Commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire lactalis et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information, de la production à la distribution, et l'effectivité des décisions publiques

Réunion du jeudi 19 avril 2018 à 14h40

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • alerte
  • alimentaire
  • analyse
  • consommateur
  • distributeurs
  • laboratoire
  • lactalis
  • plainte
  • sanitaire
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  PS et divers gauche    En Marche    MoDem    Les Républicains  

La réunion

Source

La séance est ouverte à quatorze heures quarante.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes chers collègues, bienvenue à cette audition de la commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire Lactalis et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information, de la production à la distribution, et l'effectivité des décisions publiques qui ont été prises.

Vous l'avez compris, nous ne jugeons pas, nous ne punissons pas. Le rapporteur et moi-même essayons de comprendre – et le rapport sera rédigé en ce sens – afin que de telles choses ne se renouvellent pas.

C'est pour cela que nous avons souhaité vous accueillir aujourd'hui, en tant que représentants des consommateurs, après avoir reçu l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), la Direction générale de l'alimentation (DGAL), la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), Santé publique France hier, puis la Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations de Mayenne (DDCSPP), chargée plus spécifiquement de l'usine Lactalis.

Nous sommes donc heureux de recevoir aujourd'hui la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie (CLCV), créée en 1952. C'est une association indépendante dont les principales missions sont d'accompagner les particuliers dans le règlement de leurs litiges personnels, de les informer et de défendre les intérêts collectifs des consommateurs et usagers auprès des pouvoirs publics et devant la justice. Elle est membre du Bureau européen des unions de consommateurs et de Consumers International.

UFC-Que Choisir est une fédération à but non lucratif, créée en 1951, ce qui en fait la doyenne des associations de consommateurs d'Europe occidentale. Ses principales actions sont la conduite d'enquêtes de terrain sur les prix et les pratiques des professionnels, la réalisation d'analyses économiques destinées à repérer tous les comportements préjudiciables aux consommateurs, le lancement de campagnes de lobbying et la défense des intérêts des consommateurs devant la justice. Comme Foodwatch, l'UFC-Que Choisir a porté plainte contre Lactalis.

Foodwatch, créée en 2002, est une association à but non lucratif qui a pour objet la défense des intérêts des consommateurs, en particulier dans le secteur des produits alimentaires et dans tous les secteurs s'y rattachant directement ou indirectement. Ses activités consistent en particulier en recherches et en analyses à caractère scientifique sur les produits alimentaires. Foodwatch, qui appartient au réseau européen du même nom, a déposé plainte pour douze infractions qui mettent en cause la responsabilité de l'État, de Lactalis, de distributeurs et d'un laboratoire.

Nous avons de nombreuses questions à vous poser. Si vous le voulez bien, nous procéderons comme nous le faisons d'habitude, M. le rapporteur et moi, mais je vais d'abord vous demander – puisqu'il s'agit d'une commission d'enquête parlementaire régie par les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 – de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Mme Wendy Si Hassen, M. Olivier Andrault et Mme Karine Jacquemart prêtent successivement serment.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Avant de vous donner la parole, je souhaite vous poser quelques questions. Nos collègues pourront ensuite vous interroger, s'ils le souhaitent, même au milieu d'une intervention. Je voudrais cependant commencer par un mot de remerciement aux présidents des commissions permanentes de l'Assemblée qui nous prêtent leurs salles, comme aujourd'hui Marielle de Sarnez. Trouver une salle dotée des moyens audiovisuels nécessaires à une commission d'enquête parlementaire est loin d'être évident. Vous pourriez d'ailleurs vous intéresser à cela un jour…

Ceux qui, parmi vous, représentent des associations qui ont déposé plainte dans l'affaire Lactalis pourraient-ils nous aider à faire le point ? Où en est-on ? Contre qui ces plaintes sont-elles dirigées et quels sont leurs fondements ?

Pouvez-vous faire le point sur les alertes lancées par les consommateurs lorsqu'ils se sont aperçus qu'un certain nombre de boîtes posaient problème, et en particulier que certaines, qui avaient fait l'objet d'une procédure de retrait-rappel, se trouvaient encore dans le commerce ? Pouvez-vous rappeler les manquements que vous avez recensés dans les différentes enseignes – que d'ailleurs nous auditionnerons ?

En quoi et en quel point de la chaîne de la sécurité alimentaire les services de l'État ont-ils, selon vous, été défaillants ? Pouvez-vous nous détailler ces défaillances en fonction des différents stades de l'affaire – le contrôle, le précontrôle, l'autocontrôle, le stade d'alerte ? Enfin, question qui nous concerne en tant que consommateurs, et qui vous concerne en tant qu'associations, comment a-t-il pu se faire que le retrait n'ait pas été effectif ?

À votre sens, à quel moment Lactalis a-t-il été défaillant ?

L'information mise à la disposition des consommateurs a-t-elle été suffisante ? Que pensez-vous des numéros verts, notamment du numéro vert ministériel qui a été mis en place ? Était-il suffisant ? Comment cette information aurait-elle pu être améliorée ? Selon vous, qui est responsable des manquements à la procédure de retrait-rappel ? Est-ce que ce sont les distributeurs, ou est-ce que les services de l'État n'ont pas fait leur travail ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je m'associe aux excellents propos liminaires de M. le Président, et je vous remercie, mesdames et messieurs, d'avoir répondu à l'invitation de cette commission d'enquête, extrêmement importante à nos yeux comme à ceux des familles des victimes.

Selon vous, les contrôles destinés à garantir l'effectivité de la procédure de retrait-rappel effectués par les services de l'État ont-ils été suffisants et bien organisés?

Vous participiez au groupe de travail géré par le Conseil national de la consommation (CNC), chargé par le gouvernement de faire des propositions pour améliorer les dispositifs de retrait de produits en cas de crise sanitaire ou de malfaçon sur un produit de consommation. Pouvez-vous nous indiquer où en sont vos travaux, et avez-vous déjà une idée des propositions que vous pourriez être amenés à formuler ?

Selon vous, les sanctions encourues par les différents distributeurs – grandes et moyennes surfaces, pharmacies, hôpitaux et crèches – qui manquent à leurs obligations en matière de retrait de produits sont-elles suffisamment dissuasives ?

Au Sénat, M. Cédric Musso d'UFC-Que Choisir a déclaré que « l'affaire Lactalis a fait éclater au grand jour les insuffisances du dispositif de réparation des préjudices en France (…). Il faudrait une refonte de la philosophie des dommages et intérêts qui développerait un aspect punitif, à l'image de ce qui se fait dans les pays anglo-saxons ». Pouvez-vous préciser votre pensée ?

À votre connaissance, existe-t-il des technologies permettant de repérer, lors du passage en caisse, les produits ayant fait l'objet d'une procédure de retrait-rappel ? Les blocages par lot ne sont pas permis par les spécifications techniques actuelles ; avez-vous connaissance d'exemples étrangers où de telles possibilités existent ?

Enfin, quelles mesures préconisez-vous afin que ce type d'affaire ne se reproduise pas ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Une question complémentaire, si vous le permettez, en deux parties. Parmi les associations que vous représentez, certaines ont déposé plainte contre Lactalis. Je voudrais savoir précisément quels maillons de la chaîne d'alerte ont, selon vous, été défaillants. Deuxièmement, je voudrais que vous nous disiez un mot de la gestion médiatique de cette affaire : s'agissant d'un problème dont les conséquences auraient évidemment pu être effrayantes, considérez-vous que la gestion des annonces par les médias a été satisfaisante ? Quels effets ces annonces ont-elles eu sur les consommateurs, en l'occurrence sur les parents ?

Permalien
Wendy Si Hassen, chargée de mission alimentation à la CLCV

Monsieur le président, mesdames, messieurs, merci de nous avoir conviés à cette audition. Je signale, pour compléter vos propos introductifs, que nous avons également porté plainte contre Lactalis.

Permalien
Wendy Si Hassen, chargée de mission alimentation à la CLCV

Notre plainte remonte à deux mois environ. La première responsabilité, dans cette crise, incombe évidemment à Lactalis. C'est une entreprise bien connue pour sa discrétion, notamment sur ses comptes et dans sa communication. Les problèmes liés à cette affaire remontent à 2005, et malgré de nouvelles interventions des services de contrôle, nombreuses entre 2005 et 2017, et la mise en évidence de salmonelle, Lactalis n'a pas modifié son comportement et n'a pas pris les décisions qui s'imposaient en matière de sécurité sanitaire. Sa communication a été très parcellaire et ses décisions tardives au regard de la fragilité des populations auxquelles ces produits sont destinés. Il a fallu une intervention ferme de l'État et du ministre pour que l'ensemble des lots fabriqués soient rappelés. Il s'agit donc, de la part de Lactalis, de manquements graves. La situation, qui avait débuté en décembre, s'est prolongée jusqu'en janvier. Ces délais ont été bien trop longs pour les consommateurs, d'autant que des vagues d'annonces multiples ont suscité chez eux la confusion, tout en entraînant des difficultés pour les distributeurs qui devaient mettre en oeuvre ces procédures de rappel. Il est pourtant impératif, dans ce dans ce genre d'affaire, d'agir dès le premier doute.

