Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du mardi 23 octobre 2018 à 17h05

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • IPS
  • cellule
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  • génétique
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La réunion

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Mission d'information DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉVISION DE LA LOI RELATIVE À LA BIOÉTHIQUE

Mardi 23 octobre 2018

Présidence de M. Xavier Breton, président de la Mission

La Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique procède à l'audition de M. Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Lejeune.

L'audition débute à dix-sept heures dix.

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Nous reprenons notre séquence d'auditions en accueillant M. Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune. Celle-ci agit pour les personnes atteintes de déficiences intellectuelles d'origine génétique, à travers notamment le soutien à des programmes de recherche visant la mise au point de traitements pour la trisomie 21 et les autres déficiences intellectuelles d'origine génétique.

Les questions de la recherche sur l'embryon, des tests génétiques et des diagnostics préimplantatoires étant étudiés dans le cadre de notre mission d'information relative à la révision de la loi de bioéthique, nous souhaiterions entendre vos arguments sur ces sujets.

Je vous donne maintenant la parole pour un exposé d'une dizaine de minutes, puis nous poursuivrons par un échange de questions et de réponses.

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Jean-Marie le Méné

Monsieur le président, merci de m'accueillir. Monsieur le rapporteur, merci d'avoir accepté ma demande d'audition.

Je rappellerai que la Fondation Jérôme Lejeune, créée en 1996 et reconnue d'utilité publique, a notamment financé et créé l'Institut Jérôme Lejeune, centre de consultations médicales spécialisées dans les déficiences intellectuelles d'origine génétique. Vous l'avez rappelé, monsieur le président, la Fondation est aussi un des principaux financeurs de la recherche sur la trisomie 21. Depuis près de vingt-cinq ans, elle a financé environ 700 appels à projets partout dans le monde, dont certains ont donné lieu à des publications internationales.

Tout notre travail est orienté vers le patient. La consultation accueille aujourd'hui près de 10 000 patients, dont 70 % atteints de trisomie 21 et 30 % d'autres pathologies entraînant un retard mental. Elle reçoit chaque année plus de 500 nouveaux patients avec leur famille, de tous horizons, tous âges, toutes conditions, dont beaucoup nous sont envoyés par l'hôpital public.

À court terme, nous développons une recherche clinique à leur profit. Nous avons ainsi avec l'hôpital Necker un protocole sur l'apnée du sommeil de l'enfant trisomique et un autre avec l'hôpital Trousseau sur l'influence de la capacité respiratoire dans son développement. Nous avons innové avec une activité de gériatrie spécifique, car la société est confrontée au vieillissement des personnes handicapées mentales qui, désormais, survivent à leurs parents. À cet égard, la recherche de biomarqueurs d'évaluation pour des études cliniques dans l'Alzheimer précoce est un axe que nous suivons dans un cadre européen, avec d'autres équipes.

À moyen terme, nous conduisons une recherche translationnelle pour trouver des inhibiteurs ciblés de gênes impliqués dans la cognition. On observe des liens entre la trisomie et d'autres pathologies : Alzheimer, mais aussi le cancer et l'autisme. Nous attendons des bénéfices réciproques de ces recherches croisées, qui intéressent plus de chercheurs. Nous travaillons avec des laboratoires de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), des universités, lesquels sont destinataires de 80 % des subventions que nous attribuons, mais aussi avec des institutions académiques internationales.

À plus long terme, nous pensons que des perspectives thérapeutiques sont ouvertes. Nous soutenons notamment des programmes innovants qui utilisent des cellules souches de type iPS. Ainsi, nous sommes intéressés par des recherches comme celles d'une équipe de Boston qui a réussi à mettre au silence le chromosome 21 dans une cellule iPS trisomique, combinant la thérapie génique et la thérapie cellulaire ; elle n'en est évidemment pas au stade clinique mais c'est très intéressant.

Cette brève présentation montre que la Fondation est attentive à l'évolution des lois de bioéthique, notamment dans deux domaines : la recherche sur les cellules souches et le dépistage anténatal.

La recherche sur les cellules souches, en particulier sur l'embryon humain, est pour nous une préoccupation. Au détriment d'autres voies existantes, quelquefois plus efficaces et posant moins de problèmes éthiques, la loi a évolué et continue d'évoluer vers une libéralisation du régime de la recherche sur l'embryon humain. En 2013, un changement important est intervenu, qui a remplacé le couple « interdiction plus dérogation » par le couple « autorisation plus encadrement ». Le respect de l'embryon est devenu une exception au principe, nouveau, de son non-respect. En 2016, un nouveau régime de recherche a été adopté, prévoyant que des recherches interventionnelles sur l'embryon in vitro peuvent être menées avant ou après son transfert in utero. Cette disposition conduit à fabriquer des hommes à l'essai. Ces deux modifications substantielles, en 2013 et 2016, ont été votées sans avoir été débattues dans le cadre des États généraux de la bioéthique, malgré l'obligation qui en est faite depuis 2011, ce qui est dommage.

Dans l'esprit du législateur de 2004 et de 2011, le recours à l'utilisation de l'embryon humain, donc sa destruction dans ce cadre, n'était que subsidiaire, les autres voies de recherche, non transgressives, devant être privilégiées. Ce changement d'orientation me paraît regrettable. L'embryon humain est la forme la plus jeune de l'être humain et requiert, à ce titre, une protection adéquate qui doit s'étendre aux lignées cellulaires issues de l'embryon. On ne peut pas prétendre protéger les éléphants et continuer à autoriser l'exploitation de l'ivoire. Vouloir protéger l'embryon et exclure de cette protection les lignées cellulaires ne serait pas cohérent.

