Commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie risques chimiques, psychosociaux ou physiques et les moyens à déployer pour leur élimination

Réunion du mercredi 11 avril 2018 à 14h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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L'audition débute à quatorze heures quinze.

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Nous recevons aujourd'hui trois membres du cabinet Pradel, tous trois docteurs en droit et avocats au Barreau de Paris.

Le cabinet Pradel est connu pour sa pratique et son expertise dans le domaine de la santé au travail. Vous publiez aussi régulièrement des articles de doctrine sur le sujet de la santé au travail ; l'un des tout derniers analyse les dispositions de l'ordonnance n° 2007-1389 du 22 septembre 2017 relative à la prévention et à la prise en compte des effets de l'exposition à certains facteurs de risques professionnels et au compte professionnel de prévention.

Nous sommes donc intéressés par votre analyse de l'état positif du droit, mais également par vos réflexions sur ce que ce qu'il conviendrait de faire pour améliorer concrètement la prévention des maladies professionnelles dans l'industrie.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment. Je vous demande donc de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Me Perle Pradel-Boureux, Me Camille Pradel et Me Véronique Branger prêtent serment.

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Perle Pradel-Boureux

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, nous savons l'importance des travaux réalisés par votre commission d'enquête et nous vous remercions de votre confiance et de nous faire l'honneur de cette audition. Nous sommes avocats et traitons toute l'année, au quotidien, des dossiers de maladies professionnelles. Les règles concernant la prise en charge des maladies professionnelles vous ont déjà été présentées : pour résumer, seules certaines lésions listées dans des tableaux de maladies professionnelles peuvent être prises en charge. Les pathologies qui ne répondent pas aux critères d'un tableau de maladies professionnelles peuvent aussi être admises comme maladie professionnelle, mais sous des conditions spécifiques, vérifiées par un comité régional de reconnaissance de maladie professionnelle.

L'enjeu de cette réflexion étant la santé, je vais rappeler ici la définition que donne de ce terme l'OMS : la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. Il faudrait un bouleversement très important de la matière si le droit de la sécurité sociale devait demain indemniser les atteintes, par exemple, au bien-être social – une explication de ce caractère restrictif étant d'ordre budgétaire. Nous savons que le pouvoir législatif comme le pouvoir réglementaire entendent maîtriser et anticiper les coûts, ce qui implique de définir précisément les situations ouvrant ou non des droits de sécurité sociale.

Pour ce qui concerne le sujet de cette audition, les principaux risques professionnels dans l'industrie sont : les troubles musculosquelettiques (TMS), qui représentent près de 80 % des pathologies reconnues comme maladie professionnelle par le service public de sécurité sociale ; les cancers professionnels, en particulier ceux liés à l'amiante ; les accidents de chutes de hauteur ou liés à des machines. Le droit de la sécurité sociale permet bien entendu la prise en charge de ces lésions professionnelles. Les lésions liées aux risques psychosociaux sont prises en charge, mais font actuellement l'objet de débats, abordés également devant votre commission d'enquête.

La prévention des risques professionnels relève à titre principal de la responsabilité de l'employeur, sur lequel pèse une obligation de résultat ; c'est pourquoi nos propositions visent à associer encore mieux l'employeur à la protection des salariés. L'employeur est en effet le mieux placé pour procéder à l'évaluation des risques professionnels ; c'est lui qui prend en conséquence les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs – il est important de rappeler ici que tous les employeurs de droit privé sont soumis aux dispositions du code du travail relatives à l'hygiène et la sécurité, quel que soit le nombre de salariés qu'ils emploient. Tous les salariés doivent bien sûr en bénéficier, quelle que soit la nature de leur contrat de travail.

Vous nous auditionnez sur la question des pathologies professionnelles dans l'industrie. En tant que praticiens du droit de la santé au travail, nous pensons que quatre aspects de la réglementation peuvent être améliorés.

Premièrement, il faudrait rétablir le suivi individuel des salariés exposés aux agents chimiques dangereux (ACD), parmi lesquels les agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR), supprimé depuis le 1er octobre 2017.

Deuxièmement, l'information donnée aux actionnaires concernant la prévention du risque « qualité, hygiène, sécurité, environnement » (QHSE) peut être améliorée.

