Intervention de Sébastien Lecornu

Séance en hémicycle du jeudi 28 janvier 2021 à 9h00
Service public d'eau potable et d'assainissement en guadeloupe — Présentation

Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer :

Je suis heureux d'être dans cet hémicycle pour évoquer un sujet qui me tient particulièrement à coeur depuis mon entrée au Gouvernement et qui mérite toute notre attention : l'accès à l'eau potable en Guadeloupe.

Élu local, ancien maire, ancien président d'un conseil départemental, fervent défenseur de la décentralisation et des libertés locales, je pourrais pourtant être plus que circonspect face à cette proposition de loi qui réorganise une compétence pourtant locale. En effet, la compétence en matière d'eau et d'assainissement relève, depuis la fin du XIXe siècle, des communes et, plus récemment, des EPCI, qui sont donc les responsables du bon fonctionnement de ce service public.

Pourquoi le législateur devrait-il intervenir en la matière ? Parce que cette proposition de loi, tout simplement, est indispensable. Qui peut aujourd'hui croire qu'en 2021, en France, des dizaines de milliers de personnes sont régulièrement privées d'eau potable, alors que la Guadeloupe dispose pourtant de ressources abondantes en eau ? Nous parlons ici de 100 000 personnes régulièrement victimes de coupures d'eau, parfois pendant plusieurs jours. Nous parlons de 65 % d'eau perdue à cause de la vétusté du réseau, alors que, pourtant, les capacités de production sont bien réelles. Nous parlons d'une réalité qui n'est pas acceptable et contre laquelle nous agissons collectivement, même si l'État n'est pas compétent et même si, traditionnellement, les syndicats mixtes, on le sait, ne se créent pas par la loi.

L'idée n'est pas de priver les élus locaux de leurs prérogatives, Justine Benin l'a souligné. Il s'agit au contraire de poser les bases saines d'une nouvelle gouvernance de l'eau dans un milieu insulaire. Il est ici question de valeurs cardinales qui doivent guider l'action des élus que nous sommes : la justice, l'égalité et, bien sûr, la solidarité. Cette proposition de loi est une réponse aux enjeux majeurs que nous connaissons. C'est un des moyens d'atteindre l'objectif que nous nous sommes fixé, État, parlementaires, élus locaux et, avant tout, usagers : fournir aux Guadeloupéens un service public de l'eau et de l'assainissement qui fonctionne, un service public de qualité, sans oublier, bien sûr, les attentes légitimes en la matière sur le terrain écologique.

Je tiens à souligner le travail de Mme Justine Benin et, vous l'avez rappelé, madame la rapporteure, du sénateur Dominique Théophile, avec qui vous défendez avec courage, il faut bien le reconnaître, et détermination cette proposition de loi. Je salue également l'engagement du président Olivier Serva sur ce sujet dont l'aboutissement, il le sait, est attendu par l'ensemble de nos concitoyens en Guadeloupe. Je l'ai dit encore récemment, et en votre présence, aux présidents des EPCI concernés, que j'ai eu l'occasion de rencontrer à de nombreuses reprises : 2021 doit être l'année des résultats.

J'en viens au fond. Concrètement, que prévoit cette proposition de loi ? D'abord, elle crée un syndicat unique de l'eau, synonyme, donc, de solidarité. Pendant plusieurs années, la gouvernance de l'eau et de l'assainissement en Guadeloupe n'a pas été à la hauteur des attentes de nos concitoyens. Ainsi, les syndicats, comme le syndicat intercommunal d'alimentation en eau et d'assainissement de la Guadeloupe, le SIAEAG, qui sera prochainement dissous, se retrouvent dans des situations difficiles qui ne leur permettent ni de payer leurs dettes fournisseurs, par exemple, ni d'assurer les travaux nécessaires à l'entretien du réseau. Cela, malgré toute la bonne volonté des nouveaux exécutifs en place depuis quelques mois. J'en suis convaincu, de même que les collectivités locales, une structure unique permettra de mettre en place une gouvernance qui rassemble tout le monde autour d'une même table au nom de l'intérêt général.

Ce principe d'une structure unique est consensuel parmi les EPCI depuis plus de cinq ans. Ce sont bien les modalités de création, d'avenir des personnels ou encore de reprise de la dette qui ne le sont pas toujours. D'ailleurs, à trois reprises, les EPCI n'ont pas su s'entendre sur des statuts communs. Cette proposition de loi crée donc ce syndicat unique et prévoit une adhésion obligatoire à ce dernier, dans une logique de solidarité, autour d'une gouvernance équitable qui associe chaque collectivité et EPCI de façon paritaire, à raison de quatre sièges pour chacune.

La finalité de ce syndicat est bien de mutualiser la ressource en eau et la capacité d'investissement, qui sont inégalement réparties, mais aussi de mettre un terme à des conflits autour de la gestion de la ressource. C'est une condition nécessaire, dans un milieu insulaire encore plus qu'ailleurs, pour améliorer la qualité du service rendu aux usagers, mais ce n'est qu'une première étape et les collectivités devront pleinement s'emparer de ce nouvel outil pour qu'il atteigne cet objectif.

Cette nouvelle gouvernance doit aussi associer la société civile, et notamment les usagers. Je crois en la démocratie représentative, et je pense que vous tous ici également. Les élus des EPCI ont été choisis par leurs concitoyens aux élections municipales pour les représenter et assurer la gestion de ces compétences ; il est donc naturel qu'ils soient seuls responsables des décisions prises. Celui qui décide est responsable, il est donc élu. La loi relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique que j'ai défendue ici en 2019 a d'ailleurs réaffirmé ce principe et réservé aux seuls élus la possibilité de participer aux délibérations des conseils syndicaux. Même si je sais que certains l'avaient évoqué, je ne souscris donc pas à l'idée que les usagers siègent au sein même du conseil syndical. Il est cependant tout à fait légitime – vous l'avez dit, madame la rapporteure, et nous y reviendrons lors de l'examen des amendements – que les usagers de l'eau puissent avoir leur mot à dire, comme ailleurs et peut-être ici plus qu'ailleurs : c'est assez sain.

