Intervention de Bénédicte Taurine

Séance en hémicycle du mardi 16 mars 2021 à 15h00
Article 1er de la constitution et préservation de l'environnement — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBénédicte Taurine :

Le projet de loi organique porte, selon nous, atteinte aux principes de la République. En effet, depuis 1789, chaque constitution a affirmé avec force le principe d'indivisibilité qui fonde la nation. La simplification des expérimentations que vous nous proposez est, ainsi que cela a été rappelé, une introduction au projet de loi 4D, qui sera examiné d'ici le mois de mai. Or l'expérimentation et la différenciation conduiront, selon nous, à faire que l'action publique ne sera plus uniforme sur le territoire.

Lors du 100e congrès des maires de France, le Président de la République s'est demandé ce qu'il y a de commun entre un centre-bourg, une métropole, une commune qui relève de la loi montagne ou entièrement de la loi littorale, parfois de manière totalement inadaptée. Je vais laisser le soin à Robespierre de lui répondre à ma place que partout, monsieur, le peuple a le même intérêt et les mêmes principes.

S'il n'est pas question pour nous de ne pas prendre en considération les spécificités territoriales qui appellent des solutions particulières, lesquelles sont déjà prévues par le cadre actuel, il s'agit de veiller à ne pas dépasser une limite, ce que vous appelez de vos voeux, celle de la différenciation territoriale. En effet, l'article que vous vous apprêtez à réviser permet aux collectivités ou à leurs groupements de déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences.

L'article 6 du projet de loi dont nous débattons aujourd'hui ouvrira une différenciation entre les territoires. Là où actuellement, à l'issue d'une expérimentation, le dispositif est abandonné ou généralisé sur tout le territoire, cet article permettra aux collectivités ayant recouru à celle-ci de conserver le dispositif, qui pourra être étendu à d'autres collectivités. Ainsi, la pérennisation d'un dispositif à certaines collectivités, et non plus à l'ensemble du territoire national, contrevient justement au principe d'égalité. Or l'égalité est l'essence même de la République et elle est constitutionnellement garantie.

Ce même article consacre la modification des dispositions régissant l'exercice de la compétence ayant fait l'objet d'une expérimentation, afin de confier davantage de responsabilités aux collectivités territoriales, en renforçant le pouvoir réglementaire dont elles disposent pour l'exercice de leurs compétences.

Si le projet de loi vise à rendre plus autonomes les politiques menées par les collectivités, il accroîtra indéniablement la concurrence et les inégalités non seulement entre les territoires, mais aussi – et surtout – entre les citoyens, qui n'auront plus accès à des dispositifs uniques au niveau national.

Le droit actuel prévoit déjà de possibles adaptations aux spécificités locales. C'est le cas notamment pour les collectivités d'outre-mer. Nous considérons donc que les dispositions en vigueur sont suffisantes.

Aujourd'hui, c'est une simplification, ou plutôt une différenciation des expérimentations, que vous proposez. Demain, il s'agira d'une véritable différenciation territoriale, ce que nous ne souhaitons pas.

Il y a un mois, nous avons discuté des principes de la République dans cet hémicycle. Or, au lieu de rechercher des séparatismes dans notre pays, il conviendrait plutôt de s'évertuer à garantir des principes fondateurs, tels que l'égalité et l'indivisibilité de la République. Nous considérons que votre projet de loi organique nous engage sur la voie d'une décentralisation qui, si elle est voulue par certains représentants d'élus, ne l'est peut-être pas par les élus eux-mêmes ni par les citoyens.

Au Sénat, la corapporteure centriste du texte, Françoise Gatel, indiquait que le degré d'appétence des collectivités pour les expérimentations reste une inconnue. Vous l'avez dit, seules quatre expérimentations ont eu lieu en quinze ans. Selon vous, cela s'explique par la complexité des procédures actuelles. À cet égard, je rappelle que selon un professeur de droit public de la Sorbonne que nous avons auditionné, si les collectivités territoriales ne recourent que très peu aux expérimentations, c'est en raison de leur caractère très technique. Les collectivités diagnostiquent bien leurs problèmes, mais sont incapables d'y apporter une solution en recourant à l'alinéa 4 de l'article 72 de la Constitution. À l'aune de cet éclairage, la simplification apparaît donc comme un faux remède.

