Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Réunion du mardi 3 juillet 2018 à 16h30

Résumé de la réunion

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  • climatique

La réunion

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L'audition débute à seize heures quarante.

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Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux avec l'audition de M. Pierre Larrouturou, économiste, qui va nous parler du projet de « Pacte finance climat », et de M. Nicolas Imbert, directeur de la fondation Green Cross France et Territoires.

Messieurs, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Comme vous le savez, le compte rendu de cette audition sera annexé à notre rapport. L'audition est par ailleurs diffusée, donc en libre accès sur le site internet de l'Assemblée nationale. Je rappelle que cette mission d'information a été créée par le Bureau de l'Assemblée afin d'étudier les politiques publiques en matière d'anticipation et de gestion de crise d'événements climatiques majeurs en zone littorale, avec la volonté de faire un point particulier sur ce qui s'est passé aux Antilles suite au passage des cyclones Irma et Maria, tout en couvrant l'ensemble du territoire hexagonal et ultramarin.

Bien évidemment, nous nous intéressons aussi à la troisième phase, celle de l'après-crise qui, après celle de l'urgence, doit permettre la reconstruction. À ce titre, nous réfléchissons également aux moyens de financer cette reconstruction, qui constitue souvent un enjeu majeur. D'une manière générale, la question des financements est centrale, à la fois en ce qui concerne les politiques d'anticipation et de gestion de crise, d'alerte, mais aussi de reconstruction. C'est à ce titre que nous avons souhaité ouvrir un nouveau volet d'auditions, consacré plus particulièrement aux questions de financement.

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Messieurs, je vous remercie pour votre présence et je vous invite à nous présenter, en une dizaine de minutes chacun, vos missions et vos actions.

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Pierre Larrouturou, économiste

Comme vous l'avez dit, madame la présidente, les enjeux sont à la fois cruciaux et multiples : il s'agit de trouver les moyens de prévenir, mais aussi de reconstruire, d'éviter que les catastrophes se multiplient et de financer des politiques d'adaptation destinées aux territoires déjà touchés, mais aussi à ceux qui vont l'être de plus en plus. Évidemment, la question du financement est l'un des points communs à tous ces dossiers. Je suis ici pour vous présenter une initiative soutenue par 150 personnalités venant de toute l'Europe, de tous horizons, de toutes sensibilités politiques.

En 2003, Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin avaient défini l'objectif du « facteur quatre », consistant à diviser par quatre nos émissions. Malheureusement, nous avons pris du retard, ce qui nous oblige à être maintenant encore plus ambitieux. Ainsi, il y a un an, Nicolas Hulot a été applaudi par l'ensemble des députés quand il a dit que, pour stopper le dérèglement climatique, l'objectif devait être de zéro émission dans trente ans – c'est ce que l'on appelle la neutralité carbone. Pour atteindre cet objectif, il nous faut diminuer nos émissions de gaz à effet de serre de 3 % par an. Or, nous en sommes très loin, puisque les émissions de la France ont augmenté de 3,2 % l'an passé : nous évoluons à l'inverse de ce qui devrait se faire !

L'urgence ne fait pourtant aucun doute, car le mouvement est en train de s'amplifier : selon Météo France, nous aurons d'ici vingt à trente ans des pics de canicule entre 53 et 55 degrés Celsius de façon très régulière en métropole, et tous ceux qui croient que la France ne sera pas gravement touchée se trompent. Sur l'ensemble du globe, on va assister à un réchauffement de 5 ou 6 degrés, accompagné d'événements climatiques de plus en plus graves, et d'une baisse très importante des récoltes. Le scénario de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture – Food and Agriculture Organization (FAO) – prévoit une diminution des récoltes comprise entre 40 % et 60 % dans les trente ans qui viennent pour une grande partie de l'Afrique, alors que la population va doubler : vous pouvez imaginer la souffrance que cela va engendrer pour des millions d'êtres humains, mais aussi les mouvements migratoires que cela va provoquer et que nous serons incapables de réguler. La Banque mondiale nous annonce plus de 140 millions de réfugiés climatiques d'ici trente ans, alors que l'Europe a déjà du mal à prendre en charge les quelques réfugiés qui commencent à arriver sur son sol.

J'en viens à la question essentielle du financement, qui se pose dans les mêmes termes dans tous les pays. Le 12 novembre 2017, le patronat de l'industrie allemande a déclaré que l'Allemagne devait réussir la transition énergétique, en laquelle il voyait à la fois une obligation morale et d'une opportunité en termes de création d'emplois, de dynamisme économique et même de leadership – qu'il vaut mieux éviter de laisser aux Chinois ou à d'autres. Cependant, Angela Merkel a indiqué ne pas savoir où trouver les 50 milliards d'euros qui seraient nécessaires à cette transition de l'industrie allemande…

Quelque temps plus tard, c'est aux Pays-Bas que la politique d'adaptation faisait la une des journaux, dans un article soulignant la nécessité de renforcer les politiques de lutte contre le dérèglement climatique, mais aussi le fait que personne ne sait qui va financer les mesures à mettre en oeuvre.

La Cour des comptes européenne estime qu'il faudrait trouver la somme colossale de 1 100 milliards chaque année pour l'ensemble de l'Union européenne, aussi bien en zone continentale que dans les territoires d'outre-mer – elle aboutit à ce chiffre en additionnant le coût des mesures à prendre dans chaque État : tant pour l'industrie allemande, tant pour le logement en France, tant pour lutter contre la sécheresse au Portugal…

En 2012, le collectif Roosevelt, dont je faisais et fais toujours partie, aux côtés de nombreuses personnalités telles que Michel Rocard ou Curtis Roosevelt, le petit-fils de Franklin Delano Roosevelt, avait pris pour slogan « Pour sauver les banques en 2008, on a mis 1 000 milliards sur la table. De la même façon, il faudrait mettre 1 000 milliards pour sauver le climat. » Certains nous soutenaient, tandis que d'autres nous prédisaient que l'Allemagne et la Banque centrale européenne (BCE) ne seraient pas d'accord. Cependant, en novembre 2014, la BCE a annoncé une mesure exceptionnelle, pour ne pas dire historique, à savoir le lancement d'un quantitative easing (QE) de 1 000 milliards d'euros – ce que l'on appelait autrefois la planche à billets, et qui se fait aujourd'hui par ordinateur – pour sauver la croissance européenne. En mars 2017, sans aucun contrôle démocratique, la BCE a créé 233 milliards d'euros en une journée, afin de les distribuer aux banques sous la forme de prêts à taux négatifs – ce qui a de quoi troubler les parlementaires français, qui passent des nuits blanches pour équilibrer le budget national en procédant par touches d'une centaine de milliers d'euros…

Les opérations de ce type s'effectuent régulièrement, et ce sont au total 2 500 milliards d'euros qui ont ainsi été créés ex nihilo en deux ans et demi, dont 11 % seulement ont été injectés dans l'économie réelle : l'essentiel de ces liquidités est destiné aux marchés financiers, au risque de provoquer une crise. Le FMI estime ainsi que nous allons vers une crise qui pourrait être dix fois plus grave que celle de 2008.

