Intervention de Caroline Abadie

Séance en hémicycle du vendredi 19 mars 2021 à 9h00
Droit au respect de la dignité en détention — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCaroline Abadie, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Nous examinons une proposition de loi, adoptée il y a seulement onze jours par le Sénat, qui vise à répondre à une carence de notre droit, pointée par trois décisions juridictionnelles. En effet, vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, la Cour européenne des droits de l'homme, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel ont fait le même constat. Notre droit, en l'état, ne garantit pas une voie de recours effectif permettant aux personnes détenues de dénoncer d'éventuelles conditions indignes de détention, afin qu'il y soit mis fin. L'objet de cette proposition de loi est donc de créer une telle voie de recours, ouverte à toutes les personnes détenues – prévenus ou condamnés.

Même si nous ne pouvons pas nous réjouir d'avoir été pris en défaut de la sorte sur un sujet pourtant aussi fondamental, je crois que nous pouvons tout de même souligner la réactivité du Gouvernement et du législateur, qui ont intégré rapidement et efficacement cette nouvelle procédure dans notre droit.

Avant d'en venir à son contenu, je rappelle que la proposition de loi, si elle doit être comprise et lue du point de vue global de la politique pénitentiaire, n'a en aucun cas vocation à devenir un outil de régulation carcérale. Nous le savons, nous l'avons régulièrement évoqué dans nos travaux de la commission des lois et nous l'avons malheureusement constaté à l'occasion de nos déplacements dans les établissements pénitentiaires : la surpopulation carcérale est devenue chronique dans notre système pénitentiaire, tout particulièrement au sein des maisons d'arrêt qui accueillent les personnes prévenues et celles condamnées à de courtes peines.

Or, ce sont bien souvent les situations de surpopulation qui conduisent à des conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine. En effet, la surpopulation a des conséquences désastreuses sur la qualité de la détention : elle augmente la promiscuité, transforme des cellules individuelles en dortoirs, accentue la perte d'intimité, accélère la dégradation des locaux et entraîne parfois d'importantes carences en matière d'hygiène et de salubrité.

D'importants efforts ont été entrepris ces dernières années pour remédier à ce problème et revenir à une situation adaptée et respectueuse des droits. D'une part, nous agissons sur les conditions carcérales. Vous l'avez dit, monsieur le ministre : sous l'effet d'une hausse sans précédent depuis 2017, le budget de l'administration pénitentiaire fait de l'amélioration du parc pénitentiaire une priorité. Le programme immobilier monte en puissance et les chiffres que vous nous avez annoncés ce matin le démontrent, en matière de création de places. Des moyens budgétaires supplémentaires sont également dégagés pour améliorer l'entretien du parc existant. La dotation pour la maintenance de nos établissements s'établit ainsi, pour 2021, à 110 millions d'euros.

D'autre part, nous agissons également pour diminuer le nombre de personnes détenues et ainsi réduire la pression qui s'exerce sur notre système carcéral. Je le rappelle : nous avons voté la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui organise la réforme de l'échelle des peines et pose le principe d'interdiction de peines d'emprisonnement ferme d'une durée inférieure à un mois, ainsi que l'aménagement ab initio des peines d'une durée comprise entre un et six mois d'emprisonnement ferme. Ces mesures vont dans la bonne direction, mais nous devons sans doute aujourd'hui réaffirmer notre engagement en faveur du développement des alternatives à la détention et accentuer la prise en main de ces dispositifs par les magistrats, car c'est, j'en suis convaincue, une des clefs pour réduire la surpopulation carcérale et garantir à nos détenus les meilleures conditions de détention possibles.

Malgré ces efforts, la situation demeure préoccupante dans de nombreux établissements pénitentiaires. Nous devons donc poursuivre résolument nos actions pour y remédier. Il s'agit là d'un objectif crucial qui est, en effet, non seulement au coeur de nos préoccupations en tant que législateurs, mais également au coeur des politiques pénales et pénitentiaires mises en oeuvre par le Gouvernement.

