Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Réunion du jeudi 29 mars 2018 à 9h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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L'audition débute à neuf heures.

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Je remercie nos trois invités de ce matin de nous consacrer ce temps de réflexion.

La mission d'information a été créée sur décision du Bureau de l'Assemblée nationale, à la demande du président de Rugy, à la suite du cyclone Irma, mais elle couvre l'ensemble du territoire national. Son but est d'examiner comment on anticipe ce genre d'événements, comment on gère la crise et, plus encore, comment on reconstruit, en s'attachant plus particulièrement aux zones littorales. Pour cela, nous avons décidé d'auditionner des intervenants venant du monde scientifique, les élus et les responsables de services, des ministères, qui conduisent ces politiques et qui les mettent en oeuvre sur le terrain ; les acteurs de la société civile, des entreprises et des associations pour connaître leur sentiment sur ces politiques publiques. Nous souhaitons étudier avec chacun de ces groupes des pistes d'amélioration.

Pour notre étude sur l'anticipation des événements, nous avons déjà reçu des représentants de Météo-France ainsi que du BRGM et d'autres organismes de recherche. Arrivant presque à la conclusion de notre mission, nous souhaiterions aborder de nouveau avec la direction de Météo-France ces trois sujets – anticiper, gérer, reconstruire – et bénéficier aussi de son retour d'expérience. En effet, il y a eu un avant et un après la tempête Xynthia ; il devra y avoir un avant et un après Irma, nous devrons tirer toutes les leçons de cette expérience pour pouvoir mieux anticiper, mieux gérer et mieux reconstruire.

Je vous donne la parole, Monsieur Lacave.

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Jean-Marc Lacave, président-directeur général de Météo-France

Nous allons essayer, tous les trois, de vous éclairer au mieux sur ces questions.

Permettez-moi d'abord de rappeler comment Météo-France exerce la mission d'assurer une sécurité météorologique que lui a confiée l'État. Son action s'articule, notamment en outre-mer, avec les structures qui existent dans les différentes régions du globe, dans le cadre de l'Organisation météorologique mondiale (OMM). Nous verrons ensuite comment sont assurées la vigilance, l'alerte et comment on peut essayer de progresser encore.

Le décret constitutif de Météo-France est très clair : c'est l'opérateur qui exerce les attributions de l'État en matière de sécurité météorologique des personnes et des biens. Il a pour mission de satisfaire les besoins des différents services en charge de la sécurité, en métropole et outre-mer, qu'il s'agisse de sécurité civile, de prévention des risques majeurs ou même de sûreté nucléaire. Pour cela, il doit leur fournir toutes les données nécessaires, observées mais aussi prévues en temps de crise, et il assure donc une veille permanente, sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ses personnels en poste dans différents territoires ont accès en temps réel aux données de l'observation météorologique, mais aussi aux prévisions effectuées en fonction de modèles de simulation. Cette présence permanente, qui fait la spécificité de Météo-France comme opérateur de l'État, le rend très opérationnel pour participer à la gestion de crise.

Il existe une « communauté » de la météorologie organisée dans l'OMM. À la demande de tous les États membres de cette organisation, il a été mis en place une organisation de veille sur les événements extrêmes et dans chaque grand bassin océanique un centre météorologique régional spécialisé (CMRS) a été désigné. Il en existe un certain nombre, dont un à Miami qui dépend du National Hurricane Center des États-Unis, et couvre les Antilles, un situé à Nadi aux îles Fidji pour le Pacifique Sud, et, pour l'océan Indien, le centre de Météo-France à La Réunion. Ces CMRS qui assurent une veille cyclonique permanente effectuent en quelque sorte un suivi et une prévision de premier niveau ; ils interagissent avec les services météorologiques dans leur région, mais n'empiètent pas sur les prérogatives propres de chaque pays. Ainsi, le NHC de Miami joue ce rôle de veille et interagit avec les services de Météo-France à la Martinique et en Guadeloupe pour affiner les précisions. Ceux-ci peuvent alors prendre le relais pour délivrer aux autorités de l'État et à la sécurité civile des données bénéficiant de cette expertise combinée. Notons que si ce système est intéressant pour nous car il permet de cumuler deux compétences, il l'est encore plus pour de petits États qui n'ont pas d'organisation météorologique comme la nôtre et s'en remettent pour l'essentiel aux données que le CMRS de Miami peut leur fournir. Météo-France ne se décharge pas sur le CMRS, lequel ne prend pas le pas sur nous : c'est la combinaison des deux sources qui améliore la qualité des données. De même, nos installations de La Réunion jouent le rôle de CMRS pour les services météorologiques des États de la région : nous les alimentons en données et ils prennent le relais.

