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Pierre-Alain Raphan
Question N° 38679 au Ministère de l’économie


Question soumise le 4 mai 2021

M. Pierre-Alain Raphan interroge M. le secrétaire d'État auprès des ministres de l'économie, des finances et de la relance, et de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques, sur la situation concurrentielle dans le secteur des nouvelles technologies appliquées aux activités financières. Le 29 avril 2021, l'Autorité de la concurrence a rendu un avis sur l'évaluation de la situation concurrentielle dans le secteur des nouvelles technologies appliquées aux activités financières et, plus particulièrement, aux activités de paiement. La présidente de l'autorité évoque le « risque de renforcement du pouvoir de marché » des géants du numérique comme les GAFA américains (Google, Apple, Facebook, Amazon) ou, à terme, les BATX chinois (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi). Ce développement semble particulièrement significatif car les acteurs de type plateforme disposent d'avantages considérables à faire valoir : ils contrôlent des écosystèmes s'appuyant sur de vastes communautés d'utilisateurs, ont accès à de vastes ensembles de données et ont la capacité technique de les mettre à profit. En outre, en s'appuyant, pour la réalisation du paiement, sur les acteurs bancaires traditionnels et les groupements de cartes bancaires, les grandes plateformes ont la capacité de retirer des bénéfices significatifs, sans être pour autant soumises aux contraintes réglementaires qui pèsent sur les acteurs bancaires. L'avis de l'autorité de la concurrence pointe les risques suivants : le rapport concurrentiel entre services des banques et services des nouveaux entrants ; les barrières à l'entrée et à l'expansion ; les avantages concurrentiels des différents acteurs du secteur ; un risque de renforcement du pouvoir de marché des BigTech et de verrouillage des consommateurs. En octobre 2020, après seize mois d'enquêtes et un rapport de plus de 400 pages, le sous-comité antitrust de la Chambre des représentants américaine a précisément décrit le monopole d'un des GAFA sur le marché des applications. Selon les parlementaires américains, cette société empêche notamment l'émergence d'une quelconque concurrence grâce à la double maîtrise de son système d'exploitation et de son magasin. Ce faisant, la mécanique de la règle édictée par le constructeur sur les achats intégrés, et notamment la fameuse commission de 30 % prélevée sur le prix des applications et également sur les services par abonnement, constituait dès sa conception une distorsion de concurrence. Cette société impose également à tous l'utilisation de son système de paiement IAP (in app payment) et a fait du « sherlocking » (pratique qui consiste à copier des applications innovantes à son propre bénéfice en intégrant celles-ci comme un nouveau service gratuit) une pratique assumée de son développement économique au détriment de la concurrence. Il lui demande de l'éclairer sur la stratégie et les propositions du Gouvernement face à ce phénomène impactant la souveraineté de la France et à l'émergence d'acteurs du territoire sur ces secteurs. Il souhaite savoir quelles mesures sont engagées par le Gouvernement pour réguler ces comportements monopolistiques.