Il faut bien comprendre qu'il y a deux domaines d'utilisation des cellules souches. En premier lieu, un usage pharmacologique qui consiste à modéliser des pathologies et à cribler des molécules ; cet usage vise l'amélioration des connaissances et non l'application du procédé au patient. En second lieu, la thérapie cellulaire qui vise à réparer des tissus ou à reconstituer des organes en greffant des cellules souches aux malades.

S'agissant de la modélisation et du screening moléculaire, les iPS constituent une alternative désormais reconnue aux cellules souches embryonnaires. Il n'y a plus de débats. Le Conseil d'État lui-même, en 2014, a considéré que « les recherches concernant les cellules iPS sont suffisamment avancées pour apprécier la possibilité de poursuivre sur ce type de cellules, avec une efficacité comparable ». La modélisation par iPS est, par définition, sans limite et plus accessible.

En ce qui concerne la thérapie cellulaire, très peu d'essais cliniques en cours utilisent des cellules souches embryonnaires, et cette voie n'est pas plus avancée que celle utilisant des cellules iPS. Elles n'ont pas entraîné de progrès puisqu'aucune application thérapeutique n'a été prouvée effective à ce jour, en dehors d'un succès relatif obtenu sur la dégénérescence maculaire, succès qui a été aussi obtenu, et de façon peut-être plus significative, avec les cellules souches iPS. Dire que l'on est en retard n'a pas grand sens.

La focalisation sur la recherche embryonnaire tient à un effet de mode, à l'opportunité de moderniser des laboratoires au moyen de subventions, à l'existence d'une filière à entretenir. Les citoyens interrogés dans le cadre des États généraux, à 84,4 %, n'y sont d'ailleurs pas favorables.

Pourquoi ne pas investir dans la création d'une banque de lignées de cellules iPS de qualité clinique à partir d'un nombre limité de donneurs sélectionnés sur leurs groupes HLA pour correspondre majoritairement à la diversité de la population, comme le font les Japonais ? Ceux-ci espèrent obtenir 75 lignées permettant de couvrir 80 % de la population japonaise.

Les cellules souches embryonnaires ont été découvertes en 1998 et les iPS en 2007. Les iPS sont déjà exploitées dans un contexte clinique, ce qui souligne leur potentiel et notre retard. Alors que nous sommes en retard dans le domaine des iPS, on assiste à des surenchères dans la recherche sur l'embryon qui montrent que l'encadrement de la loi s'est affaibli. Je citerai trois exemples.

En 2013, l'Agence de la biomédecine (ABM) a autorisé un protocole permettant de stimuler la fécondation des gamètes dans le cadre d'une fécondation in vitro (FIV) en introduisant dans le milieu de culture une molécule synthétique dont on ignorait l'effet sur l'embryon à réimplanter. Or ce travail ne pouvait pas être une étude, car elle ne devait pas porter atteinte à l'embryon, aucune preuve sérieuse n'étant apportée quant à la toxicité de la molécule utilisée. Il ne pouvait pas non plus s'agir d'une recherche, puisque celle-ci ne peut pas conduire à l'implantation de l'embryon. Cette autorisation n'était donc pas conforme à la loi.

La FIV à trois parents, qui a fait couler beaucoup d'encre et qui est présentée avantageusement par ses promoteurs comme un « don de mitochondries », est à ce jour illégale en France. Et pour cause : cette technique aboutit à la création intentionnelle, par transfert de noyau, d'un embryon génétiquement modifié dont les corrections induites seront transmises aux générations suivantes. Malgré la triple illégalité manifeste de cette technique, qui emprunte au clonage, à la transgenèse et à la création d'un embryon pour la recherche, l'ABM a autorisé, en 2016, des chercheurs français à investiguer la technique de la FIV à trois patrimoines génétiques.

En 2017, une société privée a été autorisée par l'ABM à développer et valider une chaîne de production automatisée de cellules souches embryonnaires humaines dans le but d'assurer leur disponibilité au cas où les essais cliniques se révéleraient concluants. Mais cette finalité industrielle et commerciale est contraire au principe de non-patrimonialité du corps humain. En outre, l'ABM anticipe les résultats d'essais cliniques qui ne sont pas lancés ni publiés. La pertinence scientifique du projet n'est donc pas établie.

Ces cas illustrent le mécanisme des « illégalités fécondes » qui contribue à façonner les lois de bioéthique. D'abord, la transgression de la loi de bioéthique est assumée – certains viennent même le dire devant le législateur ; ensuite, elle est médiatisée ; enfin la loi est modifiée. Comment faire pour que la démocratie ne donne pas l'impression de valider ce qui ne vient pas d'elle ?

C'est pourquoi, eu égard aux propositions du Conseil d'État et du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), et pour limiter cette surenchère dénuée de finalité claire, la Fondation recommande de ne pas autoriser la création d'embryons chimériques ou transgéniques, de ne pas étendre la culture de l'embryon in vitro à 14 jours, contre 7 jours aujourd'hui, et de ne pas soustraire les recherches sur les cellules embryonnaires aux règles applicables à la recherche sur l'embryon, ce qui serait contraire à l'arrêt Olivier Brüstle c. Greenpeace de la Cour de justice de l'Union européenne, rendu en 2011.

J'en viens au dépistage anténatal.