Troisièmement, en matière de sous-traitance, il faut prévoir la remontée des informations sur les expositions aux agents pathogènes par les sous-traitants vers les entreprises donneuses d'ordres.

Enfin, la documentation QHSE établie par le code du travail peut être améliorée.

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Camille Pradel

Il existait dans les années 2000 une réglementation qui assurait le suivi des expositions aux agents chimiques dangereux, dont les agents CMR. Elle a été intégrée en 2010 au dispositif « pénibilité », qui a connu depuis certaines évolutions.

En 2017 – autrement dit assez récemment –, les expositions aux ACD ont été retirées du suivi dans le but de simplifier le dispositif. Pour autant, le dispositif antérieur n'a pas été rétabli ; à notre sens, il est nécessaire de le faire car son absence pose une difficulté de prévention du risque professionnel : cette information individuelle permettait aux salariés d'être informés et elle assurait un contenu au dossier du service de santé au travail. Il y a aussi un risque judiciaire pour les entreprises elles-mêmes, car on peut anticiper que ce suivi individuel pourrait être rétabli par voie jurisprudentielle, sur le fondement des principes généraux posés par le code du travail. Si le pouvoir réglementaire ou législatif ordonnait un tel rétablissement, il faudrait le faire le plus tôt possible, car plus le temps passe, plus le suivi interétablissements sera compliqué et difficile à restaurer.

Ces remarques portaient sur la situation des salariés en général ; je tiens aussi à alerter votre commission d'enquête sur le cas particulier du travail temporaire. Depuis 2015, un décret permettait à l'entreprise de travail temporaire employeur d'avoir l'information concernant les expositions aux ACD. Or, depuis le 1er octobre 2017, l'employeur lui-même n'a plus cette information. Il y a une vraie difficulté de prévention du risque professionnel, dans la mesure où l'obligation de prévention pèse d'abord sur l'employeur.

Concernant l'information des actionnaires, le code du travail prévoit l'information annuelle des actionnaires sur la situation de l'entreprise en matière sociale, par la transmission du bilan social. Concernant la prévention du risque QHSE, autrement dit le risque professionnel, un décret récent de décembre 2017 a simplifié et rationalisé, le contenu du bilan social et de la base de données économiques et sociales (BDES). C'est heureux et d'ailleurs assez bien fait. Ce décret porte un certain nombre de lignes ; nous en avons dénombré 105 concernant le thème de la prévention des risques professionnels et nous tenons ce travail à la disposition de votre commission.

C'est un document complet qui, pour un responsable de prévention, un préventeur, est efficace. Mais vous pourriez peut-être solliciter une hiérarchisation de l'information des actionnaires et sélectionner quelques indicateurs particulièrement pertinents qui permettraient de suivre l'évolution de la performance QHSE de l'entreprise et de comparer les entreprises entre elles, afin que la performance QHSE devienne un outil d'évaluation de l'efficacité de l'entreprise. Mais pour ce faire, il faudrait sans doute hiérarchiser les informations : continuer d'exiger la transmission du bilan social, mais prévoir que la réglementation isole cinq facteurs qui font l'objet d'un reporting particulier. C'est un peu ce qui se passe dans le bilan annuel présenté au CHSCT où les questions d'égalité homme-femme ou de la pénibilité au travail font l'objet d'une présentation isolée.

La question de la sous-traitance a été abordée à plusieurs reprises devant votre commission d'enquête : comment prévenir le risque professionnel dans la situation de sous-traitance ? Un point, notamment, a été soulevé : la tentation d'une « optimisation » du risque professionnel, si l'on peut s'exprimer de la sorte et à supposer que ce soit démontré, qui consisterait à confier à une entreprise partenaire le soin de réaliser les travaux les plus pathogènes.

On doit distinguer deux situations selon qu'il y a, ou non, interaction entre les salariés d'entreprises distinctes.

Le code du travail organise déjà la prévention du risque professionnel lorsqu'il y a une telle interaction. C'est notamment le rôle du plan de prévention des risques professionnels, déclinés de manière plus spécifique en matière de BTP ou de livraison via le protocole de sécurité. Le plan de prévention est très détaillé et le CHSCT – le CSE demain – est associé à la démarche de prévention. Peut-être pourriez-vous faire en sorte que la réglementation prévoie un effort spécifique sur les expositions aux agents pathogènes, puisque le plan de prévention porte surtout sur les accidents du travail, mais pas vraiment sur les expositions à un environnement pathogène.

