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Jean-Paul Mattei
Question N° 41751 au Ministère de l’économie


Question soumise le 12 octobre 2021

M. Jean-Paul Mattei appelle l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de la relance sur les difficultés résultant des règles issues du droit de l'Union européenne en matière de titres d'occupation du domaine privé des personnes publiques destinés à permettre l'exploitation d'une activité économique. En l'espèce, la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne dans l'arrêt Promoimpresa Srl (CJUE, 14 juill. 2016, affaires jointes C-458/14 et C-67/15), s'applique à ces contrats notamment en matière de transparence ; le Conseil d'État, dans un arrêt du 10 juillet 2020 Société Paris Tennis (CE, 10 juill. 2020, n° 434582), en a confirmé l'application directe au droit français, ce qui implique notamment l'impossibilité d'un renouvellement automatique de ces titres au profit de leur bénéficiaire ou « tout autre avantage en faveur du prestataire dont l'autorisation vient juste d'expirer ou des personnes ayant des liens particuliers avec ledit prestataire ». Or, bien que la conclusion de baux accordant un droit au renouvellement au preneur soit illégale sur le domaine public (en raison du principe de précarité de l'occupation domaniale, aujourd'hui codifié à l'article L. 2122-3 du code général de la propriété des personnes publiques), il est traditionnellement admis que les biens du domaine privé peuvent faire l'objet de tels contrats. Le droit au renouvellement dont bénéficie le preneur peut résulter soit d'un statut d'ordre public (statut du bail commercial, statut du fermage), soit d'une stipulation de la convention. Les exigences de l'article 12-2 de la directive « services » (lorsque les conditions de l'article 12-1 sont réunies) semblent aujourd'hui entrer en contradiction avec la conclusion, sur le domaine privé, de baux conférant au preneur - statutairement ou conventionnellement - un droit au renouvellement à l'issue du contrat, lorsque le bail est destiné à permettre l'exploitation d'une activité économique. Il en résulte que le droit au renouvellement dont bénéficierait le preneur à la fin d'un bail commercial sis sur le domaine privé d'une personne publique (C. com., art. L. 145-8) ou d'un bail rural (C. rur., art. L. 411-46, al. 1) ou encore l'indemnité d'éviction que le bailleur a l'obligation de verser au preneur en cas de refus de renouvèlement du bail commercial (C. com., art. L. 145-14, al. 1) pourraient, a minima, constituer un « avantage en faveur du prestataire dont l'autorisation vient juste d'expirer ». C'est ce qu'a d'ailleurs jugé le tribunal judiciaire du Mans, le 19 août 2021 (n° RG 20/00813), en admettant la requalification en bail commercial d'une convention d'occupation précaire conclue sur le domaine privé de l'État mais en refusant, dans le même temps, l'application du droit au renouvellement de la convention (ou, en cas de refus, le droit à l'indemnité d'éviction), sur le fondement de l'article 12-2 de la directive « services ». Aussi, M. le député prie M. le ministre de bien vouloir lui indiquer comment le Gouvernement entend résoudre ce conflit de lois, de façon à sécuriser les baux en cours concernés (notamment lorsque le droit au renouvellement est issu d'un statut d'ordre public) avec les exigences de l'article 12-2 de la directive 2006/123/CE. Il lui demande également de lui préciser si, compte tenu de cette jurisprudence et de l'application de la directive « services », il reste possible d'appliquer le droit au renouvellement des baux déjà conclus et s'il est désormais légalement possible aux gestionnaires domaniaux de conclure des baux accordant au preneur un droit au renouvellement, lorsque le bail permet l'exploitation d'une activité économique, sur les biens relevant de leur domaine privé. Enfin, il l'interroge sur les intentions du Gouvernement de réformer le droit national avec le droit de l'Union européenne en ce qui concerne l'exploitation économique du domaine privé.

Réponse émise le 5 avril 2022

La décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 14 juillet 2016 « Promoimpresa » (affaires n° C-458/14 et C67/15) soumet à des principes de transparence et de sélection préalable l'octroi de toute autorisation qui permet l'exercice d'une activité économique dans un secteur concurrentiel, sans opérer de distinction selon que cette activité s'exerce sur le domaine public ou sur le domaine privé des personnes publiques. Par un jugement du 19 août 2021, le tribunal judiciaire du Mans a écarté le droit à la « propriété commerciale » revendiqué par les titulaires d'un bail commercial sur le domaine privé, pour l'exploitation d'un restaurant. Le tribunal a en effet estimé qu'en application de l'article 12 de la directive 2006/123/CE dite « services », les preneurs ne pouvaient bénéficier d'un renouvellement automatique ou d'une indemnité d'éviction, en dépit de la protection résultant des articles L. 145-8 et suivants du code de commerce. Il a ainsi déclaré les occupants sans droit ni titre. Aucune autre jurisprudence ne semble encore être intervenue pour préciser les conséquences de la décision « Promoimpresa » sur le droit au renouvellement des baux commerciaux. Toutefois, ainsi que l'ont rappelé de précédentes réponses ministérielles, les principes de transparence et de sélection préalable ne s'appliquent que lorsque le titre d'occupation constitue une autorisation qui permet l'exercice d'une activité économique. Doit également être rempli le critère de rareté des ressources naturelles ou des capacités techniques utilisables. L'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), relatif à la liberté d'établissement, qui s'oppose également à la prorogation automatique d'un titre, ne s'applique quant à lui qu'à condition que la zone domaniale en cause présente un intérêt transfrontalier certain. On peut ainsi relever que, dans le cas soumis au tribunal judiciaire du Mans, était en cause l'exploitation d'un restaurant situé en bordure d'un étang, sur un terrain situé dans une forêt domaniale appartenant au domaine privé de l'État. Dans un autre cas, qui ne concernait certes pas un bail rural ou commercial, mais un bail emphytéotique, la cour administrative d'appel de Bordeaux, dans une décision du 2 novembre 2021 (n° 19BX03590), écarte l'application à la fois de la directive « services » et de l'article 49 du TFUE, au sujet d'un bail portant sur les murs et dépendances de l'hôtel du Palais, à Biarritz. La cour a relevé, en particulier, que l'accès à l'activité hôtelière ou son exercice n'était pas subordonné à la conclusion de ce bail et qu'il s'agissait d'une opération « purement patrimoniale ». Elle a également écarté le critère de rareté. En l'absence d'autre jurisprudence, il paraît difficile d'exclure, par principe, l'ensemble des baux commerciaux et ruraux, quel que soit leur objet et les parcelles concernées, du champ d'application de ces règles. Toutefois, il est permis de penser que les biens du domaine privé, davantage que ceux du domaine public, ne devraient pas remplir systématiquement l'ensemble des conditions conduisant à prohiber leur prorogation automatique. Compte tenu des incertitudes qui demeurent, je serai cependant particulièrement attentif aux suites que pourrait avoir la décision du tribunal judiciaire du Mans.

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