Si Lactalis est évidemment le principal responsable identifié dans cette enquête, des questions se posent sur les autocontrôles et la manière dont ils sont gérés. Leur fiabilité fait problème et leur renforcement paraît nécessaire. Car une forte pression s'exerce sur les laboratoires privés qui réalisent des analyses pour le compte d'entreprises aussi puissantes que Lactalis. La question de leur indépendance financière se pose également, dès lors que ces laboratoires doivent répondre aux demandes de telles entreprises. Il faut donc réfléchir à l'instauration d'un contrôle indépendant. Pour rétablir la confiance des consommateurs – c'en est là, à notre avis, une condition sine qua non –, ce contrôle ne peut être réalisé que par l'État.

La question des autocontrôles positifs de l'environnement se pose également : ils doivent obligatoirement être transmis, ce qui n'a pas été fait dans le cas de l'usine de Craon. Des signalements directs, portant sur l'environnement comme sur les produits, permettraient d'éviter l'apparition de crises comme celle-ci.

Nous participons en outre, comme vous l'avez souligné, au groupe du CNC sur les procédures de retrait-rappel. Notre président est l'un des rapporteurs de ce groupe de travail, qui s'est jusqu'ici réuni trois fois et a, dans un premier temps, émis un rappel sur les autorités compétentes pour les procédures de retrait-rappel. Composé d'un grand panel de professionnels et d'associations de consommateurs, ce groupe de travail a pour l'instant auditionné le groupe Carrefour, le groupe Bel sur ses procédures de retrait-rappel, ainsi que GS1, l'entreprise responsable de la création des codes-barres et des codes QR (quick response), afin de réfléchir à cette question des codes et de l'identification des lots.

Certains points se sont dégagés au cours des trois premières réunions : d'une part, la nécessité d'améliorer les procédures de retrait-rappel, d'identifier par des expériences les points de défaillance et d'y remédier, que ce soit dans les entreprises ou dans les services de l'État ; nous concentrerons nos efforts, d'autre part, sur tout ce qui contribue à l'information du consommateur. En tant qu'association de consommateurs, nous revendiquons la création d'un site unique qui recense toutes les alertes. Les professionnels étaient eux aussi sensibles à ce point. Nous défendons également la nécessité que le consommateur puisse être un lanceur d'alerte et dispose pour cela d'un numéro vert unique lui permettant de signaler les risques qu'il pourrait découvrir dans l'usage de produits alimentaires.

Nous insistons en outre sur l'importance que la transmission des informations s'opère en fonction de la gravité du risque : le niveau d'alerte doit être adapté à la situation, et tous les canaux de médias disponibles doivent être utilisés. L'utilisation des cartes de fidélité, par exemple, a été tentée ; elle pourrait être une solution, même si elle ne permet pas de toucher tous les consommateurs.

Le blocage des produits en caisse est également une piste très importante, même si, à l'heure actuelle, les codes-barres ne permettent pas d'identifier précisément le lot. GS1 nous a fait part de ses recherches actuelles sur la possibilité d'utiliser des codes-barres en deux dimensions, comme les codes QR, qui permettraient de fournir davantage d'informations. La réflexion sur ce sujet est en cours de leur côté.

Il existe aussi un problème d'information du consommateur dans les magasins eux-mêmes : nous avons observé, grâce à différentes enquêtes que nous y avons conduites, que les avis de rappel et de retrait y sont parfois quasiment invisibles, parce qu'ils sont uniquement signalés par un dépliant à l'entrée du magasin, ou écrits en petits caractères, et que le lot n'est pas identifié assez nettement. Le consommateur n'est pas suffisamment guidé pour accéder aux informations nécessaires. Il faut rendre systématique la communication qui lui est destinée.

Quant à l'amélioration des procédures de retrait-rappel, il est indispensable d'accroître la traçabilité des produits et d'améliorer l'information aux consommateurs. La question des lots est vraiment très importante.

Vous nous avez également interrogés sur les réactions des consommateurs à cette affaire. Plusieurs familles nous ont contactés et nous ont signalé la difficulté qu'elles avaient eue à obtenir des remboursements ou des informations claires sur les lots. Elles nous ont aussi fait part de leur étonnement d'avoir pu acheter des produits qui auraient dû être retirés.

Permalien
Olivier Andrault, chargé de mission alimentaire et agriculture de l'UFC-Que Choisir

Merci de nous recevoir. Je m'efforcerai de répondre de manière synthétique, sans trop paraphraser ce qui a déjà été dit par ma collègue. Nous sommes évidemment d'accord. Sur l'alerte, d'abord : elle est effectivement venue en premier lieu des consommateurs, et non des autres acteurs qui auraient pu alerter, comme le fabricant lui-même ou les services de contrôle, au niveau local ou au niveau national. Cela montre bien que les autres services ont été défaillants.

Par ailleurs, nous devons entamer une réflexion – même si elle n'aboutit pas immédiatement – sur le rapport entre autocontrôles, contrôles officiels, échanges d'informations entre les professionnels et services de contrôle.

Il faut en effet se rendre compte que, pour les services de contrôle, détecter la présence de salmonelles dans une usine à l'occasion du contrôle qu'ils réalisent de loin en loin – une fois par an, par exemple, si ce n'est moins souvent –, c'est comme trouver une aiguille dans une botte de foin. Pour avoir moi-même, dans une vie antérieure, été chef de laboratoire dans une laiterie, je peux vous indiquer que trouver des bactéries là où elles se nichent, c'est particulièrement difficile. Il faut donc réfléchir sur ce vers quoi doit être dirigé le contrôle officiel et sur ce que les professionnels doivent faire en parallèle.

Je réponds maintenant à votre question : a-t-on observé, d'après nous, des défaillances de la chaîne ? Un premier ensemble de problèmes incombent évidemment à Lactalis. Ils tiennent à la conception même du procédé de fabrication. J'entends par là tous les éléments qui peuvent receler, ou amener, ou favoriser une contamination croisée des salmonelles : soit la chaîne de fabrication, soit les bâtiments, à cause de leur vétusté et du refus de les moderniser. Est également en cause un manque de réflexion sur les risques de l'environnement : les salmonelles, mais aussi les listeria ou les escherichia coli sont des bactéries parfaitement communes dans un gramme de terre. Vous imaginez combien il peut y en avoir dans la terre qui entoure une usine : des millions de ces bactéries y sont naturellement présentes. Cela signifie que toutes les procédures conçues par le fabriquant pour empêcher l'entrée de ces bactéries dans l'usine et leur arrivée sur les produits alimentaires auraient dû être absolument sans faille. Or, sur ce point, il y a visiblement eu un défaut du fabricant lui-même, mais aussi, probablement, dans l'audit qu'en ont réalisé les services de contrôle. Vous voyez que j'en viens progressivement à la question de savoir comment améliorer l'audit des services de contrôle.

Permalien
Olivier Andrault, chargé de mission alimentaire et agriculture de l'UFC-Que Choisir

Bien sûr. La Direction départementale de la protection de la population (DDPP) : tel est le nom actuel des services officiels de contrôle au niveau déconcentré. Ils portaient précédemment un nom un peu plus connu. Pour les services vétérinaires, on nommait Direction départementale des services vétérinaires (DSV) cette administration déconcentrée qui dépendait du ministère de l'Agriculture, et plus précisément de la Direction générale de l'alimentation (DGAL), spécifiquement en charge des contrôles sanitaires. Il y avait d'autre part, avant la fusion de ces services au niveau local à la suite de la Révision générale des politiques publiques (RGPP), la branche qui était plus précisément responsable des problématiques de fraude, d'étiquetage, etc., et qui s'appelait à l'époque la Direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DDCCRF), dépendant elle-même de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), donc du ministère des Finances.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci, c'est très précis et utile, puisque nous avons reçu toutes ces administrations. Pensez-vous qu'il y ait là une espèce de millefeuille ? C'est la question que nous nous posons, avec M. le rapporteur et un certain nombre de nos collègues. Qu'il y ait chaque mercredi matin une réunion sanitaire générale, comme celle que pourrait tenir un chef de corps d'armée, je peux le comprendre ; je peux comprendre aussi qu'il n'y ait pas forcément une guerre des polices. Mais, dans votre esprit de défenseur des consommateurs, est-ce qu'il n'y a pas là une superposition d'étages, ou est-ce que tout cela fonctionne bien ?

