Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du jeudi 18 février 2021 à 21h00
Fiscalité des droits de succession et de donation — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

L'économiste Pascal Salin, professeur émérite de l'université Paris-Dauphine, écrivait dans Le Figaro il y a quelques années déjà : « Ce qui est en cause dans l'héritage, ce sont d'abord les droits de propriété du défunt. Si quelqu'un a fait l'effort toute sa vie d'accumuler un patrimoine, non sans avoir payé au passage des montants d'impôts impressionnants, au nom de quel principe peut-on le priver du droit de léguer à ses enfants, à des amis, à une ? uvre charitable ou culturelle, l'ensemble de ce qui lui appartenait ? En quoi la mort pourrait-elle autoriser l'État à s'emparer d'une grande partie du patrimoine en question ? » Certes Pascal Salin est aux antipodes de la pensée qui gouverne votre proposition de loi puisque, selon lui, « on devrait considérer comme un devoir moral incontournable de respecter la liberté de quiconque, riche ou pauvre, de transmettre comme il le souhaite ce qu'il aura légitimement accumulé pendant sa vie. C'est pourquoi, en ce qui concerne les droits de succession, il n'y a pas d'autre réforme digne d'intérêt que de les supprimer ».

Je vous avoue volontiers me trouver davantage en phase avec le professeur Salin qu'avec votre volonté de faire de l'État l'héritier principal des Français. De mes échanges avec un notaire de ma circonscription, j'ai retenu ceci : « Le véritable problème, c'est l'insécurité juridique et fiscale que l'inflation législative fait peser sur les projets de nos concitoyens, où qu'ils se situent sur l'échelle sociale, par des réformes incessantes, notamment de notre droit de la famille. Comment, en effet, planifier quoi que ce soit au plan professionnel ou patrimonial et construire une stratégie pérenne quand nous changeons d'abattement, de taux, de durée, parfois plusieurs fois dans une même décennie ? Vivre dans la réforme perpétuelle empêche les citoyens de construire car sans stratégie cohérente, il est difficile de bâtir des projets. »

Et voilà que votre proposition de loi veut en quelque sorte, tout bouleverser, tout réformer, en plus de désigner des coupables car la philosophie qui sous-tend votre texte est bien celle-ci : frapper du sceau du soupçon toute personne souhaitant léguer à sa progéniture ou à ses proches le labeur de toute une vie. Je vous rappelle quand même qu'à l'échelle internationale, la France fait partie des pays qui imposent le plus les successions et les donations. En voulant puiser davantage encore, de façon démesurée, dans le patrimoine des familles françaises, vous montrez votre désinvolture, pour ne pas dire votre dédain, à l'égard de la grande majorité des citoyens qui espèrent que le fruit de leur travail leur permettra de constituer un patrimoine, qu'ils pourront transmettre au sein de leur famille.

À cet égard, l'abattement de 300 000 euros pour tous paraît de prime abord une idée saine et généreuse. Ainsi, chaque citoyen serait individuellement titulaire d'une enveloppe de 300 000 euros, à imputer sur toute donation ou héritage reçus au cours de sa vie. Une fois ce plafond dépassé, le citoyen serait taxé à 30 % de ce qu'il reçoit jusqu'à 800 000 euros de dépassement de l'abattement, puis 45 % jusqu'à 1,6 million d'euros, enfin, 60 % au-delà. Mais 30 % de droits de succession à partir de 300 000 euros, après la suite ininterrompue de taxations que doit subir un citoyen pour constituer un patrimoine, c'est aussi indécent que de stigmatiser ce citoyen pour sa réussite sociale. Quant au rappel fiscal à vie, il relève d'un nivellement par la base qui contribuera encore à éteindre un peu plus toute envie d'évolution.

Par ailleurs, la suppression de l'exonération des droits du conjoint survivant est un véritable retour en arrière : choisir d'assurer la protection de ce conjoint par des aménagements patrimoniaux, et non de plein droit, paraît peu protecteur des personnes, surtout de celles qui n'ont pas l'habitude de recourir à des conseils fiscaux ou notariés par exemple.

Enfin, écarter de votre réforme les effets du pacte Dutreil en raison des difficultés économiques liées à la crise sanitaire, tout en expliquant que ce dispositif coûte à la France 500 millions d'euros par an, sans mettre en perspective ses effets bénéfiques concernant la pérennisation des entreprises par exemple, est du même niveau que supprimer du jour au lendemain la fiscalité dérogatoire de l'assurance-vie, sans la moindre proposition de transition.

Plutôt que d'empêcher les citoyens d'espérer, il serait plus judicieux de travailler sérieusement à la recherche d'économies fiscales évidentes car s'en prendre à la fiscalité des successions revient à s'attaquer aux valeurs familiales et à brimer la liberté de chacun de faire bénéficier de son argent qui il veut, tout simplement.

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