Depuis une vingtaine d'années, un nombre incalculable de personnes s'expriment sur le dépistage prénatal de la trisomie 21 à des titres divers. Pas un jour sans un article sur le sujet. Le phénomène récent que l'on peut observer est une sorte de consensus autour de l'exception « trisomie 21 ». Que l'on soit pour ou contre le diagnostic prénatal, utilisateur ou prescripteur, de gauche ou de droite, une réalité s'impose : ce type de diagnostic prénatal en population générale est dérogatoire aux règles habituelles, puisqu'il n'y a pas de solution thérapeutique et que les chiffres d'interruption médicale de grossesse après diagnostic positif sont massifs, supérieurs à 90 %. Il n'y a plus de contestation de ces faits. En revanche, il existe des divergences de qualification. Rares sont ceux qui osent parler de prophylaxie, la prophylaxie n'ayant jamais eu pour but de supprimer les malades faute de pouvoir supprimer la maladie. On trouve encore chez certains une réticence à user du terme d'eugénisme qui ravive une douloureuse mémoire. Cela peut se comprendre. Mais ce n'est pas le cas de la plupart des commentateurs qui considèrent, pour s'en alarmer ou s'en réjouir, qu'un ensemble de pratiques individuelles peut fort bien conduire à un eugénisme libéral qui peut devenir de masse. Dès lors que le système de santé finance des outils eugéniques, la frontière entre eugénisme libéral et eugénisme étatique devient floue. D'ailleurs, ce sont les praticiens les plus favorables au diagnostic prénatal qui ont le moins de difficulté à assumer le terme d'eugénisme. Enfin, le doute n'est plus permis avec le transhumanisme, dont l'eugénisme revendiqué est l'une des clés qui permet de concrétiser le passage de l'homme diminué à l'homme augmenté.

Quel que soit le terme utilisé, la réalité est bien là : nous sommes devant une rupture dans la pratique médicale. Aujourd'hui la quasi-totalité d'une population a été éliminée sur le fondement de disgrâces physiques et génétiques détectées par des machines et des algorithmes. C'est la première fois depuis 2 400 ans et Hippocrate que la médecine rend mortelle une pathologie qui ne l'est pas et qui l'est même de moins en moins, puisque l'espérance de vie des personnes touchées par la trisomie 21 augmente. Tel est le lot de la trisomie 21 aujourd'hui, cobaye et précurseur de ce qui est annoncé pour d'autres pathologies demain. Telles sont les promesses de la technologie qui va produire des offres nombreuses, du marché qui va susciter des demandes tout aussi nombreuses et du droit qui peut créer une égalité d'accès à tout ce qui sera techniquement possible. Ce constat est largement partagé.

Quelles sont les raisons de ce qui ressemble à une perte de contrôle ? Dans un livre intitulé Les premières victimes du transhumanisme, j'ai raconté comment une firme américaine s'est emparée de la découverte de l'ADN foetal libre circulant dans le sang maternel pour la transformer en application commercialisable à des fins lucratives, qui allait devenir le diagnostic prénatal non invasif (DPNI). Le PDG de cette biotech américaine affirmait en 2008 : « Stratégiquement, nous avons choisi le syndrome de Down parmi nos objectifs initiaux, car cela représente un mal nécessaire et une importante opportunité de marché ». À l'époque, le chiffre d'affaires annoncé s'élevait à 10 milliards de dollars dans le monde. Le CCNE l'évaluait à 1 milliard d'euros pour la France. Si aujourd'hui, les personnes trisomiques sont les premières victimes de cette entreprise lucrative qui se présente elle-même comme le « Google du tri génétique », il y a d'ores et déjà des centaines d'autres gènes éligibles à ce nouveau test qui sont autant de parts de marché. Il suffit de bonnes campagnes de marketing pour créer le besoin. Le dépistage anténatal sort de sa finalité. L'idéologie transhumaniste navigue sous pavillon de complaisance médicale avec la seule boussole du profit.

Si ce sont dorénavant les possibilités techniques qui décident, dans le domaine du dépistage anténatal, à charge pour l'économie libérale de trouver une clientèle solvable, ce n'est plus la peine de parler de bioéthique. Depuis des dizaines d'années, on répète qu'il faut changer de regard sur la personne handicapée. Comment voulez-vous que le regard change quand l'eugénisme vis-à-vis de la trisomie se présente comme un « ordre établi » ? Si la trisomie apporte le désordre, alors l'élimination du porteur de désordre rétablit l'ordre. Quelle image valorisée des personnes trisomiques espère-t-on donner dans ce contexte ? Le comité onusien en charge du handicap condamne d'ailleurs régulièrement « les formes modernes de discrimination comme la politique de dépistage prénatal visant à sélectionner les enfants à naître sur la base du handicap, politique qui va à l'encontre de la reconnaissance de la valeur égale de chaque personne ».

Deux opportunités se présentent aujourd'hui pour changer de logiciel et changer de regard sur la personne handicapée.

En premier lieu, ne pas installer le diagnostic prénatal non invasif dans le paysage de la santé par un remboursement de l'assurance maladie – en Allemagne, des manifestations hostiles au remboursement du test sur la trisomie 21 étaient organisées récemment –, par le passage du seuil de risque de 1250 à 11000 et par l'extension du test en population générale, qui sont autant de menaces d'abandon du diagnostic prénatal à la robotisation.