À l'occasion de l'examen en commission de la proposition de loi, vous avez donc acté la création d'une commission de surveillance rassemblant la société civile, gage de transparence qui permettra aux usagers de faire entendre leur voix, et même plus. Si cette commission s'inspire des commissions consultatives des services publics locaux, les CCSPL, prévues par notre droit, elle déroge au droit commun au regard des pouvoirs élargis et spécifiques qui lui seront confiés. Le président est un usager de l'eau. Je souligne d'ailleurs que je serai favorable à un amendement lui permettant d'avoir une voix prépondérante en cas d'égalité de voix au sein de la commission, et à un autre lui permettant d'être membre de droit du conseil syndical avec voix consultative. La commission pourra, à la majorité, demander l'inscription d'un point à l'ordre du jour du conseil syndical. Elle émettra des avis sur les projets stratégiques du syndicat, concernant l'investissement par exemple, sur sa politique tarifaire et sur la satisfaction des usagers du service public.

Face à la dissolution du SIAEAG, je sais que des inquiétudes naissent de la création d'une structure unique. Sur les personnels, je l'ai dit publiquement et le redis ici, il devra y avoir et il y aura une solution pour tout un chacun et pour tout le monde, qu'elle réside dans le transfert vers la nouvelle structure unique, dans la reprise par les EPCI concernés ou encore dans des départs volontaires. L'État a d'ailleurs activé récemment une cellule dédiée sur le sujet et accompagne le SIAEAG dans la mise en place d'un plan de départs volontaires, notamment pour les personnes non loin de la retraite. L'objectif est aussi, il ne faut pas s'en cacher, que le nouveau syndicat n'ait pas une équipe disproportionnée au risque de mettre sa viabilité financière en péril dès sa création ou de peser sur la facture d'eau des usagers.

Il est également important de rassurer sur la dette. Le nouveau syndicat unique doit repartir sur des bases saines et solides, ce qui exclut la reprise des dettes – à l'exception, bien sûr, des dettes bancaires. Cela signifie que les EPCI concernés reprendront leurs dettes ainsi que les créances qui n'ont pas encore été recouvrées ; mais nous sommes tous conscients que certaines de ces créances seront difficiles à recouvrer et que cette solution ne permettra pas de répondre complètement aux difficultés des EPCI face à cette dette. Il ne s'agit évidemment pas de mettre en croix les finances locales de certaines collectivités, qui auront leur rôle à jouer dans cette nouvelle gouvernance de l'eau, et plus généralement dans le cadre du plan de relance que nous bâtissons tous ensemble. Faut-il que l'État, c'est-à-dire le contribuable national, efface tout simplement l'ardoise ? La réponse est non : ce ne serait pas juste pour les usagers et les contribuables en général, ni vertueux en termes de gestion locale. Faut-il laisser les EPCI reprendre cette dette sans les accompagner ? Je sais que Justine Benin et Olivier Serva se sont beaucoup mobilisés sur ce sujet, et je veux donc rassurer tout le monde : non, je ne crois pas non plus qu'il faille abandonner qui que ce soit en la matière. Nous avons donc un intérêt collectif à ce que cette dette soit réglée auprès des fournisseurs le plus vite possible. N'oublions pas que ce qu'on appelle fournisseurs, ce sont souvent de petites entreprises guadeloupéennes qui attendent d'être payées et sont elles aussi en difficulté dans cette affaire.

J'ai bien conscience que l'objectif serait que la gestion de ces dettes soit la plus neutre possible pour les collectivités. Je pense qu'une méthode innovante est à trouver. Un dialogue doit, avec cette proposition de loi, s'engager dès maintenant avec les collectivités et tous les acteurs utiles, les partenaires financiers, publics comme privés, mais aussi l'État, afin de rendre le remboursement de ces dettes soit soutenable, soit absorbable. Je vous propose donc de faire un tour de table rapide avec l'ensemble des EPCI pour chiffrer tout cela et avoir une stratégie ad hoc pour chacune d'entre elles. J'y reviendrai lors de la discussion des amendements.

Depuis le début de cette crise de l'eau, l'État est là, même si, il faut le redire, il n'est pas compétent. Je pense aux réquisitions pour réaliser les travaux les plus urgents, avec la réparation de plus de 4 000 fuites, pour plus de 6 millions d'euros pour la seule année 2020, au plan Eau DOM bien connu, à la contractualisation qui va avec, aux plus de 90 millions d'euros de subventions et investissement divers et variés entre 2014 et 2020, aux « Aqua-prêts » de l'AFD, l'Agence française de développement, et de la Caisse des dépôts, aux plus de 30 millions d'euros qui pourront être débloqués sur 2021 et 2022, notamment avec le plan de relance. L'État continuera à être là et à accompagner la création d'un service public de l'eau et de l'assainissement de qualité pour les Guadeloupéens. C'est un engagement que le Président de la République et le Premier ministre de l'époque, Édouard Philippe, ont pris devant l'opinion publique et devant nos concitoyens en Guadeloupe.

Derrière cette proposition de loi, mesdames et messieurs les députés, avec une mention pour le groupe du Mouvement démocrate et le président Patrick Mignola, il y a avant tout de l'humain et une certaine idée du service public. C'est pour cela que le Gouvernement appelle à la soutenir.

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