Les performances de Météo-France sont liées à ses outils d'observation et à ses modèles. Nous avons besoin de simuler au mieux l'état de l'atmosphère et de l'océan, ce qui nécessite des données initiales et des modèles aussi parfaits que possible. La qualité de ceux-ci dépend de leur résolution en nombre de points. De ce point de vue, il existait un petit décalage entre la métropole et l'outre-mer. Nous essayons d'obtenir la même résolution, la plus fine, dans les deux cas pour l'atmosphère mais aussi pour les surcotes marines et les vagues. Nous essayons aussi de réduire la durée nécessaire pour établir une prévision. Une résolution très fine entraîne beaucoup de calculs et on ne peut guère obtenir de prévision à moins de 35 ou 36 heures. En cas de cyclone, il faut bien sûr anticiper le plus possible. Comme on voit le cyclone se former entre cinq et sept jours à l'avance, il faut pouvoir déjà faire des simulations. Météo-France est donc très engagée dans l'amélioration de ses outils d'observation et de modélisation pour anticiper le mieux possible ces phénomènes exceptionnels, qui ont souvent des conséquences dramatiques, que ce soit pour leur trajectoire, leur intensité, les phénomènes atmosphériques comme les vents et les pluies, mais aussi les vagues et les surcotes.

Météo-France fournit les informations, les synthétise, en permettant de les intégrer à l'action des responsables, en général les préfets, et informe le grand public par les médias. Il indique donc un état de vigilance, de la façon la plus accessible possible, pour que les uns prennent les mesures de gestion de crise et pour que le public adapte son comportement en fonction de la gravité de l'événement. Sur la base d'éléments scientifiques, nous faisons des communiqués de plusieurs types, dont le degré de vigilance annoncé est la traduction la plus accessible à tous. Anne Debar va vous décrire plus précisément comment on en arrive à la vigilance une fois le phénomène détecté.

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Anne Debar, directrice générale adjointe de Météo-France

Je reviendrai également ensuite sur les événements survenus aux Antilles l'année dernière.

Météo-France exerce une veille permanente. En amont, dès que nous détectons les signes d'un possible événement majeur, nous transmettons, en général sept jours avant, un bulletin de phénomène remarquable, aux autorités, en l'occurrence au centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC), sous la tutelle du ministère de l'intérieur, et à la cellule ministérielle de veille opérationnelle et d'alerte (CMVOA) au ministère en charge des transports, ainsi qu'aux préfectures. Puis, à partir de vingt-quatre heures avant l'échéance, nous sommes en état de mettre en oeuvre le dispositif de vigilance, sous forme d'une information unifiée, à la fois aux autorités en charge de la gestion de crise, au grand public et aux médias.

Ce dispositif a été mis en place en 2001 et a été régulièrement enrichi en tirant la leçon des événements. Il permet de publier deux cartes, l'une à six heures du matin et l'autre à seize heures, s'agissant de la métropole. Nous publions aussi d'autres cartes si nécessaire. En fonction de la couleur affectée à chaque département, le dispositif permet d'activer des mesures spécifiques. Le niveau de vigilance jaune ne signifie pas d'emblée que l'aléa sera grave, mais vise à inciter le grand public à prendre des dispositions s'agissant d'activités qui peuvent être sensibles à la météo. Les niveaux orange et rouge en revanche, déclenchent automatiquement des mesures de prévention et de protection de la part des autorités concernées, sécurité civile, préfectures, les centres opérationnels de zone (COZ), ou encore les mairies. En cas de vigilance rouge, Météo-France met en place sa propre cellule de crise qui est en relation permanente avec le ministère de l'intérieur, au niveau national et régional.

