Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

Réunion du mercredi 25 avril 2018 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Mercredi 25 avril 2018

La séance est ouverte à neuf heures cnquante.

Présidence de M. Alexandre Freschi, président de la commission d'enquête

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La commission d'enquête procède ensuite à l'audition de Mme Agnès Ricard-Hibon, présidente, et de M. Karim Tazarourte, vice-président de la Société française de médecine d'urgence (SFMU).

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Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder à l'audition de Mme Agnès Ricard-Hibon et de M. Karim Tazarourte, qui sont respectivement présidente et vice-président de la Société française de médecine d'urgence.

Madame, monsieur, je vous informe que nous avons décidé de rendre publiques nos auditions ; celles-ci sont par conséquent ouvertes à la presse et rediffusées en direct sur un canal de télévision interne puis consultables en vidéo sur le site internet de l'Assemblée nationale.

Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Mme Agnès Ricard-Hibon et M. Karim Tazarourte prêtent successivement serment.

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Agnès Ricard-Hibon, présidente de la Société française de médecine d'urgence

Mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de nous recevoir. Si les déserts médicaux sont un problème pour vous, élus, ils en sont également un pour nous, urgentistes, car lorsqu'un patient a des difficultés d'accès aux soins, il se rend aux urgences. Or, ce n'est pas toujours la bonne solution. À ce propos, on parlera de difficultés d'accès aux soins plutôt que de « désert médical », car ces difficultés peuvent exister dans des territoires où les ratios sont normaux. Je concentrerai mon propos sur les soins non programmés, qui comprennent notamment, mais pas uniquement, les soins urgents.

La ressource médicale est rare, chère, et peut être mieux utilisée : des solutions existent, qui ne sont pas forcément beaucoup plus coûteuses que les dispositifs actuels. J'ajoute que, s'agissant des soins non programmés, cette ressource doit être disponible 24 heures sur 24, et pas uniquement la nuit et le week-end. Le meilleur moyen d'utiliser la juste ressource médicale pour apporter le juste soin aux patients est d'effectuer un tri médical préalable à la consultation, de façon à réserver cette ressource médicale rare et chère aux patients qui en ont vraiment besoin. Ce tri médical est assuré par la régulation médicale élargie, qui associe médecins généralistes et médecins urgentistes et permet, grâce à ce partenariat efficace, d'assurer une rationalisation du besoin. Un patient qui appelle la régulation médicale bénéficiera ainsi, dans un cas sur deux, d'une téléconsultation, c'est-à-dire une consultation téléphonique. Il convient donc de développer et de conforter cette régulation en modernisant les outils de téléconsultation. Mais nous avons également besoin d'effecteurs organisés pour prendre en charge les patients dont on estime, une fois le tri médical effectué, qu'ils ont besoin d'une consultation physique. À cette fin, on pourrait développer, à l'instar de ce qui a été fait dans la région Centre-Val-de-Loire, des maisons médicales pluridisciplinaires qui comprennent des praticiens orientés vers le soin non programmé.

Pour conclure, je dirai qu'il faut conforter la régulation médicale élargie associant médecins généralistes et urgentistes, informer la population pour qu'elle ait un juste recours aux ressources médicales et moderniser les outils afin de favoriser la téléconsultation.

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On voit bien que la modélisation actuelle est à bout de souffle. Parmi les personnes qui se rendent aux urgences, quel est, selon vous, le pourcentage de celles qui ne devraient pas s'y rendre ? On voit bien qu'il y a un pont naturel entre la médecine libérale et la médecine hospitalière. Tous les professionnels que nous avons pu rencontrer ou lire indiquent que, dans les centres hospitaliers universitaires (CHU) comme dans les petits centres hospitaliers, les services des urgences pâtissent actuellement d'un encombrement très important. Quel éclairage pouvez-vous nous donner sur ce point ?

Deuxièmement, seriez-vous favorables à la généralisation de maisons de garde à l'intérieur des hôpitaux, qui s'accompagnerait d'une modification de l'organisation des gardes telles qu'elles sont actuellement pratiquées en ville ?

