les chances de rencontrer l'homme de sa vie ou le « prince charmant », celui avec qui on a vraiment envie de faire un enfant. Je ne trouverais pas bien de le faire à 25 ans, mais je ne le ferais pas non plus à une femme de 38 ans qui n'aurait aucune chance.

Quant à l'âge auquel reprendre des ovocytes, c'est une vraie question. Au Collège national des gynécologues et obstétriciens français, j'ai présidé un groupe de travail sur l'autoconservation. Dans notre communiqué, nous avons dit que l'âge optimal pour reprendre des ovocytes et avoir une grossesse, c'était avant 45 ans. Comme rapporteure, je voulais qu'on s'arrête là, étant donné que les risques des grossesses augmentent après 38 ans, après 40 ans, 43 ans, et que l'âge de 45 ans est vraiment un cap au-delà duquel les grossesses deviennent à haut risque, non en raison des problèmes liés à l'ovocyte – jeune, il est à l'abri des anomalies chromosomiques –, mais à cause de ceux liés au vieillissement de l'utérus et du système vasculaire. Cela étant, le professeur Gérard Lévy, qui préside notre comité national consultatif d'éthique, nous a empêchés d'écrire « 45 ans », en arguant du fait qu'il serait aberrant de le refuser à une femme âgée de 45 ans et un jour, normotendue, mince, « jeune », au bilan métabolique parfait, et de l'autoriser à une femme de 44 ans et neuf mois obèse, diabétique et hypertendue. Il a convaincu l'ensemble des membres du conseil d'administration du Collège, et nous avons écrit : « optimal avant 45 ans, possible entre 45 et 50 ans, si l'état de santé de la femme le permet et si elle dûment informée des risques, tant pour elle que pour l'enfant ».

Enfin, vous avez raison de noter le manque de recul. Si une étude montre qu'à la naissance, les enfants issus d'une vitrification ovocytaire vont bien, nous ne savons rien pour ceux âgés de 20 ans, la technique ayant été développée dans le monde depuis les années 2000 et autorisée en France en 2011. Les seules études utilisables sont celles effectuées sur les enfants nés de pères âgés de 60 ou de 70 ans, mais cela n'a rien à voir. Nous ne pouvons pas savoir si les problèmes physiques et psychiques de ces enfants résultent de la génétique ou du fait de vivre dans un vieil environnement. Si le vieil environnement est en cause, il en sera de même avec une femme âgée, mais à des échelles différentes : 45 ans, contre 60 à 70 ans. Pour ce qui est de l'environnement génétique, c'est différent puisque l'ovocyte aura été préalablement conservé.

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Virginie Rio

Vous souhaitez que les gens soient informés, mais la société dans son ensemble doit prendre conscience de la situation. Quand vous annoncez une grossesse à votre employeur, c'est déjà un problème. Des femmes sont encore en difficulté du seul fait d'être enceinte. Au regard de la PMA, nous relevons un manque de bienveillance de la société dans son ensemble, notamment du milieu professionnel : entreprises, patrons, collègues de travail. Il est encore compliqué de dire « Je suis enceinte », et encore plus compliqué de dire « Désireuse d'être enceinte, je suis en parcours de PMA ». En 2016, nous avions obtenu que ces femmes puissent bénéficier d'autorisations d'absence et nous voudrions faire un bilan. Encore aujourd'hui, des femmes nous informent que leur patron leur refuse le droit aux autorisations d'absence car le code du travail ne leur est pas applicable. D'autres menacent de licencier les employées qui demandent une autorisation d'absence pour protocole de soins.

Nous vivons dans une société qui doit faire preuve de plus de bienveillance afin de mieux imbriquer vie privée et vie professionnelle. Un salarié bien considéré, bien accompagné, respecté sera plus efficace qu'un salarié contraint de cacher, de mentir ou empêché de faire une FIV à cause de la pression professionnelle.