En outre-mer, le système de vigilance a des particularités locales, comme le suivi spécifique des saisons cycloniques. Nous pouvons détecter assez tôt une cyclogenèse, c'est-à-dire la naissance d'un cyclone, en liaison avec les CRMS, et nous pouvons diffuser un bulletin cyclonal cinq ou six jours avant l'événement. Puis, entre quarante-huit et soixante-douze heures, nous sommes en mesure de proposer à la préfecture de déclencher une préalerte, voire une alerte cyclonique. Lorsqu'un territoire est menacé, nous diffusons des bulletins et des cartes pour affiner la connaissance de l'intensité du cyclone, et de sa trajectoire, ce qui est le plus difficile.

Pour résumer, Météo-France va à la fois déclencher le dispositif d'information de l'ensemble des acteurs, c'est-à-dire les autorités mais aussi les populations, puis, lorsque l'événement est en cours, conseiller les autorités dans la gestion de crise.

Pour illustrer ce dispositif général, revenons sur les trois événements qui ont touché les Antilles, de façon très différente d'ailleurs, Irma, José et Maria.

S'agissant d'Irma, tempête dite « cap-verdienne » puisqu'elle s'est formée au large des îles du Cap-Vert, dès le 30 août il a été possible d'anticiper qu'elle deviendrait un événement majeur, sans pouvoir alors préciser ce que serait sa trajectoire de façon assez détaillée pour évaluer son impact sur les Antilles. Irma, à partir du 31 août, a faibli un peu et présenté une trajectoire assez atypique, dont on a constaté à partir du 4 septembre qu'elle menacerait directement les Antilles. On a alors émis un avis de vigilance cyclonique orange pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy. José était une structure plus petite et il est passé à une certaine distance de la Guadeloupe et la Martinique, engendrant des pluies plutôt que des destructions.

Maria était un cyclone dit « barbadien », dont les caractéristiques et la trajectoire sont très différents et qui n'atteignent pas forcément le stade d'ouragan majeur. Son évolution a surpris le CMRS de Miami et nos services aux Antilles. Lorsqu'on l'a détecté, on lui attribuait une intensité assez faible. La menace a été réévaluée régulièrement, mais les experts ne s'attendaient pas à cette tournure explosive, et au passage en catégorie 5, à proximité de l'arc antillais, qui a provoqué des dommages importants en Martinique et surtout en Guadeloupe.

Ce que ces événements nous enseignent est que, si Météo-France a, ces dernières années, affiné la qualité des prévisions, tant sur l'intensité que sur la trajectoire, il faut encore progresser dans cette voie. Les phénomènes cycloniques sont extrêmement complexes et sujets à des dynamiques de petite échelle dans l'oeil du cyclone et à des interactions avec l'océan, comme les chercheurs que vous avez auditionnés ont pu vous l'expliquer. Il reste donc de grandes incertitudes non pour les détecter – on le fait très en amont – mais pour anticiper leur trajectoire et leur intensité. Nous avons, comme le disait M. Lacave, une marge de progression notamment grâce au développement de la puissance de calcul.

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Jean-Marc Lacave, président-directeur général de Météo-France

Il y a encore une quinzaine d'années, avec les moyens dont on disposait alors, le cyclone Irma n'aurait pas pu être anticipé de la même façon. La communauté météorologique aux États-Unis, en France, au centre européen a donc fait des progrès réels. Mais les phénomènes restent complexes et il faut disposer d'une modélisation très fine pour voir comment les choses se passent dans l'oeil du cyclone et quelle est l'interaction entre l'océan et l'atmosphère. Pour l'heure, c'est encore en dehors des compétences de la plupart des services de météorologie. Le progrès se fera à mesure que les capacités de modélisation et de calcul augmenteront. Il faut, et j'y insiste, que Météo-France franchisse un nouveau palier, car nous ne pouvons pas espérer de progrès scientifique si les capacités de calcul et de HPC – l'informatique hautes performances – ne progressent pas aussi. Américains, Anglais, Allemands, Japonais et Chinois se sont lancés dans la course. La France, qui a tant de territoires outre-mer, ne peut pas se permettre de ne pas disposer des mêmes outils. Or le raisonnement tenu reste souvent trop hexagonal ; il doit inclure les besoins, si sensibles, des outre-mer.