Troisièmement, vous avez cité les maisons de santé de la région Centre-Val-de-Loire, qui est la région de France, vous le savez, où l'accès aux soins est le plus délicat. Je sais, pour être un élu de cette région, qu'assez peu de soins non programmés y sont pris en charge. Ils le sont à Châteaudun, mais tel n'est pas le cas, hélas , dans les onze autres maisons de santé. Je souhaiterais savoir ce que vous attendez de la télémédecine, notamment des plateformes de télérégulation. Comment comptez-vous articuler la régulation du « 15 » et celle des plateaux de télémédecine ? Enfin, la création d'unités de SOS Médecins dans certains départements pourrait-elle être un élément de réponse ?

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Karim Tazarourte, vice-président de la Société française de médecine d'urgence

Tout d'abord, je me permets de reformuler votre première question : il s'agit de connaître, non pas la proportion de patients qui se retrouvent dans un service d'urgence sans avoir rien à y faire, mais la proportion des patients d'un service d'urgence qui souffrent d'une pathologie relevant de la médecine générale – cette proportion varie, mais elle est comprise entre 30 % et 40 %. En effet, ce n'est pas parce que leur pathologie relève de la médecine générale que ces patients n'ont rien à faire aux urgences : il n'y a pas de « tourisme médical » dans les services des urgences. Les gens s'y rendent parce qu'ils sont confrontés à une difficulté d'accès aux soins, que ce soit pour des raisons géographiques, sociologiques ou autre. C'est une véritable question. Cela dit, on peut en effet s'adapter et décider, dans certains territoires, d'inclure une offre de médecine générale dans le service des urgences.

Le véritable problème, me semble-t-il, est le suivant. Le soin non programmé peut être urgent ou non ; or, il est difficile – mais pas impossible – pour les patients d'avoir une idée précise du niveau d'urgence. Prenons l'exemple du parent dont l'enfant a de la fièvre. Il aurait intérêt à avoir rapidement un avis médical. S'il appelle la régulation médicale – ce que vous appelez télérégulation –, le médecin fait un tri rapide. On pourrait imaginer que cet appel non programmé soit reprogrammé : le médecin estime, compte tenu des informations qui lui sont données par téléphone, qu'il n'y a pas de caractère de gravité et propose au parent de le rappeler une heure plus tard pour réaliser une véritable vidéo-consultation. Là, ça change tout ! Nous faisons mieux, nous, pour les membres de notre famille, avec FaceTime ou WhatsApp, que la régulation qui, actuellement, ne bénéficie pas de la vidéo. Cette téléconsultation, avec l'aide de la vidéo, pourrait donner lieu à une téléprescription, faite par un médecin. Allons jusqu'au bout : en l'absence de critères de gravité et d'antécédents, l'enfant pourrait être pris en charge par une puéricultrice, qui pourrait intervenir dans ce cadre. En effet, pour des pathologies a priori bénignes affectant des populations ciblées, nous pourrions déléguer les téléconsultations à des professionnels de santé autres que des médecins. Dans ce cas, le problème de l'envoi d'un effecteur ou de l'adressage à un effecteur ne se pose pas.

La régulation médicale doit être large : outre des urgentistes, elle doit comprendre des généralistes : SOS Médecins y participe, par exemple. Nous sommes vraiment oecuméniques dans ce domaine : il s'agit de fédérer les énergies, et non de les segmenter. Le soin urgent relève du maillage du service mobile d'urgence et de réanimation (SMUR) – nous pourrons en reparler, mais ce n'est pas le sujet qui nous occupe. Le soin non urgent, une fois qu'on a considéré qu'il pouvait être reprogrammé, peut être prodigué soit dans le cadre d'une vidéo-consultation, soit en maison médicale, soit lors d'une visite de type SOS Médecins – il ne faut pas sous-estimer l'importance des visites.

Se pose ensuite la question de savoir où doit s'implanter la maison médicale. À Lyon, où j'exerce, je sais que, pour les personnes qui n'ont pas de véhicules motorisés, il est impossible ou très difficile de se rendre dans certaines maisons médicales. Ces personnes vont donc dans les structures desservies par les transports en commun. Mais il n'existe pas de solution unique. La maison médicale doit être située à l'endroit qui est le plus accessible pour les patients. Ce peut être à côté de l'hôpital ou même dans l'hôpital, à condition qu'une convention assure une étanchéité. Il faut faire preuve de plasticité ; nous y sommes tout à fait prêts.