L'une des solutions que nous proposons repose sur la conclusion d'un nouveau traité européen. Nous ne sommes pas hors-sol politiquement, puisque Angela Merkel et Emmanuel Macron ont rappelé il y a dix jours, le 19 juin dernier, dans le cadre de l'accord de Berlin, que c'est cette année qu'il faut réfléchir sur l'évolution de l'Europe. Angela Merkel a expressément déclaré qu'il fallait décider cette année s'il y aurait de nouveaux traités, afin que, le cas échéant, ils puissent être ratifiés dès l'année prochaine. Au lieu de s'en tenir à une création monétaire qui va essentiellement à la spéculation, nous proposons un traité européen qui serait défini cette année et adopté l'année prochaine, ce qui permettrait de disposer des fonds correspondants dès le début de l'année 2020.

Ce traité s'organiserait autour de deux idées fondamentales. Premièrement, au lieu de créer de l'argent et de l'envoyer essentiellement là où il produit des profits de manière très rentable, c'est-à-dire vers les marchés financiers – les investissements destinés à favoriser l'efficacité énergétique ou l'adaptation aux changements climatiques sont beaucoup moins rentables, ce qui explique qu'ils soient toujours les parents pauvres quand l'argent est rare – on créerait une banque européenne du climat qui pourrait être une filiale de la Banque européenne d'investissement (BEI) – symboliquement, on ne toucherait pas à la BCE – et qui serait chargée de financer la transition énergétique dans tous les pays européens. Nicholas Stern, le grand économiste britannique, estime que chaque État devrait disposer chaque année d'une enveloppe prise sur un montant représentant 2 % du PIB mondial. Ainsi, chaque année, la France pourrait emprunter 45 milliards d'euros à taux zéro pour financer ses investissements en matière d'efficacité énergétique et d'énergies renouvelables, ainsi que sa politique d'adaptation ; l'Allemagne aurait 60 milliards d'euros, et la Pologne 16 milliards d'euros. L'un des dirigeants de la BEI me disait dernièrement que cette proposition n'avait rien d'irréaliste si l'on considère que, quand le mur de Berlin est tombé, il a suffi de six mois à François Mitterrand et Helmut Kohl pour créer, à partir de rien, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), destinée à financer la transition des pays ex-soviétiques vers l'économie de marché.

La seconde idée fondamentale du traité, c'est qu'il prévoirait un vrai budget pouvant être consommé, même en l'absence de retour immédiat. Jean Jouzel et moi-même avons publié, fin 2017, un essai intitulé Pour éviter le chaos climatique et financier, préfacé par Nicolas Hulot et postfacé par Philippe Maystadt. M. Maystadt était un grand ministre des finances, qui avait remis de l'ordre dans les comptes de la Belgique et était considéré dans ce pays comme l'équivalent de Raymond Barre. Celui qui fut aussi président de la BEI de 2000 à 2011 disait que tout ce qui est rentable à court et moyen terme peut être financé par des prêts à taux zéro, mais qu'il faut aussi un budget pour la transition énergétique, comme il y en a un pour l'éducation, la santé ou la défense : toutes ces politiques utiles, mais n'ayant pas un retour comptable mesurable tous les mois, doivent être financées par un budget.

En l'occurrence, ce budget servirait à aider à la transition sur tous les territoires européens en finançant la politique de recherche, mais aussi en aidant les régions du monde qui en ont besoin. Je pense notamment à l'Afrique, que nous devons accompagner dans son développement économique. Comme nous tous, les Africains veulent avoir un téléphone et un accès à l'énergie : or, s'ils recourent pour cela au charbon, au fioul et au gaz, la planète est fichue, c'est pourquoi nous devons les aider à évoluer économiquement sans que cela se traduise par une explosion des émissions de CO2.

Il y a un an, Angela Merkel a réuni douze chefs d'État africains à Berlin pour un sommet, dont la conclusion a été qu'il fallait un plan Marshall pour l'Afrique, ou plutôt un plan européen pour aider l'Afrique dans son développement et sa politique d'adaptation – toute la question étant de savoir comment le financer et à quelle hauteur, ce qui donne lieu à un débat politique. Si nous proposons pour notre part un budget de 100 milliards d'euros, Emmanuel Macron et Angela Merkel ont redit il y a deux semaines qu'il fallait un budget européen, une nouvelle ambition et un nouveau budget, et le Président français a proposé un budget de plusieurs centaines de milliards. Les actions à entreprendre sont nombreuses : il faut agir pour le climat, pour l'Afrique et la Méditerranée et, en matière de recherche, nous devons investir dans le stockage des énergies renouvelables, dans le développement des transports en commun, mais aussi dans la mise au point de voitures personnelles consommant beaucoup moins – l'Europe, qui a été capable de mettre au point la fusée Ariane, doit également pouvoir inventer la voiture des années 2030, qui consommera des énergies renouvelables et en faible quantité. Pour financer à la fois la transition et l'adaptation sur nos territoires, nous estimons qu'il nous faut chaque année 100 milliards d'euros de budget – un budget que l'on peut investir et consommer, en sortant d'une approche comptable à court terme.