Un autre aspect que je tiens à souligner, c'est la nécessaire articulation entre les acteurs. Elle reste compliquée mais doit être la meilleure possible. Nous, les scientifiques, apportons les informations et indiquons ce que nous pressentons pouvoir survenir, à ceux qui vont gérer la crise elle-même et la sécurité. Il est de notre devoir d'apporter le plus tôt possible l'information la plus fiable et de la rendre accessible pour qu'un préfet puisse déclencher l'alerte et mobiliser les services et les collectivités de la manière la plus efficace. On peut toujours progresser dans la transmission et l'appropriation des informations par les services en charge de gérer la crise. On l'a vu pour Irma. Gérer la crise, prendre des décisions, et devoir anticiper les événements engendre forcément un certain stress. Pour le dire très simplement, le responsable en face de vous insiste pour qu'on lui explique bien de quoi on parle, sur un fond d'informations qui s'entrecroisent – d'un côté on parle surtout des vagues, de l'autre de pluies, ailleurs encore de glissements de terrain. Au moment où la crise survient, la coordination entre acteurs, la synthèse des informations, leur appropriation doivent être à même de se traduire en mode opérationnel. Avec le COGIC ou la direction générale de la sécurité civile (DGSC), nous ne cessons de travailler pour assurer un continuum dans les conditions les plus simples. C'est d'autant moins facile outre-mer qu'il faut compter avec le décalage horaire, le fait que les plus experts sont souvent sur place quand des décisions doivent être prises en métropole, en appui des forces locales. Les retours d'expérience sont très utiles pour progresser.

Avec les collectivités, avec les services de l'État, nous avons l'habitude de travailler. Avec les médias, donc le grand public, la relation n'est pas parfaite. C'est pourquoi nous avons pris l'habitude d'interroger des échantillons de la société civile – associations, entreprises – pour savoir comment ils nous comprennent lorsque nous faisons un bulletin de suivi, nous déclenchons une vigilance, et lorsque nous tweetons aussi, car les outils d'information se multiplient : c'était le fax il y a dix ans ! Nous tenons vraiment à ce qu'il n'y ait aucune ambiguïté pendant la crise, et c'est difficile. Nous essayons d'« ajuster le tir » au mieux, en choisissant la couleur orange ou la couleur rouge, mais si nous en faisons trop, on ne nous croit plus, et si nous n'en faisons pas assez, on nous le reproche…

Notre travail consiste à être à la fois irréprochables scientifiquement et aussi professionnels que possible. Et pour cela, il ne suffit pas de bien connaître les phénomènes météo, mais aussi d'estimer leur véritable impact. En 2015, des pluies torrentielles ont fait une vingtaine de morts dans la zone de Cannes et Nice : si elles étaient tombées cinq kilomètres plus loin, l'impact n'aurait pas du tout été le même. Il faut conjuguer le phénomène et l'état des sols, les vulnérabilités propres au territoire concerné. La même vague de submersion n'a pas du tout le même impact dans le nord de la Bretagne et sur la côte landaise. Cela peut sembler une évidence, mais pour définir un niveau de vigilance, nous avons besoin de connaître à la fois ce qu'est le phénomène et ce qu'est le territoire. Dans ce domaine, il y a une marge de progrès permanent.