En ce qui concerne les maisons pluridisciplinaires, des problèmes de reprogrammation de soins se posent : les plages horaires d'ouverture ne correspondent pas aux besoins. La maison médicale est une sorte d'excroissance qui ouvre à certaines heures. On peut imaginer que, dans les maisons pluridisciplinaires, des plages horaires soient consacrées aux soins non programmés aux heures ouvrables et, un peu comme à La Poste, jusqu'à 22 heures. Il existe donc tout un panel de propositions qui peuvent être faites en lien avec le service des urgences, qui représente tout de même une solution. L'un des drames, actuellement, de ces services, c'est qu'ils apparaissent à la population comme une solution mais que celle-ci n'est pas adaptée en termes d'efficience. Certains services des urgences s'adaptent. À Lyon, par exemple, nous sommes en train de recruter un certain nombre de médecins généralistes, faute d'autres moyens, en attendant que les maisons médicales puissent s'implanter dans des endroits qui ne soient pas difficiles d'accès. Quant à SOS Médecins, il nous apporte une aide stratégique. J'ai été un peu long, mais le tableau est protéiforme.

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Agnès Ricard-Hibon, présidente de la Société française de médecine d'urgence

L'important, c'est le lien entre les médecins généralistes et les médecins urgentistes. Un patient envoyé en médecine générale mais qui relève plutôt de la médecine d'urgence peut toujours être réorienté pour sécuriser l'urgence vitale – les médecins généralistes sont assez satisfaits de ce partenariat, car ils sont sécurisés de ce point de vue. Inversement, lorsque l'appel est dirigé vers la médecine d'urgence, il peut être rebasculé vers la médecine générale. Ce dispositif est un véritable rempart contre la surconsommation de ressources, grâce notamment à la téléconsultation. Lorsque, dans le cadre des campagnes sur l'infarctus ou l'accident vasculaire cérébral (AVC), on dit à la population pour éviter de consommer trop de ressources, d'appeler le service des urgences ou la consultation non programmée avant de se déplacer, cela fonctionne et permet de rationaliser le besoin de soin et de le sécuriser.

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Je vous rejoins lorsque vous dites qu'il faut de la plasticité, de la souplesse. Pour chaque territoire de santé – puisque nous sommes en train d'élaborer les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), comme vous le savez –, il faut étudier quelles sont les meilleures modalités d'organisation. S'agissant des urgences, nous nous sommes compris, je crois. Il est important de quantifier les personnes qui se rendent aux urgences mais qui doivent être prises en charge différemment. De fait, l'encombrement des urgences entraîne des surcoûts, les traitements parfois plus longs du fait de la prise en charge... Si, pour 30 %, 40 % ou 50 % des patients, on peut trouver une autre modélisation, cela me convient très bien. J'ajoute qu'en pédiatrie, le taux est beaucoup plus important : à Clermont-Ferrand, il atteint 87 % !

Je suis également entièrement d'accord avec vous, madame Ricard-Hibon, à propos des plateformes de télémédecine, qui permettent de reprogrammer des soins. Mais les maisons de santé pluridisciplinaires – je le sais pour en connaître une petite cinquantaine dans ma région – ferment à 19 heures. Il faut en être conscient. Je prolonge donc ma question : des généralistes pourraient-ils, au lieu d'assurer la garde conventionnelle de ville, être présents entre 19 heures et minuit ou deux heures du matin, dans la maison de garde située à l'intérieur de la structure hospitalière ? Il y a en effet un désordre terrible, et je ne parle même pas du samedi matin : dans la région Centre-Val-de-Loire, chère à mon coeur, plus un médecin ne vous répond le samedi matin, de sorte que se retrouvent aux urgences des personnes qui n'ont rien à y faire. Ils peuvent attendre ainsi quatre heures dans un couloir pour un problème de traitement anticoagulant qui pourrait être résolu par téléphone !

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Agnès Ricard-Hibon, présidente de la Société française de médecine d'urgence

L'association de médecins généralistes et de médecins urgentistes que nous avons mise sur pied au service d'aide médicale urgente (SAMU) fonctionne. On pourrait donc faire exactement la même chose dans les hôpitaux. Nous y sommes favorables, bien sûr. Toutefois, la véritable problématique des urgences n'est pas tant liée à ces patients-là qu'à ceux qui, en aval, doivent être hospitalisés et restent dans les structures d'urgence, faute d'accès aux lits d'aval. Les patients qui relèvent de la médecine générale se rendent aux urgences car ils n'ont pas d'autre accès aux soins, mais ils sont traités assez rapidement et orientés vers des filières de soins programmés. Le principal problème est donc moins celui de l'engorgement des urgences que celui de l'accès aux soins de la population. L'association de généralistes et d'urgentistes au sein des hôpitaux pourrait être une solution. J'ajoute que beaucoup de visites physiques, notamment en période de permanence de soins, pourraient être remplacées par des téléconsultations. Il faut développer ce dispositif.