En ce qui concerne l'article 2 du projet de loi organique, qui supprime le contrôle a priori du préfet, il n'apportera rien – nous en avons discuté en commission. Bien au contraire, le partage d'expertise avant la réalisation de l'expérimentation sera encore moins favorisé. Dorénavant, les conditions obligatoires ne pourront plus être contrôlées qu'a posteriori par le préfet, et ce alors que les préfectures manquent de moyens humains et que les actes des collectivités territoriales ne sont déjà pas contrôlés. Comment pouvez-vous donc imaginer que ce contrôle a posteriori sera effectif ?

Le rapport de la Cour des comptes pour l'année 2016 pointait justement le problème de l'efficience du contrôle de légalité. Nous estimons que votre souci n'est, en réalité, pas la simplification des procédures, mais la réduction du rôle de l'État.

Nous le savons, si les collectivités territoriales ne participent pas aux expérimentations, c'est parce qu'elles ne disposent pas non plus d'un niveau d'ingénierie suffisant. En somme, les plus grandes collectivités territoriales prendront le pas sur les autres, qui n'auront les moyens ni de négocier ni de proposer une expérimentation. Cela pose donc une question bien plus importante que celle de la simplification des expérimentations : celle des moyens humains et financiers des services préfectoraux et des petites collectivités. Ces dernières ne disposent pas du budget nécessaire pour mener ce travail d'ingénierie et ce ne sont pas les lois de finances successives, par le biais des schémas d'emplois, qui ont inversé cette situation. Elles n'ont pas permis l'augmentation du nombre de fonctionnaires et la loi de finances pour 2021 n'a pas dérogé à cette règle. La communication du groupe de travail sur la territorialisation du plan de relance souligne que « 25 % des EPCI – établissements publics de coopération intercommunale – sont totalement démunis en matière d'ingénierie et risquent de passer à côté du plan de relance ».

De plus, le millefeuille territorial français est déjà si complexe à appréhender que, lors de son examen des réformes françaises publié en mai 2013, la Commission européenne a critiqué les niveaux administratifs locaux, sources selon elle de doublons, de problèmes de coordination et de confusion des rôles. Cette bataille de la compréhension par le citoyen de l'organisation politique du pays est prépondérante. Si nous échouons, il passera toujours à côté de la vie politique. Il est indispensable de replacer le citoyen au centre de toute réforme.

Lors de son audition dans le cadre de ce projet de loi organique, Pierre Steinmetz, ancien membre du Conseil constitutionnel, a rappelé qu'il s'agit d'un défi démocratique patent et que les citoyens ont besoin de clarté dans l'attribution des compétences des collectivités territoriales. Le citoyen français doit comprendre comment les choses fonctionnent et qui agit.

Pierre Steinmetz craint également que les intérêts des élus ne soient parfois les seuls critères qui guident les choix des collectivités et des EPCI. Ainsi, plutôt que de procurer une simplification, nous estimons que le projet de loi organique rendra les circuits administratifs encore plus complexes. Notons également que la territorialisation du plan de relance a obligé les collectivités et les organismes qui y sont rattachés à appréhender de nouveaux dispositifs, alors que, de leur propre aveu, ils ont besoin d'une stabilité des normes.

Vous faites le choix continu de ne pas promouvoir l'implication des citoyens dans toutes les décisions politiques, ce que nous regrettons.

Nous avons vu ce que vous avez fait des propositions de la convention citoyenne pour le climat. Tirés au sort, les participants représentaient une aspiration de la nation, mais les deux tiers de leurs propositions n'ont pas été reprises. Nous voyons que les citoyens ne comptent jamais !

Pourquoi simplifier à tout prix les expérimentations afin d'accroître les compétences des collectivités territoriales, alors que les citoyens eux-mêmes ne participent pas directement à la prise de décision et s'en éloignent même toujours davantage ? Les citoyens souhaitent pourtant s'impliquer, comme en atteste le plan climat air énergie territorial – PCAET. Partout fleurissent des groupes constitués parfois d'une centaine de citoyens volontaires, qui participent aux différents ateliers. Enfin, nous considérons qu'il faut remettre la commune au coeur de la décision politique, celle-ci étant l'échelon le plus proche du citoyen.

Nous déposons donc cette motion de rejet préalable, car, selon nous, ce texte représente une rupture d'égalité entre les territoires, qui pourront adopter des modes de fonctionnement différents, et donc entre les citoyens.

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