Intervention de Mathilde Panot

Séance en hémicycle du jeudi 28 janvier 2021 à 9h00
Service public d'eau potable et d'assainissement en guadeloupe — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMathilde Panot :

« Nous sommes déçus, désabusés, nous n'avons plus d'espoir. » Ces mots sont ceux de Flavie Danois, présidente de l'association des usagers Eau de Guadeloupe pour qualifier cette proposition de loi rénovant la gouvernance du service public d'eau potable et d'assainissement en Guadeloupe. Depuis plusieurs décennies, la gestion de l'eau en Guadeloupe est un échec monumental : condamnations pour détournement de fonds publics, non-respect des règles d'attribution des marchés publics, défaillances chroniques dans l'accomplissement des missions, manquements aux obligations de traitement des eaux usées, non-respect des codes de l'environnement et de la santé, audits accablants, vétusté du réseau, sans parler des milliers de fuites d'eau recensées. C'est l'absence d'eau lorsque les Guadeloupéens ouvrent leurs robinets qui est la preuve la plus accablante de ce désastre.

Faute d'accès à l'eau, quarante-quatre écoles ont fermé depuis la rentrée. Car 60 % de l'eau puisée n'arrive jamais aux robinets des usagers, qui reçoivent parfois des factures abusives pour une eau qui n'a jamais été consommée et parfois pas de facture du tout. Pendant les coupures d'eau, certains compteurs continuent même à tourner… Ces coupures sont un danger majeur pour les personnes les plus précaires. L'accès à l'eau est vital, davantage encore en période d'épidémie, pour permettre aux citoyens de préserver leur santé.

La situation en Guadeloupe est indigne de notre République. Là-bas, le mètre cube d'eau est facturé un tiers plus cher qu'ici – en moyenne, 3,25 euro contre 1,05 euro en métropole – alors même que la Guadeloupe a deux fois plus de ressources en eau par habitant que l'Hexagone et que la pauvreté y est beaucoup plus forte.

La ressource ne manque pas, mais sa gestion est si catastrophique que plus de 400 000 personnes se retrouvent dans une précarité hydrique inacceptable dans la sixième puissance économique mondiale.

« Nous sommes déçus, désabusés, nous n'avons plus d'espoir. » Collègues, les Guadeloupéens n'en peuvent plus de ces manoeuvres qui menacent leurs conditions d'existence et leur droit à une vie digne. Ils veulent que la corruption cesse et qu'une eau propre et fiable revienne au robinet. Ceux qui reprennent les rênes de la gestion de l'eau au sein d'une nouvelle structure ne doivent pas être ceux qui ont créé le chaos ; il ne faut pas que ce soit ceux qui se gavent avec des salaires à six chiffres plutôt que d'entretenir des réseaux délabrés.

Les Guadeloupéens veulent la garantie d'une concertation citoyenne véritable dans les instances de gestion de l'eau de Guadeloupe. Il y va du coeur même de notre démocratie. Un syndicat mixte unique pour la Guadeloupe constitue un niveau pertinent pour permettre un investissement massif, mais il est primordial de garantir un véritable service public qui ne devienne pas la foire aux intérêts privés par délégation de service public.

Ma collègue Danièle Obono a signalé en commission l'imprécision de votre texte quant à la nature du syndicat mixte ouvert que vous souhaitez créer. Vous laissez, peut-être à dessein, la porte ouverte aux intérêts privés plutôt que de garantir la création d'une régie publique en concertation avec les usagers.

Les difficultés soulevées par la proposition de loi ne concernent pas seulement le mode de gestion et la concertation citoyenne. Vous le savez, nous le savons, il faut questionner la dette colossale que Veolia et le SIAEAG laissent derrière eux. D'un excédent budgétaire de 18 millions d'euros entre 2000 et 2007, Veolia est passée à un déficit de plus de 100 millions sur la période 2010-2015, tout en laissant les réseaux à l'abandon. Où est passé l'argent ? Qui va donc payer la dette ? Vous vous gardez bien de le dire.

Le 24 décembre 2020, la veille de Noël, une mère seule avec cinq enfants a reçu un courrier du Trésor public français lui réclamant 5 000 euros pour un relevé d'eau de 2017. D'autres usagers précaires ont reçu des factures d'un montant de 17 000 euros ou encore de 22 000 euros. J'insiste : qui paie la dette ? Les plus démunis. Que la dette d'une entreprise voyou se répercute sur la facture des usagers est un scandale.

Il en va de même pour les investissements nécessaires à la remise en état du réseau. 1 milliard d'euros sont nécessaires ; or le conseil régional a alloué un budget de 71 millions d'euros. L'État va-t-il prendre la responsabilité de ces travaux indispensables et ainsi remplir sa mission de garantie du service public de l'eau et de l'assainissement ? Sur ce sujet également, le silence règne dans votre proposition de loi.

Qu'en est-il des salariés du SIAEAG dissolu ? Ils sont en grève aujourd'hui et là encore, votre proposition de loi ne leur apportera aucune réponse, aucune garantie.

Du fait de toutes les questions restées en suspens, nous ne voterons pas la proposition de loi sans ces garanties.

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