Permalien
Olivier Andrault, chargé de mission alimentaire et agriculture de l'UFC-Que Choisir

Votre question est fondamentale, monsieur le président, je vais y répondre, mais j'aimerais d'abord terminer sur les responsabilités de Lactalis.

Permalien
Olivier Andrault, chargé de mission alimentaire et agriculture de l'UFC-Que Choisir

Quant à Lactalis, donc, sont en cause : son plan de contrôle, vous l'avez compris, les moyens humains mis en oeuvre, les moyens analytiques – or les analyses coûtent cher et, étant donné les masses de production, ce sont des dizaines de millions de tonnes qui, chaque année, sortent de ses usines. Si bien que, si l'on veut avoir un plan de contrôle avec une forte fréquence, cela demande beaucoup d'argent. Tous ces éléments doivent être expertisés par les services de contrôle.

Reste enfin, évidemment – je préfère le répéter, même si cela a été dit par tout le monde –, le défaut de transmission d'informations de la part du fabricant sur la présence de salmonelles. Il s'est caché derrière une faille de la réglementation, en disant qu'il considérait qu'elle ne l'obligeait pas à transmettre les résultats de présence de salmonelles puisqu'elles n'étaient pas directement dans le produit. Je vous invite à aller voir ce que c'est qu'une laiterie : si le lait et les produits qui en découlent ne sont pas stérilisés après coup – comme c'est le cas de la poudre de lait – peuvent être de vraies bombes bactériologiques, particulièrement dangereuses pour le public fragile auquel cette poudre est destinée : des enfants qui n'ont pas encore construit leur système immunitaire. Si vous fabriquez un produit stérilisé, il n'y a pas de problème. Si vous fabriquez un produit très sensible, et si vous le destinez en plus à un public sensible, il faut que tous les éléments que j'ai indiqués soient encore plus sévèrement contrôlés et fiabilisés.

Quant aux laboratoires, je ne reviendrai pas sur ce qu'a dit ma collègue, et qui était absolument fondamental. Nous n'allons pas jusqu'à l'idée de faire financer par l'État lui-même les contrôles de ces laboratoires, puisqu'il s'agit des contrôles des fabricants qui sont sous-traités à des laboratoires en théorie indépendants, mais qui visiblement ne le sont pas. En revanche, j'attire votre attention sur une idée qui émerge de plus en plus en réponse à ce problème, mais aussi à d'autres, comme celui par exemple de l'évaluation des molécules synthétiques : l'idée de créer un fonds abondé par les professionnels, dans lequel les pouvoirs publics viendraient puiser, en cas de doute, pour financer des analyses ad hoc.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pouvez préciser votre expression « visiblement pas indépendants » au sujet des laboratoires ?

Permalien
Olivier Andrault, chargé de mission alimentaire et agriculture de l'UFC-Que Choisir

Les laboratoires, même s'ils sont indépendants, vivent financièrement de leurs commanditaires. Il faut faire la part des choses : quand on voit dans les résultats « présence de bactéries », il est tout à fait normal de demander une contre-analyse puisque, évidemment, on veut savoir quel est le niveau de contamination. Mais si, de manière systématique, une contre-analyse succède à une autre – comme le laissent penser beaucoup d'éléments évoqués jusqu'ici –, il y a lieu de soupçonner une volonté de poursuivre les contre-analyses jusqu'à ce que l'on tombe sur la bonne, ce qui n'est pas acceptable.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Si je comprends bien, la multiplicité des analyses invoquée par Lactalis – selon leur direction, ils en ont fait faire des milliers – résulterait, à votre avis, de leur volonté d'aller jusqu'au bout du bout, jusqu'à en avoir une dont le résultat ne soit pas positif ? Ou est-ce que j'interprète trop vos propos ?

Permalien
Olivier Andrault, chargé de mission alimentaire et agriculture de l'UFC-Que Choisir

C'est une question fondamentale qu'il faut expertiser.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Lorsque des tests sont réalisés, existe-t-il une « échantillothèque », ou je ne sais quel mot employer pour un lieu où les échantillons témoins pourraient être conservés afin de permettre des essais complémentaires ou comparatifs en cas d'incertitude, pour contrôle ?

Permalien
Olivier Andrault, chargé de mission alimentaire et agriculture de l'UFC-Que Choisir

Je suis désolé, votre question dépasse mon expertise sur les techniques habituelles de ces laboratoires d'analyses. Vous pourriez peut-être les inviter : il serait intéressant de connaître leur point de vue sur la possibilité de conserver des témoins, à partir du moment où il y a des souches potentiellement dangereuses. Vous avez absolument raison sur le fait que la souche d'une bactérie, en fonction de la nature de cette souche, sera beaucoup plus dangereuse, beaucoup plus virulente.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En fait, je parlais aussi des contrôles classiques. Mettons qu'à l'issue d'une analyse de routine un échantillon soit jugé bon, mais que le lot analysé fasse par la suite l'objet d'une procédure de rappel. Il semblerait utile d'avoir conservé un échantillon vivant pour pouvoir prouver ce résultat. Mais je ne sais pas si cela est possible dans l'alimentation.

Permalien
Olivier Andrault, chargé de mission alimentaire et agriculture de l'UFC-Que Choisir

Il est effectivement fréquent, dans le domaine alimentaire, que les fabricants conservent quelques échantillons de chaque lot. Mais, à ce stade, il me semble qu'il serait difficile pour nous, sur un point aussi précis, de définir des exigences. Votre question n'en est pas moins importante : quid des preuves qui peuvent être conservées pour effectuer une analyse plus pertinente après coup ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En restauration collective, l'échantillonnage est aujourd'hui obligatoire. Dans ce domaine, la question est donc réglée.

Je souhaitais vous interroger sur la dépendance économique entre le donneur d'ordres et le laboratoire chargé des contrôles. Vous semblerait-il envisageable d'instaurer une procédure de sas, pour ainsi dire, qui obligerait les laboratoires à déposer d'abord auprès d'une autorité publique les résultats d'une analyse qui pourraient poser problème, avant de les envoyer à l'entreprise ?

Permalien
Olivier Andrault, chargé de mission alimentaire et agriculture de l'UFC-Que Choisir

Nous n'avions pas eu cette idée, mais elle me semble tout à fait pertinente. Je crois qu'elle fait partie des propositions qui doivent être avancées en réponse à la question : comment rendre les laboratoires « indépendants » réellement indépendants ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

M. le rapporteur et moi avions échangé à ce sujet : c'est le problème des autocontrôles, dont les résultats, au sein de l'usine, n'apparaissent nulle part. C'est plus que regrettable. L'idée serait de rendre responsables les laboratoires indépendants missionnés par les entreprises privées, en les obligeant à déclarer ce que détectent leurs examens. Cette idée vous semble-t-elle folle ?

Permalien
Olivier Andrault, chargé de mission alimentaire et agriculture de l'UFC-Que Choisir

Elle me semble parfaitement pertinente. On pourrait même distinguer deux types d'obligation de transmission de l'information. Rappelons-le, la plus grande partie des autocontrôles est d'abord réalisée par le laboratoire de l'usine elle-même, ce qui pose déjà un problème important quant à l'exécution et à la publication éventuelle de leurs résultats.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Tout le monde peut comprendre qu'un laboratoire indépendant réponde à un appel d'offres ; si, de ce fait, Lactalis en vient à représenter 90 % de son chiffre d'affaires, son indépendance s'en trouvera très limitée. En revanche, si tous les laboratoires agréés de France et d'Europe devaient, lorsqu'ils trouvent quelque chose de suspect, en informer immédiatement les services de l'État, il n'y aurait plus de pression.

Permalien
Olivier Andrault, chargé de mission alimentaire et agriculture de l'UFC-Que Choisir

En effet.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La pression financière disparaît dès lors qu'ils sont tous au même niveau – sauf s'ils sont malhonnêtes, évidemment.