À l'inverse, lorsqu'il n'y a pas d'interaction, le code du travail et globalement silencieux, notamment pour appréhender ce que vous pointiez : le fait de confier à une entreprise partenaire les travaux les plus pathogènes.

Ce silence a plusieurs explications. La première est d'ordre juridique : ces entreprises sont autonomes et le droit ne gère pas les contrats négociés de manière libre par les partenaires économiques.

La deuxième est de nature économique : il ne faudrait pas qu'une réglementation trop pointilleuse favorise la délocalisation hors de France. Si vous régulez trop les contrats de sous-traitance, le danger est de favoriser la sous-traitance à l'étranger. J'imagine que ce n'est absolument pas le but de votre commission d'enquête, qui tend plutôt à favoriser notre industrie et l'emploi en France.

La troisième explication est liée au droit communautaire : il n'est pas certain qu'une réglementation qui réglerait directement ces questions soit conforme au droit communautaire.

Notre proposition fonctionne un peu sur le principe de ce qui existe s'agissant du devoir de vigilance en matière URSSAF lorsqu'un certain volant d'affaires existe entre les entreprises : elle consisterait à assurer la transmission de l'information sur les expositions pathogènes par poste de travail, de l'entreprise sous-traitante vers l'entreprise donneuse d'ordres. À partir d'un certain volant d'affaires, pourquoi ne pas permettre la transmission de cette information au CHSCT de l'entreprise donneuse d'ordres ? Cette proposition pourrait être mise en oeuvre assez simplement, puisque les données existent déjà : normalement, si l'entreprise sous-traitante a un CHSCT, elle présente annuellement les expositions à la pénibilité par poste de travail. Ce ne serait qu'une simple information, mais qui aurait au moins le mérite de faire avancer le débat : l'information ne nuit jamais…

La documentation QHSE fixée par le code du travail est très diverse. Le document central est le document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP), auquel s'ajoutent d'autres documents : le poste de travail doit être défini ; pour les postes exposés au CMR, il faut une notice de travail ; la liste des postes présentant un danger particulier doit être dressée pour les contrats dits précaires : CDD, intérim, etc.

Il est curieux que la réglementation n'en ait pas tiré de conséquences. Elle se réfère au même concept : le poste de travail, mais elle ne fait pas le lien entre l'élaboration de ces documents et la référence au poste de travail tel qu'il est défini dans le DUERP. Peut-être, demain, la réglementation pourrait-elle se référer expressément à la notion de poste de travail, sous-jacent commun à tous les documents. Cela supposerait peut-être d'avoir un modèle CERFA pour le DUERP. Il existe d'ailleurs des CERFA concernant la fiche de pénibilité au travail. Ce serait techniquement possible d'en avoir un concernant le DUERP.

Cela permettrait de renforcer la sécurité et, peut-être, de tirer les conséquences de la pratique consistant à réaliser une nomenclature des postes. Si vous lisez les développements du code du travail liés au DUERP, vous constaterez qu'il n'y a pas vraiment de précisions. C'est dommage : il faudrait prendre les entreprises par la manche dans cette affaire et dicter la manière de rédiger le document unique de façon à atteindre les objectifs souhaités par le législateur.

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Merci à vous pour cet exposé très travaillé. On sent que vous connaissez le sujet et que vous avez réfléchi à la manière dont nous pourrions intervenir sur la législation.

J'ai plusieurs questions à vous poser pour engager le débat. Quel est votre point de vue sur la spécificité des PME à propos de la question de la santé au travail dans l'industrie ? Vous avez évoqué la sous-traitance et l'intérim ; il serait utile d'avoir votre avis. Ces structures n'ayant pas les mêmes réalités, elles se trouvent sans doute confrontées à des problèmes de nature différente, notamment pour remplir les documents.

Vous avez évoqué cinq facteurs qu'il faudrait isoler dans le bilan social pour rendre la communication aux actionnaires plus efficace et permettre des comparaisons. Pouvez-vous nous en dire plus, j'imagine que vous n'avez pas donné ce chiffre au hasard ?

