Mission d'information sur le suivi des négociations liées au brexit et l'avenir des relations de l'union européenne et de la france avec le royaume-uni

Réunion du jeudi 17 mai 2018 à 14h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • PME
  • automobile
  • brexit
  • britannique
  • négociation
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La réunion

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La séance est ouverte à 14 h 30.

Présidence de Mme Marielle de Sarnez, vice-présidente.

La mission d'information procède à l'audition de Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie et des Finances, sur les conséquences du Brexit sur les entreprises françaises et européennes.

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Mes chers collègues, je vous propose d'ouvrir cette réunion de travail. Je devrai m'absenter momentanément. Je demanderai alors à notre secrétaire, Alexandre Holroyd, de bien pouvoir présider la réunion.

Madame la secrétaire d'État, nous sommes très heureux de vous accueillir et de vous recevoir. La question du Brexit est tout à fait importante. Elle l'est au plan stratégique général – nous connaissons bien les enjeux entre l'Union européenne et la Grande-Bretagne, du point de vue budgétaire, mais aussi des relations entre nos concitoyens ou encore des frontières en Irlande. Elle l'est également compte tenu de ses incidences sur nos économies, sur le marché intérieur, sur nos exportations, sur nos petites et moyennes entreprises (PME), sur nos grandes entreprises, sur nos industries – en Grande-Bretagne, en France et dans l'Union européenne. Appréhender ces conséquences est tout l'objet de cette commission que préside François de Rugy.

Nous aimerions vous entendre rappeler quels sont nos liens économiques avec le Royaume-Uni, mais également présenter les conséquences attendues, négatives ou positives, pour nos industries, notre économie et nos emplois, ici en France, ainsi que les perspectives ouvertes par le Brexit. Je suis absolument convaincue qu'il faudra que le Gouvernement accompagne cette période. Nous sommes quelquefois trop focalisés sur les grands enjeux pour l'Union européenne et la Grande-Bretagne, sans suffisamment étudier ce qui se passera très concrètement chez nous. Notre responsabilité, ici, ne consiste pas seulement à avoir une vision juste de ce que doit être le futur partenariat entre la Grande-Bretagne et l'Union européenne. Elle impose aussi de regarder quelles seront les conséquences extrêmement concrètes de ce Brexit sur l'économie française, et la façon dont nous nous y préparons et dont le Gouvernement s'y prépare. Telles sont les attentes du Parlement et de ses représentants réunis aujourd'hui autour de la table.

Madame la secrétaire d'État, vous avez la parole pour une dizaine de minutes. Nous aurons ensuite des échanges avec nos collègues.

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Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances

Merci beaucoup, madame la présidente. Mesdames et messieurs les députés, merci de votre accueil.

Grâce au marché unique, les échanges de biens et de services entre la France et le Royaume-Uni sont des plus intenses. Les chiffres en témoignent. Ainsi, le solde commercial bilatéral de la France avec le Royaume-Uni est positif avec un surplus de 14 milliards d'euros. Certains secteurs, comme l'automobile ou l'aéronautique, ont atteint un niveau d'intégration des chaînes de production très élevé, avec des sous-traitants, des chaînes de transformation et des allers-retours de part et d'autre de la Manche. Tout cela fonctionne en grande symbiose. De très nombreuses entreprises françaises sont établies au Royaume-Uni, pour produire et distribuer leurs produits. Enfin et surtout, de nombreux concitoyens ont fait le choix de vivre au Royaume-Uni. Cette intégration commerciale a une valeur réelle. La situation optimale serait de pouvoir faire perdurer ces relations économiques, commerciales et humaines.

Cependant, il nous faut respecter le choix des citoyens britanniques de quitter l'Union européenne. Cette décision bouleversera nécessairement le cadre dans lequel s'inscrivent les relations commerciales entre l'Union et le Royaume-Uni. Elle aura des conséquences très concrètes pour les entreprises, les grands groupes et les PME qui échangent avec le Royaume-Uni. On dénombre environ 30 000 entreprises en France qui exportent vers le Royaume-Uni et qui seront donc touchées par le Brexit. En dehors du marché intérieur et de l'union douanière, il ne peut y avoir de commerce sans frictions. Les entreprises seront, après le Brexit, confrontées à des contrôles aux frontières et à des formalités administratives qui n'existent pas aujourd'hui. Pour de nombreux secteurs, comme la chimie ou l'aéronautique, cela aura un impact sur les chaînes de valeur qui sont très intégrées.

Le Brexit aura dans tous les cas un coût pour la France et pour l'Union européenne, comme pour le Royaume-Uni. Ce coût serait encore accru dans un scénario de sortie sèche, c'est-à-dire sans accord, qui résulterait en un retour aux règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) avec l'application des droits de douane. C'est ce scénario qui pourrait potentiellement voir le jour s'il n'y avait pas d'accord à l'autonome prochain et si l'on devait faire face à cette sortie sèche en mars 2019.

En tout état de cause, le coût du Brexit sera très largement supérieur pour le Royaume Uni, alors que l'Union européenne à vingt-sept représente environ 50 % des exportations britanniques. Selon nos évaluations, l'impact du Brexit sur le PIB sera six fois moindre pour l'Union européenne et la France que pour le Royaume-Uni. La France est, par ailleurs, moins exposée que plusieurs autres grands pays européens. Le rétablissement de barrières n'entraînera pas d'interruption des échanges et pourra être globalement absorbé par les entreprises exportant vers le Royaume-Uni, ce marché ne représentant en moyenne que 6 % de leur chiffre d'affaires total. Seul un petit nombre d'entreprises françaises, que l'on estime à 500 environ, sont fortement exposées au marché britannique, qui représente plus de 20 % de leur chiffre d'affaires, et donc aux conséquences du Brexit.

Pour limiter ces conséquences, il est nécessaire que les entreprises et les administrations se préparent à tous les scénarios possibles et prennent les mesures nécessaires pour adapter leur chaîne de valeur ou leurs ressources humaines. C'est en particulier le cas pour les secteurs qui sont les plus exposés : l'agroalimentaire, l'automobile, la chimie, la pharmacie, l'aéronautique. En cas de sortie sèche du Royaume-Uni, ces secteurs seront particulièrement affectés par le rétablissement de droits de douane ou par les barrières réglementaires liées à la duplication de formalités administratives.

Depuis 2016, les services du ministère de l'Économie et des Finances mènent des actions de sensibilisation et de concertation avec les fédérations professionnelles, pour évaluer les conséquences du Brexit, préparer les relations futures et inciter les entreprises à anticiper ces conséquences secteur par secteur. Ces consultations s'intensifient en 2018 et mobilisent les relais et opérateurs de l'État en région – les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), les chambres de commerce et d'industrie (CCI), Business France. À ce stade, il ressort que la compréhension des enjeux et le niveau de préparation des entreprises sont très variés, le niveau de préparation des très petites entreprises (TPE) et des PME étant encore insuffisant. Un certain nombre de fédérations professionnelles a souligné qu'en l'absence de visibilité sur le cadre des relations futures, les entreprises tendaient à retarder les investissements nécessaires. Pour les PME et les TPE qui n'exportent pas aujourd'hui en dehors de l'Union européenne, il est à craindre que l'adaptation aux formalités d'export nécessite des investissements qu'elles ne pourraient pas forcément supporter. Il est donc nécessaire d'aller au-delà de ce que nous avons déjà fait, en particulier en demandant aux filières de préparer des plans de contingence.

S'agissant de la période de transition qui pourrait prendre effet au moment de la sortie du Royaume-Uni, fin mars 2019, la position des 27 États membres, comme celle de la France, est claire. Sous réserve que nous parvenions à un accord complet sur les conditions du retrait, il s'agira d'un statu quo sans droits institutionnels pour le Royaume-Uni jusqu'à fin 2020.

En ce qui concerne le cadre des relations futures, notamment un accord de libre-échange Union européenneRoyaume-Uni, la situation est différente. Il n'existe pas de modèle prédéfini pour les relations futures car les enjeux posés par le Brexit sont inédits et aucun des accords commerciaux de l'Union ne permet d'y répondre parfaitement.

Nous ne devrons pas chercher à réduire nos divergences pour faciliter le commerce mais, cette fois-ci, anticiper les domaines dans lesquels nous serons amenés à diverger, parce que nous n'appartiendrons plus à la même Union.

Comme je l'indiquais, le Brexit aura nécessairement des conséquences sur les relations économiques avec le Royaume-Uni. Notre objectif est bien sûr de parvenir à garder le plus haut niveau possible d'intégration économique, et de limiter autant que possible les barrières aux échanges à l'avenir. Cependant, cela dépendra aussi et surtout des choix effectués par le Royaume-Uni. Le maintien réciproque de l'accès aux marchés de l'Union et du Royaume-Uni suppose que des conditions soient remplies. En particulier, comme cela a été expliqué à de nombreuses reprises par les chefs d'État et de Gouvernement des Vingt-Sept, il ne peut pas y avoir de cherry picking, de « picorage sélectif » entre les quatre grandes libertés au sein du marché intérieur. Qui plus est, un accord de libre-échange ne peut pas être équivalent à une participation au marché unique etou à l'union douanière. Les lignes rouges sont l'autonomie réglementaire de l'Union européenne, l'intégrité du marché intérieur et de l'union douanière, la stabilité financière de l'Union.

Ces principes sont unanimement soutenus par les Vingt-Sept et constituent le fondement de la position française. De ce point de vue, l'on ne peut que constater que les exigences du Royaume-Uni sur l'autonomie réglementaire, la libre circulation des personnes ou encore la compétence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) nous conduisent mécaniquement à l'organisation de nos relations économiques sous la forme d'un accord de libre-échange, comme celui conclu récemment entre l'Union européenne et le Canada. Même si le niveau d'intégration économique est bien sûr plus faible que l'appartenance à l'Union européenne, il s'agit déjà d'une solution qui permet beaucoup de fluidité. Un accord de libre-échange ambitieux peut en effet permettre de faciliter les procédures administratives et en douane, pour limiter l'impact pour les entreprises. Par exemple, des règles spécifiques pourront être négociées pour simplifier les procédures, avec des règles de reconnaissance mutuelle pour la sécurité en douane et une reconnaissance mutuelle du statut d'opérateur économique agréé.

Mme Marielle de Sarnez quitte momentanément la séance. La présidence est provisoirement assurée par M. Alexandre Holroyd.

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Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances

La duplication des formalités administratives, par exemple pour les procédures de certification de machines ou de biens électriques, pourra également être limitée par des accords de reconnaissance mutuelle comme ceux qui existent avec le Canada ou les États-Unis. La portée de ces accords dépendra toutefois des choix que fera le Royaume-Uni en matière d'autonomie réglementaire.