En second lieu, ne pas légaliser l'extension du diagnostic préimplantatoire aux maladies chromosomiques qui sont des maladies génétiques mais pas héréditaires. Une telle extension opportuniste, en dehors des indications recherchées dans le cadre du DPI, ouvrirait celui-ci à des critères arbitraires, impossibles à réguler. Depuis plusieurs années, la bioéthique régularise bien plus qu'elle ne régule.

Les enfants trisomiques n'étant pas à disposition du choix des adultes, de la médecine et du marché, la consultation de la Fondation Lejeune ne choisit pas ses patients. Ce sont les rescapés de l'eugénisme qui frappent à la porte de l'Institut Jérôme Lejeune. Nous serions très honorés, mesdames et messieurs les parlementaires, si vous acceptiez notre invitation à venir visiter cette consultation.

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Lors des débats de 2011, il avait été fait état de ce que 96 % de foetus porteurs de la trisomie étaient détectés et que 93 % des foetus détectés faisaient l'objet d'une interruption de grossesse. Dispose-t-on aujourd'hui de taux actualisés ?

Vous avez évoqué les programmes de recherche financés et encouragés par votre fondation ? Qu'en est-il de la recherche publique sur la trisomie ? Les débats de 2011 avaient conclu à la nécessité d'importants efforts de recherche. A-t-on des chiffres à ce sujet ?

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Jean-Marie le Méné

Je constate que les médias citent souvent le taux de 96 %, qui était d'ailleurs cité, à l'époque, par le Conseil d'État. Je ne sais pas s'il a beaucoup varié. De toute façon, les limites de sa variation sont relativement faibles. Dans d'autres articles, certains n'hésitent pas de parler de 99 %. Mais il est intéressant de noter que dans d'autres pays, ce taux est bien inférieur. La France est l'un des pays où le taux d'interruption médicale de grossesse après diagnostic positif est le plus élevé. Aux États-Unis, par exemple, il est d'environ 60 %. De toute façon, qu'il soit de 90 %, 96 % ou 99 %, il reste élevé en France.

Il n'y a pas de sollicitation de recherche publique de la trisomie 21 autre que celle dont nous faisons la promotion à la Fondation Jérôme Lejeune. Nous sommes le premier financeur de la recherche sur la trisomie 21. Cela dit, le secteur public n'est pas à l'écart, car si nous finançons des projets de recherche, nous ne finançons pas les salaires des chercheurs. Je n'oublie pas que, pour ces recherches subventionnées à des chercheurs de l'INSERM, du CNRS ou de l'université, la puissance publique paie les chercheurs. La recherche publique est ainsi associée.

En outre, le conseil scientifique de la Fondation étant uniquement composé de chercheurs du CNRS, de l'INSERM ou de l'université, le concours gracieux qu'ils apportent à la fondation est une forme de participation à la recherche qui honore la dépense publique.

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Monsieur Le Méné, vous souhaitez éviter la production d'un grand nombre d'embryons surnuméraires pour la pratique des fécondations in vitro, sachant qu'au bout de cinq ans ou davantage, la grande majorité sont détruits à défaut de projet parental. Il arrive qu'une ou deux cellules soient prélevées pour développer une lignée de cellules souches mais l'immense majorité sont détruits sans autre prélèvement. Les experts que nous avons entendus estiment que la recherche sur l'embryon est nécessaire pour éviter la production d'embryons surnuméraires, puisque l'efficacité de la fécondation in vitro est loin d'être suffisante, en particulier dans notre pays. Êtes-vous favorable à la recherche sur l'embryon, sachant d'ailleurs qu'en France, la recherche est autorisée et réalisée sur le foetus ou le nouveau-né, dans des conditions très contrôlées, puisque ce sont des êtres vulnérables qui exigent protection. Si la recherche sur le foetus est autorisée dans certaines conditions très encadrées et contrôlées, pourquoi ne pas appliquer les mêmes règles pour l'embryon, ce qui réduirait la génération d'embryons surnuméraires ?

Vous avez raison de dire que la création des cellules iPS – que nous devons à nos collègues japonais – ouvre des potentialités intéressantes. Pour autant, vous évoquez la nécessité de recherches simultanées sur les deux types de cellules, les cellules souches embryonnaires et les cellules iPS, dans la mesure où elles présentent des intérêts distincts. Les cellules iPS sont intéressantes par leur caractère autologue, plus encore que des lignées de cellules HLA compatibles qui ne garantissent pas contre le rejet. Les cellules souches embryonnaires présentent l'avantage de ne pas être génétiquement modifiées. Ce sont des cellules naturelles permettant une adaptabilité complète du fait de leur immaturité. Les indications ne sont donc pas les mêmes. L'« étalon or » qu'est la cellule souche embryonnaire demeure de toute façon nécessaire, même pour les recherches sur les iPS, comme l'ont d'ailleurs fait les auteurs japonais qui les ont produites en comparaison avec des cellules souches embryonnaires. Les deux posent des problèmes éthiques différents. Vous avez évoqué ceux des cellules souches embryonnaires. Les problèmes posés par les cellules iPS sont, d'une part, que celles-ci sont génétiquement modifiées – ce sont en quelque sorte des OGM – et, d'autre part, qu'on peut avec elles générer des gamètes, ce qui peut être inquiétant si on utilise ces cellules pour la procréation. Pour ces deux catégories de cellules, un contrôle éthique des pratiques est nécessaire, mais vouloir se priver des unes ou des autres serait dommageable.

