Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du mardi 23 octobre 2018 à 18h15

Résumé de la réunion

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Mission d'information DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉVISION DE LA LOI RELATIVE À LA BIOÉTHIQUE

Mardi 23 octobre 2018

Présidence de M. Xavier Breton, président de la Mission

La Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique procède à l'audition de M. Jean-Claude Ameisen, ancien président du CCNE, membre du conseil scientifique de la Chaire coopérative de Philosophie à l'Hôpital (AP-HPENS).

L'audition débute à dix-huit heures quinze.

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Nous poursuivons notre séquence d'auditions en accueillant M. Jean-Claude Ameisen, qui est membre du conseil scientifique de la chaire coopérative de philosophie à l'hôpital et ancien président du comité d'éthique de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) de 2003 à 2012. Surtout, monsieur le professeur, vous avez été président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) de 2012 à 2016. Nous complétons donc aujourd'hui l'audition de MM. Alain Grimfeld et Didier Sicard, à laquelle nous n'avions pu vous joindre, le 19 septembre dernier.

Dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique, notre mission d'information est notamment amenée à s'interroger sur l'encadrement législatif de la recherche sur l'embryon et du recours aux tests génétiques, ainsi que sur les questions que soulève l'évolution de la médecine génomique. Nous souhaiterions bénéficier de votre expertise et connaître vos positions et arguments sur ces sujets et sur tout autre sujet relatif à la loi de bioéthique que vous souhaiteriez aborder.

Je vous donne donc la parole pour un exposé d'une dizaine de minutes et nous poursuivrons par un échange de questions et de réponses.

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Jean-Claude Ameisen

Merci de me recevoir afin d'évoquer la réflexion éthique, la démarche éthique et le croisement des regards. Au-delà de l'expertise, il me paraît essentiel que le législateur ait prévu, en 2011, dans la loi relative à la bioéthique, des débats publics dans les domaines relatifs à l'éthique biomédicale.

À la suite de l'annonce d'une loi sur la fin de vie, en 2013, j'ai lancé un débat public avec les espaces de réflexion éthique régionaux et organisé une conférence de citoyens. J'ai alors été frappé par deux éléments.

Le premier est l'intérêt présenté par la multiplicité des modalités du débat public. Les débats organisés par la commission Sicard ont été suivis par des débats organisés par les espaces de réflexion éthique régionaux et par une conférence de citoyens. Cette dernière, prévue par le législateur de 2011, revêt une importance particulière, non seulement parce qu'elle permet d'exposer les points de vue différents, de croiser les regards en élaborant des approches, des questionnements, des propositions originales, comme le font le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) et d'autres instances de ce type, mais aussi parce qu'elle a un rôle pédagogique. Quand des citoyens tirés au sort se réunissent, ils sont à même d'élaborer une réflexion de grande qualité, dès lors qu'ils sont informés et peuvent réfléchir librement. Il en résulte une vertu pédagogique, car on montre ainsi au reste de la société qu'en réunissant des personnes de professions, d'âges et de lieux de résidence différents, il est possible d'élaborer une réflexion collective. Trop souvent, dans notre pays, on a l'impression que le débat se résume à l'affrontement ou à la juxtaposition de points de vue établis. Cette culture du débat pour une délibération collective visant à élaborer quelque chose qui ne préexistait pas me paraît essentielle.

Le second élément est la durée. La mission Sicard a commencé ses travaux à l'été 2012. Nous avons rendu notre rapport sur le débat public à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) à l'automne 2014. Il y a donc eu deux ans de débat sous des formes différentes. Cette durée a permis une sérénité et une ouverture de la réflexion. Les débats trop courts, arc-boutés à des annonces de modifications ont tendance à cristalliser les positions. Un débat dans la durée, sans butoir, autorise une réflexion ouverte, utile au législateur.

Mais cela ne suffit pas. Ces deux ans de débat ont été suivis du vote de la loi Claeys-Leonetti en 2016 et la fin de vie est de nouveau entrée dans les États généraux de 2018. On mesure ainsi l'importance de la poursuite de la réflexion, celle-ci n'aboutissant jamais à une solution définitive.