Enfin, compte tenu de la proximité géographique et économique du Royaume-Uni, nous serons très attentifs à la nécessité de préserver un level playing field, c'est-à-dire des conditions de concurrence équitables entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, dans le domaine des aides d'État, comme le souhaite également Theresa May, mais aussi en matière sociale, environnementale et fiscale. En effet, une fois qu'il sera en dehors de l'Union européenne, le Royaume-Uni sera libre d'octroyer des subventions à certains secteurs, dans la limite des règles de l'OMC, ou bien d'abaisser certaines normes sociales ou environnementales pour jouer sur des leviers de compétitivité.

S'il peut sembler souhaitable, à court terme, de limiter le coût économique du Brexit en privilégiant la préservation de l'intégration économique entre l'Union et le Royaume-Uni, laisser le Royaume-Uni diverger sur le plan des normes tout en conservant un haut niveau d'accès au marché intérieur présenterait un risque majeur à moyen terme pour la compétitivité de l'Union européenne par rapport au Royaume-Uni.

L'approche de court terme, qui vise à rechercher des solutions d'intégration, doit donc être équilibrée et préserver notre vision stratégique sur la compétitivité à moyen terme. Ces principes sont partagés par tous les États membres de l'Union et sont reflétés dans les conclusions du Conseil européen d'avril 2017 et de mars 2018. La cohésion européenne, derrière Michel Barnier a permis de parvenir à des résultats sur des sujets jugés politiquement sensibles, comme la question du règlement financier. Il sera essentiel de préserver cette cohésion dans le cadre des discussions sur la relation future. Nous nous y attachons en travaillant en étroite coordination avec nos partenaires européens, en premier lieu l'Allemagne.

Le marché intérieur est notre bien commun. Nous avons tous intérêt à le préserver. Cette position est bien comprise et partagée par tous les membres de l'Union à vingt-sept.

Voilà pour mon propos introductif. Je suis prête à répondre à vos questions.

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J'essaie, depuis un certain moment, d'obtenir une réponse plus concrète sur l'incidence d'une crise conséquente de la City, le cas échéant, sur le financement de nos TPE et PME en France. Y aurait-il un impact direct pour celles qui se fournissent auprès de la City ? Y aurait-il un impact indirect, qui se ferait au travers de banques françaises qui se fournissent en services financiers à la City ? Je suis allé consulter les documents que Bercy avait produits, mais je n'ai pas trouvé de réponse suffisamment détaillée. Votre ministère continue-t-il à travailler sur la question ?

Par ailleurs, si sortie sèche il y a, nos 300 000 concitoyens résidant au Royaume-Uni, qui sont mes électeurs, n'auront plus de statut juridique. Ce sera probablement la décision des autorités britanniques. Du jour au lendemain, ils n'auront plus le droit de travailler, ni aucun droit afférent aux accords européens. Et il en sera de même pour tous les Britanniques qui travaillent ici, dans des entreprises françaises. Du jour au lendemain, celles-ci seront dans une situation de vide juridique quant aux conditions de travail de leurs employés britanniques, sauf erreur de ma part. Ce vide juridique pourrait être lourd de conséquences. Votre administration s'est-elle penchée sur cette question ?

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Merci, madame la ministre, de votre exposé. Je souhaite évoquer la pêche et l'industrie de la pêche à Boulogne-sur-Mer. Aujourd'hui, 60 % du tonnage pêché par les pêcheurs des Hauts-de-France le sont dans les eaux britanniques. Il est évident que nous renégocierons ces zones de pêche ainsi que leur accès. Le problème, c'est que les Britanniques pourraient imaginer des accords avec les pays tiers et nous priver d'un certain nombre de zones de pêche. En outre, Boulogne-sur-Mer est le premier centre de transformation du poisson en France. Nous sommes le marché des Britanniques. Toutes les entreprises du site qui reçoivent ce poisson s'interrogent. Enfin, y aura-t-il à nouveau du duty free sur le Transmanche ? J'ai posé la question à plusieurs reprises, mais je n'ai jamais reçu de réponse sûre et certaine. Boulogne-sur-Mer a perdu son Transmanche en partie à cause de Calais et du tunnel sous la Manche, mais aussi à cause de la perte du duty free.

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Vous avez clairement formulé le dilemme entre l'intérêt à court terme, qui consiste à ne pas perturber les relations commerciales, et la crainte de perdre de la compétitivité à long terme. Comment envisagez-vous l'étape intermédiaire ? Comment vous représentez-vous la façon dont nous pouvons imposer des normes aux Britanniques ? Quel sera le juge de ces normes ? Il serait assez logique que ce soit la CJUE. Il faudrait que les produits soient conformes aux conditions normatives fixées par l'Union européenne. Comment appliquer toutes ces normes, et seront-elles jugées par un tribunal comme la CJUE, par un tribunal paritaire, par une chambre d'arbitrage ou que sais-je encore – ce qui semblerait beaucoup plus incertain ?

Par ailleurs, quid des problèmes liés à la recherche et à l'innovation ? Les Britanniques ont marqué à plusieurs reprises leur intention de rester dans le système de recherche, auquel ils contribuent de façon assez importante et qui leur rapporte aussi beaucoup d'argent. Le Royaume-Uni compte des laboratoires importants. L'on pense notamment aux programmes comme « Horizon 2020 ». Le cadre financier pluriannuel tel qu'il est proposé par la Commission prévoit un abondement important de ces services. Comment concevez-vous les relations à cette intégration, ou cette participation, pour employer un terme plus neutre, maintenue du Royaume-Uni dans ce dispositif ? Considérez-vous que le retrait de ce pays aboutirait à des dysfonctionnements, à des rivalités ou à des mises en concurrence qui paraissent a priori totalement absurdes – je pense, par exemple, à Galileo ? Il semble évidemment étrange d'envisager un programme Galileo bis concurrent du nôtre. Je n'imagine pas que ce soit à la portée des Britanniques. Mais, au-delà de cela, il y a quand même un risque. Comment voyez-vous le maintien d'un partenariat sérieux entre l'Union européenne et les Britanniques sur ce plan ?

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Dans ma circonscription, se trouve entre autres le siège français du groupe GlaxoSmithKline, acteur important de la pharmacie avec plusieurs usines et plusieurs milliers d'employés. Je l'ai rencontré récemment. Il s'inquiète des conséquences que pourrait avoir sur son activité un Brexit, qu'il soit soft ou hard. Aujourd'hui, les procédures de validation de médicaments sont mises en oeuvre dans l'Union européenne. Qu'en sera-t-il, demain, si ces médicaments viennent de Grande-Bretagne ? Il pourrait y avoir un dédoublement ou une réinitialisation de procédures de validation entre les deux zones. Il existe aussi, derrière cela, des risques de retard de mise sur le marché de médicaments, outre les retards de livraison. Ces retards peuvent avoir des conséquences très importantes sur les malades. Le Brexit pourrait alors aussi avoir un impact important sur la santé de nos habitants. Afin de limiter ces désagréments, avons-nous déjà anticipé ce type de phénomène ? Envisageons-nous des accords bilatéraux ou d'intégrer quelque chose dans les futures négociations ?

Ces questions valent également pour le domaine la défense. Je suis membre de la commission de la Défense. Nous avons rencontré l'entreprise MBDA, qui serait très fortement impactée. Vous avez évoqué la chaîne de valeur. De très nombreux produits font l'aller-retour sous la Manche. Ces flux seraient retardés ou perturbés.

Par ailleurs, j'étais à Londres avant-hier. J'ai constaté que certains Britanniques sont persuadés que le Brexit est une chance pour leur pays, qui retrouvera de la liberté et notamment sa capacité à négocier des high level free trade agreements avec le reste du monde. Lorsque je leur ai rappelé qu'ils ne seront plus que 65 millions, contre 500 millions dans l'Union européenne, ils m'ont répondu qu'il y avait le Commonwealth. Faut-il y voir une nostalgie du passé ? S'ils négociaient un accord avec les Australiens, cela créerait-il une sorte de concurrence déloyale ?

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La direction générale des entreprises (DGE), placée sous l'autorité de Bercy, avait incité l'été dernier les PME françaises à anticiper le choc du Brexit sur cinq répercussions : les droits de douane pour les produits français plus chers, qui pourraient atteindre 10 % ; les contrôles aux frontières, qui obligeraient à réduire les circuits logistiques avec le rétablissement des formalités de contrôle aux frontières, qui est l'une des possibilités évoquées, consiste à passer par l'Irlande, où notre mission d'information devrait se rendre le 2 juillet prochain ; de nouvelles règles de certification à obtenir, notamment pour les produits agroalimentaires, mais aussi industriels comme les médicaments et l'automobile ; la renégociation des droits acquis et des contrats, ainsi que la propriété intellectuelle sur les marques, les dessins et les modèles ; des modifications pour les salariés français de filiales installées au Royaume-Uni.

La vision que les autres pays du monde portent sur la France a complètement changé, nous le savons bien. Le monde des entreprises et les entrepreneurs sentent bien que l'économie redevient plus dynamique. Nous le devons aussi à la politique que nous menons depuis maintenant un an quasiment jour pour jour, bien sûr parce que les réformes qui sont faites leur donnent davantage confiance pour investir ou délocaliser des activités en France. Pourriez-vous préciser l'état de vos réflexions sur la manière d'accompagner les directeurs financiers et les entrepreneurs français dans cette zone de turbulences si le droit européen cessait de s'appliquer au Royaume-Uni l'année prochaine ? Comment accompagner le retour de ceux qui sont allés créer leur activité à Londres, avec des conditions telles qu'ils souhaitent revenir à Paris ou en France ?

En dernier point, j'avais prévu d'évoquer en marge le sujet des coopérations comme Galileo, mais M. Bourlanges y a déjà fait référence.

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Madame la ministre, quelle est l'exposition d'EDF, via sa filiale britannique EDF Energy et dans le cadre du projet Hinkley Point ?

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Veolia compte aussi plusieurs zones de distribution d'eau au Royaume-Uni.

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Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances

Le financement des PME et des TPE n'est pas un sujet à propos duquel nous ayons identifié de préoccupation majeure. Nous considérons que nous avons une place financière et des banques bien armées pour couvrir les besoins de nos PME. Il est vrai que dans le domaine financier, la place de Londres joue un rôle spécifique, avec une grande puissance de feu. Mais nous avons surtout regardé ce qui pourrait se passer pour les contrats en cours, en particulier à l'occasion d'une sortie sèche du Royaume-Uni. Nous savons que la Commission européenne, à la manoeuvre sur ce point, l'étudie elle aussi de façon très détaillée. Il importe que les fournisseurs de services financiers installés à Londres se préoccupent de ce qu'il adviendra de leurs contrats vers les pays de l'Union et, le cas échéant, mettent en place des solutions permettant de les rapatrier sur une base juridique valide pour passer la phase Brexit. Cela semble techniquement possible. C'est du travail, mais nous pensons que ces acteurs ont les moyens de s'organiser pour le conduire. Par ailleurs, comme vous le savez, un effort tout particulier est consenti par la France, pour mettre en avant les atouts de sa place financière afin que les acteurs basés au Royaume-Uni qui devront relocaliser une partie de leurs entités, de leurs équipes et de leurs compétences dans l'Europe des Vingt-Sept choisissent la France. Nous jouons notre carte. Quelle que soit la configuration de cette relocalisation, nous ne nourrissons pas d'inquiétude spécifique sur le financement de nos PME et TPE, que nous cherchons par ailleurs à améliorer dans le cadre du plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) qui fera l'objet d'un projet de loi discuté à l'automne.