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Camille Pradel

Les cinq facteurs correspondent aux cinq doigts de la main, mais effectivement, ce chiffre n'est pas le fruit du hasard !

Concernant le caractère spécifique des PME, nous avions eu l'honneur d'être auditionnés devant la commission du député Sirugue sur la pénibilité au travail. À l'époque, le constat avait été fait que plus d'une entreprise sur deux n'avait pas de document unique, ce qui m'avait surpris : ce n'est pas ce que je rencontre dans ma pratique professionnelle. Il en était ressorti l'idée que la réglementation impose un certain nombre de documents, mais que les employeurs ne parviennent pas nécessairement à les établir et les remplir.

Vous êtes alors face à un dilemme en tant que législateur. La loi doit être respectée, et en cas de problème, si la PME n'a pas rempli le document, c'est une catastrophe. En cas d'accident grave ou de maladie professionnelle grave ou s'il y a une inaptitude d'origine professionnelle, les conséquences pour l'entreprise qui n'a pas rempli les documents obligatoires sont démultipliées, puisque sa taille fait que la condamnation menace parfois sa survie même. Dès lors que la loi est maintenue, il est absolument nécessaire que ces entreprises établissent ces documents, ne serait-ce que parce que la réalité judiciaire fait que ces entreprises de petite taille subissent totalement les conséquences.

Dès lors, comment aider ces entreprises ? Je crois à la force de l'INRS, qui réalise une documentation très bien faite, complète, exhaustive, et qui a la capacité d'assurer une diffusion telle qu'elle garantisse, en principe, la connaissance de la règle de droit, via les chambres de métiers ou les chambres d'industrie. Peut-être faut-il renforcer cette démarche, mais je soutiens que le travail réalisé par l'INRS est excellent. C'est donc peut-être sur ce travail du service public que pourrait s'appuyer la diffusion d'informations permettant la pleine mise en oeuvre de la réglementation sur la prévention du risque professionnel.

Cette prévention est essentielle – ce sera mon troisième et dernier point sur ce thème – car il s'agit de santé au travail. Quand on parle d'accident mortel ou de cancer professionnel, il ne faut pas lésiner sur les questions de prévention.

Vous parliez des cinq indicateurs qui pourraient être isolés et servir de référence ; ce n'est bien sûr qu'une proposition. Quatre facteurs sont très connus par les praticiens : taux de fréquence des accidents du travail, taux de fréquence des maladies professionnelles, taux de gravité des accidents du travail, taux de gravité des maladie professionnelles. Un autre facteur résulte des ordonnances du 22 septembre 2017 : à compter du 1er janvier 2019, il y aura un nouveau critère pour savoir si l'entreprise est soumise à l'obligation d'être couverte par un accord au plan de prévention au titre de la pénibilité au travail. Jusqu'à présent, il s'agissait de la proportion de salariés exposés à la pénibilité ; dorénavant, un facteur retranscrit le taux de sinistralité globale de l'entreprise. Voilà les cinq facteurs : les quatre déjà utilisés de façon très classique par les préventeurs, et puis ce cinquième issu de la réglementation elle-même.

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Vous avez évoqué la nécessité de rétablir le dispositif de suivi de l'exposition aux agents chimiques dangereux. Selon vous, le dispositif antérieur est-il suffisant ? Doit-il être amélioré ? mis à jour ? complété ?

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Camille Pradel

Le dispositif précédent, malgré les critiques, avait l'immense mérite d'avoir été profondément mûri. À tel point qu'il avait été révélé un 30 décembre, veille de son application, puisqu'il était applicable à compter du 1er janvier, ce qui a obligé les praticiens du droit de la sécurité sociale à travailler le jour du réveillon ! C'est une boutade, mais cela montre la nécessité de publier les textes au Journal officiel dans un délai suffisant pour permettre leur application effective. Une publication le 30 décembre pour une application le 1er janvier, c'était court…

Le dispositif qui résulte de deux arrêtés du 30 décembre 2015 était extrêmement mûri. La plupart des praticiens avec qui je travaille ont tout de suite été capables de mettre en oeuvre cette évaluation, notamment parce qu'elle s'appuyait sur des notions déjà utilisées dans la prévention du risque professionnel. C'était donc un dispositif « clé en main », nonobstant les critiques sur son apparente lourdeur : il s'agit tout de même des agents chimiques dangereux, sujet sur lequel on ne peut pas négocier, parmi lesquels les agents CMR.

