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Florian Bachelier
Question N° 42689 au Ministère auprès du ministre de l’économie


Question soumise le 23 novembre 2021

M. Florian Bachelier attire l'attention de M. le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics sur une configuration qui se présente régulièrement à l'issue d'un contrôle fiscal. L'administration remet en cause l'équilibre d'une relation contractuelle, estimant que la facturation d'une entreprise vers une autre entité du même groupe français, serait excessive. Elle rejette donc la déductibilité d'une partie de la charge correspondante, générant un redressement à l'impôt sur les sociétés. De son côté, la société émettrice des factures litigieuses a inclus leur entier montant dans sa comptabilité et intégralement payé l'impôt sur les sociétés correspondant. Ce type de redressement conduit à ce que le Trésor public perçoive l'impôt sur la même somme auprès des deux entreprises concernées et plus exactement sur le produit constaté par l'entité facturante et, lors du rejet de la déduction d'une partie de la charge, chez l'entité facturée. L'administration fiscale estime que les articles 109 et suivants du code général des impôts feraient obstacle à la mise en place d'un règlement d'ensemble destiné à effacer ce doublon. Il en irait de même du fait que la société mère a facturé et encaissé la somme litigieuse. La circonstance qu'à l'occasion de précédents contrôles fiscaux, pour des années antérieures à l'entrée en vigueur de la loi ESSOC n° 2018-727 du 10 août 2008, l'équilibre des relations financières entre les deux sociétés n'ait pas été discuté, ne justifierait pas davantage, selon l'administration, la mise en place d'un règlement d'ensemble. Dans l'exemple qui motive la question, les sommes en cause ont pourtant été réinvesties pour conforter l'outil industriel du groupe, de telle sorte que la position de l'administration fiscale déstabilise le groupe français concerné, dont la bonne foi n'est pas discutée. Il lui demande si dans une telle configuration où une même somme est d'un côté imposée et de l'autre non déductible, l'administration peut s'engager dans un règlement fiscal d'ensemble.