Nous n'avons pas non plus identifié de difficulté concernant le statut des salariés britanniques en France. Des rééquilibrages se feront sans doute sur la durée. Mais, le jour d'après, il nous semble que les contrats de ces salariés continueront à exister, à être valides et à être régis par le droit du travail. Nous n'identifions pas de rupture, donc de risque immédiat sur ce point. Dans quelle mesure pourront-ils rester à très long terme en France ? C'est une autre question. Une adaptation se fera sur la durée.

Concernant la pêche, secteur évidemment très sensible, nous avons bien en tête l'enjeu du maintien de l'accès aux eaux britanniques pour nos bateaux. C'est un enjeu de négociation sectorielle fort, dont nous tiendrons compte. Par ailleurs, je considère que la détaxe pourra être rétablie pour des trajets entre le continent et le Royaume-Uni.

J'en viens au sujet de l'application de la réglementation européenne et des normes aux produits qui pourraient être exportés par le Royaume-Uni en Europe. Bien évidemment, le jeu de réglementation et de normes européennes continuera à s'appliquer, sous la surveillance de la CJUE. Nous serons bien dans le cadre du droit commun du marché de l'Union européenne. En revanche, dans le cadre de l'accord de libre-échange qui, de notre point de vue, doit être la solution pour gérer le cadre des relations futures, il pourra y avoir des dispositions spécifiques de reconnaissance mutuelle, secteur par secteur, type de produit par type de produit, afin de permettre un accès fluide du Royaume-Uni vers l'Union et de l'Union vers le Royaume-Uni. Ces discussions devront être menées secteur par secteur.

Pour ce qui concerne les activités de recherche et développement et les partenariats que nous pourrions avoir avec le Royaume-Uni, l'excellence de la recherche académique dans ce pays est reconnue. Il n'y a pas de volonté d'opérer un décrochage brutal des partenariats ou des travaux en commun qui existent aujourd'hui. Dans le cadre des programmes européens de type « Horizon Europe », il existe plusieurs façons de maintenir des partenariats avec des pays tiers, que nous utiliserons tout en nous assurant que la relation n'est pas déséquilibrée. Il ne faudrait pas que le Royaume-Uni vienne chercher uniquement ce qui l'arrange, ou ce pour quoi il est le plus bénéficiaire. Il faudra, bien évidemment, s'assurer qu'il ne participe pas uniquement au financement des bourses académiques mono-bénéficiaires ou à ce type de dispositif dont il est friand. Il faudra qu'il participe aussi à des partenariats industriels et qu'il continue à collaborer de façon équilibrée avec les autres instances de recherche européennes.

Dans le domaine de la défense, nous avons le sentiment qu'il existe une volonté de maintenir des liens étroits, notamment le traité de Lancaster House.

Pour les autres sujets stratégiques que sont l'aéronautique ou le nucléaire, la France et l'Union européenne continueront à avoir des liens très étroits avec le Royaume-Uni pour le bénéfice de tous. Il n'y a pas de raison que nous n'arrivions pas à nous mettre d'accord sur ces sujets.

Des annonces ou des prises de position surprenantes ont été affichées récemment concernant Galileo. Compte tenu du coût de ce programme et de l'investissement qu'il représente, de l'ordre de 10 milliards d'euros, nous avons du mal à imaginer un cavalier seul.

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Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances

Vous avez également évoqué le domaine de la pharmacie. Le cadre et les contraintes réglementaires sont spécifiques, très européens. Un accord bilatéral sera négocié. Pour nous, c'est un point important puisque la France exporte pour 1,7 milliard d'euros de produits médicaux vers le Royaume-Uni. C'est un marché important. Nous y serons attentifs. Nous souhaitons maintenir la fluidité des relations, donc obtenir des mécanismes de reconnaissance mutuelle à condition que le Royaume-Uni soit raisonnable dans sa volonté d'indépendance réglementaire. Là encore, il faudra trouver un équilibre entre l'émancipation et la fluidité.

Le sujet de Commonwealth ne me semble pas très sérieux. Nous découvrirons peut-être, à la pratique, que celui-ci dispose d'éléments de négociation particuliers. En tout cas, la capacité de négociation de l'Union à vingt-sept nous paraît bien plus intéressante que celle du Royaume-Uni, même avec son passé très prestigieux dans le monde.

La possibilité de signer des accords indépendants est le principal intérêt d'une sortie de l'union douanière, pour le Royaume-Uni. Peut-être, en étant seuls, les Britanniques pourront-ils faire valoir des positions sur des thématiques qui leur sont très spécifiques et qui leur tiennent à coeur. Mais, d'un point de vue macroéconomique, nous n'y voyons pas un danger pour l'Union à vingt-sept.

Concernant l'accompagnement des filières et des PME par la DGE, nous avons organisé des réunions filière par filière, avec les entreprises. Nous faisons en sorte que les recommandations diffusent dans tout le tissu des filières, jusqu'aux plus petites entreprises. Nous utiliserons les réseaux territoriaux, via les DIRECCTE et les CCI. Nous distribuerons des kits d'information et de diagnostic, pour que les entreprises puissent systématiquement vérifier qu'elles ont pris les bonnes mesures en matière de droits de douane, de certification ou de propriété intellectuelle ou, en tout cas, qu'elles ont bien anticipé ce qui serait à faire. Nous veillerons en particulier à informer les petites entreprises qui ne commercent actuellement qu'au sein de l'Union, y compris vers le Royaume-Uni.

Concernant les activités traditionnelles d'EDF au Royaume-Uni, ce groupe pourrait subir comme d'autres installés dans ce pays l'impact lié au Brexit que nous anticipons en termes d'activité et de croissance. Pour les groupes français très exposés au Royaume-Uni, le Brexit n'est pas une très bonne nouvelle.

Mme Marielle de Sarnez rejoint la séance.

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Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances

Concernant les sujets nucléaires, le Brexit implique que le Royaume-Uni sorte d'Euratom. Cela n'empêchera pas le projet Hinkley Point de se réaliser, mais créera des difficultés, en termes d'approvisionnement en combustibles par exemple. Ces sujets devront être traités.

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Je pense que mon collègue Jacques Marilossian faisait référence à la réponse du Royaume-Uni à la position de la Commission sur Galileo, qui suggère que le Royaume-Uni pourrait retirer les autorisations de ses propres entreprises de participer aux parties haute sécurité du projet, post-contrat. Pour les contrats déjà signés, l'autorisation d'une agence indépendante du Royaume-Uni est nécessaire pour participer à un projet de contrat haute sécurité à l'étranger. En l'occurrence, Londres menacerait de retirer cette autorisation pour les contrats existants. C'est, en tout cas, ce que rapporte le Financial Times.

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Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances

J'y vois surtout un argument de négociation pour ouvrir une discussion.

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Deux de nos collègues qui ne pouvaient pas être présents aujourd'hui m'ont transmis des questions. Tout d'abord, Olivia Grégoire demande si vous pouvez citer davantage de détails sur les actions menées par le Gouvernement pour attirer les entrepreneurs à Paris, en particulier ceux de la Fintech de Londres.

Ensuite, observant qu'une augmentation significative des activités douanières est à attendre, Marine Lebec demande si le système d'information douanier français sera capable de traiter les flux supplémentaires. Toutes les communications nécessaires ont-elles été faites aux TPE et aux PME françaises qui devront, a priori, remplir des fichiers ou suivre des procédures supplémentaires ? Où en sont les réflexions sur l'adaptation des infrastructures logistiques portuaires en termes de contrôle douanier de marchandises et d'organisation des flux d'import et d'export ? Un travail d'anticipation a-t-il été mené sur les nouveaux schémas de transport maritime qui pourraient émerger, avec potentiellement le risque de voir se créer du côté britannique des zones franches et des hubs maritimes de fret conteneurisés avant l'entrée dans l'Union européenne ?

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Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances

Des guichets d'accueil ont été mis en place pour les entreprises qui voudraient venir ou revenir s'implanter en France à partir du Royaume-Uni. L'ensemble des opérateurs a été mobilisé, en particulier Business France qui a mis en place une approche spécifique, avec un guichet en ligne, un accueil téléphonique et du personnel qualifié, y compris sur des sujets extrêmement pratiques et logistiques. Je pense notamment à l'important sujet de l'accueil des familles, qui impose d'identifier des établissements d'accueil des enfants en cycle international ou dans des cursus en anglais. Nous y travaillons. Le Gouvernement a par ailleurs pris plusieurs mesures, notamment fiscales et sociales, pour rassurer les investisseurs qui avaient un a priori réservé sur la France comme lieu d'entreprendre. Nous sommes en train de réussir à changer cette image, mais il faut rester vigilant. Il était utile que le Gouvernement affiche une trajectoire pluriannuelle sur divers sujets, en particulier fiscaux. Cela procure de la visibilité et de la certitude.

Nous avons également mis en place, du côté du régulateur, un guichet spécial commun à l'Autorité des marchés financiers (AMF) et à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) pour répondre aux acteurs du domaine financier qui souhaitent venir ou revenir s'installer en France, avec une écoute spécifique pour les acteurs innovants, les Fintech. Cette appréciation au cas par cas est très appréciée par les Fintech que j'ai pu rencontrer, par contraste avec l'approche allemande, plus rigide. Nos atouts sont réels en la matière.

J'en viens aux sujets douaniers et portuaires. Comme vous l'avez vu, Gérald Darmanin a commencé à travailler de façon vigoureuse sur le secteur douanier, avec un programme d'embauches important. Près de 700 douaniers seront recrutés, et leurs moyens – locaux, zones de stockage – seront ajustés, frontière par frontière. Concernant l'aménagement de nos ports, nous n'avons pas été informés d'inquiétudes particulières quant à la disponibilité foncière. Des travaux de développement ou de flexibilisation de certaines zones seront engagés port par port. Concernant la concurrence qui pourrait être créée par des zones franches portuaires, nous pensons que le coût le plus significatif sera celui des barrières non-tarifaires, c'est-à-dire le temps passé aux contrôles aux frontières. De ce point de vue, le fait d'avoir un point britannique de passage avant d'accéder à l'Union européenne, en raison des barrières administratives et physiques, ne serait pas optimal. L'accès direct à un port de l'Union européenne restera donc intéressant.

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Je souhaite pour ma part aborder la question du nouveau partenariat. Évidemment, nous savons qu'il ne faudra pas que le futur partenariat soit plus favorable à la Grande-Bretagne que le statut actuel. C'est une évidence. Plusieurs choix s'ouvrent à nous, comme celui d'un accord du type de l'Accord économique et commercial global (CETA) avec le Canada, ou celui d'un accord d'association, qui a la préférence du Parlement européen et qui serait plus large puisqu'il pourrait aussi porter sur des questions de stratégie, de défense et de renseignement. Quel est votre sentiment ? À quel type de partenariat futur va la préférence française, ou du moins du ministère dans lequel vous exercez vos responsabilités ?