Permalien
Olivier Andrault, chargé de mission alimentaire et agriculture de l'UFC-Que Choisir

Je suis absolument d'accord avec cette idée, monsieur le Président. Les laboratoires dits indépendants, commissionnés par les professionnels pour réaliser une partie des contrôles pour lesquels ceux-ci n'ont pas l'expertise nécessaire, devraient être soumis à une obligation d'information. Mais pourquoi ne pas l'étendre au personnel du laboratoire de l'usine, qui réalise la plus grande partie des contrôles ? S'il découvre par exemple la présence de salmonelles, de listeria ou de certaines souches d'escherichia coli, ou encore de staphylocoque doré, qui posent des problèmes tout aussi importants et qui peuvent apparaître lors d'analyses de routine, l'existence d'une chaîne hiérarchique – qui, on le sait, est assez forte dans les usines – peut faire obstacle à la transmission de ces informations.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

C'est plus complexe, au niveau humain. Je le regrette vivement, mais, en tant que lanceur d'alerte, vous êtes bien placé pour savoir que la protection d'un laborantin d'usine qui se fait lanceur d'alerte est extrêmement limitée. Il ne faut donc pas s'attendre à ce que les choses changent de l'intérieur. Mais si un certain nombre d'analyses extérieures devenaient obligatoires, le signalement des risques ne dépendrait plus du courage individuel des lanceurs d'alerte. Il s'agirait de laboratoires qui pourraient être agréés, mais qui devraient avoir des obligations. Je pense que cela changerait beaucoup de choses, et M. le rapporteur, avec qui j'en ai discuté, est parfaitement d'accord avec moi. Cela pourrait être une des propositions de notre rapport.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'aimerais revenir sur ce que vous avez dit au tout début de votre intervention : que les alertes avaient été lancées par les consommateurs. Nous avons reçu hier le directeur de Santé publique France (ANSP), qui nous a expliqué la démarche de son agence. Ses propos me semblent d'ailleurs confirmés par ce que j'ai lu dans le rapport du Sénat : l'alerte a été donnée sans retard par l'ANSP. Je voudrais donc des précisions sur ce point, parce que c'est de cette première étape que dépend tout l'enchaînement des réactions de l'administration, ce mille-feuilles dont parlait le président : il faut que l'alerte soit lancée par Santé publique France et qu'elle soit ensuite prise en compte et déclinée par les autres acteurs. Or vous nous dites que l'alerte a été lancée par les consommateurs eux-mêmes. L'ANSP a-t-elle, selon vous, réagi avec retard, ou ce décalage apparent est-il dû tout simplement à la procédure de caractérisation ? Car avant de lancer une procédure de ce type, il faut évidemment être sûr qu'une infection risque de se propager, et que l'on se trouve réellement en face d'un problème de santé publique. Autant les consommateurs peuvent alerter très tôt sur des doutes, autant les responsables publics ne peuvent lancer ce type d'alerte qu'en fonction d'une certitude.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Tout le monde s'est précipité sur M. Andrault pour lui poser des questions, mais il faudrait que Mme Jacquemart puisse répondre elle aussi.

Permalien
Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch

Merci, monsieur le président. Monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, merci de nous recevoir aujourd'hui. S'il est effectivement très intéressant de tirer les enseignements de l'affaire Lactalis, c'est qu'elle a été un cas d'école. Elle implique tous les acteurs et toutes les phases : la prévention, la gestion des risques, et la crise qui est survenue. Ce cas d'école est propre à nous montrer comment ce genre de scandale alimentaire est encore possible en France et en Europe – car Foodwatch travaille au niveau européen, c'est important dans le cadre de la réglementation européenne.

Ces enseignements doivent aussi nous apprendre comment faire pour que cela ne se produise plus. Je m'efforcerai d'apporter quelques éléments en ce sens, sans entrer dans tous les détails de la plainte et des acteurs, puisque nous avons publié non seulement une plainte de cinquante pages, mise à la disposition de la commission, mais aussi un rapport synthétique d'une vingtaine de pages, que j'ai apporté aujourd'hui et que je tiens également à votre disposition.

Parmi les éléments clefs, rappelons d'abord qu'il y a deux niveaux de normes : le cadre réglementaire européen et la loi française, déclinés notamment dans le code de la consommation et le code rural. Ces normes sont suffisamment fortes, et les obligations de tous les acteurs concernés sont claires. La première chose à faire pour éviter qu'une telle crise se reproduise est donc de s'assurer que la loi est respectée par tous, et qu'elle est assortie de sanctions suffisamment dissuasives, non seulement dans les textes mais aussi dans leur application, de façon à ce que ce petit jeu s'arrête. Car nous n'en sommes pas au premier scandale alimentaire et, dans le cas de la viande de cheval comme dans plusieurs autres, on n'a pas vu beaucoup de sanctions – je pense notamment à celles encourues par les distributeurs, mais aussi à d'autres. Ce premier rappel est donc une bonne nouvelle : le cadre réglementaire est assez solide, même s'il présente encore des lacunes et qu'un renforcement est à souhaiter. J'y reviendrai.

Second point, à bien distinguer du premier : la responsabilité de tous les acteurs. Il faut y insister. C'est pour cela que Foodwatch et plusieurs parents ont déposé plainte en énumérant douze infractions. Je me contenterai ici d'en présenter une synthèse, en rappelant les obligations et les manquements à ces obligations. Ils incombent, selon nous, à quatre acteurs : Lactalis, évidemment, mais également les distributeurs, pour des raisons évidentes que vous connaissez, et qui concernent la procédure de rappel ; et aussi, tout simplement, parce qu'ils ont, au même titre que Lactalis, l'obligation de s'assurer qu'ils ne commercialisent pas des produits dangereux pour la santé. Ils sont tenus à une obligation de conformité et de sécurité. Or, dans ce cas, c'est de sécurité qu'il s'agissait.

Viennent ensuite les laboratoires, vous venez d'en parler. En fait, la loi leur impose déjà une obligation de signalement. Le problème, c'est qu'il semble – je dis bien « il semble » parce que nous ne disposons pas encore de toutes les informations, d'où l'importance de mener à bien les enquêtes en cours, que ce soit celle de la justice ou celle de cette commission – il semble qu'ils n'aient pas toujours fait remonter les informations à l'entreprise, encore moins aux autorités. Il faut donc renforcer, sur ce point, la réglementation existante, qui n'est pas suffisante. Cela de deux façons : il faut vraiment rendre encore plus clair le devoir de signalement par les laboratoires aux autorités dès lors qu'ils ont le moindre soupçon d'un danger sanitaire, et il faut préciser que ce devoir s'impose non seulement pour les résultats positifs sur les produits, c'est-à-dire pour une contamination des produits alimentaires, mais aussi pour une contamination de l'environnement.

Cette différence entre les résultats révélant la contamination d'un produit et celle de l'environnement a beaucoup servi de ligne de défense à Lactalis, dont le raisonnement consistait à dire : « Nous avons reçu des informations sur des contaminations de l'environnement, mais nous ne les avons pas signalées parce que la loi, selon nous et selon le cabinet d'avocats avec lequel nous travaillons, ne nous y obligeait pas ». Ce n'est pas vrai. Ils y sont réellement obligés. Mais puisqu'il y a un doute, et puisque même la DGAL et la DGCCRF ont avancé publiquement une interprétation selon laquelle on ne serait pas obligé de signaler un contrôle positif concernant l'environnement, alors, là encore, renforçons la loi. Des amendements en ce sens seront proposés lors de l'examen du projet de loi sur l'agriculture et l'alimentation. Leur adoption serait une très bonne chose.

Car enfin, cette question d'environnement n'est pas nouvelle. D'ailleurs, rien n'est nouveau dans cette affaire puisqu'elle remonte à 2005. Cette usine avait alors été contaminée par des salmonelles, on savait donc qu'elle présentait un risque particulier. Malgré ce risque, l'historique de ses contrôles – des autocontrôles comme des contrôles officiels – est assez opaque. On commence tout juste, au fil des auditions au Sénat et grâce à votre commission, à obtenir des bribes d'informations, mais elles sont encore loin de former un historique clair. Après la contamination de 2005, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), devenue l'ANSES, avait pourtant été saisie par la DGAL, la DGCCRF et la DGS pour en tirer les enseignements. Ces enseignements étaient nombreux, et l'une des recommandations du rapport appelait précisément à une vigilance accrue sur les signalements de contamination dans l'environnement. Car, dans le cas de salmonelles et comme on l'a vu en 2005, il y a un lien évident entre contamination de l'environnement et contamination des produits. Les alertes étaient bien là, les antécédents étaient connus. Il est d'autant plus inexplicable qu'il n'y ait eu ni contrôles efficaces, ni remontées d'informations efficaces qui auraient permis de prévenir la crise. La présence de salmonelles est pourtant un phénomène fréquent, qu'il faut simplement gérer comme il se doit. Cela n'a pas été fait.

Les services de l'État, enfin, sont eux aussi visés par notre plainte. Car, si les autocontrôles ne sont pas inutiles en tant que tels – à condition qu'ils soient effectués correctement, que les laboratoires aient l'obligation de signalement que vous évoquiez, et qu'ils se sentent libres de s'y conformer –, ces autocontrôles des acteurs privés ne peuvent en aucun cas se substituer à la responsabilité in fine de l'État, qui doit être le garant de la protection des consommateurs, de la santé et de la sécurité sanitaire des produits. Les services de l'État doivent non seulement veiller à ce que les autocontrôles soient effectués, mais ils doivent procéder à leurs propres contrôles. Tout scandale alimentaire, toute contamination engage donc, en dernier lieu, la responsabilité des services de l'État.