Je peux du reste témoigner que les entreprises et les directeurs juridiques sont soucieux de la prévention du risque professionnel pour des questions d'éthique. Et en termes judiciaires, de toute façon, il est essentiel de prémunir les entreprises françaises des procès pour préserver leur compétitivité. Tout le monde gagne à oeuvrer à une prévention efficace et à éviter d'encombrer les tribunaux.

Enfin, nous parlons de risques qui affectent les populations, qui sont source de malheur – je pense au cancer – et qui, en termes budgétaires, coûtent extrêmement cher au budget de la sécurité sociale. Donc l'investissement au titre du risque AT-MP, est financé intégralement par les entreprises, prévient le risque professionnel et évite des dépenses futures, même s'il est vrai que, s'agissant des cancers, le délai entre une éventuelle exposition et la survenance de la pathologie est assez long, ce qui oblige à une gestion à long terme.

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C'est ce que vous entendiez quand vous écriviez dans un article paru dans La Semaine juridique que cette absence de suivi peut être préjudiciable à l'entreprise si l'employeur a été contraint de le reconstituer a posteriori.

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Camille Pradel

Sachant que pour moi, cet a posteriori pourrait survenir dans un délai assez court. Il est possible que la Cour de cassation rende un arrêt dans les cinq à six prochaines années qui rétablisse l'obligation pour l'employeur d'assurer une telle information, via les principes généraux, par exemple celui de prévention du risque professionnel. Ce seraient des procès du type de ceux portant sur l'anxiété liée aux expositions à l'amiante. Ces procès ont un peu les apparences de la class action – ce sont des procès de masse – qui portent sur des thèmes extrêmement sérieux, comme la prévention du risque professionnel, et qui affaiblissent l'industrie française. Autant occuper les entreprises à d'autres sujets plutôt que d'aller gérer ce type de procès. Surtout, autant éviter aux salariés d'être exposés à des agents cancérogènes préjudiciables à leur santé.

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Sur quelle base juridique cela pourrait-il aboutir en Cour de cassation ?

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Camille Pradel

Le code du travail comprend un article L.4121-1 qui énonce le principe d'une obligation de résultat, pesant sur l'employeur, pour ce qui est d'assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ce principe se décline en trois grandes actions, dont deux concernent le salarié : l'information et la formation. L'information des expositions aux ACD serait rétablie sur le fondement de cette obligation générale d'information.

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Pour élargir le propos, faut-il élaborer de nouveaux tableaux pour prendre en charge les risques nouveaux ou émergents ? Quels sont d'ailleurs les risques émergents que vous identifiez dans vos activités ?

D'après vous, faut-il revoir les critères de reconnaissance par les CRRMP ?

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Camille Pradel

Concernant la première question, vous pensez peut-être aux nanoparticules…

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Camille Pradel

Nous avons actuellement quatre-vingt-dix-huit tableaux, fruit d'une négociation entre représentants des employeurs et des salariés, sous la houlette de la Sécurité sociale et du Gouvernement. C'est plus une difficulté d'ordre médical et scientifique qu'un problème juridique. S'agissant des nanoparticules, le jour où les données correspondantes, notamment les analyses statistiques liées aux expositions aux nanoparticules, seront disponibles, sans doute les partenaires sociaux seront-ils en mesure de réaliser un tel tableau. Pour l'instant, à ma connaissance, ce n'est pas le cas. La documentation de l'INRS fait le même constat : les praticiens n'ont pas beaucoup d'informations, y compris les médecins eux-mêmes. On évalue la dangerosité de ce type de substance, mais pour autant avons-nous les moyens de réaliser un tableau ?

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De façon générale, au-delà de la seule question des risques émergents, l'existence de ces tableaux est-elle utile et permet-elle selon vous d'établir une trajectoire efficace de reconnaissance ?

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Camille Pradel

Je suppose que votre question vise à déterminer si ces tableaux garantissent la prise en charge des salariés. La réponse est oui : songeons en effet que notre droit, comme l'a souhaité le législateur depuis longtemps, est très favorable car il garantit deux présomptions – bien que l'on se contente souvent de n'en invoquer qu'une seule.