Vous avez cité l'Agence de la biomédecine. Pour y avoir représenté notre Assemblée pendant de nombreuses années, j'ai souvent entendu dire qu'elle regrettait quelques-unes des actions judiciaires que vous avez développées, n'aboutissant généralement qu'à retarder les recherches ou à générer des dépenses inutiles. L'expression utilisée par l'Agence est celle de « harcèlement judiciaire ». À l'avenir, envisagez-vous, pour faire valoir votre point de vue, une autre voie que celle des tribunaux, qui pénalise lourdement une recherche française déjà en retard sur celle d'autres pays ?

Vous évoquez l'eugénisme. Vous avez bien établi la distinction entre l'eugénisme de masse ou d'État comme on l'a connu au XXe siècle et la prophylaxie individuelle qui évite l'apparition d'une maladie. Celle-ci n'est pas de l'eugénisme, qui désigne toutes les mesures visant à améliorer le patrimoine génétique de l'espèce humaine. Dans un cas individuel, on n'améliore pas le patrimoine génétique de l'espèce. Ce n'est pas en empêchant la naissance d'un trisomique 21 ou d'une autre paire chromosomique qu'on améliorera l'espèce humaine.

Enfin, vous refusez le diagnostic prénatal, ce que je comprends tout à fait. D'ailleurs, personne n'envisage de l'imposer à toutes les familles qui, pour des raisons éthiques, de conviction, de réflexion comme celles que vous avez développée, ne le souhaitent pas. Mais pourquoi voudriez-vous qu'on ne l'autorise pas pour la majorité des Français qui, eux, le souhaitent, afin d'éviter l'apparition de maladies génétiques très graves ? Autrement dit, un respect mutuel entre ceux qui veulent recourir au dépistage prénatal et ceux qui ne le veulent pas est-il pour vous concevable ?

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Jean-Marie le Méné

Vous venez de parler de l'eugénisme et du dépistage prénatal. Je ne partage pas votre définition de la prophylaxie. La prophylaxie n'a jamais signifié la suppression du malade à la place de la maladie. Par le dépistage prénatal et l'interruption médicale de grossesse, la prophylaxie ne supprime pas la trisomie mais l'embryon ou le foetus trisomique.

Je ne refuse pas le dépistage prénatal. Je distingue la politique de dépistage et le diagnostic. Le diagnostic est parfaitement justifié dans quantité de cas. Quant à la politique de dépistage prénatal, je ne juge ni les personnes qui y ont recours ni ses prescripteurs, mais je constate qu'elle aboutit à l'élimination complète d'une population, triée non par de méchants eugénistes du passé mais par l'air du temps, c'est-à-dire des machines, des algorithmes, des analyses génétiques ou des analyses diverses, faute de savoir combattre scientifiquement cette pathologie. Comment offrir la possibilité de réaliser ce diagnostic pertinent et justifiable à ceux qui le demandent sans en faire une sorte d'habitude devenue totalement incolore, inodore et sans saveur chez les gens ? Les marqueurs sériques figurent le plus souvent dans la liste des analyses proposées aux femmes enceintes, mais une grande partie d'entre elles ne savent pas qu'elles doivent faire ce test. C'est le résultat qui est alarmant et non le diagnostic. Je dirai même que la technique du diagnostic non invasif, le fameux DPNI, qui arrive dans notre pays comme ailleurs, repose sur une découverte scientifique qui ne m'inspire que du respect. Trouver dans le sang de la mère enceinte des traces du génome de l'enfant qu'elle porte est une découverte extraordinaire. Ce qui est critiquable, c'est l'application technique faite par certaines firmes plus inspirées par l'intérêt financier que par l'intérêt des patientes, des familles et des femmes, comme j'ai essayé de le montrer dans le livre. Bien sûr, il faut passer des découvertes fondamentales à des découvertes appliquées pour le plus grand profit de tous, mais s'agissant de la trisomie 21, c'est le contre-exemple. La trisomie est le cheval de Troie de cette médecine en dérive à cause des intérêts technologiques, du marché, d'un effet de mode. La trisomie est vraiment le terrain d'exercice qui prépare l'arrivée du reste.

D'ailleurs, dans les rapports parlementaires, notamment en 2011, dans les rapports du CCNE ou du Conseil d'État, on lit que l'institution s'est à peu près stabilisée, mais qu'à l'avenir on risque de s'orienter vers des propositions de diagnostics malvenues. Les gens n'ont pas forcément besoin de tout connaître sur tout. À raison, on s'inquiète beaucoup de l'avenir, mais on est incapable de résoudre le problème qui nous est aujourd'hui posé, à savoir le sort injuste réservé à la population trisomique. Par ailleurs, tout le monde s'accorde à dire que la trisomie n'est pas la pathologie la plus insupportable. On se rattrape socialement en demandant à une petite fille trisomique de présenter la météo à la télévision. C'est charmant, mais tout à fait insuffisant au regard de la dureté de la politique menée en matière de trisomie.