Le législateur a prévu, en juillet 2011, que tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans le domaine de la biologie, de la médecine et de la santé nécessite un débat public. Cela couvre un champ extrêmement large, qui est d'ailleurs celui de la mission du CCNE. Les avancées de la connaissance dans le domaine de la santé – je rappelle que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la santé comme le bien-être physique, psychique et social – couvrent un champ extrêmement large. Or tout projet de réforme dans ce champ devrait être précédé par un débat public sous forme d'États généraux, assorti de l'organisation de conférences des citoyens. Et s'il n'y a pas de projet de réforme, tous les cinq ans le CCNE organise des États généraux de la bioéthique.

Cependant, le champ de la loi relative à la bioéthique est très limité : tests génétiques, assistance médicale à la procréation, greffe d'organes, neurosciences, diagnostic prénatal, tandis que le champ ouvert par le législateur, qui touche à la santé, à la biologie et à la médecine, est extrêmement large. Il y a là un paradoxe, qui concerne non seulement le champ – dans les États généraux sont entrés cette année la fin de vie, l'intelligence artificielle, le big data et les relations entre santé et environnement –, mais aussi la façon d'aborder ces sujets. En effet, les tests génétiques sont conçus pour mettre en évidence des maladies chroniques, des maladies graves ou des handicaps, mais une fois ces tests réalisés et le diagnostic donné, nous sommes extrêmement mauvais en matière d'accompagnement des personnes souffrant de maladies chroniques graves ou de handicap. L'attention portée à juste titre aux avancées de la science et de la technique masque par défaut la déshérence d'une conduite qui pose des questions éthiques majeures. Les neurosciences et l'imagerie cérébrale permettent de diagnostiquer une série de troubles cognitifs, dont la maladie d'Alzheimer. Une fois ce diagnostic établi, que fait-on pour accompagner les personnes ?

L'un des soucis majeurs de l'assistance médicale à la procréation (AMP) est l'intérêt de l'enfant. Mais, dans notre pays, 3 millions d'enfants vivent sous le seuil de pauvreté, et les avancées de la connaissance dans ce que l'OMS appelle les « déterminants socio-économiques de la santé » et dans le domaine de l'épigénétique indiquent qu'ils auront des problèmes de santé majeurs. Se concentrer uniquement sur l'intérêt de l'enfant dans une circonstance importante, méritant certes une réflexion, mais très circonscrite, risque d'aboutir à méconnaître des problèmes essentiels en matière de santé et d'intérêt de l'enfant qui, je le répète, s'inscrivent dans un contexte beaucoup plus large.

Ce champ restreint entraîne des contradictions. On insiste – et vous insistez – à juste titre, depuis longtemps, sur l'intérêt d'une réflexion éthique, non seulement au regard de son inscription dans la loi relative à la bioéthique mais aussi pour l'exercice quotidien de la médecine ou de la biologie. Par exemple, avec la tarification à l'activité, les modalités de remboursement de notre système de santé s'opposent, freinent, empêchent le temps de dialogue, l'écoute, l'échange, qui sont essentiels à une approche éthique de la médecine. C'est un peu comme si, dans des domaines étrangers à la loi relative à la bioéthique, étaient institués des freins empêchant, malgré les meilleures intentions, l'atteinte pratique des objectifs inscrits dans cette loi.

Plus largement, le Préambule de notre Constitution dispose que la nation assure à chacun la protection de la santé. Or la protection de la santé n'est pas seulement la réparation des maladies ou des handicaps, c'est aussi la prévention. Vous le savez, mais c'est heureusement en train de commencer à changer, 5 % de notre budget de santé publique, qui est l'un des plus élevés au monde, sont consacrés à la prévention et 95 % à la réparation.

Notre Charte de l'environnement, qui a maintenant quatorze ans, stipule que chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. Pourtant chaque année, dans notre pays, 50 000 personnes meurent du seul fait de la pollution de l'air extérieur. Les avancées des connaissances dans ce domaine indiquent de plus en plus précisément les mécanismes par lesquels l'environnement et la façon dont nous construisons notre société s'impriment peu à peu en termes de maladie, de diminution de l'espérance de vie ou d'espérance de vie de bonne qualité.