Toute la question est de savoir comment trouver cet argent sans taxer les citoyens, et le débat à ce sujet a été relancé après le Brexit. Tout le monde veut plus d'Europe mais, dès qu'on en parle concrètement, il y a 27 Mme Thatcher qui disent : « Pas avec mon argent ! », ce qui a fait dire à Alain Lamassoure que l'Europe va crever si nous ne sommes pas capables de trouver de nouvelles ressources qui ne viennent pas des pays, mais sont des ressources propres. Il y a trente ans, Jacques Delors s'était déjà demandé comment trouver des ressources sans taxer les citoyens. Pour nous, la meilleure solution consiste à lutter contre le dumping fiscal européen. Un graphique représentant l'évolution de l'impôt sur les bénéfices depuis trente ans montre qu'il existe une concurrence acharnée en la matière : c'est à qui le diminuera le plus, en Europe comme dans le reste du monde !

Le journal Ouest-France a publié il y a trois mois une infographie montrant clairement comment, en Europe, le taux moyen d'impôt sur les bénéfices est tombé à 19 % alors qu'aux États-Unis, il était resté à 38 % depuis Roosevelt jusqu'à une période récente – il est tombé à 24 % avec Trump. À nos yeux, il serait possible de mettre les actionnaires à contribution au titre de l'effort que nous allons tous devoir consentir, individuellement ou collectivement, pour lutter contre le dérèglement climatique. En l'occurrence, il serait demandé aux actionnaires de s'acquitter d'une contribution de 5 % sur les bénéfices : cette sorte d'impôt fédéral représenterait, au total, une ressource de 100 milliards d'euros disponibles chaque année. Disposer de cette somme changerait tout pour notre politique vis-à-vis des pays du Sud ainsi que pour la politique de recherche, et permettrait de diviser par deux la facture sur tous nos territoires – en métropole comme dans les outre-mer.

L'État pourrait s'adresser aux territoires et aux citoyens en leur demandant de prendre telle ou telle mesure dans le cadre de la politique d'adaptation – il pourrait s'agir, par exemple, d'isoler les bâtiments publics et privés –, étant précisé que toutes les compétences nécessaires seraient disponibles – il faudra pour cela résoudre les graves problèmes de formation qui se posent actuellement –, en contrepartie de quoi la collectivité prendrait à sa charge la moitié de la facture : ainsi, isoler complètement une maison ne coûterait à son propriétaire que 10 000 euros au lieu de 20 000 euros, une somme pour laquelle il pourrait par ailleurs bénéficier d'un prêt à taux zéro, facilement remboursé grâce aux économies réalisées sur les futures factures de chauffage et de climatisation.

Notre projet est soutenu par plusieurs membres du Gouvernement et par un peu plus de cinquante députés de tous les horizons – nous avons également été reçus six fois à l'Élysée, ce qui semble montrer un certain intérêt du Président de la République pour nos travaux. Nous allons bientôt nous rendre à Madrid, à Amsterdam et à Rome, où nous avons été invités. Si nous parvenons à régler la question du financement, nous allons pouvoir nous attaquer aux problèmes de front au lieu de devoir déshabiller Pierre pour habiller Paul, comme nous le faisons actuellement, et d'avoir des annonces qui ne sont pas suivies d'effet. Quand Nicolas Hulot annonce un plan hydrogène, tout le monde trouve ça génial, mais quand on lit l'article consacré à cette annonce, on constate qu'il faudrait entre 5 et 10 milliards d'euros pour lancer le plan hydrogène, et que le ministre de l'écologie n'a pour le moment obtenu que 0,2 milliard d'euros – que Bercy ne lui accordera pas forcément. Si la question du financement est réglée dans le cadre d'un traité européen qui lui donne de la pérennité, on sait qu'il y aura des financements garantis pendant vingt ans, ce qui peut tout changer : on pourra à la fois isoler tous les bâtiments publics et privés, et mettre en oeuvre les politiques d'anticipation d'une part, d'adaptation d'autre part.

Enfin, dans un pays où il y a plus de 5 millions d'inscrits à Pôle Emploi, où le chômage remonte depuis quatre mois, où les prévisions de croissance sont de moins en moins positives – et alors qu'une crise financière pourrait éclater d'un moment à l'autre –, permettre la création d'emplois utiles et non délocalisables ne peut être qu'une très bonne chose pour notre pays et pour tous les pays d'Europe, et on ne saurait mieux faire pour réconcilier les citoyens avec l'idée de construction européenne.

Les financements sont débloqués au niveau européen, mais ils parviennent difficilement aux territoires, alors que c'est à ce niveau qu'on voit les problèmes et qu'on invente les solutions : ainsi, les villes ont souvent de bonnes idées. L'adjointe d'Alain Juppé me disait dernièrement que la commune de Bordeaux, qui met régulièrement en oeuvre de nouveaux projets, se trouve en permanence placée en compétition avec d'autres communes qui, elles aussi, font des choses : si elle bénéficiait de financements plus importants et plus pérennes, cette métropole pourrait aider les communes voisines à accélérer le mouvement, au lieu de se battre pour un budget avec des gens qui partagent les mêmes idées qu'elle.

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Nicolas Imbert, directeur de Green Cross France et Territoires

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de nous recevoir aujourd'hui. Le nom de notre association, Green Cross France et Territoires, met en évidence la dimension territoriale des vulnérabilités insulaires, mais aussi des pistes de résilience. Nous sommes une ONG internationale, fondée par Mikhaïl Gorbatchev en 1993 à l'issue de sa présidence de l'URSS. L'année précédente, en 1992, l'ex-chef d'État était intervenu au sommet de Rio sur l'environnement et le développement pour souligner l'urgence à agir dans ces domaines, mais aussi le fait que les moyens de mobilisation d'alors étaient insuffisants pour agir efficacement. Il avait affirmé que la transition écologique devait se faire au plus proche du territoire, en faisant appel à toutes les bonnes volontés, qu'il s'agisse des acteurs économiques de la vie civile ou des différents niveaux de gouvernement.

Notre nom, Green Cross – en français : « la croix verte », fait référence à la Croix-Rouge, qui agit dans le domaine social et sociétal tandis que le nôtre est celui de l'environnement. Notre action est concentrée sur cinq domaines, tous liés au dérèglement climatique et correspondant au quotidien des populations. Premièrement, l'eau, le littoral et l'océan – l'eau étant par excellence le besoin vital du quotidien ; deuxièmement, l'alimentation ; troisièmement, l'énergie, les villes et les territoires durables ; quatrièmement, l'économie circulaire ; cinquièmement, enfin, la coopération et les solidarités, un axe montrant bien que nous nous situons dans l'optique d'une transition écologique et que nous essayons de coconstruire – ce qui rejoint la préoccupation exprimée par Pierre Larrouturou sur la nécessité de passer d'une logique de concurrence à une coopération, notamment au niveau des collectivités locales.