Réponse émise le 12 octobre 2021

Comme le souligne l'Autorité de la concurrence (ADLC) dans son avis n° 21-A-05 du 29 avril 2021, le secteur des paiements connait actuellement une dynamique profonde. Cette évolution, caractérisée par l'apparition de nouveaux acteurs, de nouveaux services et de nouveaux canaux d'initiation du paiement, est portée par le rythme très rapide des innovations dans les technologies numériques des dernières décennies et sollicite des acteurs bancaires traditionnels de grandes capacités d'adaptation. Selon l'Autorité de la concurrence, l'entrée des grands acteurs du numérique sur le marché des paiements en bouleverse l'équilibre. S'agissant en particulier des avantages concurrentiels identifiés au profit des Big Tech, l'Autorité met notamment en exergue les risques de position dominante et de pouvoir de marché liés à la collecte combinée des données de leur vaste clientèle, dans le cadre de leurs activités de plateformes d'une part et dans le cadre des activités de paiement d'autre part. Les contraintes d'accès aux nouvelles technologies développées par les plateformes, et les pratiques de self preferencing, en enfermant les consommateurs dans un écosystème donné, créent également de nouvelles barrières à l'entrée sur le marché des paiements. L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) souligne toutefois qu'à l'heure actuelle, les acteurs non-bancaires de taille significative, comme les Big Tech, sont relativement peu présents dans le secteur des paiements français. L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution note en effet qu'à la différence d'autres pays, « le marché français ne semble pas aussi « perméable » à l'entrée des grands acteurs du numérique, qu'ils soient américains ou chinois. La présence de banques solidement et anciennement implantées, proposant des solutions de paiement parmi les plus sécurisées et disponibles dans le monde entier, constitue sans doute l'une des explications de ce phénomène ». Les autorités compétentes (notamment, au sein du ministère de l'économie, la direction générale du Trésor et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) sont toutefois conscients que cette situation peut évoluer très rapidement et participent activement à la construction d'un cadre de régulation au niveau européen, afin d'accompagner la transformation numérique du secteur des paiements, en maintenant une diversité d'acteurs à même d'animer la concurrence. En septembre 2020, a ainsi été publié un « paquet relatif à la finance numérique », comprenant notamment une stratégie sur la finance digitale, une stratégie sur les paiements de détail pour l'Union européenne ainsi qu'un projet de règlement sur les crypto-actifs, qui permet notamment d'inclure dans le champ de la régulation l'ensemble des acteurs et services, comme par exemple les stablecoins). Au niveau national, la stratégie nationale des paiements scripturaux doit permettre de répondre aux défis liés à l'évolution du marché des paiements, en termes d'indépendance des acteurs européens et de convergence entre instruments (utilisation des Application Programming Interfaces – API - notamment). Par ailleurs, plusieurs réflexions ont été conduites sur l'opportunité d'adopter une mesure législative nationale spécifique, qui permettrait de garantir, à l'ensemble des prestataires de services de paiement, l'accès aux fonctionnalités techniques des systèmes d'exploitation mobile. Cependant, le projet de règlement Digital Markets Act (DMA), présenté le 15 décembre 2020 par la Commission, conduit aujourd'hui les pouvoirs publics à privilégier les travaux de négociation et de construction d'une réponse européenne aux problèmes concurrentiels soulevés par la présence, sur un certain nombre de marchés de l'économie numérique, de grandes plateformes structurantes. Le Digital Markets Act a en effet vocation à mettre en place une régulation économique « ex ante » de ces plateformes, consistant à prévenir les entraves au fonctionnement loyal et à la contestabilité des marchés sur lesquelles elles sont actives, ainsi que de certains marchés de services connexes dont elles pourraient contrôler l'accès, dont font partie les services de paiement. Dès lors qu'elles seraient identifiées comme des « contrôleurs d'accès », ces plateformes devraient se plier à un certain nombre d'obligations et d'interdictions auto-exécutoires, prévues par le règlement, et dont le non-respect serait fortement sanctionné. Certaines des obligations et interdictions d'ores et déjà prévues par le texte proposé par la Commission entendent répondre aux préoccupations, pour la concurrence et les utilisateurs, attachées aux écosystèmes fermés associant la maîtrise d'un système d'exploitation, d'une boutique d'application en ligne et d'un système de paiement intégré. En particulier, l'article 6 du projet de Digital Markets Act vise explicitement ces services, qu'il s'agisse de contrer les risques liés à la pré-installation d'applications (6.b), de faciliter l'installation et l'utilisation effective d'applications logicielles ou de boutiques d'applications tierces (6.c), ou de permettre l'accès et l'interopérabilité aux systèmes d'exploitation, notamment pour les fournisseurs de services de paiements (6.f). Ce projet de règlement fait actuellement l'objet de discussions avec nos partenaires européens et avec la Commission. Les autorités françaises se mobilisent pour que le projet qui sera adopté réponde efficacement aux enjeux posés par les plateformes numériques structurantes, y compris dans le secteur des paiements.

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