Intervention de Ugo Bernalicis

Séance en hémicycle du mardi 8 décembre 2020 à 15h00
Parquet européen et justice pénale spécialisée — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaUgo Bernalicis :

La politique pénale sera définie par le bureau central des vingt-deux procureurs européens, qui détermineront eux-mêmes leur propre politique pénale. Or d'où ces vingt-deux procureurs européens tirent-ils leur légitimité, si ce n'est des États respectifs qui les ont désignés ? Au fond, ils décideront, dans leur coin, de la politique pénale, s'il convient de poursuivre telle infraction à la réglementation de l'Union européenne plutôt que telle autre. Finalement, il n'y a aucun contrôle démocratique de cette nouvelle instance – qui n'a rien à voir, par exemple, avec la Cour européenne des droits de l'homme – CEDH – , laquelle est une instance en dernier recours, qui est saisie après l'épuisement des voies de recours internes. Nous avons là deux types de visions de la construction juridique au niveau européen.

Ce texte ne propose pas non plus de régler les problèmes concrets qui se posent chaque jour dans les enquêtes qui dépassent nos frontières. Le problème central pour qui conduit une enquête qui dépasse les frontières, ce sont les commissions rogatoires internationales et les délais. Quand on demande des informations à un pays, ce n'est pas la même chose s'il vous les donne en trois mois, six mois, un an, un an et demi ou deux ans. D'ailleurs, les plus longues enquêtes en matière économique et financière conduites par le parquet national financier sont celles qui dépassent les frontières, non parce que les policiers ou les magistrats ne travaillent pas, mais parce qu'entre le moment où ils demandent des éléments d'investigation sur des commissions rogatoires et le moment où ils reçoivent les éléments pour les analyser, il peut s'écouler un délai extraordinaire. Imaginez des montages fiscaux complexes passant par plusieurs pays. Si vous dénichez une première entreprise offshore dans un État, vous faites une commission rogatoire internationale, vous finissez par avoir les informations, dans le meilleur des cas, au bout de trois mois. Et si en vous penchant sur son fonctionnement juridique, vous vous apercevez qu'elle détient une autre boîte dans un autre pays, rebelote : vous faites une autre commission rogatoire, etc. Tout cela peut prendre un temps fou. Or que propose le texte pour régler ces histoires de délai ? Malheureusement rien. Pour le coup, ce sont souvent dans des conventions judiciaires bilatérales où on est censé discuter de cela que l'on ne parle jamais de délais, parce que personne ne veut s'engager sur quoi que ce soit.

En fait, les enquêtes qui sont conduites actuellement par nos juridictions françaises ne seront pas traitées plus rapidement demain par un délégué du procureur européen, puisqu'elles seront instruites par les mêmes services d'enquête. À cet égard, il est de ma responsabilité d'alerter sur la question des moyens des services d'enquête, que ce soit en matière de délinquance environnementale ou de délinquance économique et financière. Il se trouve que j'ai rendu un rapport d'information dans le cadre du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques, avec notre collègue Jacques Maire, sur l'évaluation de la lutte contre la délinquance financière. Il pointait du doigt la faiblesse des moyens attribués dans tous les ministères concernés par ce problème. Pourtant, ce sont des fonctionnaires qui rapportent « un pognon de dingue » ! Ils sont rentables !

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