Nous nous inscrivons dans une perspective humaniste, qui nous a conduits en 2015 à répondre à la demande du Président de la République, François Hollande, en amont de la COP21, à prendre part à la rédaction d'un projet de Déclaration des droits et devoirs de l'humanité, un texte à hauteur de femme et d'homme, destiné à nous guider pour permettre une évolution de l'humanité basée sur la préservation de l'environnement. Ce texte innovant, situé entre la soft law et le droit, nous permet de disposer d'un nouveau contrat global pour la transition écologique pouvant régir les rapports entre des citoyens, des États, des entreprises et différents groupes de population. Cette notion, que je ne vais pas détailler davantage pour le moment, est d'un grand intérêt dans le sujet qui nous occupe.

Dans le cadre de la présente audition, je souhaite évoquer une thématique particulière, celle de la vulnérabilité à la résilience. Sur ce point, notre association a mené des travaux avec les pays littoraux, et nous avons pu constater une impulsion extrêmement forte au moment de la COP 21, qui a joué un rôle significatif dans l'adoption du texte à l'unanimité – avec le fameux coup de marteau à la feuille verte de Laurent Fabius. L'accord de Paris tenait compte de la situation particulière des petites îles et de la nécessité de les aider à trouver des outils afin de passer de la vulnérabilité à la résilience – l'idée étant que le sort de ces petites îles préfigure ce qui attend non seulement nos zones littorales mais aussi, à terme, l'ensemble de l'humanité.

La COP 22 de Marrakech a prouvé l'importance de la mobilisation territoriale, tandis que la COP 23, qui s'est tenue sous présidence fidjienne à Bonn, a montré, tout comme les manifestations préalables à cette conférence, qu'il existait une myriade de petits et de micro-projets, d'un coût inférieur à 5 millions d'euros, permettant de répondre aux urgences et conçus localement, avec des savoir-faire locaux et dans le cadre d'un travail en réseau.

L'une des priorités s'imposant à nous, notamment dans la perspective de la COP24, c'est de respecter la feuille de route définie par l'accord de Paris. Le 15 mai dernier, assistant au sommet de Vienne des leaders en faveur du climat, auxquels prenaient part, entre autres, Laurent Fabius, Arnold Schwarzenegger et Brune Poirson, j'ai entendu deux paroles qui m'ont particulièrement marqué. Premièrement, Laurent Fabius, qui connaît mieux que quiconque l'accord de Paris, a souligné que nous n'en étions qu'à 30 % des engagements figurant sur la feuille de route définie en 2015. Au-delà de la question de l'avancement technique, ce constat obère la confiance des petits États dans l'accord de Paris et constitue un très mauvais signal au moment où un axe climatosceptique s'est mis en place autour de Donald Trump.

Deuxièmement, Arnold Schwarzenegger, qui a toujours été mobilisé en faveur d'une transition systémique, que ce soit aux côtés de l'association R20 Regions of Climate Action ou dans le cadre de son mandat de gouverneur de Californie, a déclaré au sujet du dérèglement climatique que, pour les citoyens, l'urgence porte avant tout sur la qualité de l'air et de l'alimentation, ainsi que sur les réponses qui peuvent être apportées aux phénomènes climatiques extrêmes qu'ont connus la Californie, le Colorado, la Floride et le Texas au cours des douze derniers mois. La réponse technique et politique à ces différentes questions, consistant entre autres à rechercher les moyens de faire évoluer les habitudes, notamment sur le plan alimentaire, et de construire la résilience urbaine et un futur serein pour tous, correspond bien à notre conception humaine et humaniste de la lutte conte le dérèglement climatique.

Il va y avoir, d'ici à la fin de l'année, plusieurs échéances particulièrement importantes, bien qu'elles passent un peu inaperçues. À la fin du mois de juillet va se tenir à Fidji le Climate Action Pacific Partnership (CAPP), c'est-à-dire la conférence préparatoire à la COP 24, qui va déterminer une grande partie de l'agenda qui sera porté par la présidence fidjienne à la COP 24. Il s'agira notamment de déterminer la réponse à apporter à la ligne de l'accord de Paris sur les vulnérabilités et résiliences des États et territoires insulaires, qui constitue un thème d'une actualité brûlante : de ce point de vue, il y aura vraisemblablement un marqueur politique à positionner à Katowice, lors de la COP 24. Ce point est d'autant plus important qu'il a fait l'objet de nombreuses interventions lors du One Planet Summit, et les premiers signaux donnés par la présidence polonaise de la COP 24 nous incitent à faire tout ce qu'il est possible, avant même que cette conférence n'ait lieu, pour la positionner sur une bonne trajectoire.

L'urgence d'agir est d'autant plus nécessaire que les acteurs financiers, notamment les réassureurs, les assureurs et un certain nombre de grandes marques internationales, sont aujourd'hui convaincus qu'il est urgent d'agir, et de le faire beaucoup plus vite que ce que prescrit la feuille de route fixée aujourd'hui à l'échelle européenne et à l'échelle nationale. J'en veux pour preuve le Transition Monaco Forum qui s'est tenu la semaine dernière, ayant pour objet de travailler sur des business models émergents : il s'agissait d'une manifestation du monde de la finance à la rencontre des ONG plutôt que l'inverse, qui a été l'occasion de partager l'essentiel du constat que je vous ai présenté.

Pour conclure, je veux partager avec vous quelques retours d'expérience – ainsi que les suggestions qu'ils m'inspirent –, issus de travaux menés en 2012 et ayant connu une accélération en 2015, quand le cyclone Pam a frappé le Vanuatu, avec des vents de 300 kilomètres par heure soufflant sur un bassin de population de 300 000 personnes. Le bilan avait consisté en une île totalement dévastée et neuf morts – un nombre de victimes pouvant apparaître comme relativement modéré si l'on considère que l'inondation survenue dans le même temps en région Provence-Alpes-Côte d'Azur, aux environs de Cannes et de Nice, avait fait dix-huit morts dans un bassin de population équivalent. Pour ce qui est des dommages matériels, on a constaté que toutes les installations mises en place grâce au financement international – les hôpitaux, l'accès à l'énergie, les systèmes d'assainissement – avaient été détruites, alors que les constructions traditionnelles étaient restées debout. Il a fallu répondre à la situation d'urgence, déverrouiller les ports saturés par une aide internationale inadaptée, faire arriver les bateaux qui transportaient des outils de premières urgence, nécessaires pour le quotidien des populations, aider à la reconstruction des systèmes alimentaires, des systèmes électriques, et de tous les services régaliens assurant une citoyenneté apaisée. Parallèlement, il fallait préparer le futur afin de s'assurer que la reconstruction faite dans l'urgence allait mieux tenir : il fallait éviter de reconstruire à l'identique un système qui s'était montré défaillant.