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Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances

Pour ce qui est des relations strictement commerciales, nous considérons que le jeu de contraintes et notre perception des positions britanniques nous conduisent à un accord de libre-échange. J'insiste, cela ne concernerait que le domaine commercial. Dès lors, un tel accord n'exclut pas des partenariats très profonds sur d'autres sujets. Faudrait-il qu'ils relèvent d'un même document, ou qu'ils soient placés sous un chapeau commun ? Ce n'est pas encore tranché. Compte tenu de la contrainte de temps qui est la nôtre, nous souhaitons avant tout que la solution retenue fonctionne à J+1. Mais, bien évidemment, elle ne sera pas exclusive d'un partenariat plus large sur toutes les thématiques que vous évoquez.

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Merci de la franchise de votre réponse. Je ne sais pas si l'accord de libre-échange est la formule la plus appropriée. J'ignore ce qu'en pensent mes collègues. À mon avis, la question est encore ouverte. Il ne faudrait pas penser que les accords de libre-échange se négocient plus rapidement que les accords d'association. Nous avons vu par le passé que ce n'était pas si simple que cela.

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Je crois que le Parlement européen n'a pas tout à fait tort. Au-delà des problèmes techniques et d'échanges, se pose vraiment un problème de destin pour le Royaume-Uni. Au départ, les premiers discours de Mme May et les réactions très favorables au Brexit du président des États-Unis donnaient le sentiment que, sur l'essentiel, le Royaume-Uni décrocherait de l'Europe et se tournerait vers d'autres horizons et d'autres bases. Il y avait même une mise en cause du libre-échange. À propos du Commonwealth, il est amusant de noter que le premier discours important de Mme May sur ces questions s'est tenu à Birmingham, ville de Joseph Chamberlain, père du refus du libre-échange au profit de la préférence impériale au début du siècle dernier.

Aujourd'hui, nous avons plutôt le sentiment inverse. Sur le climat, sur l'Iran, sur les rapports avec la Russie et sur les enjeux de défense, nous restons quand même très proches. En termes de gouvernement, au moins, nos perspectives sont très proches de celles des Britanniques. De ce point de vue, il me semble qu'il serait pertinent de donner un vrai label commun, politique, pour montrer les limites du Brexit – sans avoir à payer trop cher pour cela, toutefois. Cette position est, évidemment, pour les Britanniques, assez difficile à faire passer auprès des brexiters. Mais je crois que cela ferait pleinement sens.

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L'argument du Commonwealth ne me semble pas du tout crédible, puisqu'il ramène fondamentalement à la question de l'immigration. Les Indiens et le Commonwealth voudront des visas, or le Royaume-Uni ne veut pas en délivrer.

Par ailleurs, le rendez-vous des chefs d'État à Sofia montre qu'il est très difficile de trouver une position commune avec les Vingt-Sept sur la relation avec les États-Unis, et qu'il est nettement plus facile d'en trouver une à trois – lesquels trois représentent un poids très conséquent et qui pourrait être crédible sur la scène internationale. Dès lors, s'il devient quasiment impossible de trouver un accord à vingt-sept dans un avenir proche, un schéma est-il envisagé pour permettre au Royaume-Uni de rester, afin que ce pays, l'Allemagne et la France puissent peser ?

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Je partage les avis des deux collègues qui viennent de s'exprimer. Je suis frappée de constater que nous n'avons jamais été aussi proches de la Grande-Bretagne, géostratégiquement parlant, que maintenant, au moment où elle décide de quitter l'Union européenne ! Les Britanniques sont favorables au multilatéralisme. Ils sont pour le climat. Nous sommes tout à fait unis sur l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien et sur le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPoA). Il est même tout à fait incroyable de constater l'éloignement entre eux et les États-Unis en matière de politique étrangère, de diplomatie et de géostratégie. C'est une analyse à verser au dossier, me semble-t-il. C'est la raison pour laquelle je penche plutôt pour un accord d'association, ainsi que le Parlement européen l'a exprimé. Nous aurons à en débattre ici, au Parlement. Cette décision ne pourra pas être prise sans que le Parlement français ait son mot à dire. Et pas seulement à la fin du processus, puis-je dire à l'exécutif, mais également dès le début.

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Nous étions à Londres il y a quelques semaines, et le sentiment commun qui s'est dégagé au retour est que nos collègues britanniques semblaient perdus. À l'intérieur de chaque parti, à la Chambre des Communes comme à celle des Lords, nous les sentons tous divisés. Or dans une négociation, savoir ce que l'autre partie cherche est primordial. Là, nous avons le sentiment que cela peut changer à tout moment. Les votes successifs qui ont eu lieu à la Chambre des Lords, les informations que nous avons en provenance de celle des communes et les réflexions d'Holyrood, la Chambre écossaise, donnent le sentiment que Mme May se demande ce qu'elle cherche vraiment. Sur l'union douanière, par exemple, veut-elle un custom union ou un custom partnership ? Les Britanniques n'attendent-ils pas le dernier moment pour nous forcer la main et faire passer quelque chose, parce qu'eux-mêmes ne savent pas vraiment où ils en sont ? Ne risquons-nous pas de finir par un marathon bruxellois, en octobre ou novembre ? Tout devrait alors se décider, dans la douleur et dans le noir.

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Delphine Gény-Stephann, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances

Je n'ai que très peu de temps pour vous répondre, et j'en suis navrée, car je dois me rendre à l'invitation du Sénat à un débat sur la concurrence. En tout état de cause, je suis d'accord sur l'ambition et sur le fait que le Royaume-Uni restera un partenaire absolument clé, à cultiver de diverses façons.

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Merci, madame la ministre. Il nous reste à vous libérer, pour que vous puissiez vous rendre au Sénat. Je pense qu'il est très important que nous considérions, ici à l'Assemblée nationale, que nous devons avoir un débat sur la question du futur partenariat. C'est tout à fait dans notre rôle et dans notre mission, puisqu'il reviendra ensuite à l'Assemblée nationale de valider l'accord. Nous souhaitons y être associés depuis le début. Nous vous remercions, madame la ministre, ainsi que celles et ceux qui vous ont accompagnée.

Puis la mission d'information organise une table ronde sur les conséquences du Brexit sur les entreprises réunissant :M. François Asselin, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), Mme Maria Ianculescu, directrice des affaires internationales du Comité des Constructeurs Français d'Automobiles (CCFA), M. Laurent Timsit, directeur des affaires internationales d'Air France-KLM.

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Je vous remercie infiniment pour votre présence cet après-midi. J'excuse le président de l'Assemblée nationale, M. François de Rugy, qui ne peut être présent. Cette table ronde porte sur les effets du Brexit sur les différents secteurs industriels que vous représentez, ainsi que sur le tissu entrepreneurial des petites et moyennes entreprises (PME).

Nous sommes extrêmement heureux de vous recevoir tous les trois : François Asselin, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), Maria Ianculescu, directrice des affaires internationales du Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA) et Laurent Timsit, directeur des affaires internationales et institutionnelles d'Air France-KLM. Nous aurons par ailleurs une contribution écrite du Groupement des industries françaises aéronautiques spatiales et de défense, qui n'a pas pu être présent aujourd'hui en raison d'une réunion prévue de longue date dans une autre capitale que la nôtre.

Il nous intéresse beaucoup de vous écouter sur les risques, les chances et les perspectives du Brexit pour les entreprises que vous représentez, ainsi que sur le soutien que vous attendez dans les années qui viennent. Vous avez la parole pour une dizaine de minutes chacun.

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Maria Ianculescu, directrice des affaires internationales du Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA)

Merci, madame la présidente, mesdames et messieurs les députés. Nous sommes très reconnaissants à l'Assemblée nationale pour l'intérêt qu'elle porte au Brexit. Ce sujet est de grande importance pour le secteur automobile. Je vous montrerai pour quelles raisons, avant de vous présenter les principaux risques que nous avons identifiés.

Le CCFA regroupe trois membres principaux : Renault, PSA et Renault Trucks. Les marques représentées par le groupe Renault sont Renault, Alpine, Dacia, Samsung et Lada. Le groupe PSA regroupe les marques Peugeot, Citroën, DS et, depuis récemment, Opel et Vauxhall. Renault Trucks produit également en France, dans la région lyonnaise. Le CCFA joue un rôle traditionnel de défense des constructeurs français, notamment pour les questions relatives aux politiques publiques.

Le Royaume-Uni est un marché d'export extrêmement important pour le secteur de l'automobile, puisqu'il représente 18,5 % du marché européen avec 2,5 à 2,7 millions de véhicules vendus chaque année, contre 2,1 millions en France. Pour les constructeurs français, le Royaume-Uni représente environ 7 % de leurs ventes dans le monde et 15 % de leurs ventes dans l'Union européenne. Ce marché est, qui plus est, rentable et rémunérateur. En effet, c'est plutôt un marché de véhicules de moyenne gamme et de gamme haute. Pour vous donner une idée, le groupe BMW réalise 10 % de ses ventes au Royaume-Uni.

C'est également un marché qui a longtemps été en bonne santé et qui a très bien résisté à la crise de 2008-2009. C'est moins vrai aujourd'hui puisque, depuis douze mois consécutifs, le marché est plutôt en chute, dans lequel la part des groupes français, y compris Vauxhall qui appartient à Opel qui a lui-même été racheté par PSA le 1er août 2017, représente entre 15 % et 20 %.

J'ajoute que nous sommes très forts, de manière générale mais en particulier au Royaume-Uni, sur les véhicules utilitaires légers (VUL). La part additionnée de Renault et de PSA sur le marché britannique représente 23 %. Qui plus est, les VUL sont en général produits sur des sites français. Nous exportons donc beaucoup de VUL produits en France vers le Royaume-Uni.

Outre les véhicules – 1 milliard d'euros par an – nous exportons également des moteurs et des composants divers – 2 milliards d'euros par an. Notre solde commercial avec le Royaume-Uni est positif, et nous souhaitons bien évidemment qu'il le reste malgré le Brexit.

Le Royaume-Uni est un marché d'export pour nous, mais c'est également un lieu de production automobile pour diverses marques – européennes mais pas seulement, les Japonais y étant notamment très présents. Renault n'y produit pas, mais PSA y compte deux usines. Nous avons donc des problématiques à la fois d'exportateurs et de producteurs sur place, de véhicules pour le moment principalement destinés au marché britannique mais cela pourrait évoluer.