La première est la présomption d'imputabilité : s'agissant des accidents du travail, tout fait survenant pendant le temps et sur le lieu du travail est présumé être un accident du travail et la lésion est présumée être d'origine professionnelle. Les tableaux, en revanche, font intervenir un mécanisme de présomption probatoire : si une personne est exposée selon les conditions figurant dans les tableaux, sa pathologie est présumée d'origine professionnelle. En conséquence, l'indemnisation résultant de la prise en charge médicale n'est pas intégrale – même si une décision du Conseil constitutionnel complète le dispositif contenu dans le code de la sécurité sociale et garantit en réalité une indemnisation quasi intégrale.

À ce premier mécanisme favorable de présomption s'en ajoute un autre : une fois la prise en charge accordée, la pathologie est reconnue d'origine professionnelle dans son ensemble. De ce fait, si l'employeur entend échapper aux conséquences financières de cette pathologie, il doit prouver à 100 % que la pathologie n'est pas d'origine professionnelle ; s'il ne le prouve qu'à 99 %, il échoue. La jurisprudence de la Cour de cassation est très claire : le caractère exclusif de l'origine non professionnelle doit être démontré, à défaut de quoi la législation professionnelle prévoit l'intégralité de la prise en charge.

Autrement dit, ce dispositif, voulu dès l'origine par le législateur, est très favorable puisqu'il garantit une prise en charge, laquelle repose d'ailleurs largement sur la confiance envers l'assuré bénéficiaire. En effet, l'assuré présente lui-même son dossier médical au service public de sécurité sociale, qui se prononce sur le fondement de ce document. Encore une fois, c'est un dispositif très favorable.

Faut-il créer d'autres tableaux, notamment pour couvrir les risques psychosociaux ? À ce stade, les risques psychosociaux sont pris en charge dans le cadre des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP). Il serait très difficile de créer un tableau pour les risques psychosociaux : des tentatives ont eu lieu et la description du risque occupait plusieurs pages. Il faut donc avoir conscience qu'en sollicitant le pouvoir réglementaire sur ce sujet, le travail sera long. Au contraire, la prise en charge devant les CRRMP a le mérite d'être personnalisée. Ces comités sont composés de trois professionnels aguerris et habilités qui se penchent sur chaque dossier Tout système a naturellement ses limites et sans doute existe-t-il des disparités entre les CRRMP d'une région à l'autre, mais la prise en charge du dossier est tout de même personnalisée, adaptée et efficace.

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L'un des sujets qui nous préoccupent tient à la qualité de la prévention. Vous avez évoqué la nécessité de rétablir le suivi des risques chimiques mais, de manière générale, l'objectif de prévention vous semble-t-il mieux pris en compte par les interlocuteurs que vous rencontrez ? Comment améliorer l'efficacité de la politique de prévention de sorte que les maladies n'adviennent pas ? Comme vous l'avez compris, le champ de nos travaux porte davantage sur les maladies professionnelles que sur les accidents du travail.

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Camille Pradel

La prévention des risques professionnels doit relever de la culture de l'entreprise. Elle est forte lorsqu'elle est enracinée dans la culture de l'entreprise. Des statistiques récentes montrent que les jeunes ayant suivi une formation à la prévention ont beaucoup moins d'accidents dans les cinq années qui suivent leur formation que ceux qui ne l'ont pas suivie.

Les propositions que nous vous soumettons visent précisément à renforcer la culture de la prévention dans l'entreprise. Si les actionnaires sont sensibilisés à ces questions, nous pouvons anticiper que la culture de l'entreprise intègrera plus fortement la prévention du risque professionnel. Cela étant, je peux témoigner que c'est déjà le cas : les entreprises prennent en compte l'activité des préventeurs-responsables chargés de la qualité, de l'hygiène, de la sécurité et de l'environnement (QHSE).

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Quel regard portez-vous sur les relations qui existent entre les différents acteurs de la prévention, qu'il s'agisse de la médecine du travail, des services de santé au travail dans les entreprises ou encore des organisations représentatives du personnel ? Certains sujets ne méritent-ils pas un examen plus attentif, de sorte que la prévention soit mieux organisée ? La culture d'entreprise est certes un élément décisif mais nous constatons également un phénomène important de sous-déclaration des maladies professionnelles et, du même coup, de sous-estimation probable de ces maladies, ce qui a une incidence sur la politique de prévention.