La focalisation sur les avancées de la technique et de la science, certes essentielle, ne doit pas aboutir à une forme de scotome. En scrutant l'intérieur des corps avec les techniques et la science les plus sophistiquées, nous ne devons pas oublier les empreintes qu'impriment jour après jour l'environnement social et l'environnement extérieur, au risque de ne les voir, à partir de ces techniques, qu'après qu'ils auront commencé à entraîner des modifications et des bouleversements.

Un problème éthique que vous connaissez bien est la non-application des lois. Il me paraît être un facteur majeur d'inégalités socio-économiques et territoriales. Ce que la loi prévoit est disponible pour certains mais pas pour tous, ce qui est désespérant du point de vue éthique. Je rappelle que la loi visant à garantir le droit d'accès aux soins palliatifs à toute personne dont l'état le nécessite a maintenant 19 ans et qu'une très grande majorité de nos concitoyens n'y ont pas accès.

Je pourrais continuer avec la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, prévoyant la scolarisation des enfants handicapés, avec la loi qui a mis en place l'obligation d'emploi des personnes handicapées qui, au bout de trente et un ans, n'a atteint que la moitié de ses objectifs, ou avec la loi instaurant le droit opposable au logement, alors qu'un nombre considérable de personnes sont dans la rue. Amartya Sen disait qu'un droit sans accès au droit est une négation du droit. Il y a donc là un problème éthique majeur qui vise tous les champs de la santé, indépendamment du domaine relatif à la bioéthique.

Le débat public et les réflexions des instances consultatives comme le CCNE sont certes essentiels, mais il est paradoxal que le législateur ait considéré que, dans le domaine relatif à la bioéthique, ils devaient être limités à ce champ relativement circonscrit.

S'il est essentiel que soient organisés un débat public et une réflexion de la société, sous des formes diverses, s'agissant de lois ayant des conséquences directes ou indirectes sur la santé ou le respect des droits fondamentaux, il serait bon que ce ne soit pas un domaine réservé au champ législatif mais un modèle pour une forme de démocratie. Ce qui a été organisé dans le domaine relatif à la loi de bioéthique pourrait servir de modèle lorsque des décisions économiques importantes sont discutées.

Mon expérience des comités d'éthique m'enseigne qu'il y a deux focales possibles. Il y a celle par laquelle nous avons abordé un grand nombre de problèmes, à savoir celle de la santé au sens très large. D'autres instances dont les préoccupations sont assez proches abordent le sujet par la focale du respect des droits fondamentaux. La Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), le Défenseur des droits, le CCNE réalisent des actions complémentaires. Dans beaucoup de domaines, une animation du débat public ou de la réflexion publique par de telles instances serait importante. Il en va de même pour le Conseil économique, social et environnemental (CESE), en ce qui concerne l'intelligence artificielle. Et la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a animé l'année dernière des débats publics de grande qualité.

Il serait important d'étendre ce qui a été fait de remarquable dans le domaine de la loi relative à la bioéthique à tous les sujets importants relatifs à la santé et au respect des droits. Alors qu'un grand nombre de pays respectent, voire admirent ou, en tout cas, étudient ce que nous avons fait en matière de bioéthique, il serait intéressant d'étendre ce modèle à d'autres questions, toujours avec le souci des personnes les plus vulnérables. Je le répète : lorsqu'on se soucie des personnes les plus vulnérables, on progresse vers l'égalité réelle, c'est-à-dire vers l'inclusion de ceux qui sont malheureusement laissés sur le bord du chemin.

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Vous souhaitez l'extension à d'autres sujets des démarches de participation citoyenne du type des États généraux. Dans le champ même de la bioéthique, pensez-vous que le dispositif actuel est suffisant ou qu'il faudrait aller plus loin, et si oui, de quelle manière ?

Vous avez présidé le CCNE. Nous avions le sentiment qu'il pratiquait le consensus sur beaucoup d'avis. Or selon les mots du président actuel, quelques avis ont fait l'objet d'« assentiments majoritaires », accompagnés de réserves. Comment expliquez-vous que l'on soit passé du consensus à l'assentiment majoritaire ? Est-ce un changement de pratique ou les sujets évoqués conduisent-ils à une impossibilité de consensus ?