Pour me résumer, il faut décider ce qu'est le bon niveau de vigilance – jaune, orange ou rouge – et voir aussi la façon dont les populations comprennent la nature du danger. Anticipant l'événement, elles vont parfois à l'école chercher leurs enfants – souvent, ce sont les maires qui en décident – ou décident de sortir leur voiture du garage – ce qui, à Cannes, a provoqué un certain nombre de morts. Dans ce domaine, on n'a jamais fini de progresser, et il le faut pour améliorer la sécurité. Cela met en jeu la science, bien sûr, ensuite la connaissance des fragilités du territoire, enfin la communication, dans un ordre cohérent entre services de l'État et autorités qui prennent les décisions de gestion de crise, et de la façon la plus compréhensible possible vers les médias et le grand public. Il faut savoir qu'il y a environ soixante-dix cas de vigilance orange ou rouge par an, soit un événement et demi par semaine. C'est en quelque sorte notre quotidien. Chaque jour, avec la Sécurité civile, nous faisons le point sur les événements des semaines précédentes pour en tirer les leçons pour notre chaîne de travail.

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Anne Debar, directrice générale adjointe de Météo-France

J'ajoute que le dispositif de vigilance fait l'objet d'un comité de suivi interministériel qui se réunit régulièrement et que chaque événement donne lieu à un retour d'expérience pour déceler des pistes d'amélioration. Dans ce comité, nous travaillons notamment avec la DGSC et la direction générale de la prévention des risques (DGPR), mais aussi avec le ministère de la santé pour les canicules ou les périodes de grand froid. Nous avons deux pistes de travail.

La première est d'examiner en permanence comment la vigilance est perçue par les acteurs pour éviter la confusion entre vigilance et prévision, ainsi qu'avec le dispositif d'alerte qui se met en place quand les acteurs de sécurité prennent des décisions. Ainsi, nous sommes en train de refondre sur notre site internet la présentation du dispositif de vigilance, qui date déjà de 2001. Nos enquêtes auprès des médias, du public, des maires, ont montré que le site s'est beaucoup enrichi, mais au détriment de la lisibilité immédiate. Il comporte beaucoup de textes alors qu'il faudrait plus de visuels. Nous sommes en train de l'épurer en mettant à disposition, par exemple, des pictogrammes sur les comportements à adopter plutôt que de longs développements.

La seconde piste de travail du comité de pilotage est d'améliorer l'articulation entre les différentes expertises des opérateurs. Ainsi en 2011, en étroite collaboration avec le SHOM, le service hydrographique et océanographique de la Marine et le Centre d'études et d'expertise pour les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), nous avons développé un nouveau dispositif de vigilance « vagues-submersion » (VVS) grâce au fait que nos trois organismes ont des réseaux de mesures côtiers qui sont complémentaires. Cela s'est fait dans un premier temps en métropole, et nous sommes en train d'adapter cette VVS à l'outre-mer. Un autre exemple est la mise en place des référents départementaux inondation, dont la DGPR vous a parlé. Nous travaillons à les former, à utiliser tous les outils à leur disposition – comme pour les préfectures et les services techniques de l'État – pour conseiller les préfets dans le cadre de la connaissance des risques météorologiques sur le littoral.

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Je vous remercie pour ces premiers éléments de réponse. Leur richesse même montre qu'il existe une perpétuelle remise en question et la volonté de tirer les leçons de l'expérience. Nous avons bien conscience que ce n'est pas facile, car vous travaillez sur des phénomènes qui ne sont pas pleinement connus.

Je donne maintenant la parole à M. Mathiasin, député de Guadeloupe.

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Député de la troisième circonscription de Guadeloupe et habitant Deshaies, au nord de la Basse-Terre, je suis bien placé pour connaître les phénomènes cycloniques sous leurs différentes formes. Certaines fois, le danger vient seulement de la mer. Ainsi, il y a quelques années, un petit village traditionnel, Ferry, a été surpris une nuit par la vague et emporté. Une opération de sauvetage toute la nuit a permis de mettre la population à l'abri et il n'y a pas eu de victime, mais voilà l'exemple d'un phénomène que l'on n'avait pas prévu et dont l'impact a été fort et a changé la physionomie du village. D'autres fois, c'est le vent qui arrive brusquement sans qu'on ait anticipé la violence du phénomène.

Je voudrais donc savoir s'il y a des moments où Météo-France s'est trompé, notamment dans les Antilles françaises, et quelle est sa marge d'erreur.

En second lieu, avez-vous les moyens, comme les États-Unis le font, d'aller dans l'oeil du cyclone pour photographier ce qui s'y passe ?