Il est urgent de mettre en oeuvre une grande loi de santé environnementale, car les alertes existent depuis au moins trois générations. Dès les années 1960, les scientifiques alertaient sur les oiseaux ou les crocodiles. On peut facilement quantifier la baisse de la qualité du sperme, parce qu'il est accessible. Chez une femme, on peut moins quantifier l'évolution de la fertilité, d'autant que cela a moins intéressé les chercheurs, mais nous constatons que de plus en plus de jeunes femmes sont atteintes d'insuffisance ovarienne précoce, de syndrome des ovaires polykystiques ou d'endométriose. Ces maladies féminines qui impactent la fertilité s'expliquent en partie par les conditions de vie, l'obésité, les facteurs environnementaux. Cela touche aussi les enfants, avec, chez les petites filles, l'augmentation des pubertés précoces, et, chez les petits garçons, l'augmentation de l'hypospadias ou de la cryptorchidie, maladies liées aux perturbations endocriniennes. Certes, on ne peut tout faire en même temps, mais sans la base qu'est la sécurité sanitaire environnementale, à quoi bon améliorer les techniques d'AMP ? L'AMP est difficile car elle manque d'efficacité et parce que l'ordre des choses n'est pas de faire des enfants par la technique médicale mais avec son conjoint de façon traditionnelle. Une étude publiée en 2015 par des chercheurs européens et américains concluait que le coût de la lutte globale contre les perturbateurs endocriniens représentait 1,2 % du PIB de l'Union européenne, soit plus de 157 milliards d'euros. Pour nous, il est urgent de travailler sur les questions environnementales, faute de quoi le reste n'aurait guère de sens.

Quant à l'information, nous demandons l'identification et la caractérisation, via un étiquetage adapté, des produits nocifs pour la fertilité, l'information du grand public sur les substances toxiques et leur impact sur la santé, la mise en place de mesures pour limiter ou interdire certains produits nocifs, la mise en place d'actions de recherche. L'État réalise des campagnes de prévention du tabagisme et des maladies cardio-vasculaires. Pourquoi ne pas faire de la prévention sur les questions environnementales et leur impact sur la fertilité ? Inscrire la question de la fertilité et de l'infertilité dans une exigence de santé publique nous semble être urgent pour aujourd'hui et pour demain. Pour après-demain, ce sera un peu plus compliqué. Le ministère de la santé est en mesure d'organiser des campagnes d'information nationales, s'il y a une prise de conscience. C'est pourquoi nous avons insisté dans notre présentation sur cette prise de conscience globale du personnel politique, de la société, du grand public, parce que les personnes infertiles sont de plus en plus présentes. Les gens qui s'adressent à notre association ont entre 31 et 36 ans. Ce sont des couples hétérosexuels lambda impactés dans leur fertilité, aujourd'hui.

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En France, on a toujours des difficultés à faire de la prévention. Si le plan Santé contient des axes forts, dont la consultation à 25 ans, celle-ci est davantage ciblée sur les femmes que sur les hommes.

On a toujours du mal à intéresser la population tant qu'elle n'est pas concernée. Vous invitiez à réaliser un bilan de fertilité, mais à quel âge et pourquoi ? Est-ce utile si vous avez 15 ans et ne vous sentez pas concerné par votre sexualité ? Dès lors, il est difficile de trouver les bons angles de prévention. Des campagnes ont été lancées contre le tabac et l'alcool. De telles campagnes doivent être bien faites, très ciblées et pas négatives. Toutes les campagnes sur l'environnement sont culpabilisantes. Demain était le seul film positif. Pour que les gens se sentent concernés, il faut les interpeller au bon moment, avec des arguments positifs et au plus proche de la période où ils sont concernés. Il conviendrait ainsi de diffuser une information dans les collèges et les lycées avec un vocabulaire adapté.

S'agissant de la systématisation du don d'ovocytes, quelles sont vos préconisations ? À 20 ou 25 ans, on ne sait pas si on sera fertile ou infertile cinq ou dix ans plus tard. Qui peut le faire ? Quand ? Pour quoi faire ? Donner pour soi est une chose, donner pour les autres représente une autre problématique au regard de la filiation. Quid des ovocytes surnuméraires ? Quid des ovocytes prélevés quand on a soi-même passé l'âge de la procréation ? Quid des ovocytes subsistant après le décès de la donneuse ?