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Jean-Claude Ameisen

Quand j'ai pris la présidence du Comité, j'ai regardé quels avaient été, depuis sa création, en 1983, le pourcentage d'avis consensuels et le pourcentage de ceux ayant donné lieu à des opinions minoritaires. En 2012, un tiers des avis émis depuis 1983 comportaient des opinions minoritaires. Il y a des périodes où il n'y en a pas et, quand ils réapparaissent tout à coup, on trouve cela étrange. Cela fait partie de la pratique, ce qui est heureux car, en voulant absolument aboutir à un consensus, on risque de dériver vers le plus petit dénominateur commun et de ne s'accorder que sur ce qui ne suscite aucune réserve. Il est plus intéressant d'aller jusqu'au bout de la réflexion collective et de faire en sorte que les conclusions aillent au-delà du oui ou du non. Certains des avis minoritaires que j'ai connus étaient des façons différentes de poser la question, des regards différents portés sur certains aspects, des accents mis sur des points non considérés comme centraux. Une telle pratique préserve la multiplicité des regards.

Cela est d'autant plus important pour moi – mais il s'agit d'une opinion personnelle – que j'ai toujours considéré qu'en dehors des cas manifestes de déni du droit ou de modifications à apporter d'urgence, le rôle essentiel du CCNE n'était pas de se substituer à la société, mais de l'aider à mieux réfléchir en montrant la complexité d'une situation, en essayant de la dénouer, en désignant la multiplicité des enjeux. C'est l'un des principes fondamentaux de l'éthique biomédicale moderne, ce qu'on appelle le choix libre et informé, selon lequel c'est l'information qui est mise à la disposition de la liberté de la personne et non la personne qui est mise à la disposition de l'information qu'on a sur elle ou qu'on lui donne.

À mon sens, le CCNE devrait aider la société à penser librement les choix possibles et aider ensuite le législateur à décider à partir de cet éventail des choix.

Il existe deux types de situations. Lorsque les droits fondamentaux, la santé, la vie de personnes sont manifestement mis en cause et lorsque le Comité pourrait saisir le Défenseur des droits, une recommandation s'impose. Dans tous les autres cas, y compris dans les situations complexes, le rôle du CCNE n'est pas de dire oui ou non, il n'est pas de dire au législateur quelle loi il devrait voter : il est d'éclairer, d'informer au mieux et de faire en sorte que les cristallisations de positions opposées apparaissent comme plus complexes que les représentations qu'on en a. À cet égard, les opinions minoritaires sont une façon d'élargir la réflexion plutôt qu'un élément négatif de nature à briser le consensus du Comité. Contrairement au CESE, le CCNE n'est pas une instance décisionnelle, une instance prédécisionnelle ou une instance représentative : c'est une instance dont l'importance, la légitimité et l'intérêt procèdent de sa capacité d'aider à la réflexion, ce qui est pour moi le sens même du terme de consultatif, dans la mesure où elle est indépendante et où elle croise les regards.

Quant au débat, pour être serein, il ne doit pas être accoudé à des délais précis – trois mois, cinq mois… – préalables à la modification éventuelle de la loi. Découplée d'une perspective législative déterminée, la réflexion peut être ouverte, plus sereine, donc plus utile, à la fois à la société, puisqu'elle peut s'en approprier les enjeux, et au législateur, appelé ensuite à élaborer la loi. Je le répète : il faut encourager la multiplicité des formes du débat. Il n'y a pas de forme idéale, mais ce qui favorise la réflexion collective aux dépens de l'addition des opinions et du simple dialogue, comme on a demandé aux instances du type du CCNE de le faire, rend la société plus adulte. Apprendre à réfléchir ensemble n'est pas la même chose que s'écouter. S'écouter est un premier pas, mais il faut réfléchir ensemble et dans la diversité. Dans notre pays, on a l'habitude de réfléchir ensemble entre personnes de même profession, de même âge ou de même lieu de résidence. Ce qui est frappant dans les conférences de citoyens, c'est qu'elles réunissent des personnes d'âges divers, de professions diverses, de lieux de résidence diverses, et cette diversité apporte quelque chose à l'intelligence collective. Dans une société qui devient de plus en plus clivante et brutale, c'est en se réunissant dans la diversité que l'on élabore la réflexion la plus utile, la plus ouverte et la plus riche.

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Merci beaucoup pour ces réflexions si stimulantes, empreintes d'expérience et de sagesse.