De fait, nous avons identifié, dans le cas présent, ce qui nous semble être des défaillances. Il s'agit en tout cas de points qui doivent être examinés attentivement, et des améliorations seront indispensables pour le futur. Mais elles ne sont pas de la responsabilité de l'un ou de l'autre : elles relèvent des obligations de l'ensemble de ces quatre acteurs. C'est pour cette raison que nous avons porté plainte en ce sens et que nous communiquons, je l'espère du moins, de façon pédagogique, afin de rappeler ces obligations à tous.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, vos propos liminaires ont insisté sur la question centrale de la responsabilité de chacun, celle notamment des distributeurs. Je vous entends parler de celle de Lactalis, mais on parle très peu, depuis tout à l'heure, des rapports entre producteurs et distributeurs. Or vous disiez, madame, que la communication de Lactalis avait peut-être eu tendance à brouiller l'information chez les distributeurs.

Par ailleurs, lors de notre première audition, M. Quentin Guillemain, président de l'association des familles victimes, nous a dit que certains distributeurs avaient fait jusqu'à 40 % de rabais sur ces lots contaminés, à l'échelle nationale. Quelle est, à votre avis, la responsabilité des distributeurs ? Dans quelle mesure avaient-ils connaissance de cette contamination ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je m'associe à cette question, et j'en ajoute une pour la compléter : vous avez porté plainte, non pas intuitu personae, si l'on peut dire, mais contre X – j'imagine que cela vaut de vos trois associations ? –, donc sur l'ensemble des responsabilités, ou bien uniquement contre le producteur, et non contre les distributeurs ? Les faits imputés aux seconds me semblent tout aussi graves.

Permalien
Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch

Vous avez raison. Les distributeurs font bien partie, en effet, des quatre acteurs qui ont des responsabilités, et chacune des douze infractions concerne un ou plusieurs de ces acteurs, les distributeurs au premier chef.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Est-ce la même chose pour UFC-Que Choisir et la CLCV ?

Permalien
Wendy Si Hassen, chargée de mission alimentation à la CLCV

Notre plainte est dirigée contre Lactalis.

(M. Olivier Andrault indique d'un signe qu'il en va de même.)

Permalien
Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch

Pour répondre à la question des sanctions posée par M. le rapporteur, des sanctions très claires sont prévues pour ce type d'agissements par la loi française, et plus précisément par le code rural. Elles peuvent aller jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires. C'est pour cela que nous nous sommes appuyés sur cette réglementation pour inclure les distributeurs dans la plainte. Car il est bien scandaleux de ne pas mettre en oeuvre une procédure de retrait-rappel. C'est d'ailleurs, tout simplement, une infraction pénale. Nous espérons donc que la sanction prévue sera appliquée.

Encore un mot, si vous le permettez, pour finir sur la question de la transparence. Nous avons reçu beaucoup de témoignages, mais surtout énormément de questions des consommateurs : ils nous demandaient à quoi ils pouvaient encore se fier, puisque les listes des produits rappelés n'étaient pas claires, et que ces produits se trouvaient encore dans les supermarchés. Nous avons demandé à plusieurs reprises de la transparence sur un certain nombre d'informations qui nous paraissaient fondamentales, mais nous ne l'avons jamais obtenue. Nous n'avons donc pas pu les répercuter aux consommateurs. Voici des exemples très concrets. L'arrêté pris le 8 décembre n'a été publié que le 29 décembre. Au début de cette crise, nous avons donc tenté de comprendre une situation qui n'était guère transparente. En tant qu'association représentant les consommateurs, nous avons écrit au préfet de la Mayenne en décembre, et à Lactalis ainsi qu'aux ministères concernés dès le 12 décembre. Nous avons relancé les ministères par une lettre, disponible sur notre site internet, le 19 janvier. Nous posions des questions aussi simples que : « Puisque cette usine a été contaminée en 2005 et que l'on est maintenant à la fin de 2017, quels contrôles ont été effectués par l'entreprise et par les services de l'État de 2005 à 2017, de façon à assurer une prévention ? Si des résultats positifs ont été constatés, quelles mesures ont été prises ? ». Il s'agissait vraiment de questions de bon sens, encourageant tous nos interlocuteurs à la transparence, car la transparence est aussi la meilleure façon de restaurer la confiance des consommateurs.

Nous n'avons toujours aucune réponse à ces questions. On nous a dit, il y a deux jours, qu'une réponse ne tarderait pas à arriver – nous sommes mi-avril –, mais finalement la seule que nous ayons obtenue a été : « Nous avons donné les informations lors d'auditions publiques au Sénat et à la commission d'enquête de l'Assemblée nationale ». C'est certes très important, mais cela veut dire que, depuis le mois de décembre, les consommateurs et les associations ont manqué d'informations, et surtout que l'information publique a fait défaut.

Nos recommandations insistent donc sur la transparence : en premier lieu, que tous les autocontrôles soient transmis aux autorités, même lorsqu'ils ne révèlent rien de suspect. Cela incitera les entreprises à respecter beaucoup plus rigoureusement l'obligation de les effectuer, sans supprimer bien sûr leur devoir de signalement quand il y a un problème. Deuxièmement, que les résultats des contrôles officiels, tant de la DGCCRF que de la DGA, soient rendus publics sous une forme intelligible par tous. Car la transparence résoudra d'elle-même une partie des problèmes.

Permalien
Olivier Andrault, chargé de mission alimentaire et agriculture de l'UFC-Que Choisir

Je voudrais revenir, pour en terminer, sur l'organisation actuelle des services de contrôle officiels. C'est un point fondamental pour éviter que le même problème ne se reproduise.

La question des effectifs, tout d'abord. Elle a déjà été évoquée à plusieurs reprises, mais il me semble important de rappeler que, selon un référé de la Cour des comptes rendu public en mars dernier, les effectifs ont connu des baisses considérables, qui ont eu pour effet de réduire le nombre d'établissements contrôlés de 24 % entre 2011 et 2016, les effectifs ayant déjà fondu de 1 400 équivalents temps plein entre mai 2008 et 2013. Même s'il faut réorienter les services de contrôle officiels vers davantage d'audits, puisque l'on n'attend pas d'eux qu'ils effectuent le même type de contrôles que ceux réalisés par les professionnels eux-mêmes, il reste que moins de contrôleurs, c'est moins de contrôles officiels. C'est là un point très important, et je vous invite à lire ce référé.

Nous avons en outre reçu confirmation, lors de nos contacts avec les associations de victimes, mais aussi avec les syndicats des services de contrôle de la DGCCRF et de la DGAL, que cette politique de réduction des effectifs n'est pas achevée, puisqu'il est apparemment prévu de supprimer 45 postes de contrôleurs à la DGCCRF en 2018, sur un total d'un peu moins de 3 000 agents, soit une baisse de 1,5 % des effectifs cette année. Quant à la DGAL, qui dépend du ministère de l'Agriculture, les baisses d'effectifs annoncées sont de l'ordre de 3 % par an sur les trois prochaines années. On poursuit donc toujours cet objectif de réduction des effectifs des services de contrôle de l'État.

S'agissant précisément des services de contrôle de Mayenne, les informations qui nous ont été transmises par les syndicats représentant les contrôleurs travaillant au sein de la DGCCRF et de la DGAL indiquent qu'en quelques années, les effectifs de contrôle officiel de ce département sont passés de quinze agents à sept : près de la moitié a été perdue. En outre, il a été considéré que le nombre d'agents était trop faible pour maintenir une direction départementale des services de contrôle. Ils ont donc été rattachés hiérarchiquement au niveau régional, ce qui risque d'entraîner une diminution de la réactivité et de la connaissance du tissu industriel que ces services contrôlent.

Autre problème, enfin, régulièrement rappelé dans le cadre de nos contacts : l'impact catastrophique de la RGPP. On a fusionné des services, parfois à la hussarde, et affaibli leur rattachement hiérarchique aux services centraux de l'État à Paris, au profit d'un rattachement beaucoup plus marqué au préfet du département. Il est donc clair que toute cette réorganisation hiérarchique, cette fusion apparemment encore mal digérée qu'a imposée la RGPP doit être retravaillée en profondeur.

Permalien
Wendy Si Hassen, chargée de mission alimentation à la CLCV

La CLCV recommande elle aussi d'accroître la fréquence et les moyens alloués aux contrôles de l'État afin que leur rythme soit suffisant. L'État doit vraiment donner plus de moyens à ses agents pour exercer des contrôles efficaces et réguliers dans ce type de structures.