En cette occasion, nous nous sommes rendu compte de l'existence de sujets très spécifiques, notamment sur les questions relatives au littoral et aux lagons. On ne peut rien faire contre les courants ni contre les phénomènes climatiques extrêmes : on ne construit pas un barrage contre le Pacifique, pour faire référence à un célèbre roman, et il est prouvé que les techniques architecturales les plus efficaces sont celles qui ont construit des liens entre les savoirs traditionnels locaux et les connaissances les plus avancées au niveau mondial en matière technologique, scientifique, mais aussi artistique. Si l'on évalue facilement les dégâts survenus à terre et en zone urbaine, il est important pour préparer le futur de regarder également comment les courants évoluent à la suite des phénomènes climatiques extrêmes, ce qui se passe en haute mer et comment les choses sont susceptibles d'évoluer. Si nous ne le faisons pas, très souvent les mafias le feront à notre place, ce qui donnera lieu à des activités de pêche prédatrice ou à une invasion des lagons par des bateaux essayant de tirer profit du fait que les moyens de l'État sont mobilisés ailleurs.

La deuxième leçon que nous tirons de notre expérience de terrain est beaucoup plus positive : c'est que dans les techniques de construction, on voit se mettre à l'oeuvre un génie humain, une mise en valeur tout à fait essentielle du savoir-faire des patrimoines historiques et des capacités de coopération locale. Le fait de travailler par plateformes régionales permet d'avancer sans que s'instaure une logique de concurrence entre l'Atlantique, le Pacifique, la Caraïbe et l'océan Indien, et tout ce qui a pu être fait en amont avec l'économie circulaire constitue un très bon atout.

J'en viens à mes propositions, au nombre de cinq plus une. Premièrement, en matière d'événements climatiques, on se rend compte que les dispositifs d'alerte précoce ne sont pas encore optimisés et que les moyens qui leur sont alloués au sein de l'Agence spatiale européenne ou par le biais d'autres financements européens, nationaux ou régionaux, sont précaires. Comme l'avait souligné Cédric Villani dans son rapport sur l'intelligence artificielle, il convient de travailler sur une massification des moyens dans les domaines de la météorologie, du big data, des sciences participatives et des savoirs coutumiers – à titre d'exemple, il est très utile de savoir que le fait qu'un oiseau d'une certaine espèce se tienne silencieux indique qu'il va se passer quelque chose dans les sept prochaines heures. Par ailleurs, les schémas de coopération nous permettent aujourd'hui d'établir des partenariats public-privé et des coopérations internationales. Ce n'est pas le domaine réservé des GAFA : dans ce domaine, les start-up et le patrimoine d'innovation français ont un rôle essentiel à jouer.

Deuxièmement, à l'heure actuelle, les projets supérieurs à 5 millions d'euros, appliqués de manière indifférenciée sur le territoire, ne sont pas les plus adaptés aux contextes insulaires de la Caraïbe, du Pacifique ou de l'océan Indien. L'expérience a montré qu'il valait mieux privilégier une myriade de projets d'un coût compris entre 500 000 euros et 5 millions d'euros, prévoyant un partage des compétences et une mutualisation des acteurs ayant la capacité d'échanger entre eux : les projets de ce type permettent d'obtenir de bien meilleurs résultats et aboutissent à ce que l'argent mis en oeuvre soit bien mieux employé, car il aura été utilisé de façon plus intelligente et ainsi rendu beaucoup plus opérationnel. C'est cette proximité, jointe à la mise en réseau et à l'intervention de tiers de confiance, qui nous permettra d'avancer le plus efficacement.

Troisièmement, on se rend compte que, trop souvent, on s'acharne à construire des barrages contre le Pacifique, pour reprendre l'image à laquelle j'ai fait référence tout à l'heure – par exemple, des ouvrages de BTP dans certaines régions de l'Océan indien –, s'inscrivant dans une logique dépassée de développement minéral des territoires insulaires. Or, pour être efficaces contre les inondations, nous devons réintroduire l'organique et être cohérents en matière de politiques de subventions publiques et privées, dans le respect des textes internationaux ratifiés par la France.

Quatrièmement, partant du constat que le littoral – atlantique, en particulier – a beaucoup bénéficié de la taxe Barnier, consistant en un prélèvement sur les titres de transport en bateau et en avion à destination des îles, et qui est réinjectée localement au profit de projets de transition écologique locaux, de préservation du patrimoine et de ceux qui y vivent, nous pourrions créer une taxe « résilience » basée sur le même principe.

La dernière de mes cinq propositions porte sur la transition vers l'économie circulaire insulaire. Il est de dix à cent fois moins cher de prévenir plutôt que de guérir. Aujourd'hui, les îles peuvent être des pionnières de l'économie circulaire et avoir un effet d'entraînement sur tous les pays riverains qui nous permettrait de devenir au sein de chaque zone des points d'attractivité sur le moyen et le long terme.

J'ajoute une sixième proposition au caractère plus spécifique. Nous sommes à une époque où il est important de parler de la France qui gagne, et pas uniquement dans le domaine du sport. Le fonctionnement sur le mode « équipe de France » a montré sa pertinence en 2015. Nous avons aujourd'hui la possibilité de construire trois importants pôles de résilience : un premier dans l'océan Atlantique autour des îles françaises des Caraïbes ; un deuxième dans l'océan Indien autour de La Réunion ; un troisième dans l'océan Pacifique autour de la Polynésie, de la Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna. Dans les îles de la Méditerranée, et dans les îles du Ponant et du littoral atlantique, des initiatives analogues pourraient être lancées. Ces cinq pôles d'excellence seraient la démonstration que la France est pionnière dans l'application de l'Accord de Paris et que notre pays est à la hauteur des enjeux climatiques.