Je suis tout à fait d'accord pour considérer que la recherche excessive de consensus risque d'aboutir au plus petit commun dénominateur, à l'eau tiède et à l'absence de progrès. Si on recherchait le consensus sur les recherches à conduire, on n'aurait plus besoin de chercheurs, car on n'aboutirait jamais.

Je trouve aussi que le champ de la bioéthique est parfois trop restreint. On a ajouté l'environnement et l'intelligence artificielle, mais ce qui m'intéresse surtout, après l'application de telle nouvelle technologie ou tel progrès scientifique, c'est le suivi pratique des patients, les aspects humains ou sociaux. De fait, plus que d'ouvrir des droits nouveaux, notre devoir est de rendre les droits existants accessibles à tous. Cette deuxième dimension fait défaut. Que suggérez-vous pour améliorer ce champ, qui est peut-être moins brillant mais tellement important, concrètement, pour nos concitoyens ?

Les personnes les plus vulnérables réclament plus de considération et pas seulement plus de soins, et nous devons davantage les écouter. Je me demande si nous ne sommes pas au milieu du gué. Dans un passé heureusement révolu, prévalait le paternalisme : paternalisme médical, paternalisme des institutions. On disait aux malades et aux gens vulnérables ce qui était bon pour eux. On le faisait avec bienveillance mais ils n'avaient pas leur mot à dire. Dans le futur, prévaudront l'autonomie et la liberté des personnes, y compris âgées, malades, voire en fin de vie, qui participeront directement à la décision. Elles pourront être informées, mais ce sont elles qui choisiront leur destin. Nous sommes au milieu du gué. Quels conseils donneriez-vous pour progresser vers une plus grande autonomie des personnes vulnérables ?

Enfin, le président et moi suggérons la création au sein du Parlement d'une délégation permanente composée de quelques députés, et peut-être quelques sénateurs, chargée de conduire une réflexion ininterrompue donnant lieu chaque année à la présentation d'un rapport. Elle serait ainsi toujours en capacité d'aborder des problèmes nouveaux. On éviterait le rythme de cinq ans qui donne, à chaque fois, l'impression de repartir de zéro et d'avoir à former les acteurs, une mobilisation parfois excessive et un emballement médiatique. Cette délégation permanente donnerait un autre rythme, sans empêcher que certains sujets choisis fassent l'objet d'une réflexion dans des États généraux en vue d'une éventuelle révision.

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Jean-Claude Ameisen

Je partirai de votre suggestion qui me semble de nature à éclairer les réponses aux précédentes questions. Parallèlement au rythme des Etats généraux, une délégation permanente en renouvellement continu présenterait l'avantage à la fois de la nouveauté et de la mémoire, un peu comme le CCNE, dont le renouvellement est opéré par moitié ou par tiers, contrairement aux comités d'autres pays, qui sont entièrement renouvelés.

J'ignore pourquoi le terme de révision est utilisé, car il ne figure pas dans la loi et donne d'emblée l'impression qu'on va changer quelque chose. L'expression « nouvel examen » me paraît plus neutre. Un examen à intervalles réguliers est important, mais une délégation permanente aurait l'intérêt de rester en éveil et de définir les priorités en fonction de l'importance des sujets plutôt que de leur nouveauté ou de leur caractère spectaculaire. Elle désenclaverait petit à petit le champ restreint de la loi relative à la bioéthique pour s'intéresser aux rapports entre les avancées de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine, de la santé et de la santé publique. En plus de la continuité, cela déplacerait les focales et préparerait le législateur à l'ouverture du champ.

Je m'étonne que, pour traiter de questions de biologie et de médecine dans le champ de la bioéthique, l'on trouve indispensable d'associer à la réflexion des philosophes, des anthropologues, des sociologues, des juristes et des personnes appartenant simplement à la société, parce qu'un comité d'éthique n'est pas légitime s'il n'est pas de ce type aujourd'hui. Je rêve qu'un jour, pour prendre une décision économique importante, l'on considère qu'il est non pas absurde mais utile d'adjoindre aux économistes des philosophes, des anthropologues, des sociologues, des biologistes, des médecins et des personnes de la société. Nous n'avons pas franchi ce pas. On considère que c'est indispensable lorsqu'il s'agit de tests génétiques, mais absurde s'il s'agit de fiscalité. Pour moi, c'est un modèle autant qu'un bénéfice. Une délégation permanente serait une façon de faire vivre cette réflexion en la maintenant ouverte.