La recommandation de Mme Jacquemart de rendre publics les contrôles de l'État et les autocontrôles semble très intéressante.

Quant aux distributeurs, il est évident que, dans une telle crise, il est de la responsabilité des magasins de veiller à ce que les produits soient bien retirés, quitte à ce que le directeur du magasin relève ses manches pour aller lui-même enlever les lots.

Un certain nombre de mesures pourraient être mises en place dans les magasins, de manière automatique et homogène : par exemple, créer un lieu de stockage où serait déposé tout produit faisant l'objet d'une procédure de retrait-rappel, afin de supprimer tout risque que les lots visés par la procédure soient repris par quiconque.

La formation des personnels est essentielle, d'autant plus qu'il y a un turn over très important des personnels en rayon. Il faudrait donc que leur formation sur ces procédures soit automatique, dans un délai très court après leur embauche.

Voilà quelques petits compléments pour éviter que l'inadmissible se reproduise : que des produits rappelés soient remis en rayon et vendus.

Permalien
Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch

Oui.

Permalien
Olivier Andrault, chargé de mission alimentaire et agriculture de l'UFC-Que Choisir

N'étant pas du service juridique, je n'ai pas les éléments. J'ai expertisé cette affaire sous d'autres aspects, plus techniques. Du coup, je réserve ma réponse, je vous prie de m'en excuser.

Permalien
Wendy Si Hassen, chargée de mission alimentation à la CLCV

C'est la même chose pour moi.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je voudrais revenir à ma question qui, je crois, n'a pas reçu de réponse : comment se fait-il que les consommateurs aient, selon vous, été les premiers à lancer l'alerte, alors que le directeur de Santé publique France nous a expliqué que son agence avait réagi rapidement ?

Pour aller plus loin, à propos de cette espèce de millefeuille de responsabilités dont nous avons parlé – puisque, après avoir lancé l'alerte, il faut surveiller la mise en oeuvre des procédures, et prendre en compte de très nombreux éléments –, si l'organisation des services était plus simple, s'il n'y avait, peut-être, qu'une seule direction, est-ce que, selon vous, cela fonctionnerait mieux ? Même si les responsables des services de l'État nous ont expliqué qu'ils se voyaient toutes les semaines, il me semble que c'est un point sur lequel des améliorations sont encore possibles.

Permalien
Olivier Andrault, chargé de mission alimentaire et agriculture de l'UFC-Que Choisir

C'est une très bonne question, qui va encore plus loin que les problématiques que j'ai évoquées. Vous parlez d'un millefeuille : il y a effectivement un embrouillamini de responsabilités, c'est indiscutable.

L'idée d'une grande agence nationale indépendante, responsable de l'alimentation, est dans l'air depuis des années. Les questions relatives à l'alimentation sont aujourd'hui gérées par deux ministères différents, voire trois ministères lorsqu'un problème de santé publique surgit.

Pour m'en tenir pour l'instant à la gestion habituelle, elle dépend d'abord du ministère de l'agriculture. Vous mesurez déjà les problèmes que cela peut poser, puisque ce ministère est chargé de présenter et de défendre les intérêts des professions agricoles, mais aussi des professionnels de l'industrie, le ministre de l'agriculture ayant dans son portefeuille l'industrie agroalimentaire. Ces responsabilités étant jointes à celle de la sécurité sanitaire des consommateurs, le mélange des genres est pour le moins problématique. On l'avait d'ailleurs bien constaté à l'époque de l'affaire de la vache folle, puisqu'à ce moment-là, la compétence de l'appréciation du risque appartenait au ministère de l'agriculture. Elle en a été détachée – mais elle seule – pour créer ce que l'on a alors appelé l'AFSSA, devenue l'ANSES. En revanche, tous les aspects du contrôle appartiennent toujours à ce ministère.

Le deuxième ministère chargé de contrôler la qualité de l'alimentation est celui des finances et de l'industrie, au travers de son administration appelée DGCCRF. Là encore, on retrouve le même type de problématique : c'est un même ministère qui est amené à trancher des questions qui concernent directement l'industrie, donc l'industrie alimentaire, mais aussi la sécurité des consommateurs.

Enfin, lorsqu'il y a un problème, un troisième ministère intervient : celui de la santé.

Tout cela est évidemment très complexe. Et l'on a bien constaté, lors de l'affaire Lactalis, qu'il était difficile pour les consommateurs de savoir vers quel interlocuteur se tourner. Face à ce problème de dispersion des responsabilités, l'idée d'une agence unique, responsable de tous les aspects de l'alimentation a été évoquée. Elle serait indépendante des différents ministères. L'indépendance peut être imaginée de différentes manières, mais dans le cas de l'ANSES, par exemple, elle fonctionne assez bien : cette agence a plusieurs tutelles – le ministère de l'agriculture, celui de la santé, celui de l'environnement, celui des finances – ; les intérêts de chacune étant divergents, leurs pressions respectives s'annulent. C'est cette multiplicité de tutelles qui donne son indépendance à l'ANSES.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pourquoi n'a-t-elle pas été la première à donner l'alerte ?

Permalien
Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch

Si vous le permettez, monsieur le député, j'aimerais commencer par répondre sur le point qui vient d'être évoqué. C'est un sujet crucial, qui a été très largement discuté avec de nombreux interlocuteurs différents lors des États généraux de l'alimentation. On peut en effet ajouter encore un autre ministère, celui de l'environnement, qui traite par exemple des stratégies relatives à la santé environnementale et aux perturbateurs endocriniens. Ces sujets ont évidemment été débattus dans le cadre de l'atelier sur la sécurité sanitaire. L'action de ce ministère peut ainsi porter sur des salmonelles, comme dans le cas Lactalis, mais aussi sur les cas de contamination chimique des aliments.

Cette question de l'organisation interministérielle est donc essentielle, qu'elle trouve sa réponse dans la création d'une agence ou d'une autre structure interministérielle qui gérerait les questions de l'alimentation. Je ne vous cache pas que, sur beaucoup de sujets, nous sommes aujourd'hui en contact avec quatre ministères différents : c'est par exemple le cas du problème des huiles minérales qui contaminent notre alimentation. Il y a là un frein important qui retarde le traitement des dossiers. Une structure qui refléterait cette interministérialité serait certainement plus efficace, c'est en tout cas une piste à suivre.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Dans le cas d'espèce, comment se fait-il que les consommateurs aient été les premiers à lancer l'alerte ? Y a-t-il un délai…?

Permalien
Olivier Andrault, chargé de mission alimentaire et agriculture de l'UFC-Que Choisir

Non, c'est tout simplement parce qu'au cours d'une réunion informelle de consommateurs – de parents –, ils se sont rendu compte qu'il y avait un problème. Ce sont les éléments que nous a transmis l'association des victimes. Il y a là un mécanisme à développer : il existe par exemple déjà une forme de pharmacovigilance, dont une partie doit être assurée par les consommateurs de médicaments. Les consommateurs, en général, ont leur rôle à jouer pour la transmission des informations, c'est tout à fait normal.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

On m'a dit que, dans le passé, les services de l'État exerçaient deux types de contrôles : outre le contrôle administratif des autocontrôles, l'État envoyait lui-même des échantillons, il exerçait des contrôles directs sur les produits. Confirmez-vous cette évolution, au terme de laquelle l'État ne fait plus aujourd'hui de contrôles directs ? N'est-ce pas justement l'origine du problème ?

Quant aux effectifs, forment-ils aujourd'hui une task force, ou est-ce que les agents qui étaient sur le terrain n'ont pas été dispersés dans différents services ? Des syndicats de la DGCCRF m'ont alerté sur ce sujet : la réduction de leurs effectifs s'est accompagnée de leur dispersion sur les territoires, alors que, dans le passé, ils étaient regroupés. Ils ne forment plus une task force, qui pourrait pourtant être plus efficace.

Permalien
Olivier Andrault, chargé de mission alimentaire et agriculture de l'UFC-Que Choisir

Au sujet des contrôles, un précédent ministre de l'agriculture disait qu'on ne pouvait pas mettre un contrôleur derrière chaque steak haché. Il avait raison : ce serait une erreur de demander une multiplication des contrôles de l'État sur les produits eux-mêmes, tout simplement parce qu'il n'y en aura jamais assez. C'est comme trouver une aiguille dans une botte de foin : la probabilité de découvrir des contaminations par des contrôles directs sur les produits est extrêmement faible. Les fabricants eux-mêmes, qui réalisent le plus grand nombre de contrôles, ont du mal à détecter les problèmes. Donc, imaginez ce que peuvent faire les directions départementales de la protection des populations (DDPP), lorsqu'elles passent une fois par an…

L'important est de rendre parfaitement fiable et solide l'audit auquel les services sanitaires doivent soumettre les résultats de autocontrôles – la transparence la plus parfaite devant régner dans la transmission de ces résultats à l'administration –, mais aussi l'audit du plan de contrôle du fabricant, afin de s'assurer qu'il n'y ait pas de faille. C'est cela que doivent expertiser les services de contrôle de l'État.