Ensuite, pourquoi avoir abandonné l'ancien système d'alerte – un classement 1, 2, 3, 4 – que la population comprenait très bien ? On savait qu'il ne fallait pas sortir, colmater les maisons, mettre en place des sacs de sable. On utilise les alertes de couleur depuis un certain temps, mais il y a encore beaucoup de pédagogie à faire à ce sujet. Ainsi, une alerte jaune peut avertir d'une forte houle, mais ce peut être aussi pour le vent. Il y a donc une confusion entre les deux, et les gens ne parviennent pas à faire la distinction.

Enfin, il arrive de temps à autre sur les Antilles un vent du Sahara qui recouvre tout de poussière, avec des conséquences sanitaires sur le système respiratoire et les allergies. Météo-France s'occupe-t-elle aussi de l'anticipation de ce phénomène ?

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Jean-Marc Lacave, président-directeur général de Météo-France

Oui, monsieur le député, nous nous sommes souvent trompés et nous nous tromperons encore. C'est que notre science porte sur des phénomènes complexes, parfois imprévisibles, chaotiques. Nos efforts visent à réduire l'incertitude, non à établir de façon infaillible ce qui va se passer. Tel est l'état de l'art dans le monde, et, sans fausse modestie, Météo-France se classe dans les cinq services météorologiques les plus performants. Aucun autre d'ailleurs ne prétendrait ne jamais se tromper.

Certes, plus on s'approche de l'événement, plus on réduit l'incertitude. Notre problème est donc de fournir la meilleure anticipation, dans les meilleurs délais pour mobiliser les services de sécurité. En métropole, on estime qu'un délai de vingt-quatre heures suffit. On a bien vu, à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, que vingt-quatre heures, ce n'était pas suffisant. L'avantage d'un cyclone, si l'on peut dire, c'est qu'on le détecte longtemps à l'avance. Mais actuellement aucun service météorologique au monde ne peut prévoir de façon maîtrisée sa trajectoire et son intensité. En combinant toutes les données numériques fournies grâce à la modélisation américaine, européenne et la nôtre propre, l'expert humain donnera le meilleur conseil. En effet, sur ces événements extrêmes, on ne peut pas encore se passer de l'expérience et du savoir-faire des gens qui se trouvent sur place.

Pour notre part, nous n'avons pas les moyens de pénétrer dans l'oeil du cyclone. C'est tout l'intérêt du CRMS de Miami que d'éviter un suréquipement, chacun essayant de se doter de ces moyens, et, selon le principe de base de l'OMM, de faire bénéficier tous les membres des informations sans aucune retenue.

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Vous confirmez bien que toutes les données recueillies par différents partenaires sont disponibles pour tous les pays du monde et partagées au moment même où l'événement se produit ?

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Jean-Marc Lacave, président-directeur général de Météo-France

Absolument.

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François Lalaurette, directeur des opérations de Météo-France pour la prévision

Non seulement ces informations sont partagées entre les experts, mais elles le sont en temps réel et certaines d'entre elles peuvent être assimilées à des prévisions. Les avions des États-Unis ne prennent pas seulement des photographies, ils envoient des sondes qui prennent des mesures précises dans l'oeil du cyclone, notamment sur la force des rafales de vent. Ces données sont mises à la disposition de tous dans un véritable esprit de coopération scientifique. M. Mathiasin a dit combien les aléas de vagues et l'état de la mer sont importants pour les îles. Par son décret constitutif, Météo France est aussi en charge de la surveillance de l'océan superficiel. Dans ce cadre, nous avons développé, notamment avec le service hydrologique et océanologique de la Marine (SHOM) et la DGPR, des modélisations en particulier sur la submersion rapide, et le projet « Homonyme » qui nous a permis de renforcer nos capacités de modélisation des vagues à proximité du littoral et des surcotes, qui sont des éléments importants au passage des cyclones. Depuis dix-huit mois, les efforts se sont accélérés et nous avons réussi à déployer une modélisation non seulement pour l'atmosphère, mais aussi pour les états de la mer. Nous commençons donc à disposer d'éléments plus pertinents y compris pour les vagues de submersion.