La mise en place d'une délégation permanente serait également une bonne façon de s'assurer, à intervalles réguliers, que l'on fait le point non seulement sur l'application de la loi, mais aussi sur ses effets. Dans notre pays, le classement des hôpitaux en fonction de leurs performances est devenu populaire et fait la couverture des magazines au moins une fois par an, mais je ne lui ai jamais vu associé un classement de l'état de santé des personnes résidant alentour, comme si ça n'avait aucun rapport, alors que la qualité des soins et des traitements faits à l'hôpital a normalement pour objet d'améliorer l'état de santé de la population. Au-delà de la procédure, il conviendrait de mesurer les effets en termes de santé des politiques et des lois mises en place. Pour cela aussi, une délégation permanente serait utile.

Pour ce qui est de l'autonomie, en effet, nous sommes au milieu du gué et nous avançons avec beaucoup de réticence. J'ai été choqué que le Parlement vote, il y a quelques mois, une disposition en retrait par rapport à la loi de 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, visant à construire des logements adaptables plutôt qu'adaptés, à charge pour les personnes devenues handicapées de se débrouiller pour les adapter. Ce milieu de gué signifie non pas que l'on avance vers le progrès, mais que l'on hésite. Si nous voulons véritablement construire une société inclusive, n'oublions pas qu'il n'y a pas d'autonomie sans solidarité, et c'est d'autant plus vrai quand on est plus vulnérable et qu'on a encore plus besoin des autres. On peut difficilement dire à quelqu'un qu'il est libre et autonome s'il n'a pas d'électricité, pas de chauffage, pas de route, pas de téléphone, quand bien même il serait en bonne santé.

Cela passe par l'écoute des autres – ce que Paul Ricoeur appelait « se mettre à la place des autres », se considérer « soi-même comme un autre » – et par donner la voix à l'autre. Vous parliez du paternalisme. Autrefois, on parlait pour les femmes, ensuite, ce sont les femmes qui ont parlé. On parlait pour les personnes malades et des associations de patients se sont créées. On parlait pour les personnes handicapées et les personnes handicapées commencent à parler. Si l'on donne à chacun toute sa place, si l'on permet à chacun de s'exprimer et de participer aux décisions collectives, tout le monde devient raisonnable, parce que la réflexion est partagée. Ainsi, on ne construit pas pour les personnes handicapées, mais avec les personnes handicapées.

Dans un premier temps, il convient de s'assurer que dans toutes les instances, la place des personnes vulnérables, la place de celles qui sont en mal d'autonomie ou la place de celles qui peuvent parler pour elles, dans les cas les plus graves, est prévue. C'est essentiel pour changer l'état d'esprit et le regard de la société.

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Dans le cadre des travaux de la mission d'information, nous relevons l'enjeu que représente la reconnaissance ou l'appropriation des travaux de recherche scientifique. Cet enjeu est encore plus présent dans notre société où règne une certaine défiance à l'égard des travaux scientifiques ou de recherche. Il suffit de dire qu'ils ne font pas l'unanimité pour voir leurs conclusions battues en brèche. Or, vous le savez, la recherche française n'a évidemment pas épuisé tous les sujets ou les domaines d'activité. Malgré le volontarisme du législateur pour s'emparer de travaux de recherche et légiférer, des coups d'arrêt peuvent être portés à des travaux de recherche. Cela appelle au déploiement de la culture scientifique et à l'explication de la construction scientifique afin d'éclairer aussi bien la population que le législateur.

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Je retrouve dans vos propos votre conclusion que j'avais goûtée lors de la clôture du congrès national de l'APF France Handicap, à Montpellier. Et puisque nous sommes entre nous, je tiens aussi à vous remercier pour ces moments d'illumination du samedi matin.

Je partage entièrement l'idée d'une instance travaillant en continu, et la plus diversement représentative possible. Quand on est un scientifique, comme je l'ai été, il est bien de parler des choses a posteriori, comme on le fait avec ces moments quinquennaux, mais il aurait été bien mieux de les accompagner.

