Intervention de Aurélien Taché

Séance en hémicycle du lundi 1er mars 2021 à 16h00
Travaux de l'assemblée nationale en période de crise — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAurélien Taché :

Quelle que soit la crise que traverse notre pays, la démocratie ne doit jamais cesser de fonctionner. Le 9 décembre 1893, lorsqu'une bombe artisanale est lancée dans l'hémicycle, le président de la Chambre maintient la séance. Lors de la crue historique de la Seine en 1910, les députés traversent la cour sur des canots, promettant de siéger sur les gradins si l'eau venait à submerger leurs bancs. En 1918, la grippe espagnole non plus n'a pas eu raison de la continuité des débats.

Face à la pandémie de covid-19, nous avons été contraints, comme nos prédécesseurs, de nous adapter aux circonstances exceptionnelles, mais le défi est de taille et pose une réelle question démocratique car l'essence du travail parlementaire s'accommode mal du confinement. Notre mission est de faire la loi, de la construire par un débat qui se doit d'être aussi approfondi que contradictoire et ouvert. La représentation nationale ne doit en aucun cas devenir une instance passive où seraient enregistrées, de façon automatique, des décisions souveraines du Gouvernement. Le Parlement est bien le lieu où l'on vote, mais il est aussi celui où l'on se parle et où l'on parle aux Français.

L'Assemblée en temps de crise doit non seulement persister, mais également assurer la qualité et l'intégrité des débats, protéger ses équilibres politiques, garantir l'expression du pluralisme et l'effectivité du mandat de chacun des élus qui la composent. Si les bouleversements sont imprévisibles, ils sont appelés à se multiplier. Nous devons veiller à ce qu'ils ne servent pas de prétexte pour affaiblir les contre-pouvoirs démocratiques et museler les oppositions.

Depuis mars dernier, l'épidémie a fait basculer durablement le fonctionnement du Parlement, comme de toutes nos institutions, dans une zone grise où les garanties démocratiques les plus élémentaires sont mises à mal. À la faveur d'une crise dont on ne voit pas le bout, on instaure un état d'urgence permanent. Sans remettre en cause la nécessité de prendre des mesures fortes pour lutter contre l'épidémie, j'estime que la perpétuelle prorogation de l'état d'urgence doit nous alerter. En particulier, le Gouvernement s'offre la possibilité de prendre l'ensemble des mesures de police sanitaire par voie d'ordonnance, excluant de fait la représentation nationale des processus décisionnels.

Dans ces conditions, le Parlement n'est définitivement plus en mesure d'exercer sa mission constitutionnelle de contrôle de l'action gouvernementale. L'équilibre des pouvoirs n'est plus respecté, l'exécutif est prépondérant face à un législatif déjà très faible en temps normal, et désormais écrasé. Le danger est de voir ce fonctionnement vicié devenir normal. S'adapter ne doit pas signifier s'habituer ou se résigner à tout. Au coeur de la crise, on finit par ne plus s'étonner de rien et par perdre les réflexes démocratiques les plus élémentaires ; or nous ne devons pas baisser la garde, bien au contraire.

À l'heure où nos institutions et notre modèle représentatif sont mis en cause, la gestion de la crise sanitaire devient le théâtre de tous les abus liés aux dysfonctionnements de la Ve République. Au-delà des enjeux strictement sanitaires, cette situation doit nous interroger plus globalement sur l'exercice du pouvoir et de la démocratie en France. Il est de notre devoir de nous engager collectivement pour le renouveau, pour la relance démocratique de notre pays, et d'ouvrir une vraie réflexion sur l'avenir de nos institutions.

Si la crise a exacerbé ces symptômes, notre démocratie est malade depuis bien des années. Les difficultés sur lesquelles nous butons aujourd'hui sont les effets comme les causes d'enjeux plus anciens. L'hyperprésidentialisation, le technocentrisme, le manque de représentativité de nos institutions – si la parité a progressé à l'Assemblée sous cette législature, qu'en est-il de la diversité ? – , tous ces sujets de fond deviennent clairement problématiques. Des situations de crise peut émerger le pire, mais également le meilleur. En nous poussant à revoir notre mode de fonctionnement, cette crise nous offre l'occasion de nous pencher sur ces insuffisances et non seulement de nous adapter, mais aussi de réparer ce qui s'effrite, d'améliorer ce qui fonctionne et d'oser inventer ce qui nous manque encore.

L'initiative d'une révision de notre règlement est en ce sens bienvenue et nous la soutiendrons, mais je ne peux qu'en déplorer le manque d'ambition. Nous aurions au moins pu prendre exemple sur nos collègues du Parlement européen, qui ont rapidement pris des mesures suffisantes permettant aux députés d'exercer leurs droits démocratiques et leurs devoirs législatifs grâce au vote à distance et à la participation dématérialisée. Le droit d'amendement, en particulier, est constitutionnel et ne saurait être effectif que si l'on garantit aux élus la possibilité de défendre leurs amendements et de les voter.

À plus large échelle, c'est tout notre fonctionnement institutionnel qui doit évoluer en profondeur. L'élection à la proportionnelle de notre assemblée notamment, maintes fois promise, toujours ajournée…

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