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Comment pourraient s'articuler de manière efficace le « 15 » et la télémédecine ? J'ai un peu peur de la manière dont cela se passera sur le terrain.

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Karim Tazarourte, vice-président de la Société française de médecine d'urgence

À l'avenir, les plateformes du type SAMU devront élargir leur palette de compétences, en y incluant la télémédecine, des avis en puériculture, en gériatrie… Pour rebondir sur ce qu'a dit ma consoeur, je crois que le soin non programmé est très dépendant du soin programmé. Le principal problème des urgences réside, pour les médecins, dans le fait de recevoir des personnes qui arrivent en situation de polypathologies, qui sont âgées et pour lesquelles ils n'ont aucune définition du parcours de soins préalable, bien que ces personnes aient un médecin traitant – que je ne critique pas. De ce fait, ils doivent construire ce parcours ex nihilo. Le non programmé doit se voir dans l'accès aux soins programmés. Cela nous ramène à la question de savoir à quoi sert un médecin : dans de nombreux cas, les patients pourraient être adressés à d'autres professionnels afin que le médecin puisse se concentrer sur son coeur de métier, dans un territoire donné, en programmé, et que le non programmé soit remis à une juste valeur.

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Pour qu'il n'y ait pas de confusion, pourriez-vous revenir sur la différence entre maison médicale de garde, maison de santé et maison pluridisciplinaire ?

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Karim Tazarourte, vice-président de la Société française de médecine d'urgence

Maison de santé et maison pluridisciplinaire, c'est la même chose. Quant à la maison médicale de garde, c'est une structure ex nihilo ouverte aux heures de garde.

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Monsieur le rapporteur, vous évoquiez la possibilité qu'une maison pluridisciplinaire ferme à minuit plutôt qu'à 19 heures et reçoive des urgences. Est-ce bien cela ?

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Pas tout à fait, mon cher collègue. Je crois précisément que la maison médicale de garde doit se trouver dans l'hôpital ou la clinique, au cas où se présenterait une véritable urgence pour laquelle il faudrait consulter un cardiologue ou un neurologue. Pour le reste, le médecin généraliste prendrait en charge tout ce qui relèverait de sa pratique, comme il le ferait dans son cabinet. L'avantage, c'est qu'il bénéficie du réseau de l'ensemble des services hospitaliers et ne se sent donc pas seul. Il s'agit d'une sorte de plateforme d'aiguillage.

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Karim Tazarourte, vice-président de la Société française de médecine d'urgence

Je précise que les patients qui arrivent dans une maison médicale de garde ont été préalablement orientés par une plateforme de régulation.

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Ces maisons médicales de garde n'existent pas dans tous les départements : dans le mien, par exemple, il n'y en a pas. En revanche, dans ma circonscription, à Nontron, le centre des sapeurs-pompiers a été doté d'un véhicule qui permet à une infirmière et à un sapeur-pompier d'intervenir à tout moment avant que le SAMU n'arrive sur place. Ces moyens sont-ils utilisés au niveau national ?

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Agnès Ricard-Hibon, présidente de la Société française de médecine d'urgence

Oui, c'est ce que l'on appelle les protocoles infirmiers de soins d'urgence (PISU), qui ont été élaborés conjointement par la SFMU et la Fédération nationale des sapeurs-pompiers, pour les zones dites « blanches », où l'on rencontre des difficultés d'accès aux soins urgents. Mais c'est une autre question que celle des soins non programmés.

Ce que vous avez dit, monsieur le rapporteur, est très important. Il faut sécuriser les praticiens qui interviennent dans le cadre des soins non programmés, car les patients ne savent pas s'ils relèvent d'un soin urgent ou d'un soin non programmé. Du reste, les praticiens libéraux qui travaillent en lien avec la régulation ont un contrat apparenté au service public, qui les sécurise sur le plan médico-légal. Ainsi, patients et praticiens sont sécurisés.