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Belle image que celle de l'équipe de France. Cela me fait penser au discours du Président de la République, la semaine dernière, lors de la restitution des assises de l'outre-mer : il a évoqué l'« archipel de France » et notre inscription dans une stratégie îlienne internationale.

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Comment la couverture assurantielle pourrait-elle être améliorée ? Je pense, bien sûr, à Saint-Martin qui n'est sans doute pas un exemple à suivre. Comment financer la reconstruction ? Avez-vous des préconisations quant à l'utilisation du « fonds Barnier » ?

Par ailleurs, comment, selon vous, mieux prévenir le recul du trait de côte ? Faut-il légiférer pour prendre en compte l'impact du changement climatique sur la localisation des activités ?

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Nicolas Imbert, directeur de Green Cross France et Territoires

S'agissant des côtes, nous sommes confrontés à la difficile question de la transmission du patrimoine en zone littorale. Les notaires sont parfaitement conscients des enjeux. Un acte notarié portant, par exemple, sur un hôtel « pieds dans l'eau » a des implications non seulement à trente ou cinquante ans, mais aussi à court terme.

Sur ce sujet, je n'ai malheureusement pas de propositions construites. Il faut se poser la question de savoir si l'État doit continuer à intervenir en garantie de la perte du patrimoine. Des investisseurs avisés ne pourraient-ils prendre des risques dans ces zones ?

J'appelle votre attention sur la qualité des travaux et analyses prospectives menés par la région Aquitaine, sous l'égide d'Hervé Le Treut et de Françoise Coutant, vice-présidente du conseil régional. Je citerai aussi les initiatives lancées sur la Côte d'Opale, qui est confrontée à la même problématique. Enfin, je rappellerai la nécessité pour la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur et la région Occitanie d'avoir une stratégie concertée et, de manière générale, l'impératif que constitue la coopération avec les pays voisins. Rien ne sert d'entreprendre des actions de préservation des dunes sur le littoral du Nord si, du côté belge, une logique d'urbanisation est privilégiée et vice-versa.

Le « fonds Barnier », excellent outil, est aujourd'hui sous-dimensionné d'un facteur dix, alors qu'il était surdimensionné au moment de sa création.

L'un des problèmes posés par la reconstruction renvoie à la grammaire assurantielle en vigueur qui privilégie la reconstruction à l'identique. Or si le bâtiment à reconstruire a été détruit par un phénomène climatique extrême, c'est sans doute que sa conception le rendait vulnérable.

Lors d'une visite aux Fidji après un cyclone, il y a six mois, j'ai eu l'exemple d'un chef de village qui a pris l'initiative de reconstruire l'ensemble du village à cinq cents mètres de la côte et deux mètres plus haut, sur la montagne. C'est une chose aisée en droit coutumier fidjien. Les habitants de Soulac-sur-Mer ou de Balaruc-les-Bains aimeraient sans doute disposer de telles facilités. Cela implique d'être suffisamment avancés dans l'identification des vulnérabilités et des résiliences pour déterminer des zones à enjeux spécifiques et de mettre à profit le droit à l'expérimentation écologique afin de tester différentes formules et évaluer leur acceptabilité auprès de la population. Cela nécessite d'anticiper les traumatismes culturels et personnels que peuvent susciter les changements dans la manière de vivre le littoral dans les zones métropolitaines mais plus encore dans les sociétés coutumières où les ancêtres vivent sur la bande littorale. Là, c'est un rapport au temps et aux générations qui risque d'être affecté.

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Pierre Larrouturou, économiste

Pour de multiples raisons, la reconstruction à l'identique ne devrait plus être privilégiée, d'autant qu'il y a une alternative à la technique du béton avec le bois. Des immeubles en bois sont en cours de construction à Bordeaux et nous avons l'exemple d'un projet d'immeuble de douze étages à Rennes. C'est un matériau solide qui ne brûle pas. Pour faire du béton, il faut du ciment, de la ferraille, ce qui nécessite une grande quantité d'énergie. Selon une étude de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), la construction d'un mur en béton produit 440 kilos de CO2 alors qu'un même volume de bois en stockera, en un siècle, 425 kilos. Pourquoi continuer à construire avec du béton alors que le bois local fournirait une excellente matière première ? Dans une vidéo, des équipes de Bouygues, qui se sont formées à la construction en bois, expliquent que les chantiers sont beaucoup moins fatigants, beaucoup moins bruyants et beaucoup moins polluants et que le résultat allie beauté et confort. Le patron d'Eiffage, qui compte parmi les soutiens de notre pacte pour le climat, estime que des ouvrages d'art pourraient être à l'avenir construits en bois ou en bambou. C'est une piste qui vaut pour les territoires les plus vulnérables, qui sont en quelque sorte un laboratoire, mais aussi pour l'ensemble des territoires européens.

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Monsieur Larrouturou, comment imaginez-vous l'organisation de ces nouveaux moyens ? Quelles sont les échéances ? Nous savons qu'un rendez-vous du G7 est prévu à la fin de l'année.

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Dans un climat européen particulièrement tendu !

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Pierre Larrouturou, économiste

Soit on est tétanisé par la situation inquiétante de certains pays européens et on ne fait rien, soit on considère qu'il faut agir et aller vite. Une tribune intitulée « Maintenant ou jamais », signée par Pascal Lamy, Miguel Angel Moratinos et Denis MacShane, sera publiée dans la presse ces jours-ci.

Rappelons que deux semaines ont suffi à Robert Schuman et à Konrad Adenauer pour prendre la décision révolutionnaire, selon le titre du Figaro d'alors, qui a consisté à créer la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) alors que cela faisait des décennies que les pays européens étaient en conflit et que les guerres qu'ils s'étaient livrés avaient fait des millions de morts. Adenauer a pu dire que cela avait été le plus beau jour de sa vie, qu'il avait vu le ciel s'ouvrir devant lui.