La modélisation est un élément clé de l'anticipation. Mais pour valider les modèles, on a besoin également de vérifications et de mesures sur le terrain. Le déploiement de marégraphes et d'houlographes dont donc se poursuivre.

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On nous a signalé un manque de ces matériels, houlographes et marégraphes. À la Guadeloupe, le manque d'anémomètres a créé des difficultés pour de nombreux agriculteurs au moment de la déclaration de l'état de catastrophe naturelle. Deux houlographes devraient être livrés cette année. Cela représente beaucoup d'argent, certes. Confirmez-vous la montée en puissance des équipements ? Leur absence a-t-elle été un frein à la prévision ? Les nouveaux équipements vont-ils concourir à une amélioration de la prévision de phénomènes comme Irma ?

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François Lalaurette, directeur des opérations de Météo-France pour la prévision

L'acquisition des houlographes figure dans le contrat d'objectifs et de moyens de Météo-France. Le déploiement des nouveaux outils est en cours, nous sommes dans la phase d'acquisition et ils ne sont donc pas encore là. Je ne peux m'engager sur le délai.

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Jean-Marc Lacave, président-directeur général de Météo-France

Effectivement, plus les données de l'observation arrivent en temps réel, mieux on peut simuler. Le déploiement de ces équipements est prévu dans notre contrat d'objectifs et de performances 2017-2021. Nous attendons le feu vert pour le financement, qui se fait avec la DGPR. Cela va se faire, mais nous ne sommes pas encore dans le processus d'acquisition. Chaque année, cela dépend de la mobilisation budgétaire de la DGPR.

Acquérir des radars, houlographes, marégraphes, qui permettent de mieux connaître la situation en temps réel améliore la simulation. Nous réalisons les prévisions avec l'équipement disponible, et nous en avons : outre les radars, des satellites renseignent sur l'état de l'atmosphère et la hauteur d'eau de façon très fine. Il faut optimiser la combinaison de ces données, car on ne peut financer à l'infini. Il faut donc savoir combien d'équipements il faut en plus, et où les localiser au mieux. Pour les Antilles, les deux houlographes en projet devraient nous permettre de disposer de l'équipement adéquat.

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Anne Debar, directrice générale adjointe de Météo-France

Une des difficultés dans le processus de vigilance est que si plusieurs paramètres sont en jeu, la couleur qui apparaît est celle qui correspond au danger le plus élevé. Le retour d'expérience des Antilles a conduit à faire évoluer le bulletin de suivi pour distinguer les couleurs paramètre par paramètre.

Dans le cadre de notre contrat d'objectifs et de performances 2017-2021, nous avons deux projets majeurs : donner des informations de vigilance au niveau infradépartemental et élargir le dispositif pour couvrir non plus vingt-quatre, mais quarante-huit heures. L'autre grand domaine de progression consiste à disposer de plus en plus d'informations sur la vulnérabilité des territoires. Aujourd'hui déjà on en tient compte, territoire par territoire, pour adapter les seuils de vigilance. À l'évidence, on n'aura pas la même couleur de vigilance sur la neige dans une grande agglomération selon que les chutes se produisent ou non au moment des mouvements pendulaires de transport. Pour progresser, nous partageons avec la sécurité civile les projets de développement de systèmes d'informations géographiques afin de partager avec tous les acteurs nationaux les informations sur les risques et les moyens disponibles. Nous allons leur fournir des informations sur les couches météorologiques et en retour nous aurons de meilleures informations sur la vulnérabilité des territoires, afin de travailler de façon plus pertinente.

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Jean-Marc Lacave, président-directeur général de Météo-France

S'agissant des vents de sable, nous voyons bien leur progression grâce à l'observation par satellite. Mais en effet, ce n'est pas un élément pris en compte pour la vigilance, et on doit pourvoir mettre en place un dispositif pour anticiper et communiquer sur le phénomène mieux qu'on ne le fait aujourd'hui.