Nous n'avons pas de sentiments négatifs à l'égard de l'Agence de la biomédecine ni à l'égard de chercheurs. Nous ne faisons pas de procès aux chercheurs. Sur un certain nombre de projets de recherche qui nous paraissaient légalement délicats, nous avons soumis à l'appréciation du juge administratif des autorisations délivrées par l'ABM, c'est-à-dire des actes administratifs. Il ne s'agit pas d'empêcher les chercheurs de chercher mais de savoir si telle ou telle recherche autorisée par l'Agence de la biomédecine est légale ou pas. Un procès un peu raide nous est parfois fait par les chercheurs, qui nous disent : nous ne pouvons pas chercher comme nous voulons et nous sommes dans une situation d'insécurité juridique. Il est certain qu'en agissant en dehors de la loi, on est en insécurité juridique. C'est au juge de le dire. Il le dit ou il ne le dit pas, mais il y travaille. Les travaux conduits par la Fondation dans ce cadre, sur le plan juridique comme sur le plan scientifique, montrent que dans bien des cas, des recherches autorisées par l'ABM auraient pu être menées sur d'autres types de tissus que l'embryon. Or l'esprit du législateur en 2004 et en 2011 devait conduire à n'utiliser l'embryon que si on ne pouvait pas faire autrement. Les chercheurs ont souvent présenté des projets sans apporter la preuve demandée par la loi qu'ils s'étaient assurés de ne pouvoir faire la même chose avec des cellules souches d'autres organes, de sang de cordon ou des iPS. Nous apportons la réponse que le chercheur lui-même aurait dû apporter et nous demandons au juge si cette recherche est légale ou pas.

J'ai cité trois cas exemplaires. On ne peut pas suspecter le législateur de 2011 d'avoir accepté a priori la recherche sur la fécondation in vitro à trois patrimoines génétiques. C'est très transgressif : le clonage est interdit, la transgenèse est interdite, la création d'un embryon pour la recherche est interdite. Ces exemples sont lourds de sens. Les réponses apportées par le juge sont équilibrée : nous n'avons pas toujours raison. Cela n'empêche pas les chercheurs de chercher, car les recours ne sont pas suspensifs. Ils n'ont pas à s'entourer de pénalistes parisiens : il ne s'agit pas de droit pénal mais d'actes administratifs. Des points de droit ont ainsi été améliorés dans les procédures de l'ABM. La motivation des décisions n'était pas toujours suffisante. Le Conseil d'État a rappelé qu'une autorisation insuffisamment motivée pouvait être entachée d'illégalité. Dorénavant, l'ABM motive davantage ses autorisations.

De même, l'existence d'une alternative aux cellules souches embryonnaires humaines doit être appréciée. Dans une décision récente, le Conseil d'État a admis que les cellules iPS pouvaient être considérées comme ayant une efficacité comparable. Certes, l'information, le consentement des parents, la recherche relèvent de la forme, mais une forme qui emporte le fond. Le Conseil d'État a parfois sanctionné des irrégularités en matière d'information et de consentement des parents. Il faut tout de même que les parents signent. La traçabilité des embryons n'est pas toujours garantie, ce que le Conseil d'État ou les juridictions administratives ont considéré comme irrégulier.

Nous ne cherchons pas à créer la polémique mais, dans une perspective pédagogique, à apporter des améliorations et à faire respecter la loi relative à la bioéthique. Il est paradoxal de constater que la priorité est souvent donnée à ceux qui transgressent la loi et que ceux qui essaient de la faire respecter sont rangés dans le camp des méchants.

Je reviendrai sur l'« étalon or » et sur la différence entre les iPS et les cellules souches embryonnaires. Certes, les cellules souches embryonnaires et les cellules iPS sont différentes au regard de leurs modalités de production, mais cela ne veut pas dire qu'elles ne sont pas équivalentes. La lecture de la littérature médicale montre que si l'on avait auparavant tendance à considérer l'embryon humain comme le golden standard, les recherches visant à comparer les vertus des iPS à celles des cellules souches embryonnaires sont de moins en moins nombreuses. L'embryon apparaît de moins en moins comme l'« étalon or ».

J'ai parlé d'« embryons OGM ». La cellule souche embryonnaire n'est pas si naturelle que cela : elle n'est naturelle que lorsqu'elle est dans l'embryon. Quand elle n'y est plus, elle a été « techniquée » pour être enlevée et placée en culture pour continuer à vivre. La cellule souche embryonnaire a subi une intervention humaine qui ne l'a pas rendue plus naturelle que la cellule iPS. On ne peut pas dire que l'une est artificielle et l'autre pas. Elles sont toutes deux artificielles. Détachée de l'embryon, la cellule embryonnaire n'est pas très à l'aise. Il est facile d'opposer l'une, l'OGM très méchant, à la cellule embryonnaire qui serait naïve et naturelle. La cellule embryonnaire présente aussi un caractère artificiel.

On a considéré aussi que les cellules iPS rencontraient des problèmes, avaient une mémoire épigénétique. On a essayé de leur trouver des faiblesses qui, pour beaucoup, ont été levées. La meilleure preuve est apportée par ce que les Japonais ont réussi à faire en moins de dix ans. Ils ont créé une banque de cellules autologues, stables, ce que nous n'avons pas. Nous avons un retard en matière d'iPS. S'agissant du screening moléculaire et de la modélisation, on peut faire de la modélisation à échelle industrielle avec une cellule iPS sans avoir recours à des embryons. En revanche, pour ce qui est de la thérapie cellulaire, force est de reconnaître que les cellules embryonnaires comme les cellules iPS présentent des difficultés. Je ne dis pas que la cellule iPS est miraculeuse. Le risque tumorigène existe dans les deux. Y a-t-il plus de raisons de favoriser l'une que l'autre ?

Ce qui mérite de donner plus de crédit à la cellule iPS, c'est la plus grande simplicité éthique. On ne se pose pas la question du statut de l'embryon, puisque les cellules iPS sont dérivées de cellules somatiques. Vous avez raison de souligner que le jour où l'on fabriquera chez l'animal des gamètes à partir de cellules iPS, on reviendra vers des problèmes éthiques. L'utilisation de la science et le développement de la technologie posent toujours des problèmes éthiques. On peut toujours faire un mauvais usage d'une bonne technologie ou d'une technologie neutre.