Réponse émise le 1er février 2022

Le redressement mentionné, consistant à rejeter en partie une charge au motif que le prix facturé est excessif, repose sur la notion jurisprudentielle d'acte anormal de gestion. Il ne découle pas d'une position de l'administration fiscale mais de l'état de la législation et de la jurisprudence administrative. En vertu d'une jurisprudence constante du Conseil d'État, « un acte anormal de gestion est celui qui est accompli dans l'intérêt d'un tiers par rapport à l'entreprise ou qui n'apporte à cette entreprise qu'un intérêt minime hors de proportion avec l'avantage que le tiers peut en retirer » (conclusions rendues sous la décision du Conseil d'État du 27 juillet 1984, n° 34588). Le Conseil d'État a récemment synthétisé les critères de définition de l'acte anormal de gestion dans une décision de son Assemblée plénière du 21 décembre 2018, Société Croë Suisse (n° 402006) : « Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. » Le domaine de l'acte anormal de gestion comprend ainsi toute forme d'avantage ou d'aide accordé à des tiers sans contrepartie équivalente pour l'entreprise (achats à prix majoré, ventes à prix minoré, abandons de créances sans contrepartie …). En outre, le caractère normal des charges supportées par une entreprise s'apprécie au regard de son seul intérêt propre : la jurisprudence ne reconnaît pas l'existence d'un intérêt de groupe pour justifier du caractère normal d'un prix. Ainsi la normalité du prix des transactions entre entreprises liées s'apprécie par référence aux prix de marché pratiqués par des entreprises qui n'ont pas de lien de dépendance capitalistique entre elles. Il est souligné que cette règle est la même, sur le plan des principes, que celle à l'origine du contrôle des prix de transfert au sein d'un groupe multinational. Le contrôle des prix de transfert est lui-même indispensable pour s'assurer que les groupes n'organisent pas des transferts de base imposable de manière artificielle pour soustraire de la base imposable dans les Etats où la valeur est créée au profit de sa localisation dans des juridictions à faible imposition. Il ne paraît pas cohérent que ce principe ne s'applique que dans l'ordre international. S'agissant de la charge de la preuve, il appartient à l'administration d'établir le caractère excessif des prix pratiqués entre deux sociétés d'un groupe économique par rapport aux prix de marché des transactions comparables. Il est précisé que l'administration de la preuve n'est jamais un exercice simple car le prix de marché est rarement une valeur unique, il est compris dans une fourchette. En pratique, le redressement d'un acte anormal de gestion en matière de transactions commerciales n'est motivé que si l'administration a pu apporter la preuve d'un écart significativement suffisant du prix pratiqué entre deux entreprises liées par rapport aux prix de marché. Ensuite, le fait que les sommes litigieuses fassent l'objet d'une imposition au niveau de la société bénéficiaire est sans incidence sur la remise en cause de leur déductibilité au niveau de la société versante dès lors que l'administration établit leur caractère anormal au regard de l'intérêt de cette dernière. Par ailleurs, il n'existe pas de corrélation systématique entre la déductibilité d'une charge chez l'entreprise versante et l'imposition de la somme correspondante chez l'entreprise qui la perçoit. Par exemple, en application de la loi, ne sont pas en principe déductibles du résultat imposable les dépenses à caractère somptuaire ou les aides autres qu'à caractère commercial, cela même si leur intérêt pour l'entreprise supportant la charge n'est pas contesté par l'administration et même si les sommes en cause sont prises en compte dans le résultat imposable de l'autre entreprise, partie à l'opération. La théorie de l'acte anormal de gestion a pour objet de faire « obstacle à ce qu'en disposant artificiellement de sa matière imposable, une entreprise s'émancipe indûment du niveau d'imposition correspondant à ce que devrait être ses capacités contributives et modifie la répartition de la charge fiscale entre les contribuables » (conclusions rendues sous la décision du Conseil d'État du 21 décembre 2018, n° 402006). La fraction du versement considérée comme excessive est susceptible de constituer une libéralité assimilable à des revenus distribués au sens des articles 109 et suivants du code général des impôts, taxable au niveau de l'entité bénéficiaire. Dans cette hypothèse, la double imposition économique relevée dans la question est expressément prévue par la loi. Il en est ainsi de tout bénéfice imposable qui présente le caractère de revenu distribué. S'agissant de la détermination du montant redressé, la loi interdit à l'administration de modérer les droits dus au regard de la loi lorsque les conditions d'une remise gracieuse ne sont pas remplies. Une telle remise suppose en particulier une incapacité de payer de l'entreprise. En revanche, la détermination du juste prix de transaction fait nécessairement l'objet d'un dialogue avec l'entreprise dans le cadre de la procédure contradictoire prévue par la loi. Si le contribuable présente des arguments économiques convaincants dans ce cadre sur la normalité du prix de facturation, l'administration abandonne son redressement. S'il démontre que le prix de marché est inférieur à celui pratiqué au sein du groupe mais supérieur à celui retenu par l'administration dans sa notification, un accord peut être trouvé pour ramener le montant du redressement à l'écart par rapport au prix motivé par le contribuable. Lorsque la question posée par une vérification comporte une marge d'appréciation sur le quantum des rectifications (par exemple, évaluation d'un prix de cession, valorisation d'un actif, estimation d'un taux d'intérêt ou d'une rémunération…), un dialogue peut ainsi s'ouvrir en vue d'un accord entre l'administration et l'entreprise sur la valeur de référence à retenir. Le règlement d'ensemble ne conduit pas à une modération des droits au regard de ce que prévoit la loi. Il traduit un accord entre les deux parties sur le prix de marché à retenir pour fixer le quantum d'un redressement. Un règlement d'ensemble ainsi défini est susceptible de s'appliquer pour fixer le taux de rémunération de prestations entre entreprises d'un même groupe, pourvu que le contribuable apporte des données économiques qui imposent de réviser l'estimation initiale du prix de marché faite par l'administration de contrôle. Il permet alors d'arrêter le montant des bases notifiées, le bien-fondé des rappels n'étant quant à lui plus contesté. Enfin, s'agissant de l'absence de redressement antérieur portant sur l'acte anormal de gestion, il est précisé que, si l'administration a expressément pris position par écrit sur le caractère normal d'un prix dans une précédente vérification, cette prise de position lui est bien entendu opposable et fait obstacle à ce que ce prix soit remis en cause pour le passé. En revanche, le silence gardé par l'administration sur le sujet ne constitue pas une prise de position opposable.

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