L'industrie automobile britannique est extrêmement intégrée à celle de l'Europe. Les flux dans les deux sens sont très importants. Les Britanniques eux-mêmes ont besoin d'énormément de composants en provenance d'Europe continentale, dont certains sont ceux que nous leur fournissons nous-mêmes. Leur taux d'intégration locale est assez faible, de l'ordre de 40 % à 44 %. Tous les autres composants leur viennent de l'extérieur, c'est-à-dire d'Europe. Dans l'autre sens, le Royaume-Uni est très dépendant à l'export également, puisque 80 % de l'export britannique sont vers l'Europe continentale.

En résumé, le secteur automobile est très important pour nous, constructeurs automobiles français, et il est vital côté britannique.

Les principaux risques que nous avons identifiés sont logistiques, douaniers, non-tarifaires, réglementaires, financiers et en matière de mobilité des travailleurs. Le risque logistique est presque le plus important, et en tout cas le plus immédiat, avec la perspective de la rupture de la chaîne logistique actuelle à compter de fin mars 2019. Chaque jour, environ 1 000 camions passent la frontière avec des composants automobiles, de l'Europe vers le Royaume-Uni. En général, les formalités étant aussi simples et légères que possible, ce passage prend entre deux et cinq minutes par camion. Nous avons calculé que si les choses devaient changer – et elles changeront nécessairement s'il y a un Brexit, deux minutes supplémentaires d'arrêt par camion représenteraient 29 kilomètres de bouchons sur toute la chaîne logistique. Nous serons donc très attentifs à ce que les choses changent le moins possible du point de vue logistique. Mais en même temps, nous avons bien conscience que même le meilleur des accords ne permettra pas de rester en l'état actuel des choses. Sans compter que les Britanniques devront construire, de leur côté de la Manche, des zones où parquer les camions dans l'attente des contrôles.

Le risque douanier, lié au risque logistique, pose deux questions principales : celle des tarifs et celle des règles d'origine. Dès lors que le Royaume-Uni sera sorti de l'Union européenne, il sera susceptible de rétablir des droits tarifaires qui pourraient monter à hauteur de ce qui a été négocié à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Dans notre secteur, ils peuvent aller jusqu'à 10 % sur les voitures particulières, 22 % sur les véhicules industriels, 3 % à 4,5 % sur les pièces et composants et 2,7 % sur les moteurs. Dans un secteur aussi sensible aux prix, dans lequel nous nous battons pour 1 % ou 2 %, il n'est pas besoin de faire des calculs très savants pour comprendre qu'à 10 %, nous serons sortis du marché – dans un sens comme dans l'autre. Si les véhicules britanniques paient 10 % de droits de douane en entrant en Europe, ils ne seront plus compétitifs. Il en sera de même pour les nôtres sur le marché britannique. Nous avons donc un intérêt commun de non-rétablissement de barrières tarifaires dans notre secteur. En outre, si l'on doit négocier un accord, quelle que soit sa forme, la question des règles d'origine, qui permettent à un produit quittant l'une des deux zones de bénéficier d'un accès privilégié à l'autre zone, se posera. Pour les Britanniques, ce sera compliqué dans la mesure où seuls 40 % des composants ont une origine proprement britannique. Ce sera compliqué même en cas de cumul bilatéral entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. De notre côté, le sujet des règles d'origine pourrait également poser problème, notamment pour des véhicules nouvelle génération de type électrique. Pour le moment, il est compliqué de se fournir en batteries électriques dans l'Union européenne. Or si les batteries sont importées, la part vraiment européenne du véhicule n'atteindra pas nécessairement le pourcentage requis. Se posera donc un problème de règles d'origine, dans les deux sens. Il faudra donc trouver un accord qui permette d'être ni trop sévère, ni trop laxiste sur cette question.

J'en viens au risque non-tarifaire. Dans notre secteur, les barrières non-tarifaires sont essentiellement techniques et réglementaires. Nous en avons identifié plusieurs, notamment celle de l'homologation des véhicules. Aujourd'hui, lorsque vous homologuez un véhicule dans un quelconque État membre, cette homologation est intégralement valable dans tout le reste de l'Union européenne, conformément au principe de marché intérieur absolu. À partir du moment où le Royaume-Uni ne sera plus membre de l'Union, se posera le problème des homologations passées, dont il faudra assurer une certaine forme de continuité. Se posera aussi le problème des homologations futures. Chacune des deux parties exportant chez l'autre aura intérêt à une forme de reconnaissance mutuelle qui reste à inventer. Ce qui nous facilite un peu la tâche, c'est que, là encore, nos intérêts industriels et en tout cas économiques sont convergents sur ce point des deux côtés de la Manche. Mais la situation est très complexe. Par exemple, un véhicule n'est pas nécessairement homologué dans le pays dans lequel il a été produit – ce qui semble pourtant le plus logique. Du fait de la validité européenne de l'homologation, il est tout à fait possible d'homologuer au Royaume-Uni un véhicule qui a été produit en République Tchèque. Cela arrive même très souvent, pour une question de langue. L'inverse est également vrai. Un véhicule produit au Royaume-Uni peut être homologué dans un autre pays, pour des raisons historiques ou de facilité. S'il n'existe pas de système de reconnaissance mutuelle, un véhicule produit au Royaume-Uni mais homologué ailleurs ne serait pas commercialisable au Royaume-Uni. Nous pourrions donc arriver à des situations totalement ubuesques.

Permettez-moi de dire encore un mot sur les risques financiers. L'on ne s'en souvient pas toujours, mais les constructeurs ont des filiales financières, des banques dites captives, qui contribuent largement à leur rendement économique. Il en existe au Royaume-Uni, qui opèrent aujourd'hui sous le système du passeport européen, lequel est remis en cause. Si ce passeport devait disparaître, la conséquence immédiate pour nous serait que les filiales financières des constructeurs français au Royaume-Uni devraient se transformer en banques de nationalité britannique. Ce serait à la fois très complexe et très coûteux. Il faudra donc qu'une forme de passeport européen subsiste en matière financière.

Enfin, le risque de mobilité des travailleurs n'est pas immense dans notre secteur, puisqu'il concerne quelques centaines de personnes. Mais il existe.

En résumé, pour notre secteur, nous prônons l'absence de tarifs douaniers, des procédures douanières les plus simples possible, l'absence de divergence réglementaire entre les deux zones, notamment dans le cadre de l'homologation. Finalement, il est évident que la solution post-Brexit qui nous conviendrait le mieux serait la plus proche possible d'un statu quo. Même si nous comprenons que c'est politiquement compliqué à défendre, il est utile de le dire et de rappeler la réalité économique. La situation est tellement imbriquée entre nos deux zones que, s'il y a Brexit, l'on détricotera nécessairement l'existant. Il importe que ce qui sera détricoté le soit avec la plus grande prudence, car tout aura un coût pour nous.

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Je vous remercie, pour cette présentation de la situation mais aussi pour votre conclusion, qui est extrêmement intéressante. En fait, l'idéal serait que les choses restent comme elles sont.

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Maria Ianculescu, directrice des affaires internationales du Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA)

C'est un voeu pieux !

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François Asselin, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME)

Merci, madame la présidente. La CPME et ses adhérents s'intéressent de longue date au Brexit. Pourtant, nous peinons nous aussi à y voir clair. Je vous avais rencontrée à plusieurs reprises à Bruxelles. Puis j'ai rencontré Michel Barnier, le 27 février dernier et, le 29 mars, mon homologue de la Federation of Small Businesses (FSB), qui représente les petites et moyennes entreprises britanniques.

Si nous devions dresser un tableau des menaces et des opportunités des décisions liées au Brexit, nous verrions que la balance des échanges avec le Royaume-Uni est positive pour la France. Il y aurait donc plus de menaces que d'opportunités, en ce qui nous concerne. Nous avons interrogé nos adhérents, à commencer par les transporteurs. Ceux-ci nous ont indiqué qu'environ 500 camions faisaient actuellement l'objet de contrôles de formalités douanières tous les jours, et que demain ils seraient à peu près 8 500. Cela se traduirait par des coûts et de l'attente supplémentaire. Les transporteurs pourront-ils répercuter le coût sur leurs clients ?

Une autre question concerne la protection des marques et le système normatif. Le marquage CE, par exemple, permet de distribuer un produit dans l'espace européen. Qu'en sera-t-il demain ?

Pour prendre un exemple personnel, mon entreprise fabrique des charpentes et des menuiseries extérieures, entre autres. J'exporte de manière régulière aux États-Unis, et de manière plus épisodique en Angleterre. En effet, bien que la France ait inventé la fenêtre à guillotine, le marché n'est pas du tout français, mais anglo-saxon. Que se passera-t-il si, demain, les building codes changent ? Aurai-je les moyens de repasser toutes mes gammes de menuiseries aux bornes tests ? C'est une façon très habile d'exclure des PME du marché – parce que, dans ce domaine, il n'y a pas de multinationales.

Comment se passera la protection des marques ?

Par ailleurs, comme dans le secteur de l'automobile, nombre de PME utilisent dans leur processus de fabrication des composants qui viennent d'Angleterre. Si cette chaîne de valeur devait être perturbée, le coût de production serait nettement plus important en France qu'au Royaume-Uni. Je pense notamment au règlement REACH sur l'utilisation des substances chimiques.

Nous pensons que, quoi qu'il arrive, il faut maintenir une relation forte sur tous les plans – économique, diplomatique, amical, etc. Si j'ai voulu que nous rencontrions nos homologues de la FSB, c'est bien parce que nous souhaitons que le dialogue continue à fonctionner entre nos différentes organisations. Nous pensons aussi qu'il faut éviter une sortie du Royaume-Uni sans accord. Pour nous, ce serait la pire des situations.

Nous avons identifié des points de vigilance. Même si nous aimons évoluer dans une économie de marché, nous sommes attachés aux conditions de concurrence les plus loyales possible. Il faut donc veiller à l'instauration de telles conditions. Si je devais le résumer en trois points, ce serait zéro dumping social, zéro dumping fiscal et zéro dumping réglementaire. Une fois que l'on a dit cela, reste à savoir où placer le curseur.

Il faut que nous maintenions la fluidité des échanges, à travers la conclusion d'un accord commercial. Cela me paraît indispensable. Il faut aussi s'entendre sur le niveau des barrières tarifaires, des droits de douane, des taxes, des quotas, des normes sanitaires, des normes techniques. Il y aura certainement une restauration des formalités administratives. Là encore, je pense qu'il faudra aller assez loin dans le détail pour qu'elles soient aussi légères et fluides que possible. L'activité principale d'un entrepreneur est d'entreprendre, pas de faire de l'administratif. Il faudra aussi s'assurer des règles de réciprocité. Cela nous paraît évident. Sur ce point, nous appelons à une veille extrêmement suivie des acteurs de la négociation, mais aussi par la suite.

Pour nous, le risque serait que le Royaume-Uni devienne une plateforme de tout ce qui pourrait représenter le low cost. Car pour s'en sortir, il faudra bien qu'il trouve une différenciation concurrentielle. Quelle sera-t-elle ? À une époque où tout peut être regroupé sur une plateforme numérique, l'enjeu est majeur.