S'agissant de science, j'ai relevé le mot « épigénome ». Lorsque nous étions plus jeunes, on nous apprenait que nous n'étions que le produit de quelques gènes, alors qu'il semblerait que nous soyons le produit d'une triple hérédité : génétique, épigénétique et microbiotique. De ce fait, la prévention vise principalement les deux dernières formes d'hérédité. Comme les protéger, comment ne pas trop les altérer ? Or dans cette prévention, qui prend tout son sens dès la vie intra-utérine, nous sommes particulièrement mauvais.

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Vous avez évoqué notre faiblesse face à l'annonce d'une probable pathologie révélée par des tests, employant même le mot de « déshérence ». S'agit-il de faiblesse législative ? Peut-on continuer à faire ces tests ou faut-il encadrer les modalités de leur réalisation afin de mieux accompagner l'annonce qui en résulte ? Existe-t-il pour ce que vous qualifiez de faiblesse et de déshérence une réponse d'ordre médical ?

Je vous remercie d'avoir cité le concept d'autonomie comme expression des « capabilités », élaboré par Paul Ricoeur, et d'inviter à répondre plus positivement aux vulnérabilités, quelles qu'elles soient. C'est projet éminemment éthique, pour nous, législateurs, que de vouloir créer les conditions d'un choix plus positif que négatif.

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Jean-Claude Ameisen

Je répondrai d'abord à la dernière question. Mon propos était plus large et ne concernait pas spécifiquement l'annonce d'une prédisposition à une pathologie, bien qu'il faille réfléchir à ce terme. Les annonces, on les fait dans les aéroports et dans les gares ; lorsqu'on m'annonce qu'un train va être en retard, on ne sait pas que j'existe : on dit quelque chose pour que je l'écoute. Un dialogue singulier visant à apprendre à quelqu'un quelque chose d'important n'est pas une annonce. Ce devrait être un échange, une écoute. En voulant bien faire, on a créé des postes d'infirmières d'annonce, mais c'est choquant d'un point de vue éthique. De plus, il y a un droit de savoir et de ne pas savoir. Quand on fait une annonce dans la gare, à moins d'être distrait, je ne peux pas ne pas savoir qu'un train est en retard, mais face à une réponse, mon droit de savoir ou de ne pas savoir est enfreint. Rien ne remplace le dialogue, l'échange, l'écoute. Lors d'une consultation mémoire, dire à quelqu'un : « Vous avez une maladie d'Alzheimer, merci d'être venu, au revoir » est d'une brutalité inouïe.

On est passé du mensonge paternaliste dans l'intérêt de la personne – vous n'aviez pas à le savoir, mais je vous dis ce que je pense être utile pour votre bien – à l'inverse, qui est la transparence. Or l'éthique n'est ni la transparence ni le mensonge : c'est le droit de savoir et de ne pas savoir, ce que seul un dialogue peut construire.

La procédure de consentement dite – expression un peu paternaliste – « de choix libre et informé », consiste à être informé pour décider librement, ce qui implique le droit de savoir et de ne pas savoir. Si on le remplace par un document écrit, ce droit de savoir et de ne pas savoir au moyen d'échanges ne s'applique pas. Le formulaire est là pour témoigner du fait qu'un processus a eu lieu, mais de plus en plus, il remplace le processus et témoigne du fait qu'il n'a pas eu lieu. Dans les pays où les gens ne savent pas lire et écrire, le témoin d'un processus de choix libre et informé est l'enregistrement.

J'évoquais la déshérence et l'abandon de la personne face au résultat du test, tel qu'il est pratiqué. Si le test révèle l'existence d'un handicap ou d'une maladie d'Alzheimer, que devient la personne ? Il y a un déficit d'accompagnement. Nous sommes très bons pour la réparation, mais extrêmement mauvais pour l'accompagnement. Lorsque nous ne pouvons pas changer la situation de la personne, la guérir, la traiter, nous l'abandonnons. Une réflexion sur l'accompagnement doit donc être conduite. Les lois relatives à la bioéthique qui traitent de tests génétiques ou d'imagerie cérébrale doivent se préoccuper du devenir de la personne à l'issue de la procédure. Même si les principes éthiques sont parfaitement respectés, que devient ensuite la personne ? Est-ce qu'on lui dit au revoir ? C'est pourquoi je disais qu'en ce domaine, le champ de la loi relative à la bioéthique est un peu restreint, parce qu'il empêche de voir après et ailleurs.