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Camille Pradel

La déclaration des accidents du travail est à la charge des employeurs et, à mon sens, il n'y a pas de sous-déclaration, ou très peu. En revanche, c'est aux salariés qu'il appartient de déclarer leurs maladies professionnelles, ne serait-ce que pour des raisons tenant à la protection des libertés fondamentales et du secret médical : tout salarié est libre de faire état ou non d'une pathologie. Or, il arrive qu'ils ne déclarent pas, soit par méconnaissance soit, beaucoup plus rarement, par volonté. C'est particulièrement vrai dans le cas des cancers, étant donné le décalage important entre l'exposition aux agents pathogènes et l'identification de la pathologie. Je n'ai pas les moyens de confirmer ou d'infirmer le phénomène de sous-déclaration ; sans doute les services médicaux pourraient-ils vous apporter des précisions sur ce point.

J'en viens à l'action des différents partenaires impliqués hormis l'entreprise : le service de santé au travail, les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) et l'inspection du travail. La tendance actuelle est au renforcement du rôle des CARSAT – et, en Île-de-France, de la caisse régionale d'assurance maladie d'Île-de-France (CRAMIF). Ces acteurs très compétents sont proches de l'entreprise puisqu'ils sont informés des réunions des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) – les futurs comités sociaux et économiques (CSE). C'est également à eux qu'incombe la mission de prévention de la pénibilité au travail. Les ordonnances du 22 septembre 2017 et les décrets d'application de décembre renforcent le rôle des CARSAT. En matière de prévention du risque professionnel, notamment en ce qui concerne les maladies, les CARSAT ont une vision sur le temps long, ne serait-ce que parce qu'elles sont également chargées des retraites. Leur regard sur l'application du contrat de travail et la vie professionnelle du salarié est un facteur favorable à la prévention et au suivi du risque d'exposition durable aux agents pathogènes,. Ce n'est pas un hasard si la prévention de la pénibilité a été confiée aux CARSAT, dès l'origine du dispositif en 2010 puis lors de la création du compte personnel de prévention de la pénibilité (CPPP), devenu le compte professionnel de prévention (CPP). Par leur intitulé même, les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail couvrent l'ensemble du sujet. Elles ont également une vision à l'échelle de l'établissement, chaque établissement disposant d'un code correspondant au risque auquel il est exposé. En clair, les CARSAT connaissent bien l'entreprise.

À titre personnel, il me semble nécessaire de préserver la spécificité du médecin du travail, qui est distinct du médecin de ville – lequel a toute son importance, cela va de soi. Le médecin du travail est en principe tenu de passer un tiers de son temps dans l'entreprise. Il se heurte néanmoins à un problème de moyens : il est surchargé par d'autres tâches qui l'éloignent de l'entreprise. Au fil des dernières réformes, le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire se sont employés à le décharger de ces tâches administratives pour lui permettre de renforcer sa présence dans l'entreprise. En tant que médecin, en effet, il a une vision pertinente et percutante de ce qu'est la santé – et pour cause, c'est son métier – et de la manière dont il peut prévenir les risques. Le service de santé au travail comprend aussi des professionnels non-médecins mais spécialistes de la prévention, comme des ergonomes et d'autres personnes disposant d'un bagage scientifique leur permettant d'intervenir.

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Vous avez formulé plusieurs propositions concernant la réglementation et la clarification des relations entre employés et employeurs. M. le rapporteur vous a interrogé sur le rôle de la médecine du travail. Il est important, en effet, d'examiner quelle part nous pouvons prendre aux travaux menés sur le document unique, en particulier : la voie réglementaire est-elle pertinente ? Je suis bien conscient du risque que fait peser l'absence de ce document sur les très petites, petites et moyennes entreprises. Comment leur permettre d'améliorer la présentation du document unique et de la fiche de poste ? Nous sommes preneurs d'idées concernant ce document qui, bien qu'obligatoire, pose problème.