Il faudrait aussi mettre en place une véritable politique de concurrence européenne. L'équivalence des règles de concurrence nous semble majeure, spécifiquement pour celles qui concernent les aides de l'État, qui peuvent concerner de manière très directe les PME.

Pour revenir aux questions plus précises que vous nous aviez posées pour préparer cette audition, je vous ai répondu sur les secteurs qui nous semblent potentiellement touchés : le secteur routier, les marchés normatifs comme ceux de l'eau et de l'assainissement, le secteur de la pêche et le tourisme. Il ne faut pas non plus oublier que si nombre de PME ne sont pas exportatrices, elles ont besoin des échanges avec l'Angleterre.

La vraie question est celle des contrôles aux frontières. Y en aura-t-il ou pas ? À quel niveau, le cas échéant ? Quel sera le niveau des droits de douane ? Quelle sera la modification éventuelle des réglementations britanniques ? Nous sommes tous conscients que le Brexit aura indubitablement des conséquences. Personne ne croit une seconde qu'il ne se passera rien. Nous sommes tous conscients qu'il se passera quelque chose. Néanmoins, nous appelons le ou les négociateurs à la plus grande vigilance et à aller très loin dans le détail. Pour une PME, le détail a vraiment son importance.

Nos préoccupations immédiates portent sur le risque de perte de compétitivité, mais aussi sur le climat d'incertitude. Si nous n'avons aucune visibilité sur le contenu de l'accord qui sera négocié, qu'avons-nous comme moyens pour nous préparer ? Que pouvons-nous dire à nos adhérents ? Nos préoccupations concernent aussi les barrières non-tarifaires, qui sont parfois les obstacles les plus importants. Dans ce contexte, nos demandes sont les suivantes : donner de la visibilité aux entrepreneurs en sortant de ce que nous qualifions de comportement attentiste ; arrêter une vraie stratégie de négociation ; aboutir à un accord dont l'incidence sera la plus faible possible pour les PME ; prévoir une période de transition suffisante pour nous permettre de nous préparer.

Vous nous avez demandé si les PME avaient une stratégie. Pour tout vous dire, pas vraiment. Nous sommes dans le flou. Les entrepreneurs savent exprimer qu'il y aura certainement des barrières à l'entrée, des deux côtés. Mais ils ignorent à quel niveau elles seront, ce qui ne permet pas de définir la stratégie à adopter. Faudra-t-il trouver du sourcing en dehors d'Angleterre ? Pour l'instant, il y a beaucoup d'attentisme.

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Merci beaucoup monsieur le président. Votre exposé était extrêmement éclairant. Nous sommes bien à la veille de nombreuses difficultés, qu'il nous importera de résoudre ou d'essayer de résoudre tous ensemble. Laurent Timsit, vous avez la parole.

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Laurent Timsit, directeur des affaires internationales d'Air France-KLM

Merci, madame la présidente. J'évoquerai avec vous les conséquences du Brexit sur le secteur de l'aviation civile. Depuis le 1er avril 1997, le transport aérien européen évolue dans le cadre d'un marché unique. Toutes les compagnies aériennes communautaires, détenues et contrôlées par des capitaux communautaires, peuvent y évoluer librement. Il est évident que le Brexit aura une incidence forte sur ce cadre, puisque, du jour où le Royaume-Uni sortira de l'Union européenne, les capitaux britanniques ne seront plus des capitaux communautaires. Se posera alors la question de savoir si les compagnies européennes détenant une part importante de capitaux britanniques restent des transporteurs communautaires au sein de l'Union européenne, et quelle sera la nature de l'accès des compagnies britanniques au futur marché communautaire. En théorie, les enjeux sont extrêmement importants, des deux côtés.

Pour nous, le marché britannique reste important. Et ce, à deux titres. Le premier concerne l'activité – pas tant celle d'Air France, dans la mesure où nous avons relativement peu de liaisons aériennes vers le Royaume-Uni, que pour la filiale du Groupe qu'est KLM, qui a une activité particulièrement importante au départ du Royaume-Uni. Au départ des provinces britanniques, KLM a même une activité plus importante que British Airways.

L'autre sujet concerne nos investissements. Nous sommes sur le point d'investir 30 % au capital de la compagnie britannique Virgin Atlantic. Naturellement, le sujet de cet investissement au regard de modifications éventuelles des règles britanniques en matière de propriété et de contrôle est important. Nous avons essayé de le traiter en nous protégeant, en prévoyant la possibilité de sortir du capital de Virgin Atlantic dès lors que les règles viendraient à changer. Néanmoins, ce n'est pas notre scénario favori. Nous souhaitons une certaine stabilité juridique.

Notre point de départ, assez simple, consiste à considérer que le régime actuel, celui du marché unique dans lequel tout le monde a les mêmes droits et les mêmes obligations, nous convient bien. Nous souhaitons nous en éloigner aussi peu que possible. Cela dit, se pose aussi une problématique d'équité des conditions de concurrence. En général, dans le monde aérien, l'on parle plutôt de mondes réglementaires séparés qui convergent. Dans le cas présent, nous serons plutôt dans la situation paradoxalement inverse puisque nous partirons d'une situation où tout le monde est à égalité et où il y a un risque de divergence. Il est évident que dès lors que les compagnies britanniques seraient soumises à des règles significativement différentes des règles communautaires – droits des passagers, environnement, etc. –, au sens des règlements eux-mêmes, mais aussi de leur interprétation par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), un problème de distorsion de concurrence majeur se poserait pour nous.

La position constante d'Air France-KLM consiste à dire que le scénario idéal serait que le Royaume-Uni soit prêt à accepter un régime s'apparentant à celui de la Norvège dans le cadre de l'espace économique européen ou un accord comme celui qui existe avec la Suisse. Nous aboutirions alors à un système très ouvert en termes d'aviation, dans lequel il y aurait d'autres contraintes. Tous ces régimes se caractérisent par une intégration de l'acquis communautaire et une reconnaissance des jurisprudences de la Cour. Autour de ce type d'accord, nous trouverions quelque chose de relativement satisfaisant dans le domaine du transport aérien. Dès lors que le Royaume-Uni souhaiterait s'éloigner de ce type de modèle – et cela semble être le cas – et tracer des lignes rouges autour de ce que sont la CJUE et l'acceptation des interprétations de ses règles. Nous considérons que nous entrons dans une relation qui doit s'apparenter à celle que nous entretenons avec d'autres grands pays – les États-Unis, le Canada –, mais dans laquelle il faudra que cette divergence potentielle des règles s'accompagne aussi de certaines limitations de l'accès au marché. Le risque de distorsion de concurrence est réel.

Finalement, si nous ne sommes pas capables de converger vers un système très proche du système actuel, de type Norvège, Suisse ou Islande, il faudra trouver les termes d'un accord équilibré – qui présentera naturellement des désavantages pour les deux parties, étant entendu que notre analyse est que le transport aérien britannique, dans une situation de type Brexit dur, aurait beaucoup plus à perdre que les compagnies aériennes européennes, ou en tout cas qu'Air France KLM. Aujourd'hui, en effet, des compagnies comme EasyJet ont une activité très importante au sein du marché communautaire. Dans une hypothèse de Brexit dur, c'est le type d'activité qui peut être menacé. Les compagnies aériennes britanniques ont donc un intérêt au maintien du statu quo. Un groupe comme International Airlines Group (IAG), la maison mère de British Airways, possède en Europe un certain nombre de filiales comme Iberia ou Aer Lingus. Aujourd'hui, elle peut le faire parce que le Royaume-Uni fait partie de l'Union européenne. Demain, si les capitaux britanniques ne sont plus considérés comme communautaires, la question du maintien de la licence de ces compagnies se posera. L'on ne les imagine pas arrêter d'opérer, mais le fait qu'IAG doive réaménager la composition de son capital et perdre un degré d'influence sur ces compagnies n'est pas du tout négligeable.

Aujourd'hui, les compagnies aériennes britanniques ont clairement plus à perdre que les compagnies aériennes européennes dans l'hypothèse d'une situation de Brexit compliquée. Il est important de le garder en tête dans l'équilibre de la négociation générale avec le Royaume-Uni. Il existe certainement des domaines dans lesquels l'Union européenne est demandeuse, dans le cadre des futures négociations. Mais s'il y en un dans lequel le Royaume-Uni est clairement demandeur, c'est bien celui du transport aérien.

Enfin, bien conscientes de cette difficulté potentielle qui peut être posée par le Brexit, les compagnies aériennes britanniques se sont livrées à un lobbying d'assez grande ampleur au sein des institutions européennes, pour expliquer qu'il existait un risque très sérieux d'arrêt des vols et de pénalisation du tourisme dès lors qu'un accord spécifique ou catégoriel ne serait pas trouvé rapidement. Pour nous, cela relève beaucoup du mythe. D'une part, le premier argument mis en avant par les compagnies aériennes britanniques consiste à considérer que le transport aérien n'est pas inclus dans l'OMC et qu'il n'existe pas vraiment de solution de repli. La réalité est différente. Si demain, il venait à ne plus y avoir d'accord du tout entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, les vols ne s'arrêteraient pas, ou ne devraient pas s'arrêter, pour la simple raison que la Convention de Chicago de 1944 affirme le principe de la souveraineté des États sur leur territoire, lequel permet parfaitement à un État d'autoriser les vols d'un autre État, même sur une base temporaire. Je n'ai jamais vu que l'on mette brutalement fin à des services aériens, car ce ne serait a priori dans l'intérêt de personne. Certes, le Brexit pourrait faire peser un risque juridique sur les développements ultérieurs. Pour autant, un arrêt brusque des services aériens paraît tout à fait hypothétique.

En tant qu'Air France-KLM, nous sommes plutôt confiants dans le fait que l'Union européenne et le Royaume-Uni sauront trouver un accord équilibré. Nous pensons que nous disposons d'un peu de temps, puisque la période de transition devrait a priori durer plus d'un an et demi, durant laquelle le régime actuel ne sera pas modifié. Quant au régime futur, l'Union européenne a été capable de négocier des accords équilibrés dans le domaine du transport aérien avec de grands pays comme les États-Unis ou le Canada, et je pourrais citer d'autres exemples. Nous sommes donc à peu près certains que l'on trouvera une solution. Et dans la pire des solutions, c'est-à-dire en l'absence d'accord, nous comptons sur la Convention de Chicago comme filet de sauvegarde ultime permettant aux États de faire continuer le trafic aérien entre le Royaume-Uni et l'Union européenne comme il existe aujourd'hui.

En conclusion, nous sommes raisonnablement optimistes. Nous souhaiterions rester aussi près que possible du régime actuel. Si ce n'est pas possible, nous pensons que nous trouverons une solution. Enfin, je pense qu'il est important que vous gardiez en tête que c'est plutôt un domaine dans lequel le Royaume-Uni est demandeur. Il peut servir de levier dans la négociation, sans qu'il y ait vraiment de risque sérieux, à notre sens, d'assister à un scénario catastrophique d'arrêt des services aériens.