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Monsieur Le Méné, je remercie la Fondation pour sa contribution en matière de recherche et je poserai trois questions.

Préconisez-vous de revenir sur les changements de 2013 et 2016 en matière de recherche, puisqu'ils n'avaient pas été discutés lors des États généraux de la bioéthique et, le cas échéant, dans quelle mesure ?

Faut-il modifier la loi pour créer une banque de lignée de cellules iPS et, le cas échéant, sous quelles conditions ?

Avec le développement de l'intelligence artificielle et de la médecine prédictive, comment appréhender la vie à venir avec le risque de développer une maladie selon des données génétiques, lequel n'est qu'un risque et non une certitude ? Doit-on vivre angoissé ? Jusqu'où doit-on aller dans la prédiction mathématique si on vise le bonheur des hommes – non un bonheur prédit mais le bonheur réel ?

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Je n'ai pas de question à adresser à la Fondation Jérôme Lejeune, mais plutôt une réaction à exprimer.

Par la lecture des positions exprimées sur votre site internet et dont vous vous êtes fait l'écho lors de cette audition, j'ai pris connaissance des recommandations formulées pour 2017-2022 concernant l'interruption volontaire de grossesse (IVG), à savoir : rendre la liberté d'expression et d'opinion intacte sur le sujet de l'avortement ; abroger la loi sur le délit d'entrave à l'avortement ; abroger la résolution relative au droit fondamental à l'avortement ; interdire toute publicité et information sur l'avortement ; supprimer le remboursement de l'avortement ; a minima, réfléchir au bien-fondé du remboursement intégral de l'avortement et des actes y afférents ; supprimer les subventions au Planning familial qui promeut l'avortement.

En somme, vous voulez faire obstacle à l'avortement. Je veux rappeler que le fondement de ce droit est celui des femmes à disposer pleinement de leur corps. Cela a été fait pour mettre fin à des situations catastrophiques en termes de santé publique.

Si je prends la parole lors de cette audition, c'est aussi pour m'adresser à toutes les Françaises et à tous les Français qui suivent nos travaux et leur dire que ce droit à l'IVG est un droit fondamental pour lequel des personnes se sont battues. Elles ne doivent jamais prêter l'oreille à la critique et jamais prêter le flanc à la stigmatisation. Je crois, cher monsieur, que votre fondation et ses prises de position, particulièrement sur l'IVG, nous rappellent que le combat contre la nécessité de se dresser sans relâche face aux obscurantismes sur ce sujet reste d'actualité, et j'en suis un des premiers acteurs.

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Merci, monsieur Le Méné, pour votre intervention. Je vous poserai deux questions.

Votre fondation est un acteur majeur du financement de la recherche sur la trisomie 21. Quelle est sa contribution à ces recherches ? Avez-vous des données chiffrées à ce sujet ? À votre avis, les recherches engagées sont-elles suffisantes ?

Ma seconde question est liée à la première. Puisque vous indiquiez avoir des contacts avec des équipes du CNRS et de l'INSERM et puisque vous vous exprimez devant le législateur, y a-t-il, selon vous, des points sur lesquels il faudrait changer la législation en matière de recherche sur la trisomie 21 en France ?

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Jean-Marie le Méné

Je serais favorable à ce que l'on revienne sur les dispositions législatives votées en dehors des États généraux de la bioéthique et qui sont des réformes de fond. Je rappelle que la réforme de la recherche sur l'embryon adoptée en 2013 est la première loi sociétale qui a été votée sous le gouvernement Hollande, avant même celle sur le mariage. C'était une réforme de fond, puisqu'elle a modifié l'équilibre établi par les lois de 2004 et de 2011. On est passé d'une interdiction assortie de dérogations à une autorisation assortie d'encadrement. Je ne sais pas si concrètement, cela change les choses, mais la stratégie est différente. On peut voir dans ce changement stratégique l'origine de notre retard dans le développement d'une banque de cellules souches iPS.

La stratégie du législateur de 2004 et de 2011 visait à autoriser toutes les recherches souhaitables et possibles sur les cellules souches et à n'utiliser l'embryon que si on ne pouvait pas faire autrement. Là, au contraire, on dit : faites ce que voulez sur l'embryon. Si, dès 2008, 2010 ou 2012, on avait mis l'accent sur les iPS, on n'aurait pas pris trop de retard. Il est curieux que cette réforme de 2013 ait été préparée en 2012, l'année où M. Yamanaka a reçu le prix Nobel pour la découverte des cellules souches. On a pris ainsi une orientation stratégique anhistorique. Alors qu'il fallait s'orienter vers les cellules iPS, on s'est orienté vers l'embryon. Je serais donc favorable à ce qu'on rediscute de cette orientation. Tous ceux qui font de la recherche sur l'embryon veulent maintenir la filière mais les Japonais ont fait le contraire et, semble-t-il, avec raison, puisqu'après avoir beaucoup investi, ils obtiennent déjà des résultats sur le plan clinique.