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Joëlle Belaisch Allart

Dans la loi actuelle, une femme peut donner ses ovocytes jusqu'à l'âge de 37 ans. Si elle n'a pas encore d'enfant, elle se voit proposer la conservation d'une partie de ses ovocytes pour elle-même. Jusqu'à cinq ovocytes, ils sont tous pour la receveuse ; avec six, il y en a un pour la donneuse et cinq pour la receveuse. C'est une très faible façon d'autoriser l'autoconservation ovocytaire. En tant que professionnels, nous estimons que c'est du chantage et cela ne nous va pas du tout.

On pourrait proposer par contrat à une femme faisant de l'autoconservation d'ovocytes de les donner, soit à 45 ans, soit avant, si elle ne veut plus les garder pour elle-même. Cela enrichirait le don d'ovocytes et réduirait le nombre de demandes. Il y aurait aussi plus d'offres puisqu'il y aurait des ovocytes à donner. Ce serait une excellente solution.

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Larissa Meyer

Nous ne militons pas pour un bilan biologique pour tous à 25 ans, car cela n'a pas de sens en l'absence de désir d'enfant ou d'interrogation. Nous militons pour que tout le monde ait accès à l'information au bon âge, c'est-à-dire, comme vous le dites, pas trop tôt pour se sentir concerné, mais pas non plus trop proche de l'échéance, pour éviter le stress ou la panique. L'idée est d'informer les femmes, mais aussi les hommes – puisque le conjoint repousse l'échéance, même s'il ne subit pas par la suite les traitements – dans le cadre de leur visite chez le gynécologue, sur la baisse de la fertilité ovarienne avec l'âge, afin de leur donner une idée globale de leur vie génésique à venir et des difficultés possibles. Il s'agirait de leur dire la vérité sur les parcours de PMA et les techniques de prévention existantes, de leur faire connaître l'autoconservation, ses risques et le meilleur âge pour la pratiquer – j'ai cru comprendre que c'était autour de 30 ans. Je n'ai pas d'objection à ce que les femmes la fassent plus jeunes si elles sont sûres d'elles, si elles ont un plan de carrière ou un plan de vie, si elles partent à la guerre ou pour toute autre raison. Il convient d'accompagner sans mettre la pression afin d'éviter toute surprise, de garantir un meilleur rapport bénéfice risque, avec les AMP les moins invasives possible et les plus efficaces possible. Pourquoi ne pas introduire cette information dans le programme scolaire, peut-être en troisième, avant le lycée, afin que toute la population reçoive l'information ? Ce serait insuffisant mais, au moins, en parlant de procréation à l'école, on n'oublierait pas d'insérer un court chapitre sur l'évolution de la fertilité avec l'âge.

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Virginie Rio

La société a une inertie importante et l'articulation entre fertilité et environnement est un sujet anxiogène. Nous sommes déjà confrontés à ces difficultés au sein de l'association. Mais, même pour les couples infertiles confrontés aux difficultés, les messages de sensibilisation aux perturbateurs endocriniens pour les enfants qui sont nés ont du mal à passer. Il faut donc trouver le moyen de communiquer d'une façon moins anxiogène sur un sujet lui-même anxiogène faute de solution. Je ne fume pas, j'essaie de manger bio, mais je subis un grand nombre de perturbateurs endocriniens qui ne dépendent pas de moi. C'est pourquoi l'État doit considérer ce sujet comme central et développer l'information sous forme de campagnes nationales et de campagnes de formation auprès des médecins généralistes, afin que le message anxiogène passe dans la société et que nous puissions tous nous interroger sur les actions individuelles et sur celles qui dépendent d'un niveau supérieur.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mesdames, nous vous remercions d'avoir participé à cette table ronde.

L'audition s'achève à seize heures dix.

Membres présents ou excusés

Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du mercredi 17 octobre 2018 à 14h30

Présents. – M. Philippe Berta, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Élise Fajgeles, M. Jean François Mbaye, Mme Agnès Thill, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon

Excusé. - Mme Bérengère Poletti