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J'avoue avoir une grande admiration pour les urgentistes, car la nature de vos interventions vous conduit à être particulièrement bien formés.

Nous avons entendu le président de la conférence des doyens de faculté de médecine qui a considéré qu'il était très formateur pour un interne de passer un semestre dans une maison de garde ; or trop peu de semestres qualifiants sont concernés. N'y aurait-il pas quelque intérêt à généraliser cette pratique, les médecins généralistes faisant alors fonction de maîtres de stage ? Car la médecine d'urgence constitue un élément de formation très fort, et pourrait créer chez les intéressés une appétence pour cette médecine bien particulière.

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Karim Tazarourte, vice-président de la Société française de médecine d'urgence

La médecine d'urgence est parfaitement codifiée, elle répond à un type de patient précis pour des pathologies aiguës appelant une intensité de soins thérapeutique conséquente. Beaucoup de patients venant en situation non programmée ne relèvent pas de la médecine d'urgence ; or ce que vous évoquez des maisons médicales de garde concerne la médecine générale de soins non programmés. Ce sont deux choses différentes.

Que l'on mette des médecins urgentistes en formation dans les territoires isolés, c'est-à-dire, en gros, à plus de trente minutes d'une structure mobile d'urgence et de réanimation (SMUR), est possible parce qu'on leur demande une forte intensité de soins thérapeutiques d'attente avant l'intervention de l'équipe spécialisée.

Mais le métier des urgentistes ne relève pas de l'exercice en maison médicale de garde : en situation de soins non programmés, il ne peut pas y avoir seulement des urgentistes, car beaucoup de patients ne relèvent pas de cette médecine.

Nous avons indéniablement besoin, en revanche, de gériatres, qui ne sont pas prévus dans le dispositif, et de généralistes ; votre idée est excellente, et plusieurs territoires ont d'ailleurs commencé à la mettre en pratique, mais cela constitue plutôt le reflet de la médecine générale.

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Il ne faut surtout pas généraliser, mais les semestres sont différents et peuvent concerner un gériatre ou un urgentiste. C'est l'addition de l'ensemble de ces volets de formation qui fait que, in fine, le médecin est très qualifié.

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Agnès Ricard-Hibon, présidente de la Société française de médecine d'urgence

En revanche, mettre des internes de médecine générale dans ces maisons médicales de garde et dans la régulation médicale serait une bonne idée car, effectivement, un certain nombre de praticiens généralistes ne connaissent pas cette activité et, lorsqu'ils la découvrent, y adhèrent pleinement ; je suis complètement d'accord avec vous.

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Nous entendrons aujourd'hui le président de la Fédération SOS Médecins France. Vous semble-t-il utile que cet organisme crée de nouvelles antennes ? Plutôt que de consacrer 50 000, 200 000, 500 000 euros ici ou là à des bâtiments qui risquent d'être des coquilles vides, ne serait-il pas souhaitable, à l'instar de l'implantation de relais SMUR coordonnés avec les pompiers dans certaines zones blanches, de donner quelques exemples départementaux de création d'antennes SOS Médecins ?

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Agnès Ricard-Hibon, présidente de la Société française de médecine d'urgence

SOS Médecins est très utile, c'est indiscutable, mais les services de cette association sont engorgés par une activité qui ne relève pas toujours de soins non programmés immédiats, et qui pourrait être reprogrammée.

Il faudrait qu'un tri indépendant puisse être effectué, de façon que la ressource que constitue SOS Médecins demeure à la disposition des patients qui en ont réellement besoin, et ne soit pas engorgée par l'activité « tout venant ». Faute d'éducation aux pratiques de soins, la population fait appel à SOS Médecins sans que cela soit toujours médicalement justifié ; or cette ressource médicale qui est rare et précieuse devrait être réservée aux patients qui en ont vraiment besoin.

La visite médicale, celle de SOS Médecins comprise, devrait être revalorisée par rapport aux consultations en poste fixe, car, dans le contexte du virage ambulatoire que nous souhaitons faire prendre à la médecine en général, il faut avoir conscience que les personnes âgées ne peuvent pas toujours se déplacer.

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Notre évolution démographique conduit à une inflation des besoins en soins médicaux. Or nous ne disposons pas d'un maillage territorial suffisant pour dispenser les premiers soins, ce qui a pour conséquence l'engorgement des services d'urgence, qui n'est pas dû aux seules personnes âgées, bien que la proportion de cette catégorie de population soit appelée à croître.