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Camille Pradel

Les ordonnances du 22 septembre 2017 ont ouvert la possibilité de créer des modèles de lettre de licenciement pour faciliter la mise en conformité des petites entreprises avec la réglementation et la jurisprudence, notamment celle de la Cour de cassation. De la même manière, vous pourriez les aider avec un modèle CERFA de document unique, par exemple. On trouve certes des modèles sur internet, mais le fait que ce modèle soit officiel et émane de l'administration renforcerait son poids. Il sera utilisé s'il est bien fait – ce pour quoi vous pouvez compter sur les services du ministère du travail.

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Autre chose : la branche ATMP se charge surtout de la réparation des dégâts causés. Comment la réglementation pourrait-elle favoriser davantage le volet relatif à la prévention ?

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Camille Pradel

S'agissant des risques les plus importants, il faut admettre que toute la réglementation relative à la prévention de la pénibilité au travail est très efficace. Elle comporte dix facteurs qui ne sont en rien dus au hasard : en 2003, la loi a confié aux partenaires sociaux le soin de définir la pénibilité puis, en 2008-2010, dix facteurs ont été formalisés à partir de la pratique. Il s'agit des dix facteurs les plus manifestes, qui provoquent les dégâts sanitaires les plus importants.

Il est vrai que les risques psychosociaux ne sont pas pris en compte dans les facteurs de pénibilité au travail – cela vaut aussi pour le tableau des maladies professionnelles – pour des raisons pratiques : il serait très difficile de définir les risques psychosociaux, qui portent soit sur l'organisation de l'entreprise elle-même, soit sur les relations entre les uns et les autres. Les dossiers de risques psychosociaux dont je suis saisi portent souvent sur les relations entre les salariés. Il est très difficile d'élaborer une norme déterminant a priori les situations qui doivent donner lieu à une prise en charge et celles qui ne le doivent pas. Le fait de confier l'examen des dossiers à un CRRMP garantit les droits de chacun, car la décision ainsi prise est la plus proche de la réalité.

La prévention de la pénibilité au travail permet la prise en compte juridique de ces cas avant même la lésion. D'autre part, l'action de prévention s'appuie sur de la documentation. De ce point de vue, le document unique d'évaluation des risques est absolument central : la réglementation doit s'y référer constamment car il a le mérite d'être simple – le législateur et le pouvoir réglementaire l'ont appelé « document unique » à dessein, justement pour qu'il soit simple et que tout le monde s'y réfère. C'est à mon sens sur ce document que le législateur devrait exercer son attention en favorisant une politique de dialogue social. Celle-ci existe déjà, certes, mais la présentation du document unique au CHSCT, si elle résulte des textes, n'est pas clairement affirmée. Peut-être pourriez-vous demander que le pouvoir réglementaire spécifie expressément que le document unique est présenté annuellement à la représentation du personnel. Cela se déduit des textes puisque tout document concernant la sécurité au travail est présenté au CHSCT, le futur CSE. Pourquoi le code du travail ne le préciserait-il pas expressément ?

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C'est une question que nous nous posons afin de permettre le suivi de ce document unique et de son évolution au fil du temps, car la difficulté se présente dans un certain nombre d'entreprises. D'autre part, nous avons conscience que le document unique est rempli avec un degré de précision variable qui peut parfois poser problème. Il arrive par exemple qu'il ne reprenne que des généralités trouvées sur internet, ce qui lui ôte tout caractère opératoire. Avez-vous eu à connaître de cas de ce type ?

Permalien
Camille Pradel

Pas personnellement, mais la chambre criminelle de la Cour de cassation s'est penchée sur cette situation et a pris un arrêt en 2016, confirmé en 2017 : en cas d'accident très grave ou de décès, un document unique incomplet peut engager la responsabilité pénale de l'entreprise. Autrement dit, la réglementation et la jurisprudence imposent que le document unique soit de qualité suffisante pour prévenir efficacement les risques professionnels. Il est vrai que si un document unique est incomplet lors de sa présentation au CHSCT, le dialogue avec les partenaires sociaux permet d'y remédier.

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Je vous remercie pour la précision de vos réponses.

L'audition s'achève à quatorze heures cinquante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Réunion du mercredi 11 avril 2018 à 14 h 00

Présents. – M. Julien Borowczyk, M. Pierre Dharréville, Mme Nathalie Elimas, Mme Hélène Vainqueur-Christophe

Excusés. – M. Bertrand Bouyx, Mme Stéphanie Rist