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Je tiens à vous alerter à mon tour sur une observation qu'a faite M. Mathiasin : lors de notre mission aux Antilles, le contact avec tous les publics a montré qu'il existait une confusion sur les alertes, les codes couleur, les messages sur les différents types d'aléas. Il est donc nécessaire de rendre plus cohérent et peut-être de simplifier le message pour le rendre plus clair. Dans le stress, l'anxiété que génère l'événement, les populations ont des réactions qui peuvent mettre leur vie en danger. Avez-vous l'intention, pour la prochaine saison cyclonique qui arrive bientôt, de simplifier votre message ?

S'agissant des équipements, nous en avons parlé, mais j'insiste sur la question des anémomètres à la Guadeloupe. Les élus y tiennent particulièrement, car beaucoup d'agriculteurs ont eu du mal à être indemnisés à cause de cela.

Par ailleurs, je souhaiterais avoir votre sentiment sur les relations entre Météo-France et les médias, et sur sa capacité à communiquer au moment de la crise, tout en sachant que des difficultés se posent dans ces territoires d'outre-mer. Je pense en particulier aux codes couleur.

Enfin, j'ai noté votre volonté de coordonner les moyens et de les mettre en commun. L'investissement est en effet important. Mais on oublie souvent le fonctionnement – pas seulement aux Antilles. Notre mission couvre tout le territoire, et non les outre-mer. Pourriez-vous nous transmettre le plan pluriannuel d'investissement (PPI) afin d'améliorer l'équipement des zones particulièrement vulnérables ? Finalement, on est constamment en période d'alerte, puisque la saison cyclonique se termine dans l'hémisphère sud et va commencer dans un mois ou deux dans l'hémisphère nord. Cela ne nécessiterait-il pas une task force dédiée à ces situations dans nos territoires ?

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Jean-Marc Lacave, président-directeur général de Météo-France

Je vous remercie d'avoir ainsi souligné les vrais enjeux.

S'agissant de la confusion que peut engendrer notre dispositif, je dirai qu'il s'améliore en permanence, mais n'a pas encore atteint le stade de la maturité. Les acteurs clés sont Météo-France, la DGSC, auxquels s'ajoute la direction générale des outre-mer (DGOM), en raison des particularités institutionnelles qui font que la Nouvelle-Calédonie est différente des Antilles et de la Guyane. Sur la base du retour d'expérience, ces trois acteurs doivent mieux se coordonner et rendre plus claire l'information sur les alertes – par le code couleur ou un système de niveaux d'alerte.

Pour les médias, je regrette que le message de Météo-France, qui a l'expertise officielle, soit pollué par nombre d'informations diffusées par des intervenants qui n'ont ni expertise scientifique ni légitimité quelconque pour le faire. On n'a pas besoin qu'ils ajoutent à la confusion lorsqu'un événement majeur se produit.

Quant aux équipements, vous avez parfaitement raison, il faut toujours avoir à l'esprit que l'investissement signifie ensuite un coût de fonctionnement. C'est aussi pourquoi nous ne demandons pas trop d'équipements, car lorsqu'on a un nouvel houlographe, c'est à nous de le faire fonctionner, ce qui nécessite et un budget et des hommes. Et outre-mer – vous le savez bien pour la Polynésie – ce coût de fonctionnement peut être élevé.

Je ne sais pas s'il faut parler de task force dédiée. En tout cas, au début de toute saison cyclonique, nous nous voyons, avec la sécurité civile, pour nous assurer que nous avons la même perception de ce que la saison peut être, que les rouages sont bien huilés. C'est un processus continu, et finalement la confiance et la solidarité sont le gage de notre efficacité collective.

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Je vous remercie de toutes ces informations. N'hésitez pas à nous envoyer des documents complémentaires. Nous-mêmes vous demanderons peut-être quelques éclaircissements, notamment sur le PPI et la répartition des investissements, au plan national et outre-mer.

L'audition s'achève à dix heures dix.

Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 29 mars 2018 à 9 heures

Présent. - Mme Maina Sage

Excusés. - M. Christophe Bouillon, M. Bertrand Bouyx, M. Stéphane Claireaux, M. Yannick Haury, Mme Sandrine Josso, M. Philippe Michel-Kleisbauer

Assistait également à la réunion. - M. Max Mathiasin