Ce n'est toutefois ni l'objet ni l'objectif de la proposition de loi, qui porte sur un sujet bien spécifique et précis : la création d'une nouvelle voie de recours. Bien sûr, celle-ci est liée aux conditions indignes de détention, mais elle n'a pour objectif ni de créer une porte d'entrée pour agir à grande échelle dans ce domaine, ni d'engendrer une nouvelle voie de remise en liberté pour les détenus.

Alors, que fait ce texte ? Il crée une nouvelle voie de recours ouverte à toutes les personnes détenues pour saisir le juge de conditions de détention contraires au respect de la dignité de la personne humaine. Il précise donc la procédure de cette nouvelle voie de recours, organisée en trois grandes étapes : tout d'abord, le dépôt d'une requête dont le juge évalue la recevabilité ; ensuite, si la requête est recevable, le juge fait procéder à des vérifications et recueille les observations de l'administration pénitentiaire, après quoi, au vu de ces éléments, il se prononce sur le bienfondé de la requête et, le cas échéant, fait connaître à l'administration pénitentiaire les conditions de détention qu'il considère comme indignes et il lui fixe un délai pour y mettre fin ; enfin, arrive une troisième étape qui ne sera qu'éventuelle : si l'administration pénitentiaire ne parvient pas à résoudre le problème dans le délai imparti, le juge prend lui-même une décision pour remédier à la situation. Je rappelle que sa décision peut, selon les circonstances, être de trois ordres : transfert, mise en liberté ou aménagement de peine.

Il est par ailleurs précisé que la décision du juge peut faire l'objet d'un appel, soit devant le président de la chambre de l'instruction, soit devant le président de la chambre de l'application des peines. Nos collègues sénateurs ont ajouté, de manière pertinente, que cet appel peut aussi concerner la décision de recevabilité de la requête. Il s'agit pour moi d'un sujet important qui est à l'origine de ma volonté d'amender ce texte aujourd'hui en séance publique.

L'appel et le double degré de juridiction sont des principes essentiels de la procédure judiciaire et forment une garantie d'équité pour les justiciables, qui doivent pouvoir contester une décision de justice devant une nouvelle juridiction. Dans le cas de la présente proposition de loi, l'appel est une partie importante du dispositif prévu, car il constitue un élément essentiel du caractère effectif de cette nouvelle voie de recours.

Or, si le principe de l'appel est bien inscrit à l'alinéa 15 du texte, les délais qui lui sont applicables ne sont pas précisés, ce que je trouve problématique. En l'état, le texte précise simplement que le juge doit statuer en appel dans un délai de quinze jours dans le cas où un appel émanant du ministère public est déposé dans les vingt-quatre heures suivant la décision du juge. C'est bien sûr pertinent : puisque cet appel du ministère public est suspensif, il importe en effet qu'une décision soit rendue rapidement. Mais il me paraît nécessaire que les autres délais d'appel soient également prévus de manière explicite dans ce texte, d'autant plus que celui-ci implique deux juges d'appel, la chambre de l'instruction et la chambre de l'application des peines, qui ne sont pas tout à fait soumis aux mêmes règles de droit commun.

Au-delà de ce point concernant l'appel, je présenterai quelques amendements rédactionnels et des amendements de clarification qui visent à améliorer la lisibilité – donc, je l'espère, l'efficacité – du dispositif proposé. Plusieurs d'entre eux tendent notamment à insérer les délais au sein même des étapes qui sont précisément décrites par l'article unique de la proposition de loi. J'ai pu constater, au cours de mes auditions, que les délais étaient peu ou mal compris par mes interlocuteurs, et même par l'ensemble des magistrats que j'ai rencontrés. Il me semble donc important d'améliorer ce point.

Mes chers collègues, j'espère que vous aurez, comme moi, la fierté de voter cette proposition de loi dont l'économie générale me semble pertinente et équilibrée, afin que, dans un délai très bref et de manière définitive, nous puissions inscrire dans notre droit une nouvelle voie de recours, qui constitue un droit nouveau pour les personnes détenues en France, pays des droits de l'homme.

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