Permalien
Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch

J'aimerais attirer votre attention sur un rapport de la Cour des comptes de 2013, que vous connaissez certainement, mais qui pointait déjà du doigt le problème du manque de moyens des services de l'État, puisqu'il est de leur responsabilité de garantir la sécurité sanitaire et la protection des consommateurs. Il faut évidemment que les ressources nécessaires pour cela soient disponibles.

Ce rapport pointait aussi les limites des autocontrôles, en parlant de leur qualité variable, et de la nécessité de mesures plus contraignantes pour les laboratoires – nous parlions à leur sujet d'un devoir de signalement –, les mesures réglementaires existantes n'étant, selon ce rapport, pratiquement pas mises en oeuvre. Les recommandations de ce rapport n'ont malheureusement pas encore été suffisamment mises en avant, mais il donne des pistes très intéressantes.

Pour finir de répondre à votre question, monsieur le député, il faut encore se méfier d'une chose : la tendance actuelle des services de l'État à déléguer. On veut responsabiliser les entreprises en leur demandant de procéder à des autocontrôles, plutôt que de chercher à mettre un contrôleur de l'État derrière chaque usine. Très bien. Mais, si les autocontrôles doivent jouer un rôle, ils ne doivent pas se substituer à ceux de l'État.

On entend aussi parler de projets de déléguer à certains acteurs privés les contrôles officiels, y compris dans le domaine de la sécurité sanitaire. Nous recommandons évidemment de ne pas le faire : là encore, l'intérêt du consommateur ne serait pas respecté. L'État doit donc avoir les moyens de remplir son rôle, d'autant que la réglementation européenne sur l'alimentation et le règlement n° 1782002 sont très clairs : si la réglementation européenne est abondante, les États membres ont la responsabilité des contrôles et des sanctions.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je reviens à la responsabilité des distributeurs. Vous nous avez parlé, madame Si Hassen, de turn-over du personnel, de procédures, d'espaces de stockage, etc. Mais la question que je vous posais, parce qu'elle s'impose dans le cadre précis de cette commission d'enquête, était : pensez-vous que des distributeurs ont vendu sciemment du lait alors qu'ils devaient le retirer ?

Permalien
Wendy Si Hassen, chargée de mission alimentation à la CLCV

Je ne dispose pas actuellement des informations nécessaires pour vous répondre, mais j'espère que l'enquête permettra de faire la lumière sur ce point. Pour revenir à la question posée tout à l'heure par M. Hutin sur le périmètre de notre plainte, je n'ai pas reçu ces informations de notre service juridique, je me renseignerai.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mme Jacquemart évoquait les projets de déléguer des essais. Or ce schéma existe actuellement au ministère de l'industrie pour le marquage NF et le marquage CE : des organismes indépendants interviennent pour s'assurer que les procédures de fabrication sont respectées, que les tests ont été faits sérieusement et que leurs résultats sont conformes ; ils procèdent aussi à des essais complémentaires. C'est ce qui autorise l'entreprise à marquer ses produits en amont, comme ce peut être le cas dans l'alimentation, où l'on appose un cachet sanitaire.

Ce système est donc tout aussi contrôlé, même si c'est un système indépendant, où une entité indépendante intervient pour suivre les actions, organiser des audits sur place, des contrôles, des suivis… Cela n'empêche pas qu'une entité dépendante du gouvernement, le Comité français d'accréditation (COFRAC), intervienne lui aussi pour contrôler l'organisme certificateur, qui a la pleine charge d'autoriser l'entreprise à utiliser les marquages CE ou NF. Dans le cas de cet organisme, il y a une dépendance. On dit toujours que l'on doit être indépendant, impartial et équitable sur ces aspects. C'est toute une structure qui existe déjà dans l'industrie, mais pas dans le secteur alimentaire. Pensez-vous que ce schéma de fonctionnement, qui existe et qui est connu, notamment pour des produits de sécurité, par exemple les détecteurs de fumée, pourrait être préconisé pour application à l'industrie alimentaire ?

Permalien
Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch

Merci pour cette question. On doit tenir compte de ce qui existe, mais en l'occurrence, dans le domaine de la protection des consommateurs et de la sécurité sanitaire, il ne s'agit pas simplement de certification, mais aussi de l'analyse des risques. Nous préconisons d'ailleurs que cette analyse soit assurée par les services de l'État plutôt que par l'entreprise seule. De fait, en cas d'autocontrôle positif, l'entreprise a un devoir de signalement. Elle doit prendre des mesures, mais elle doit surtout avertir rapidement les autorités publiques. Ce sont elles qui disposent de l'impartialité et de l'indépendance nécessaires au jugement d'une situation particulière, jugement qui ne consiste pas simplement à appliquer une check-list, comme pour un certificat de conformité. Ce sont les autorités publiques qui décident de prendre des mesures, de demander un communiqué de presse, d'engager telle ou telle action… Compte tenu de l'importance de la protection de la santé et de la sécurité sanitaire, il est essentiel que cette compétence appartienne aux services de l'État et qu'ils disposent des moyens de l'exercer.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il y a aussi des risques dans l'industrie, où des vies peuvent être mises en danger. Les tests y sont faits comme il se doit, il y existe aussi une procédure de rappel pour la gestion de crise, etc. On y emploie des référentiels dans lesquels sont prévus tous les aspects à traiter et à communiquer. Le parallèle me semblait donc relativement facile entre les deux domaines, puisqu'il y a dans l'industrie des certifications conjointes, des suivis, des systèmes de certification ISO, des obligations NF, des obligations CE… On peut avoir des obligations sanitaires analogues. Et, du point de vue du fabricant, le millefeuille des procédures administratives n'est pas moins complexe à gérer. Un système de production est toujours un système de production, que son produit soit soumis à la norme NF ou à celles de l'alimentaire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez attiré notre attention sur le problème des sanctions. Avez-vous été mis au courant par les consommateurs du cas de cette petite commune de l'Isère, Saint-Just-de-Claix, où une laiterie de Lactalis nommée l'Étoile du Vercors fabrique du saint-marcellin ? Le groupe Lactalis a été condamné parce que cette entreprise déverse dans l'Isère du lait qui est dangereux, mais voilà des années que cela continue. En avez-vous entendu parler ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Personne n'est au courant, mais nous allons nous renseigner, même si ce sujet sort un peu du champ de notre enquête.

Permalien
Olivier Andrault, chargé de mission alimentaire et agriculture de l'UFC-Que Choisir

Je voudrais donner quelques éléments de réponse, si vous le permettez, concernant le parallèle que l'on tente d'établir entre productions industrielles, donc non alimentaires, et productions alimentaires. La volonté de faire évoluer la réglementation européenne sur l'hygiène vers une délégation de service des contrôles officiels existe depuis de nombreuses années. Le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), basé à Bruxelles, nous alerte régulièrement sur cette volonté de la Commission européenne de faire évoluer certains contrôles, qui aujourd'hui doivent obligatoirement être réalisés par les contrôleurs de l'État, vers une délégation à des services indépendants, à la demande notamment des États du Nord de l'Europe, plus particulièrement de l'Angleterre. L'origine de cette demande officielle est intéressante.

Peut-on imaginer une évolution vers ce type de contrôles, puisqu'une production industrielle, alimentaire ou pas, est toujours une production industrielle ?

Selon notre analyse, cela serait difficile, tout d'abord parce que le substrat même des produits alimentaires est un substrat vivant, donc évolutif et extrêmement complexe dans ses interactions, à la différence de beaucoup de substrats industriels. C'est particulièrement vrai des produits laitiers, qui sont des produits aqueux et constituent de ce fait un substrat idéal pour le développement bactériologique. Ils évoluent dans le temps – chose normale pour des produits alimentaires, à la différence de produits industriels –, et même dans un temps extrêmement court : le délai qui précède leur date limite de consommation n'est fréquemment que de quelques semaines.

Il y a d'autre part, pour des raisons historiques, une dérogation aux exigences réglementaires européennes en matière d'hygiène au bénéfice des petits fabricants, à cause de la complexité de l'analyse et de l'appréciation des risques, que Mme Jacquemart évoquait à l'instant. Les exigences de la réglementation européenne sont très complexes, mais on ne ferme pas pour autant les petits ateliers de fabrication sous prétexte qu'ils n'arrivent pas à digérer et à appliquer correctement la réglementation européenne. Ce déficit de connaissances était suppléé par les services de l'État au niveau local.