Que peut-il être fait, selon vous, pour juguler cet engorgement qui menace ?

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Karim Tazarourte, vice-président de la Société française de médecine d'urgence

En premier lieu, j'observe que la communauté dépense beaucoup d'argent pour un accès open bar : que l'on me pardonne cette expression, mais il faudra une régulation de l'accès aux soins non programmés ainsi que l'évaluation de leur coût pour la société. Il y aura des personnes à qui l'accès sera refusé, mais elles se verront proposer d'autres solutions comme une consultation programmée, une téléconsultation, etc.

En second lieu, s'agissant des personnes âgées, trois facteurs se cumulent : la polypathologie, l'âge et la dépendance ; qui sont des drames. Nous connaissons un problème de réaffectation des lits en France ; nous ne sommes pas dans une logique d'accroissement des moyens, mais de subsidiarité, de réflexion sur la ressource rare et précieuse que constitue la ressource médicale. Comment pouvons-nous déléguer un certain nombre d'actes sous contrôle ? Je pourrais multiplier les exemples à l'envi.

De nouveaux métiers vont devoir émerger, pour soulager le médecin d'actes qui ne relèvent pas de sa formation, qui porte sur le diagnostic, la prescription et le suivi ; tout le reste pouvant être délégué.

Enfin, l'anticipation d'un parcours de soins pour les personnes âgées est possible. Le rôle d'un médecin généraliste est de maintenir la santé du patient et de préparer son parcours de soins. Dès lors, l'évènement aigu qui conduit une personne âgée à se rendre aux urgences doit pouvoir être traité rapidement, mais en s'insérant dans un parcours de soins et non pas, comme nous le vivons actuellement, en créant de toutes pièces ce parcours qui ne l'a pas été au cours des années précédentes.

Nos études de médecine sont payées par l'État, et il n'est pas anormal que la société, à l'heure où l'on parle de service universel, nous demande de l'entraide. D'autres pays le font déjà : au Canada, quand vous êtes jeune médecin, vous passez trois ans dans les forêts avec les grizzlis.

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Vous tenez ces propos autour de vous ? (Sourires.)

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Karim Tazarourte, vice-président de la Société française de médecine d'urgence

C'est mon opinion personnelle, elle n'engage pas la SFMU. C'est ce que j'appelle remettre un peu de sens dans notre pays.

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J'apprécie le franc-parler dont vous faites preuve tous deux, ainsi que la qualité de vos réponses.

Je souhaiterais toutefois que vous puissiez préciser quelques points.

Le principe de délégation de tâches est essentiel à nos yeux : pourriez-vous nous faire parvenir une nomenclature de ce qui pourrait être délégué, et qui ne l'est pas aujourd'hui ? Nous avons adressé la même demande aux ordres que nous avons auditionnés.

Par ailleurs, je partage pleinement votre point de vue sur l'émergence de nouveaux métiers, singulièrement du fait de l'avènement du numérique. Je serais intéressé par un document de votre part présentant votre vision de la plateforme de demain, pour laquelle la puissance publique doit investir.

Vous avez également évoqué la question de la récollection et du stockage des données relatives aux patients, afin d'en disposer pour ne pas repartir de zéro à chaque fois. Dans la mesure où tous les achats effectués restent en mémoire dans une carte de crédit, je ne serais pas choqué que toutes les données médicales du patient soient disponibles de la même façon. Elles seraient ainsi disponibles, l'accès étant évidemment protégé par des clés de cryptage, comme cela se fait déjà dans le domaine de la biologie. J'aimerais recueillir votre avis sur ce sujet qui ne manquera pas d'être pris en compte dans les lois à venir sur la bioéthique.

Enfin, certains de nos interlocuteurs ont évoqué la télémédecine, et des mathématiciens travaillant sur les données algorithmiques, car des pathologies affectent plus fréquemment certaines catégories que d'autres. Ne pensez-vous pas que l'ensemble des données disponibles devrait permettre d'apporter les soins appropriés au bon moment, ce qui éviterait les difficultés que vous avez mentionnées ?