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Merci beaucoup, monsieur le directeur. Je me tourne vers mes collègues.

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Merci pour ces interventions, qui sont un rappel vivifiant de ce que signifie de quitter le marché commun après quarante ans de construction commune. Je me retrouve dans l'immense majorité de vos commentaires. J'ai toutefois une question pour le président Asselin, concernant le volet du financement. L'un des arguments que les Britanniques et la City ne cessent d'avancer est que les PME françaises, au travers d'intermédiaires financiers français, bénéficient de contrats d'assurance de financement, contre les fluctuations du marché, contre les taux de change, etc. Tous ces produits financiers assurent les PME ou les entreprises de taille intermédiaire (ETI), plutôt que les très petites entreprises (TPE) directement ou via une banque française qui ensuite finance les PME. Il y aurait donc soit une augmentation du coût du financement pour les PME, soit une dégradation de leurs capacités d'emprunt. En avez-vous entendu parler ? Cet argument vous paraît-il cohérent ?

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François Asselin, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME)

Absolument pas. Pour nous, aujourd'hui, le financement est un non-sujet. Personne ne se pose la question. Peut-être y en a-t-il une, mais personne ne se la pose.

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Les auditions que nous organisons – et la vôtre confirme encore l'impression que nous avions déjà – montrent qu'en France, l'on sous-estime assez profondément les effets négatifs du Brexit pour l'économie nationale et pour l'économie européenne. Nous sommes partis de l'idée, très juste, selon laquelle c'était un suicide pour les Britanniques, ou en tout cas un jeu à somme totalement négative, et que pour notre part, nous perdrions peut-être un peu, mais moins – ce qui ne serait pas très grave puisque les dirigeants britanniques, mieux informés que leur population et qui n'auraient pas voté le Brexit, cèderaient nécessairement. Lorsque l'on vous écoute, on a le sentiment que peut se dessiner, de la part de nos interlocuteurs, une stratégie un peu différente qui sera celle du « bord du gouffre ». Il s'agirait, pour le Royaume-Uni, de faire don au continent européen de son irrésolution, pour faire durer, avant de brandir la menace du chaos et de l'ensevelissement du Royaume-Uni mais aussi de l'Union européenne – comme aurait dit le général de Gaulle aux Russes, « nous mourrons ensemble ». Compte tenu de la fragilité et de la complexité de la négociation européenne, et du fait que les opinions publiques ne sont pas vraiment centrées sur ces sujets, cela pourrait avoir un effet assez important et conduire, à la fin du processus, à des concessions qui pourraient être assez sérieuses et assez graves. La ministre que nous avons reçue avant vous soulignait l'importance de ne pas sacrifier le long terme au court terme, alors que le catastrophisme immédiat pourrait justifier des concessions de long terme.

Qu'est-ce qui vous paraît le plus grave, à court terme ? Quel est le point que les Britanniques pourraient mettre en avant dans les derniers mois de la négociation, au risque d'effectuer un Brexit sec, net, sans accord, avec tous les inconvénients qui s'y attacheraient et que nous prendrions de plein fouet, même s'il en serait de même pour les Britanniques ? Mais ils sont stoïques. Ils ont voulu le Brexit, même si c'est une erreur. Ils sont orgueilleux. Ils peuvent tenir sur leur orgueil. C'est cela, qui m'inquiète. Que ressentez-vous comme danger premier ?

Par ailleurs, je n'ai pas très bien compris, madame Ianculescu, le danger concernant les problèmes d'homologation et de risque juridique. Quel est exactement ce que nous risquons ? Que devons-nous faire et que devons-nous absolument éviter ?

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Maria Ianculescu, directrice des affaires internationales du Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA)

Concernant les homologations, la situation actuelle est absolument idéale, avec une égalité et une symétrie totales dans tous les États membres. Cela permet aux constructeurs de choisir leur lieu d'homologation. À partir du moment où le Royaume-Uni sortira du marché intérieur, il n'y aura plus aucune reconnaissance des homologations britanniques en Europe et des homologations européennes au Royaume-Uni. Juridiquement, le lien sera complètement rompu. En principe, cela signifiera l'impossibilité de commercialiser.

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Que se passe-t-il avec les pays tiers, actuellement ?

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Maria Ianculescu, directrice des affaires internationales du Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA)

Un véhicule importé depuis un pays tiers doit se faire homologuer dans l'un des pays de l'Union européenne. Il peut choisir lequel, mais il doit se plier à cette obligation. C'est un dossier extrêmement complexe et coûteux. Certains constructeurs produisent en Europe, où ils se sont installés – précisément parce qu'il est plus facile d'y faire homologuer leurs véhicules. Mais si vous importez un véhicule depuis la Corée jusqu'en Europe, vous devez le faire homologuer dans l'État membre que vous aurez choisi – que ce soit celui où il est destiné à la commercialisation ou pas. Le Royaume-Uni serait dans cette situation. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Un constructeur qui produit au Royaume-Uni homologue dans ce pays puis envoie ses véhicules librement dans l'Union européenne. Demain, les organismes britanniques ne seraient plus reconnus comme l'équivalent de l'organisme français d'homologation, l'UTAC. Ce lien serait rompu. Tout serait à reconstruire juridiquement, par un mécanisme de reconnaissance mutuelle, qui peut être très simple. Il pourrait s'agir de tamponner l'homologation britannique lorsqu'elle arriverait dans un État membre. Nous partons d'une égalité, pour aller vers la dissemblance. En général, les accords suivent la logique inverse. Nous avons toute confiance dans les Britanniques, qui savent faire une homologation. Mais juridiquement, il faudra une forme de transfert de ce document juridique dans le droit européen.

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Les conséquences seraient très équilibrées.

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Maria Ianculescu, directrice des affaires internationales du Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA)

Tout le monde y perdrait.

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Tout le monde y perdrait, et il serait assez facile d'y faire face.

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Maria Ianculescu, directrice des affaires internationales du Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA)

Absolument. C'est l'un des domaines dans lesquels notre intérêt est tellement identique à celui des constructeurs de l'autre côté de la Manche qu'il n'y aurait pas de problème sur le plan industriel. Cela dit, lorsque nous expliquons la situation aux autorités françaises ou européennes, elles répondent qu'elles reconnaîtront l'homologation britannique sans faire de zèle, de façon à rappeler que Brexit is Brexit. C'est là que les intérêts économiques et politiques peuvent parfois diverger.

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Maria Ianculescu, directrice des affaires internationales du Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA)

Nous demandons la situation la plus proche possible du statu quo, car elle fonctionne bien et parce que la France en bénéficie. Mais, sur le plan politique, si l'on comprend notre argument, on considère aussi que les Britanniques doivent sentir les conséquences de leur décision.

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François Asselin, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME)

Nous représentons une population très importante puisqu'en nombre, les TPE et les PME représentent 99 % des entreprises françaises. Nous craignons le micro-envahissement, qui pourrait se révéler majeur. Les intérêts des grandes entreprises sont souvent croisés, et le terrain de jeux est la Planète. S'il faut déplacer une partie de la production, ce sera compliqué mais vous y parviendrez toujours. Dans notre cas, en revanche, il n'y a pas de réciprocité des intérêts. Il est très compliqué d'imaginer ce qu'il en sera véritablement. Le fruit de l'histoire nous apprend que les Anglais ont toujours été très pragmatiques. Quinze jours après leur défaite lors de la Guerre d'Indépendance, par exemple, ils négociaient des accords commerciaux avec les Insurgents, devenus indépendants. Il ne leur a pas fallu longtemps pour tourner casaque, tandis que, dix ans après, la France s'enfonçait dans la situation que nous savons et le pays était ruiné. Je ne pense pas à ce scénario, mais je ne suis absolument pas naïf quant à la position des Anglais.

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Laurent Timsit, directeur des affaires internationales d'Air France-KLM

Dans le même type d'audition au Parlement britannique, à la question sur le ou les secteurs dans lesquels les Européens pourraient mettre les Britanniques en difficulté à la fin des négociations, je pense que le transport aérien apparaît relativement en haut de la liste. D'où la volonté des Britanniques de promouvoir un accord anticipant la négociation générale autour du futur cadre commercial entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.

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J'ai lu l'étude du cabinet Deloitte « Brexit Briefing » qui analyse les conséquences du Brexit sur le secteur automobile. Quelque 1 800 emplois seraient menacés en 2019, sur les 5 000 directement liés aux exportations vers le Royaume-Uni. Ce nombre impressionnant s'expliquerait par la chute des ventes causées par l'augmentation des taxes d'exportation, qui pourrait faire grimper les prix en Grande-Bretagne. Les principaux impacts financiers d'un hard Brexit sur l'industrie automobile française en 2019 seraient que le prix d'une voiture au Royaume-Uni augmenterait de 3 500 euros en moyenne, contre 4 300 euros pour les voitures produites en France. Les exportations françaises diminueraient de 83 000 véhicules, soit 36 %, ce qui est considérable. La perte de chiffre d'affaires pour l'industrie automobile française serait de 1,7 milliard d'euros. Dès lors, quelles actions les constructeurs pourraient-ils mettre en place pour contrebalancer l'augmentation des coûts liés aux nouvelles taxes ?

Vous évoquiez l'argument selon lequel Brexit is Brexit. Nous pouvons bien l'entendre, mais tenir ce discours jusqu'au point où les conséquences seraient négatives pour la France présente ses limites.

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Maria Ianculescu, directrice des affaires internationales du Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA)

Nous avons pris connaissance de cette étude Deloitte, qui évalue à environ 1 800 les pertes d'emplois en France. Je précise que cette étude concerne l'industrie automobile au sens large, incluant les constructeurs et les équipementiers. Pour ma part, je représente uniquement les premiers. Les coûts par véhicule augmenteraient de 3 à 4 000 à euros dans les deux sens, qu'il s'agisse des véhicules produits au Royaume-Uni par nous ou par d'autres, ou des véhicules produits en France puis exportés vers le Royaume-Uni. Le risque est donc très élevé. L'usine de PSA à Poissy a connu plusieurs journées de chômage technique dès septembre 2016, seulement deux mois après l'annonce du Brexit. Et pour cause, les véhicules produits sur cette ligne ne partaient plus vers le Royaume-Uni, où le marché avait commencé à chuter.

Par ailleurs, je précise que les calculs de l'étude Deloitte reposent sur une hypothèse de hard Brexit et incluent une évaluation de la variation de la livre et des surcoûts réglementaires. Même sans cela, les seuls 10 % de droits de douane nous excluraient du marché. C'est la raison pour laquelle nous défendons l'idée que le hard Brexit est impossible, dans notre secteur comme dans d'autres. La seule solution est donc un Brexit assez soft.

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Le président de la CPME veut-il ajouter un mot sur le secteur automobile ?

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François Asselin, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME)

Pour l'emploi des grands groupes en France, il existe potentiellement un risque. Mais, à long terme, et a fortiori lorsque les chiffres d'affaires sont consolidés, une stratégie de contournement peut être envisagée. En revanche, le risque pourrait être redoutable pour les petites entreprises.

