Intervention de Jean-Félix Acquaviva

Séance en hémicycle du vendredi 5 février 2021 à 9h00
Prorogation de l'état d'urgence sanitaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Félix Acquaviva :

Le régime d'état d'urgence sanitaire a été instauré par la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, sur l'ensemble du territoire national. Il devait durer deux mois ; sa prolongation jusqu'au 1er juin aboutira à une durée du régime d'état d'urgence sanitaire de près de huit mois consécutifs, quatorze mois si l'on considère les régimes d'exception.

Peut-on encore parler d'urgence, plus d'un an après l'apparition du virus sur notre sol, et dix mois après les premières mesures prises pour lutter contre sa propagation et protéger notre population ? Qu'est-ce qui justifie de continuer à transférer des pouvoirs exorbitants du droit commun au Gouvernement pour gérer la crise ? Rappelons-nous en effet que la loi qui a instauré le régime juridique de l'état d'urgence sanitaire, a été votée en mars dernier, sous le coup de l'émotion du confinement, décrété quelques jours plus tôt, dans la précipitation et dans des conditions de travail totalement dérogatoires à la Constitution, pour faire face à un virus que nous ne connaissions que très peu. C'est la raison pour laquelle le législateur, très peu sûr de lui, l'a assorti d'une date de péremption un an plus tard, au regard des importantes restrictions qu'il impliquait pour les libertés fondamentales.

Ce régime permet en effet à l'exécutif et, par habilitation, aux préfets, d'interdire aux personnes de sortir de leur domicile : ce confinement est une mesure inédite dans l'histoire de France. Il permet aussi d'ordonner des couvre-feux et des mises en quarantaine, de restreindre les déplacements entre les territoires, d'ordonner la fermeture des lieux accueillant du public, ou d'interdire les réunions de toute nature. Le Gouvernement s'était engagé à revoir ce cadre juridique dérogatoire avant que le régime actuel ne devienne caduc, soit le 1er avril 2021. Faute d'anticipation suffisante, il nous propose aujourd'hui de le prolonger jusqu'au 31 décembre de la même année.

Le Gouvernement dispose pourtant encore du temps nécessaire pour revoir ce régime, en prenant en considération les remarques du législateur, notamment celles émanant de la mission flash de la commission des lois sur le régime juridique de l'état d'urgence sanitaire, qui a rendu ses travaux en temps et en heure en décembre dernier. Cela permettrait de définir un cadre pour une meilleure concertation avec le Parlement et les collectivités territoriales sur les décisions prises ; l'état d'urgence doit par ailleurs véritablement différencié territorialement ; il ne faut pas, non plus, inscrire dans le droit commun des mesures portant une atteinte disproportionnée aux libertés fondamentales.

Or, à l'exception d'une seule des recommandations du rapport de la mission flash de Sacha Houlié et Philippe Gosselin, aucune des autres propositions ne figure dans le texte soumis au vote aujourd'hui.

La proposition du groupe Libertés et territoires visant à ce que tout confinement ou couvre-feu décrété par l'exécutif soit autorisé à être prorogé au bout d'un mois par le vote d'une loi a ainsi été rejetée. Le confinement et le couvre-feu généralisés sur l'ensemble du territoire, pouvant impliquer l'impossibilité de sortie du domicile pour une durée d'au moins huit heures, sauf dérogations très encadrées, constituent une mesure exceptionnelle de privation de liberté. Le Gouvernement doit donc s'en expliquer devant le Parlement au plus vite après la parution du décret.

Surtout, au-delà des déclarations encore aléatoires, suivies d'un vote non contraignant, faites sur la base de l'article 50-1 de la Constitution, il est nécessaire qu'une loi valide la prolongation de ces mesures exceptionnelles au bout d'un mois. La première mesure ne saurait en effet aller sans l'autre.

De même, notre amendement visant à pérenniser la possibilité pour les préfets, dans le cadre juridique de l'état d'urgence sanitaire, d'autoriser l'ouverture des commerces de vente au détail lorsque la mise en oeuvre des mesures de nature à prévenir les risques de propagation du virus est garantie, a été rejeté. Cet amendement proposait également que la décision du préfet se prenne en accord avec les maires des communes concernées.

L'instauration de mesures générales, ne tenant pas compte des dimensions territoriales, implique que ces dispositions n'apparaissent pas comme proportionnées à un bon nombre de citoyens.

Il ne fait aucun doute que le pouvoir exécutif doit pouvoir disposer des outils lui permettant de prendre des mesures opportunes pour garantir la sécurité sanitaire. Ce que nous contestons, depuis le printemps dernier, c'est la manière dont le Gouvernement décide de mener la bataille contre le virus, et toutes les démarches incidentes en matière sociale, territoriale, économique et éducative.

Depuis des mois, nous alertons sur la méthode gouvernementale, qui consiste à n'associer aux décisions ni la représentation parlementaire, ni les élus territoriaux. Nos concitoyens ne comprennent pas que tous les acteurs ne soient pas unis pour traverser cette période. Or, l'union nécessite de fédérer et de rassembler, ce qui n'est pas fait.

Si l'unité s'est faite le 23 mars dernier, où nous étions à vos côtés, elle doit se cultiver. Vous exposez vos décisions devant le Parlement, mais n'êtes pas à l'écoute des remontées de terrain que nous vous adressons. De la même manière, la concertation dans les territoires, cela veut dire en réalité que les préfets décident, puis informent les élus de ces décisions.

C'est pourquoi, fidèle à sa position eu égard aux projets de lois successifs de prorogation de l'état d'urgence sanitaire, le groupe Libertés et territoires votera majoritairement contre cette mise devant le fait accompli.

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