Autre exemple de dérogation : à la différence d'autres États européens, il n'est pas obligatoire ici d'avoir un haut niveau de formation en hygiène pour ouvrir un restaurant. Une toute nouvelle obligation réglementaire française sur l'eau vient d'entrer en application. Elle accroîtra le niveau de formation à l'hygiène, mais il suffira qu'un seul des membres du personnel d'un restaurant ait reçu cette formation pour que l'on considère que l'établissement est en conformité avec la réglementation.

Il y a donc des raisons technologiques et historiques qui font de la fabrication et de la fourniture de produits alimentaires un domaine malheureusement assez complexe, un peu sensible, et qui justifient que les services de l'État suppléent de possibles défauts d'expertise.

Parmi les nombreuses thématiques que nous n'avons pas eu le temps de traiter en détail, celle des procédures de retrait a fait l'objet d'une question explicite. Le groupe de travail du CNC vient de commencer ses travaux et devrait normalement, selon l'agenda prévu, les achever à la fin de ce semestre. Il serait donc très intéressant, si votre calendrier vous le permet, d'examiner ce qui sera proposé à ce moment-là. On peut cependant indiquer d'ores et déjà que, sur la question des codes-barres, qui aujourd'hui ne permettent pas d'identifier un lot mais uniquement une référence, il est prévu d'auditionner l'entreprise qui génère ces codes. Car il semble y avoir des pistes pour les faire évoluer de manière à ce qu'ils identifient désormais les lots. Tels sont les éléments évoqués à ce stade. Ce serait une piste très importante.

Un deuxième axe de travail du CNC concerne les modalités d'information du consommateur, tout d'abord sur les lieux de vente. Il s'agit en effet de trouver le moyen d'identifier les consommateurs qui ont probablement encore dans leurs placards ou leurs réfrigérateurs ces produits potentiellement dangereux. Les lieux de vente sont pour cela un endroit fondamental. Or il n'existe pas, à ce stade, d'obligation formelle quant aux modalités d'information du consommateur. Elle peut très bien être assurée, comme le font certaines enseignes de manière extrêmement proactive, au moyen de grands placards placés à l'entrée du magasin, voire dans le rayon lui-même, puisque l'on sait que c'est aussi un moyen d'attirer le consommateur. Dans d'autres cas, c'est tout simplement un bordereau qui est scotché quelque part. Il est donc nécessaire d'instaurer une obligation de moyens, et non plus de résultat, qui s'applique de la même manière à toutes les enseignes.

Il faut enfin créer, comme on l'a évoqué rapidement, un site d'information unique pour les consommateurs, au niveau national, afin qu'ils n'hésitent plus entre le site du ministère de l'agriculture et celui du ministère de la santé – c'est, on l'a dit, un problème récurrent.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Avant de donner la parole à Mme Jacquemart pour un tout petit mot, je remercie l'ensemble des commissaires présents : l'agenda de l'Assemblée nationale est absolument surchargé en ce moment, on termine à deux heures du matin et on redémarre le lendemain. Merci à tous d'être là.

Permalien
Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch

Merci à tous, en effet. Je viens simplement de me rendre compte que nous n'avons pas répondu à l'une de vos questions, très précise, sur l'avancement des plaintes et du processus de la justice. Nous attendons en fait toujours la nomination d'un juge d'instruction, plusieurs plaintes ayant été déposées auprès du pôle Santé publique du parquet de Paris. Je ne vous cache pas qu'une certaine impatience commence à se faire sentir, notamment de la part des parents qui ont porté plainte, des consommateurs, et de notre côté aussi.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Si personne n'a d'autres questions, je voudrais en poser deux, très rapidement. Sur le point de vue européen, d'abord, dont nous avons parlé hier, j'ai évoqué le fait que l'alerte épidémiologique avait été lancée par les services français. Or près d'un tiers des produits incriminés ont été envoyés à l'étranger. Deux cas ont été identifiés en Espagne, un en Grèce. Quoi que l'on en dise, je doute qu'il y ait eu aussi peu de cas dans ces deux pays. Est-ce que cela ne témoigne pas du fait que l'alerte a été plutôt efficace en France ? Vos associations étant européennes, considérez-vous que les mesures prises dans d'autres pays sont inférieures aux nôtres, que des choses y passent « sous le radar » ?

Enfin, s'il y a manifestement un millefeuille de l'État, qu'en est-il de vos associations de consommateurs, comment s'entendent-t-elles ? Vos actions sont-elles convergentes, ou y a-t-il là un autre millefeuilles ?

Permalien
Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch

Votre première question soulève un point essentiel dont nous n'avons pas eu le temps de parler. En effet, 86 pays sont concernés. Le problème se pose donc pour l'Europe, mais aussi pour beaucoup d'autres pays, y compris africains. La question reste entière de savoir ce qui s'est passé dans ces pays où aucun cas n'a été recensé. Des efforts de détection ont-ils été faits? L'information est-elle bien passée auprès de tous les consommateurs ? La question se pose pour un certain nombre de pays.

Lactalis a-t-il détruit tous les produits incriminés, y compris ceux qui avaient peut-être déjà été envoyés à l'étranger ? Comment s'y est-on pris ? Les développements de cette crise à l'étranger restent une zone d'ombre totale. Les alertes, on le sait, sont passées par le RASFF (Rapid Alert System for Food and Feed), le système d'alerte européen. Malgré quelques moments de flottement – notamment lorsque M. Besnier a déclaré, dans un entretien au Journal du dimanche en janvier, que 83 pays étaient concernés alors qu'il n'y en avait que 66 sur la liste de l'alerte européenne du RASFF –, il a bien fonctionné, et l'on sait que l'alerte est passée. Mais on ne sait rien de ce qui a été mis en oeuvre à sa suite, et le nombre des cas recensés pose vraiment question.

Quant à la collaboration des associations de consommateurs, elle se passe très bien, merci Monsieur le président. Nous sommes en contact régulier avec l'association des victimes et son président Quentin Guillemain, et en contact très régulier entre nous. Nous coordonnons également nos efforts avec d'autres associations, sur d'autres thèmes, comme celui de l'environnement, et beaucoup d'autres. Cette coordination s'opère notamment autour de la plateforme des ONG, qui en réunit plus de cinquante dans le cadre des états généraux de l'alimentation. Nous nous concertons et, dans l'intérêt général, nous nous efforçons de faire avancer les choses dans le même sens.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci. Comme il doit être très rare que l'on vous pose la question, j'ai profité de l'occasion.

Permalien
Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch

Il est vrai que ce n'est pas un exercice facile. La question était donc pertinente et il est très important que nous fassions ces efforts.

Permalien
Olivier Andrault, chargé de mission alimentaire et agriculture de l'UFC-Que Choisir

Je voudrais revenir à la comparaison entre pays européens en rappelant une autre alerte sanitaire, celle du fipronil. Vous avez eu raison d'aborder la dimension européenne, elle est fondamentale. Imaginez qu'il y ait eu un problème de cet ordre, touchant des produits pour bébés, dans un autre pays européen, et croisons-le avec la problématique du fipronil.

Cette alerte-là, il faut le souligner, a été très bien gérée par les autorités françaises. En revanche, les autorités néerlandaises ont manqué à la transparence et à la solidarité avec leurs homologues : les autorités belges et françaises n'ont été averties du problème qu'à l'été 2017, alors que les autorités sanitaires néerlandaises avaient l'information depuis plusieurs mois. Imaginez le gain de temps qui aurait été possible si les autorités néerlandaises avaient informé immédiatement l'ensemble des autorités sanitaires homologues de l'Union européenne, chose qu'elles n'ont pas faite. Ce point pour attirer votre attention sur un déficit marqué et répété de transparence des informations et de coordination immédiate des différentes agences sanitaires nationales de l'Union européenne.

Permalien
Wendy Si Hassen, chargée de mission alimentation à la CLCV

Effectivement, au niveau européen, on a eu plus d'informations sur ce qui s'est passé en matière de communication auprès des consommateurs. Quant au groupe du CNC, il est prévu par notre programme de réflexion d'analyser ce qui peut être amélioré dans les systèmes de rappel ou de retrait dans d'autres pays, ainsi que des retours d'expérience de certains retraits-rappels dans d'autres pays européens, afin d'émettre des recommandations pour améliorer ces procédures.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci à tous de la qualité de cette audition, nous avons bien avancé.

L'audition s'achève à seize heures.

——²——²——

Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 19 avril 2018 à 14 h 40

Présents. - M. Grégory Besson-Moreau, M. Christophe Di Pompeo, Mme Séverine Gipson, M. Christian Hutin, Mme Caroline Janvier, M. Michel Lauzzana, M. Richard Ramos, M. Arnaud Viala