Intervention de Dimitri Houbron

Séance en hémicycle du vendredi 19 mars 2021 à 9h00
Droit au respect de la dignité en détention — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDimitri Houbron :

Fiodor Dostoïevski écrivait que nous ne pouvons juger du degré de civilisation d'une nation qu'en visitant ses prisons. Force est de constater que cette proposition de loi tendant à créer un recours devant le juge judiciaire pour les détenus, lorsqu'ils subissent des conditions de détention indignes, vise un enjeu de civilisation.

Il faut avant tout rappeler ce qu'est le rôle de la peine de prison : notre code pénal le prévoit clairement en son article 130-1. La peine poursuit trois objectifs : protéger la société, sanctionner l'auteur d'une infraction et favoriser son insertion ou sa réinsertion. En l'espèce, la sanction se traduit par une privation de sa liberté. Or priver un homme de sa liberté est déjà, en tant que tel, d'une grande violence et, dans un pays civilisé, à cette violence ne doivent jamais s'ajouter des conditions de détention déshumanisantes.

Pourquoi cette proposition de loi est-elle impérative et nécessaire ? D'abord, parce que la France est le pays des droits de l'homme. Comme l'a rappelé l'émission de « Zone interdite », diffusée récemment : « Prisons françaises, la vraie vie des détenus », nos prisons et surtout nos maisons d'arrêt ne sont, pour certaines d'entre elles, pas dignes d'un pays comme le nôtre. Des détenus y dorment à terre, cohabitent avec des cafards ou des souris, vivent à trois ou quatre dans des cellules prévues pour deux personnes. La promiscuité, à laquelle s'ajoutent le manque d'intimité – des toilettes pas toujours cloisonnées – , l'exiguïté, le bruit, la fumée de cigarette et les odeurs, les tensions qui en résultent, voire les violences entre codétenus : l'emprisonnement doit être géré de telle sorte que la sanction reste la privation de liberté et non l'avilissement. Il relève de la dignité de l'État que de garantir la dignité humaine.

Ensuite, cette proposition de loi est une réponse à la condamnation de l'État. Cela a été rappelé, le texte découle de trois décisions juridictionnelles – de la Cour européenne des droits de l'homme, de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel – , enjoignant à la France de créer ce recours judiciaire. Je tiens à souligner ma satisfaction que cette proposition ait élargi ce recours des prévenus à l'ensemble des détenus.

Que propose-t-on au-delà de ce recours pour améliorer le traitement pénal des délinquants ? Ce mercredi même, a été votée en séance la proposition de loi que j'ai eu l'honneur de rapporter au nom du groupe Agir ensemble sur la justice de proximité et l'efficacité de la réponse pénale. Elle devrait être bientôt complétée par le projet de réforme du garde des sceaux, qui contient des idées pertinentes concernant l'administration pénitentiaire.

La loi sur la justice de proximité devrait contribuer à redonner du sens à la peine, en évitant les courtes peines de prison et en mettant la responsabilité individuelle au centre du dispositif. L'objectif est d'enclencher un processus de désistance, laquelle résulte, comme l'ont montré de récentes recherches, de deux facteurs étroitement imbriqués : d'une part, le changement d'identité sociale, c'est-à-dire la capacité du sujet à se représenter son avenir autrement que comme celui d'un délinquant ; d'autre part, le changement de regard de la société. Les annonces du garde des sceaux, qui souhaite impliquer, dans un travail commun, l'armée et l'administration pénitentiaire pour, entre autres, faciliter le travail et la formation des détenus, vont dans le sens de cette volonté d'encourager la désistance et la réinsertion.

Vous trouverez toujours le groupe Agir ensemble à vos côtés, lorsqu'il s'agira de valoriser la responsabilité individuelle, corollaire de la liberté. Même enfermé physiquement, le détenu continue d'avoir le choix de faire ou non des efforts. Pour reprendre vos mots, monsieur le garde des sceaux, il faut valoriser « le sens de l'effort », lequel « n'est pas un sens interdit ».

Néanmoins, pour que cette responsabilité individuelle soit effective et que les prévenus et condamnés puissent véritablement prendre le chemin de la désistance, il faut que leurs conditions de détention ne fassent pas obstacle à l'épanouissement des bonnes volontés. Reconnaître et respecter la dignité des détenus n'est pas une mesure de complaisance à leur égard : non, c'est une mesure indispensable, non seulement pour en faire des citoyens à part entière, mais également pour changer le quotidien des personnels pénitentiaires, que je salue aujourd'hui. C'est permettre aux personnes condamnées une vraie réinsertion dans la société ; c'est une mesure de dignité pour nous-mêmes, pour la République.

Cette proposition de loi est, en cela, une grande avancée pour notre démocratie, et le groupe Agir ensemble la votera avec fierté.

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