Je rappelle que la réforme de 2016 instaurant un deuxième régime de recherche, dépendant de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et non plus de l'ABM, crée la possibilité de travailler sur des embryons in vitro et de les réimplanter avec les modifications introduites, ce qui n'était pas permis par le passé. Cette réforme a été introduite par un cavalier législatif dans la loi dite de modernisation de notre système de santé, avec des dispositions illisibles pour les parlementaires et le grand public. Ce n'était pas très honnête vis-à-vis des États généraux de la bioéthique qui commençaient à devenir une bonne habitude. Je rappelle que dans l'esprit des États généraux, que l'on retrouve d'ailleurs cette année, si les scientifiques et les médecins ont, dans le domaine scientifique, une compétence incontestée, leur compétence dans le domaine éthique n'est ni plus ni moins importante que celle du citoyen de base, du juriste, du philosophe, de la mère de famille ou du sportif. D'évidence, en 2013 et en 2016, on n'a pas été loyal. Des réformes ont été faites par des scientifiques pour des scientifiques, dans l'obscurité la plus complète pour l'opinion publique et une grande partie des parlementaires. Je ne trouve pas cela honnête et ce serait donc à l'honneur de la démocratie d'y remédier.

Je serais également favorable à une modification visant à autoriser la création de lignées cellulaires iPS. Rien ne s'y oppose. Je suis ouvert à tout ce qui peut être fait en cette matière. Je sais qu'en France, les chercheurs qui font de l'embryonnaire font aussi de la cellule iPS. Compte tenu des développements actuels en Asie du Sud-Est, nous aurions tout intérêt à nous orienter vers ce type d'investissements. Cela ne demanderait pas beaucoup de modifications législatives.

En outre, vous évoquez un risque que je ne suis pas le seul à redouter. La médecine prédictive capable de fournir des informations sur les prédispositions à des maladies que l'on risque d'avoir ou que l'on a déjà mais non encore développées est inquiétante. C'est l'une des raisons pour laquelle le diagnostic prénatal non invasif est angoissant. Il va fournir à des femmes des informations précises, très peu chères, très tôt dans la grossesse, dans le délai de l'IVG et non dans celui de l'interruption médicale de grossesse (IMG), au risque de télescoper l'organisation actuelle. Dans le délai de l'IVG, la femme n'a pas à justifier de quoi que ce soit, tandis que, dans le délai de l'IMG, le relais est pris par la partie médicale. Si ce test devient accessible à huit ou neuf semaines, la femme risque d'obtenir des informations sur la santé de l'embryon ou du foetus qu'elle porte, et elle sera seule, dans un délai où elle n'a besoin de personne pour prendre sa décision et où l'accompagnement médical n'existe pas. Si le diagnostic est délivré très tôt, des femmes devront se débrouiller seules dans une situation anxiogène, voire culpabilisante, au risque de prendre une mauvaise décision : ne pas poursuivre la grossesse en raison d'une prédisposition, sans aucun accompagnement médical. Cela ne paraît pas souhaitable.

Monsieur Hetzel, le budget de la Fondation Lejeune est d'environ 10 millions d'euros, provenant totalement de l'argent privé, puisque nous n'avons jamais obtenu un centime de subvention. Toutes les subventions que nous attribuons sont issues de la générosité du public et vont principalement à des recherches publiques. Ce sont 3 à 4 millions d'euros par an, suivant les années et la moisson. Les appels d'offres sont parfois infructueux. Nous sentons vivement la nécessité de solliciter la recherche et de l'intéresser à des programmes nouveaux, parce qu'elle n'en a ni l'habitude ni les moyens. J'ai cité les recherches croisées sur la maladie d'Alzheimer et la trisomie 21 ou sur le cancer et la trisomie. Nous intéressons ainsi les deux côtés, ceux qui sont intéressés par le cancer et Alzheimer et ceux qui sont intéressés par la trisomie 21. En faisant le pont entre les deux, nous créons une synergie vertueuse. Aux 3 à 4 millions d'euros que j'ai cités, il convient d'ajouter un peu plus d'un million d'euros versé à l'Institut Jérôme Lejeune pour financer la consultation et les recherches cliniques faites à la consultation.

Dans les contacts avec les équipes de l'INSERM ou du CNRS, nous voulons faire changer le regard. Rien ne s'oppose à ce que l'INSERM et le CNRS fassent des recherches sur les maladies chromosomiques. Les chercheurs qui s'y intéressent sont très heureux de le faire et ils ont autour d'eux de petites équipes très heureuses de le faire. Il n'y a pas, a priori, d'obstacle idéologique aux recherches, mais on en a perdu l'habitude. À un certain moment – mais cela a changé –, on disait : la France ayant fait le choix du diagnostic prénatal, il n'y aura plus de trisomie et il est inutile de chercher. Sans même se placer au plan moral, c'est une défaite intellectuelle. Dire que l'on ne chercherait plus parce que la politique de dépistage ferait qu'il n'y aurait plus d'enfant trisomique à cause du taux élevé d'IMG est intellectuellement « moyen ». On se refuserait alors à comprendre la trisomie et à trouver les moyens de la mettre scientifiquement en échec, ce qui représente un grand challenge.

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Monsieur Le Méné, nous nous remercions pour cet éclairage et pour votre contribution.

L'audition s'achève à dix-huit heures dix.

Membres présents ou excusés

Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du mardi 23 octobre 2018 à 17 h 05

Présents. – Mme Emmanuelle Anthoine, M. Philippe Berta, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, M. Guillaume Chiche, M. Patrick Hetzel, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, Mme Agnès Thill, M. Jean-Louis Touraine, Mme Annie Vidal

Excusée – Mme Bérengère Poletti

Assistaient également à la réunion. – M. Thibault Bazin, Mme Valérie Boyer, M. Maxime Minot