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Karim Tazarourte, vice-président de la Société française de médecine d'urgence

L'intelligence artificielle (IA) et la médecine prédictive posent des problèmes assez complexes. Mais l'intelligence artificielle nous aidera à définir des populations à risque et à leur prédire un devenir. Toutefois, l'IA ne remplacera pas le médecin, elle fera mieux : elle nous aidera, nous médecins, à redevenir ce que nous n'aurions jamais dû cesser d'être, c'est-à-dire des humains parlant aux humains. Nous y réfléchissons beaucoup en médecine d'urgence, car on ne nous demande pas d'être spécifiques, mais sensibles.

Lorsque vous venez pour une douleur abdominale aiguë de moins de 24 heures, et qu'au terme des examens il vous est dit qu'il n'y a rien, le ministère vérifie souvent, et considère que nous aurions pu faire autrement. Ce à quoi nous répondons qu'il nous est demandé d'être sensibles et de ne pas passer à côté. Ce type de pathologies met nos collègues exerçant en cabinet en difficulté, ne l'oublions pas : la société nous demande d'être sensibles, et non spécifiques. Nous ne pouvons pas passer à côté, sauf à considérer que nous avons droit à 5 % d'erreurs et que, dans ce cas, nous pouvons procéder différemment…

À l'heure où, sans vergogne, on n'hésite pas à divulguer sur Facebook énormément de données ultraconfidentielles, la pusillanimité portant sur les données médicales nous met en défaut au regard de notre besoin de savoir, qui n'est pas assumé. Aux urgences, nous sommes régulièrement confrontés à des évènements indésirables dus à l'incapacité totale d'obtenir des informations. Ce n'est pas parce que le collègue exerçant en ville n'a pas souhaité les mettre à disposition, mais parce qu'il y a des ruptures de charge. Et je n'évoque pas les directives anticipées, pour lesquelles devrait exister ce qui existe pour les dons d'organes. Où en sommes-nous, que faisons-nous lorsque la famille n'est pas joignable ? Cela constitue un réel sujet sur lequel il faut progresser.

La question de la nomenclature et des pratiques avancées est très sensible. Aux urgences, nous sommes à l'avant-garde depuis vingt ans, car la base du tri dans nos services repose sur des infirmiers d'orientation et d'accueil. Si le tri n'est pas le bon, le médecin aura du mal à récupérer le patient, car cette première étape détermine les temporalités d'accès ; et, globalement, nous obtenons de bons résultats.

Nous montrons que, pour des choses aussi cruciales que la phase aiguë, une pratique avancée, formée et évaluée peut fonctionner. Je pourrais multiplier les exemples, mais, le sujet étant très sensible, je ne voudrais pas m'attirer les foudres de mes collègues. Pour l'avoir été, j'affirme que le métier d'un généraliste est de maintenir la santé ; il serait presque possible de considérer que tout autre sujet ne relève pas de son domaine.

De ce fait, le maintien de la santé consiste à définir des plans d'action, de les faire exécuter et d'en assurer le contrôle ; dans ce contexte, le financement est évidemment déterminant, et il induit des comportements, je n'irais pas plus loin.

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Dans le secteur rural où je suis élu, le médecin qui est de garde n'appartient pas au groupe médical dont dépend le patient : il ne dispose d'aucune information ; on imagine ce que peut produire une telle situation à l'hôpital. Beaucoup reste à faire.

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Agnès Ricard-Hibon, présidente de la Société française de médecine d'urgence

Une réflexion avait été lancée au sujet du dossier médical partagé, auquel nous étions très favorables ; elle a été transformée en usine à gaz. Le dispositif doit être simplifié, le partage des informations médicales va aider l'orientation dans la bonne filière de soins ainsi que dans la sécurisation du maintien à domicile et de la limitation du recours à la ressource médicale lorsque cela n'est pas nécessaire.

La décision est en effet beaucoup plus aisée lorsque l'on dispose des informations, l'inverse étant bien plus complexe.

L'audition s'achève à dix heures vingt-cinq.

Membres présents ou excusés

Réunion du mercredi 25 avril 2018 à 9 h 30

Présents. - M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Alexandre Freschi, Mme Mireille Robert, M. Philippe Vigier.

Excusés. - Mme Gisèle Biémouret, Mme Jacqueline Dubois, M. Jean-Paul Dufrègne, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, M. Jean-Michel Jacques, M. Bernard Perrut, Mme Stéphanie Rist, M. Jean-Louis Touraine.