La semaine dernière, à Rennes, Jean Jouzel et moi-même avons participé à un débat organisé par la maison de l'Europe de Rennes, l'université de Rennes et Ouest-France, dont le titre était : « Et si l'Europe était la dernière chance pour sauver le climat ? Et si le climat était la dernière chance pour sauver l'Europe ? » Il n'y a peut-être plus beaucoup de sujets susceptibles de rassembler les pays européens. L'accord entre Mme Merkel et M. Macron était à peine signé que neuf pays ont déclaré qu'ils n'en voulaient pas et qu'ils étaient las des initiatives du couple franco-allemand. Parmi eux figuraient les Pays-Bas, alors que s'il y a bien une chose qui pourrait bénéficier à ce pays, c'est un traité sur le climat qui l'aiderait à financer des actions de lutte contre le dérèglement climatique.

L'année 2018 est fondamentale. Avec Trump, nous savons que la COP24 ne peut aboutir à aucun accord ambitieux. Il y a certes la réunion du G7, que vous avez citée, Madame la Présidente, mais nous visons plus particulièrement le sommet des chefs d'État et de gouvernement européens qui se tiendra le 13 et le 14 décembre prochain à Bruxelles, sommet historique selon Mme Merkel et M. Macron. Depuis la chute du mur, il y a trente ans, on ne cesse de se demander où va l'Europe et quels sont ses projets. Dans cinq mois, son avenir se décidera. Il serait bon qu'un grand nombre de parlementaires, de tous horizons, incitent Mme Merkel et M. Macron à débloquer les financements pour accélérer le mouvement dans les territoires. La Chancelière allemande a compris que la situation était en train de s'aggraver et qu'il fallait prendre les décisions en 2018 pour voir un accord ratifié en 2019. Si le nouveau traité était adopté le même jour que les élections européennes, en mai 2019, cela aurait de l'allure. Le grand philosophe allemand Jürgen Habermas a formulé le voeu que les référendums portant sur les traités soient organisés la même semaine dans tous les pays de l'Union européenne. Ce serait une bonne façon de signifier que l'Europe n'est pas aux mains des lobbies et des banques, mais qu'elle est là pour mettre la finance au service du bien commun, au service des peuples. Ceux qui ont voté pour des partis comme la Ligue ou le Mouvement Cinq Étoiles doivent pouvoir constater qu'il y a de l'argent européen qui arrive sur leurs territoires et qui les aide à créer des emplois. Il y a urgence pour lutter contre le réchauffement climatique qui fait des morts partout dans le monde. Il y a urgence pour sauver l'Europe. Nous savons que nous ne parviendrons sans doute pas à l'unanimité mais pour entraîner déjà l'adhésion de dix ou onze États-membres, nous devons mettre cette idée sur la table le plus rapidement possible.

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Nous avons le sentiment d'un décalage entre la réalité du terrain, qui ne se manifeste malheureusement qu'au moment où un événement climatique survient, et la perception qu'en ont les instances de décision. Durant ses huit mois de travaux, la mission d'information a pris la mesure des batailles que menaient les territoires pour que l'urgence de la situation soit reconnue. Un travail transpartisan doit être mené pour faire prendre conscience des enjeux aux élus. Dans cette perspective, nous avons tenu à ce que la première audition de la mission d'information réunisse des scientifiques.

Que pensez-vous d'une loi sur le changement climatique ? Quel est votre avis sur le système assurantiel ?

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Pierre Larrouturou, économiste

Lors d'une de mes récentes visites à La Réunion, l'île a été paralysée pendant vingt-quatre heures par un cyclone qui n'a pas fait de morts contrairement à celui qui l'a suivi quinze jours plus tard. Quand l'université a rouvert, la conférence prévue a eu lieu : toutes les forces vives – l'évêque, le représentant du parti communiste, le directeur local d'EDF et le président de l'université – sont tombées d'accord pour adhérer à notre pacte.

Parmi les responsables européens, il y en a qui n'ont pas encore saisi la gravité du problème. Lorsque Jean Jouzel et moi-même avons été auditionnés au début du mois de juin par la commission du développement durable et la commission des affaires européennes, certains députés ont été assez humbles pour venir nous dire qu'ils avaient pris conscience grâce à nous de l'urgence de la situation.

Un traité européen sur le climat susciterait à travers toute l'Europe un passionnant débat qui serait l'occasion de donner la parole à des personnes affectées par le dérèglement climatique et à celles qui ont innové. Il serait bon que, la même semaine, un référendum soit organisé pour le ratifier et qu'il soit suivi de lois qui en tirent les conséquences, qu'il s'agisse de la gestion du trait de côte ou des normes d'isolation de tous les bâtiments publics et privés à imposer dans les vingt années à venir. Il n'y aura pas trois millions de bonnets rouges qui manifesteront si le débat montre que la question nous concerne tous, qu'elle suppose un choix collectif, et que ce n'est pas seulement l'affaire de Nicolas Hulot ou Jean Jouzel. Les citoyens européens auraient le sentiment de pouvoir agir ensemble : ils mettraient à profit les financements de l'Europe pour lancer des opérations concrètes sur les territoires en matière de transport ou d'agriculture par exemple. Cela créerait une dynamique, à l'instar de celle suscitée par Kennedy lorsqu'il a déclaré que les Américains iraient sur la lune. Toute l'Amérique a été mobilisée : 400 000 emplois ont été créés et, sept ans plus tard, le but était atteint. Sauver la planète peut être un objectif très mobilisateur : face aux difficultés, les Européens se retrousseront les manches et échangeront leurs bonnes pratiques entre territoires.

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Nicolas Imbert, directeur de Green Cross France et Territoires

Je voudrais appeler votre attention sur un point : il y a besoin non pas d'une loi en plus des autres mais d'une loi qui fixe un cap et qui détermine les étapes pour y arriver et leur cohérence d'ensemble.

Nous sortons du débat citoyen sur la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), auquel je regrette que les parlementaires aient été si peu associés. Il a fait ressortir des idées innovantes susceptibles d'alimenter le débat sur une loi d'orientation sur le changement climatique. Les populations ont besoin d'être rassurées sur leur santé ainsi que sur la mobilité et l'habitat par des messages clairs – inutile d'affoler tout le monde avec le moustique Tigre qui tue un million de fois de plus que le requin. En deux semaines, pour reprendre l'échéancier de la CECA cité par Pierre Larrouturou, il serait possible de construire le socle d'une loi ambitieuse qui mette à l'honneur l'idéal européen, qui crée une dynamique commune et qui repose sur la décentralisation. Elle deviendrait un marqueur idéologique fort et fournirait aux entreprises, qui attendent des signaux au niveau européen, des outils pour consolider leur compétitivité à l'échelon mondial.

À cet égard, nous pourrions nous inspirer de certains aspects de la législation relative à la lutte contre le dérèglement climatique que la Chine a construite pour son territoire intérieur et les nouvelles routes de la soie – je mets à part, vous l'aurez compris, les questions de société et de droits de l'homme.

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Au-delà des grands principes, il faut se donner les moyens de nos ambitions. Sans loi de programmation des voies et moyens de lutte contre les changements climatiques, rien ne changera.

La lutte contre le changement climatique doit aussi s'appuyer sur les collectivités territoriales, dont les élus, sensibles aux enjeux planétaires comme aux dépenses de leur collectivité, mènent des actions en ce domaine, par exemple, en réduisant la puissance de l'éclairage public ou en améliorant l'isolation et le chauffage des bâtiments publics. Ce sont autant de sources d'économies. J'ai pu en faire l'expérience dans ma commune de 15 000 habitants.

Pour finir, je me pose la question de savoir si l'Europe pourra parvenir seule à des effets concrets. Qu'en sera-t-il des États-Unis ou de l'Asie ?

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Comme M. Imbert, je crois que le salut viendra peut-être de la Chine, pour laquelle la lutte contre le réchauffement climatique est une nécessité absolue.

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Pierre Larrouturou, économiste

Quand Donald Trump a annoncé que les États-Unis sortiraient de l'Accord de Paris, beaucoup ont craint que la Chine fasse de même. Or elle tient bon, Miguel Angel Moratinos, ancien ministre espagnol, me l'a confirmé tout récemment. Le numéro 2 du gouvernement chinois était ainsi aux côtés du président français au siège de l'Organisation des Nations unies il y a quelques semaines pour soutenir le pacte mondial pour l'environnement. Cela dit, la Chine a de tels besoins en énergie qu'elle ouvre toutes les semaines une centrale fonctionnant au charbon.

Nous pensons, sauf miracle, qu'il sera compliqué de conclure un accord avec les États-Unis, même si trente-huit des cinquante États américains ont fait part de leur volonté de poursuivre le chemin tracé par l'Accord de Paris. Pour rattraper le temps perdu, un changement radical s'impose, une véritable disruption – l'ampoule n'a pas été inventée en améliorant la bougie. Nicolas Hulot vise zéro émission de CO2, ce qui implique d'isoler 100 % des logements, de repenser 100 % de la chaîne alimentaire et 100 % des transports. Cela réclame un effort colossal. Tant mieux si les Chinois se joignent à nous, mais, pour montrer qu'un autre avenir est possible, nous misons prioritairement sur deux continents réunis par un avenir commun : l'Europe, qui est la première puissance mondiale, ne l'oublions pas, et l'Afrique. Donald Trump prétend que la lutte contre le réchauffement climatique est une invention des Chinois et que sa préoccupation principale est l'emploi. Nous pourrons lui opposer à lui et à ses successeurs qu'en prenant le problème du climat à bras-le-corps, qu'en visant la neutralité carbone, on arrive à créer massivement des emplois – l'ADEME estime à 800 000 ou 900 000 le nombre d'emplois nouveaux en France, ce qui ferait 5 millions d'emplois en Europe et plus encore de l'autre côté de la Méditerranée. L'effet domino ne joue pas seulement négativement ; il peut se manifester aussi positivement, quand, par exemple, deux continents font la preuve des bienfaits d'une autre voie. Cela fera réfléchir les autres pays qui se diront qu'ils ont été bien bêtes de ne pas nous avoir suivis.

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Nicolas Imbert, directeur de Green Cross France et Territoires

En matière d'engagement mondial pour le climat, on a constaté depuis la COP 21 qu'en dehors des grandes conférences internationales dont le rythme est très lent, il était efficace de réunir les acteurs du multilatéralisme pour qu'ils travaillent ensemble à des projets et approfondissent la logique de coopération. C'est un échelon important à prendre en compte.

Pour ce qui est de la mobilisation des États-Unis et de la Chine, je partage toutes les nuances qu'a apportées Pierre Larrouturou. Nous savons que nous pouvons compter sur l'engagement de Jeri Muoio, maire de West Palm Beach, de Jerry Brown, gouverneur de Californie, qui accueillera à San Francisco en septembre le sommet mondial sur l'action climatique, ou encore du Texas et, à l'échelon, sur celui des îles Fidji, de la Colombie, de l'Argentine, de l'Afrique du Sud, pays qui ne s'étaient pas illustrés par leurs positions avant-gardistes et qui construisent à présent des solutions de résilience.

Des visionnaires ont inventé le « 1 % de solidarité pour l'eau », qui n'a pas été utilisé à la hauteur des moyens imaginés par le législateur au moment où les débats initiaux ont eu lieu. On pourrait actualiser cet outil dans le cadre d'une loi de programmation des finances publiques ou d'une loi adaptée, ce qui permettrait de nous inscrire dans le cadre des objectifs du « Pacte finance climat ».

Nous sommes dans une situation d'urgence. Heureusement, les acteurs des territoires sont mobilisés et nous voyons bien que des choses intéressantes sont en train de se passer. Engager des moyens est un impératif mais c'est également un investissement avisé dans l'avenir. Cette législature vous offre une occasion d'agir, ce qui est une nécessité. La tâche n'est pas facile mais tout ce que nous pourrons faire pour favoriser la mobilisation, le partage de projets et de bonnes pratiques, nous le ferons à la mesure de nos faibles moyens associatifs. Il est essentiel de remettre l'humain au centre du débat et d'expliquer à nos concitoyens que nous travaillons pour la santé au quotidien et pour un futur serein qui ne laisse personne au bord de la route.

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Je vous remercie pour vos contributions, messieurs. Nous tâcherons d'oeuvrer auprès de nos collègues pour faire connaître ces solutions d'avenir, urgentes et salutaires pour l'ensemble de l'humanité.

L'audition s'achève à dix-sept heures quarante-cinq.

Membres présents ou excusés

Réunion du mardi 3 juillet 2018 à 16 heures 30

Présents. - M. Yannick Haury, Mme Sandrine Josso, Mme Maina Sage

Excusés. - M. Bertrand Bouyx, M. Stéphane Claireaux, M. Hugues Renson

Assistait également à la réunion. - M. Jimmy Pahun