Intervention de Marlène Schiappa

Séance en hémicycle du jeudi 25 mars 2021 à 15h00
Lutte contre les individus violents lors de manifestations — Présentation

Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la citoyenneté :

La liberté de s'exprimer, donc de manifester, est l'une des plus importantes libertés garanties par la République française. Elle prouve la faculté de chaque citoyenne et de chaque citoyen de faire entendre son combat, sa colère, sa solidarité, son adhésion ou parfois sa joie. Alors que nous commémorons les 150 ans de la Commune de Paris, je mesure combien nous devons respecter ces libertés que nous aïeules et nos aïeux ont arrachées, parfois au prix de leur vie.

La manifestation fait partie de la vie démocratique ; beaucoup d'entre nous ici ont battu le pavé et peuvent en témoigner, car c'est aussi parfois le lieu de la fraternité, où l'on se serre les coudes en avançant avec l'élan des revendications. Tant d'acquis sociaux ont été obtenus à la suite de manifestations, comme M. le rapporteur l'a parfaitement rappelé ! Du groupe de trente personnes aux manifestations syndicales du 1er mai, elles font partie intégrante de l'histoire de France, et sont d'ailleurs parfois le moyen d'imposer démocratiquement une forme de rapport de force.

Je le dis ici solennellement : notre tradition républicaine protège particulièrement la manifestation, qu'elle soit festive ou revendicative. Pour cette raison, notre pays possède l'un des cadres juridiques du droit à manifester les plus libéraux au monde. Une manifestation doit seulement être déclarée ; l'autorité administrative ne peut l'interdire que lorsque « les circonstances font craindre des troubles graves à l'ordre public », selon le code de sécurité intérieure.

Il revient à l'État, garant de l'intérêt général et de l'égalité de tous devant la loi, d'assurer le respect des bornes, qu'il appartient au seul législateur de fixer. En matière de manifestations, tout l'enjeu pour nous est de protéger la liberté de manifester contre ceux qui ne viennent que pour perturber, détériorer, blesser ou détruire – je sais que tel est bien aussi votre objectif, monsieur Brindeau.

L'entrisme ultra-violent est en forte expansion depuis plusieurs années, il constitue une insulte à l'esprit fondamentalement républicain qui préside à toute manifestation organisée dans les règles. Ces phénomènes, dus à une minorité d'individus violents, viennent même de plus en plus éclipser les revendications défendues dans les manifestations : les manifestants eux-mêmes en deviennent les premières victimes, comme les commerçants du voisinage, qui subissent de plein fouet la violence et les dégradations, quand les services d'ordre ou les services d'organisation des manifestations se trouvent débordés.

Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur, et moi-même défendons un nouveau schéma de maintien de l'ordre. Couplé à un pilotage renforcé sur le terrain, il crée les conditions d'une meilleure communication avec les manifestants, renforce la mobilité des forces et prévoit davantage d'interventions préventives, pour isoler et écarter des cortèges les éléments violents. Ce schéma a été tout récemment salué par la Défenseure des droits, et validé par le Conseil d'État, après un recours contentieux, en octobre 2020. De même, dans sa toute récente décision QPC du 12 mars dernier, le Conseil constitutionnel a rejeté les recours engagés contre la prétendue absence de garanties techniques de maintien de l'ordre. Nous savons donc que le régime actuel est conforme à la Constitution.

Malheureusement, et je le déplore sincèrement, je ne suis pas certaine de pouvoir en dire autant, au nom du ministère de l'intérieur, de la proposition de loi. En effet, son article unique introduit des dispositions permettant, par arrêté du préfet, d'interdire à des individus de prendre part à des manifestations lorsqu'ils constituent une menace d'une gravité particulière pour l'ordre public, ou ont commis des actes particulièrement violents à l'occasion d'une manifestation sur la voie publique, dans les douze mois précédents.

Ces dispositions, comme vous l'avez parfaitement expliqué, s'inspirent de la loi du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations, et plus particulièrement de son article 3. En effet, le Conseil constitutionnel avait censuré, dans sa portée et dans sa teneur, la création d'un tel pouvoir aux mains de l'autorité administrative, dénonçant une mesure qu'il jugeait non proportionnée.

Vous avez voulu reprendre feu l'article 3 censuré en corrigeant les griefs du Conseil constitutionnel, mais les dispositions proposées ne nous semblent pas épuiser les aspects contentieux, dont certains n'ont pas été examinés par les Sages. En outre, l'équilibre proposé entre la préservation de l'ordre public et la liberté de manifester reste, à notre humble avis, incertain ; nous considérerions plus prudent de développer d'autres techniques d'encadrement des manifestations, l'interdiction administrative ne constituant qu'un outil parmi beaucoup d'autres.

Concernant un sujet aussi important et parfois aussi grave, nous ne souhaitons pas exposer le législateur à une deuxième censure du Conseil constitutionnel, laquelle pourrait d'ailleurs fragiliser l'édifice des interdictions administratives dans d'autres domaines.

Outre le risque d'inconstitutionnalité d'une telle mesure, la question de son efficacité mérite d'être posée. L'utilité de la disposition envisagée en 2019 tenait à la possibilité de notifier l'interdiction en cours de manifestation, mais ce dispositif a été censuré par le Conseil constitutionnel. Or le black bloc, puisque c'est de lui que nous parlons, est souvent un rassemblement spontané, jamais annoncé, dépourvu de hiérarchie, et dont le seul objectif est la violence. Il se place en dehors de tout ce que nous connaissons, en particulier de la tradition française républicaine de la manifestation.

Je veux être claire : nous condamnons très fermement ces pratiques violentes, qui privent les citoyens de leur libre accès à la rue et qui gâchent et spolient les manifestations. Le mode opératoire de ces individus les rend particulièrement difficiles à identifier en amont. En conséquence, une telle interdiction administrative nous paraît avoir une portée très faible, car sa constitutionnalité dépendrait d'une notification suffisamment en amont de la manifestation, c'est-à-dire quarante-huit heures à l'avance. Les black blocs sont dangereux et violents ; à cet égard, je salue le travail de terrain quotidien des services de renseignement et du ministère de l'intérieur.

D'ailleurs, le ministre de l'intérieur et moi réfléchissons à des mesures de nature à sécuriser encore davantage les manifestations. Elles pourraient être présentées au Parlement dans le cadre d'une future LOPPSI – loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.

Alors que ce débat s'engage, j'en appelle donc à votre esprit de responsabilité républicaine, lequel caractérise cette assemblée. Combattre les black blocs : oui ; assurer la liberté de manifester : oui aussi – le tout dans le respect des lois et de la Constitution, avec pour seul souci en permenance à l'esprit : l'efficacité.

1 commentaire :

Le 02/04/2021 à 10:53, Laïc1 a dit :

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"La liberté de s'exprimer, donc de manifester, est l'une des plus importantes libertés garanties par la République française. Elle prouve la faculté de chaque citoyenne et de chaque citoyen de faire entendre son combat, sa colère, sa solidarité, son adhésion ou parfois sa joie."

La politique, ce n'est pas un match de foot : la pensée rationnelle et nuancée doit se faire entendre, et force est de reconnaître que la société, le corps politique lui-même, rejettent cette forme de pensée.

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