En ce qui concerne l'épigénome, l'environnement et le mode de vie ont des conséquences dès le développement embryonnaire et foetal. Un article publié il y a quelques années dans la revue Nature, sous la plume de plusieurs scientifiques, essentiellement des femmes, disait en gros : ne tapez pas sur les mères ! Il y a deux façons d'appréhender l'importance de la grossesse, du développement foetal, de la naissance et des premiers mois. La première consiste à dire aux mères : vous n'avez pas fait ce qu'il fallait, vous êtes responsable des dégâts qui vont survenir. Une autre consiste à vouloir collectivement que chaque mère, chaque parent vive dans des conditions telles que l'enfant soit le moins exposé possible. À côté de la responsabilisation individuelle qui confine à l'abandon – débrouillez-vous, faites ce qui est le mieux et si vous ne pouvez pas, tant pis vous ! –, on peut agir collectivement afin que, dès le développement foetal, tous les risques d'ordre environnemental et épigénétique soient au mieux prévenus, afin de laisser ouvert le champ des possibles. L'épigénétique, c'est le champ des possibles. Dans notre société, on a eu longtemps l'impression que tout était dans les gènes et qu'un test génétique disait tout d'une personne, y compris un test génétique réalisé sur une cellule d'embryon dans un tube à essai. Comme si, d'un seul coup, on voyait ce que la personne allait devenir dans les cinq, dix ou vingt ans qui suivent. C'est plus compliqué que ça. L'important est d'accompagner la vie depuis le début.

Je suis frappé par l'enthousiasme du public pour toutes les sciences qui n'ont pas d'impact direct sur la santé et la vie de chacun. La plupart des gens sont passionnés par l'astronomie, la paléoanthropologie, la paléontologie et l'archéologie. Mais lorsque les implications de la recherche touchent à leur vie, à leur santé ou à celle de leurs proches, le regard change. D'une part, une culture scientifique allant au-delà de l'enthousiasme est nécessaire, et, d'autre part, il faut enseigner, dès l'école, la démarche scientifique. L'école ne doit pas proposer seulement une addition de connaissances mais aussi une compréhension de la démarche scientifique, qui est d'ailleurs un excellent outil d'apprentissage de l'esprit critique. Il faut apprendre soi-même à comprendre comment on explore, comment on teste, comment on remet en question.

De plus, un discours public plus ouvert, moins affirmatif, moins simplificateur est nécessaire. Plus le discours public touchant à la santé, à l'environnement ou à d'autres domaines qui nous concernent directement est simplificateur, plus certains pensent, à juste titre, qu'il est incomplet, donc inexact, donc peut-être mensonger. Dans notre pays, on a peur de la complexité. C'est pourquoi je disais que le rôle du CCNE, le rôle du Parlement, le rôle du débat public, n'est pas de proposer des solutions en simplifiant mais, au contraire, de montrer la complexité du monde et de permettre de choisir dans cette complexité ce qui, à un moment donné, paraît meilleur. Il consiste aussi à nous apprendre que la connaissance que nous donne la science est riche de tout ce qui nous manque, que la connaissance est toujours provisoire, qu'elle est la meilleure à un moment donné mais qu'elle n'est jamais définitive. C'est pourquoi la recherche est essentielle. On a parfois tendance à présenter la science comme une vérité révélée qui dirait l'état du monde de manière définitive. Non. C'est un processus qui nous permet, à chaque moment, d'être le mieux informé possible sur l'état du monde et sur la manière de le modifier.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur Ameisen, il me reste à vous remercier, au nom de mes collègues, pour cet éclairage très nourrissant.

L'audition s'achève à dix-neuf heures dix.

Membres présents ou excusés

Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du mardi 23 octobre 2018 à 18h15

Présents. – Mme Emmanuelle Anthoine, M. Philippe Berta, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, M. Guillaume Chiche, M. Patrick Hetzel, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, Mme Agnès Thill, M. Jean-Louis Touraine, Mme Annie Vidal

Excusée. – Mme Bérengère Poletti

Assistaient également à la réunion. - M. Thibault Bazin, Mme Valérie Boyer, M. Maxime Minot