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Je pensais en particulier aux sous-traitants automobiles qui sont parfois de très petites entreprises.

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François Asselin, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME)

La réaction en chaîne s'appliquerait évidemment sur la sous-traitance automobile. Seuls ceux qui auront les moyens de suivre leurs donneurs d'ordres le feront. Les autres disparaîtront.

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Diverses études montrent que le Brexit a déjà des conséquences directes sur certaines filières, notamment celle du vin. Cette situation peut préfigurer ce qui se pourrait se passer pour l'automobile. Les ventes de champagne ont déjà baissé de 10 % en 2016 puis en 2017, en volume. L'ordre de grandeur est le même pour les vins de Bordeaux. En valeur, les pertes sont de l'ordre de 14 % en 2016. C'est logique. La chute de la livre a eu une incidence mécanique sur la consommation des Anglais. Or les vins et spiritueux sont considérés comme des produits de luxe.

Un acteur comme PSA peut-il avoir une idée plus précise des conséquences directes qu'il pourrait subir ? Peut-il s'en servir pour imaginer un modèle qui lui permettrait de mieux contrôler la situation post-Brexit ?

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Maria Ianculescu, directrice des affaires internationales du Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA)

PSA compte désormais des usines Opel en Allemagne et en Pologne, et deux usines Vauxhall au Royaume-Uni. Le Brexit a été annoncé en juin 2016 et cette acquisition s'est faite en août 2017. Peut-être est-ce le signe que le Brexit ne fait pas si peur que cela aux grands groupes, qui se sentent capables d'assumer ce type de risque ? Au-delà, être présent des deux côtés de la Manche nous permet d'avoir une information complète, et améliore le partage entre nos industries. De ce fait, nous espérions obtenir de nombreuses informations. Mais finalement, ce qui nous revient, c'est que les constructeurs automobiles britanniques se sentent démunis. Les décisions ne sont pas prises. L'on a le sentiment que le gouvernement britannique joue la montre et attend la dernière minute pour exprimer ses propositions. Tout prend du retard. Les propositions mises sur la table semblent vagues. Le sujet d'un partenariat douanier est encore mal défini. Pourtant, l'échéance de mars 2019 arrivera très vite.

Par ailleurs, la période dite de transition, qui devrait durer une vingtaine de mois, n'aura rien de tel. Désormais, en effet, mars 2019 marquera le début des négociations du nouvel accord. Or les exemples passés montrent qu'il faut au moins cinq ans et parfois même quinze ou vingt pour négocier un accord de libre-échange. Certes, l'accord à venir sera de nature inédite puisqu'il partira de l'égalité pour aller vers la disjonction. Mais nul ne sait si sa négociation prendra plus ou moins de temps que ce qui a été observé par le passé avec d'autres pays. Ce n'est pas la transition qui débutera en mars 2019, mais bien le coeur du problème. J'estime qu'il existe un véritable risque à retarder sans cesse le coeur des négociations.

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J'abonde absolument dans votre sens, de même que je rejoins les propos de Jean-Louis Bourlanges. Je n'ai jamais cru que le départ de la Grande-Bretagne serait une chance formidable pour l'Europe et pour la France. Nous vérifions que les difficultés ne seront pas que d'un côté, mais des deux côtés.

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Aucun conte de fées ne se termine par « ils divorcèrent et eurent beaucoup d'enfants »…

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L'histoire qui a été racontée n'était pas la bonne. Il est évident qu'il y aura des problèmes. Je suis frappée par l'incertitude, l'imprévisibilité, l'incapacité à anticiper l'ensemble des sujets et des problèmes qui se poseront, lesquels sont très nombreux. Or en économie, la capacité à anticiper l'avenir est une donnée fondamentale. Vous savez tout cela mieux que nous. Je pense que la responsabilité de cette commission est d'exprimer et de faire passer, de la manière la plus forte possible, la nécessité absolue d'avoir une prévisibilité. Il faut savoir vers quoi nous allons, comment, et à quoi nous voulons aboutir. Évoquant la négociation, Michel Barnier considère qu'il faut divorcer d'abord, puis songer aux modalités de ce qui se passera après. Je le comprends. C'est sa position. Pour ma part, je considère plutôt que, lorsque l'on divorce, on regarde en même temps qui gardera les enfants et qui paiera quoi. Il n'y a pas d'abord le divorce, puis la réflexion sur les modalités. Nous sommes, à mon sens, obligés d'avancer quasi en même temps sur la séparation et sur le nouveau partenariat. C'est un point que notre Parlement doit défendre avec force.

Reste aussi à savoir de quel type sera ce partenariat nouveau. Theresa May indique qu'il faudra un special partnership. La Commission européenne évoque un accord de libre-échange. Comme vous l'avez dit, négocier un tel accord est toujours très long. Ce ne serait donc pas nécessairement la panacée. Ajoutons que nous n'avons pas seulement des intérêts commerciaux avec le Royaume-Uni, mais aussi des intérêts de sécurité, de nucléaire, de recherche, etc. Nous savons tous que l'accord ne pourra pas conférer à la Grande-Bretagne un statut aussi intéressant ou plus intéressant que celui qu'elle avait au sein de l'Union européenne. Tout le monde le comprend. Mais nous voyons bien aussi que nous avons une obligation, pour vous-mêmes et pour notre économie française, d'avancer. C'est pour cela que cette commission est importante. Il importe que nous arrivions à prendre conscience que nous devons avancer sur la relation future et que nous devons avancer vite, en la prévoyant et en la construisant quasiment dès maintenant.

Enfin, la solution ne sera pas nécessairement un accord de libre-échange. Nous sommes plusieurs ici à suggérer un accord d'association, qui serait plus profond qu'un simple accord de libre-échange. Cela a été la position très consensuelle du Parlement européen dans une résolution assez intéressante. Nous aurons de toute façon, à l'Assemblée nationale, à nous exprimer sur ce choix et sur cette vision. Je pense que nous avons, nous Français, à porter une vision.

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L'état de vos relations avec vos homologues britanniques vous permettrait-il de rédiger, dans vos différents secteurs, des papiers conjoints pour montrer votre intérêt commun ? Ce serait très intéressant. Le message serait que les acteurs économiques sont en concurrence, mais qu'ils ont un intérêt commun. Il aiderait les soft brexiters.

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Je présume que le message prônerait une stabilité et un statu quo.

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Il serait intéressant qu'il soit affirmé à plusieurs. Certes, ce serait une action de dramatisation.

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François Asselin, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME)

À l'issue de la rencontre avec mon homologue de la FSB, je crois pouvoir dire que nous n'en sommes pas loin. Vous connaissez le fameux adage selon lequel lorsqu'on se regarde on prend peur, et lorsqu'on se compare on se rassure. C'est un petit peu ce qui s'est passé lorsque nous nous sommes rencontrés. Les acteurs économiques britanniques sont perdus. Ils ont peur. Nous avons évoqué le sujet, et nous devons nous retrouver. Finalement, pour les Anglais qui ont choisi le Brexit, il faut que ce soit mieux après qu'avant. Et pour nous, qui ne l'avons pas choisi, il faut que l'Europe ne soit pas pire après qu'avant. Nous avons donc vraiment des intérêts très divergents. Je pense que dans la négociation, les Britanniques voudront conserver un espace de liberté. Je ne vois pas comment le statu quo sera tenable sur tout.

Je me rappelle l'image du serpent, lorsqu'il existait plusieurs monnaies, avec un plancher et un plafond à ne pas dépasser.

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François Asselin, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME)

Fixer un plancher et un plafond ne pourrait-il pas être une voie de négociation ? Chacun pourrait ainsi jouir de sa liberté sans nuire au bon fonctionnement du système. J'ignore si cette question est pertinente, mais elle se pose.

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Je vous rappelle les mots du président Giscard d'Estaing : « Quand je suis arrivé, le serpent gisait à terre, le corps troué. » C'est la raison pour laquelle le système monétaire européen (SME) a été créé. L'union monétaire était une lutte entre la volonté d'avoir une monnaie harmonisée et les spéculateurs, qui jouaient contre la monnaie. Après l'échec du « serpent » puis du SME, et alors que les spéculateurs étaient de plus en plus puissants, il a été considéré que la seule façon de tuer la spéculation était de faire une monnaie unique. La problématique s'est alors portée sur les taux d'intérêt, et nous avons connu la crise grecque – à laquelle la réponse a été : « la Banque centrale fait ce qu'il faut ». Il fallait à chaque fois fournir de nouvelles troupes, pour rendre impossible la guerre. Je ne vous conseille pas d'emprunter, politiquement, la métaphore du serpent. Tous ceux qui ont connu l'Union européenne dans les années 1970, même s'ils ne sont plus très nombreux, en ont un souvenir assez mitigé. Il existe une mémoire des marchés.

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Je vous remercie. Il est très utile, pour nous, de vous avoir entendus. Il faut que nous restions en contact. Ne pas rester dans l'inconnu est absolument crucial. Nous avons des difficultés à affronter. Je pense qu'il faut les regarder avec lucidité et commencer à construire l'alternative. Si nous attendons, les difficultés nous tomberont dessus et cela ne se passera pas bien. Je pense vraiment qu'il faudra qu'ici, dans cette Assemblée nationale et en liaison avec vous tous, nous puissions déjà débattre du futur partenariat. Cela me semble extrêmement important, car cela aura des implications très concrètes pour vous tous.

Par ailleurs, notre responsabilité, qui est une co-responsabilité, est de faire remonter les signaux d'alerte à l'exécutif. Il est extrêmement important que celui-ci comprenne que la situation n'est pas facile pour les PME, ni même pour tous les acteurs économiques français. Le 11 juin prochain, nous nous rendrons dans les Hauts-de-France, en particulier à Calais, pour traiter du sujet des transporteurs routiers et des douanes. Chaque secteur connaîtra des difficultés économiques majeures si nous ne prévoyons pas les bonnes solutions. C'est, je crois, plus lourd que ce que certains pensaient. En tous les cas, nous avons besoin de faire remonter ces signaux d'alerte et d'assurer un soutien de l'exécutif aux entreprises qui se heurteront à des difficultés d'adaptation, avec des règlements nouveaux. Il convient d'éviter au maximum le saut dans l'inconnu.

Je vous remercie encore vivement, chacune et chacun d'entre vous. Bien sûr, nous restons en contact pour les mois qui viennent.

La séance est levée à 17 heures.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Louis Bourlanges, M. Éric Girardin, M. Alexandre Holroyd, M. Jacques Marilossian, M. Xavier Paluszkiewicz, M. Jean-Pierre Pont, Mme Marielle de Sarnez

Excusés. - M. Bertrand Bouyx, M. Paul Christophe, M. Julien Dive, Mme Christelle Dubos, Mme Christine Hennion, Mme Marietta Karamanli, Mme Constance Le Grip, Mme Martine Leguille-Balloy, M. Christophe Naegelen, M. François de Rugy, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye