Intervention de Naïma Moutchou

Séance en hémicycle du mardi 8 décembre 2020 à 15h00
Parquet européen et justice pénale spécialisée — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNaïma Moutchou, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Robert Badinter, interrogé il y a plusieurs années sur l'intérêt d'un parquet européen, avait déclaré devant la Commission européenne : « Ce ne sont pas les idées qui font défaut, c'est la volonté politique ». Je me réjouis, après quelque quinze ans de négociations, que la volonté politique nous permette aujourd'hui d'aller au bout de ce processus. C'est une étape historique que nous nous apprêtons à franchir en créant un espace de justice européen à part entière dédié à la lutte contre la fraude. Nous en sommes les acteurs avec nos amis sénateurs, et c'est pour moi un autre motif de réjouissance.

En plus d'aborder le parquet européen, le projet de loi améliore notre dispositif national dans les domaines de la justice pénale spécialisée et de la justice environnementale.

Le parquet européen nous permettra de mieux lutter contre une délinquance financière astucieuse et jusqu'alors insuffisamment réprimée. La compétence européenne est naturelle dans ce domaine, car cette délinquance est internationalisée et ses délits impliquent souvent plusieurs États membres. Les fraudes en question étant massives – elles représentent plusieurs dizaines de milliards d'euros – , il n'est pas satisfaisant de les traiter à l'échelon national, d'autant que les systèmes de poursuite et de répression varient d'un territoire à l'autre. Le choix a été fait d'inscrire le parquet européen dans une coopération renforcée, qui réunit à ce jour vingt-deux des vingt-sept États membres. Il siégera à Luxembourg, capitale judiciaire de l'Union, et aura à sa tête une procureure européenne, Mme Laura Kövesi, assistée de vingt-deux procureurs nationaux – un par État participant. À l'échelle nationale, des procureurs européens délégués – au moins deux par État – seront chargés du suivi des enquêtes et des poursuites ; pour ce qui concerne la France, ils seront au nombre de cinq, basés à Paris, tout près du parquet national financier.

Les trois premiers articles du projet de loi intègrent dans le code de procédure pénale, dans le code de l'organisation judiciaire et dans le code des douanes plusieurs dispositions permettant de prendre en considération le statut et le rôle particuliers des procureurs européens et de leurs délégués. Je l'ai dit en commission : l'architecture proposée est cohérente, pragmatique et équilibrée. Le système ainsi créé, avec un niveau européen central et un niveau local décentralisé, permet d'atteindre une véritable efficacité, en combinant collégialité et caractère opérationnel. Le projet de loi garantit l'indépendance des procureurs délégués, en articulant leur appartenance au parquet européen et leur travail réalisé en France. Quelques ajustements ont été nécessaires pour permettre aux procureurs délégués de conduire leurs investigations conformément à ce que prévoit le règlement européen, tout en respectant notre propre cadre procédural ; nous reparlerons de ce statut hybride novateur au cours de nos débats.

La deuxième partie du projet de loi concerne les juridictions pénales dites spécialisées. Si les modifications apportées en la matière ont un caractère ponctuel, elles permettent, très concrètement, d'améliorer le traitement des contentieux. Ainsi, un mécanisme simple donne une priorité au juge spécialisé par rapport au juge de droit commun, et à la juridiction nationale par rapport à celle qui exerce à l'échelon local. Ce dispositif fait l'unanimité.

Dans un même esprit d'efficacité, il est donné compétence au parquet national antiterroriste pour les demandes d'entraide adressées par la Cour pénale internationale, et au parquet national financier pour les pratiques anticoncurrentielles. Ces dispositions ont été enrichies en commission. Le parquet national antiterroriste centralisera également les demandes d'entraide des tribunaux internationaux – article 5 bis – , et nous pourrons couvrir les frais de voyage des victimes pour assister à un procès pénal à l'étranger, notamment dans les grandes affaires liées aux attentats terroristes – article 4 ter. Quant à l'article 4 bis, il précise qu'une plainte ou une dénonciation préalable n'est pas nécessaire pour poursuivre un délit commis à l'étranger par un Français ou sur un Français, relevant d'un des parquets spécialisés : c'est une disposition de poids, puisque nous pourrons enquêter dès qu'un ressortissant français sera victime, sans passer par une phase diplomatique ni par une recherche d'ayants droit ; c'est important en matière terroriste ; c'est décisif en matière de lutte contre la délinquance financière ; pour la France, c'est un pas franchi dans l'extraterritorialité.

Enfin, l'article 7 bis modifie et précise plusieurs points de la convention judiciaire d'intérêt public, cette justice transactionnelle que nous souhaitons voir se développer, tant l'innovation issue de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2, a fait preuve de son efficacité à la fois pour sanctionner les comportements répréhensibles et pour parer à l'activisme judiciaire des puissances étrangères.

Nous avons voulu donner de l'envergure au projet de loi en matière de droit de l'environnement. Les sept articles additionnels adoptés en témoignent : nous avons élargi la compétence pénale des pôles environnementaux, qui traiteront aussi du contentieux civil, créant ainsi une juridiction de l'environnement ; nous avons affiné la compétence des juridictions spécialisées du littoral, les JULIS, et avons mieux associé les inspecteurs de l'environnement aux enquêtes pénales ; en confiant à ces derniers des prérogatives judiciaires, nous ouvrons la voie à la création d'un service d'enquête dédié à la protection de l'environnement.

Le projet de loi corrige par ailleurs diverses imperfections pouvant rendre inopérantes certaines dispositions du code de procédure pénale – j'ai peu à dire sur ces sujets largement techniques et consensuels.

Il crée également une peine complémentaire d'interdiction d'accès aux transports en commun. Je vous ai fait part de mon scepticisme et de celui de mes collègues à ce sujet en commission, monsieur le ministre : cette mesure paraît redondante et nous pouvons questionner son efficacité. Vous aviez promis un travail en commun, et votre promesse a été tenue – je vous en remercie. Toutefois, mes échanges avec vos services n'ont pas permis de lever nos objections. J'en resterai donc à ma position initiale et proposerai à mes collègues une suppression de l'article 11.

Enfin, l'article 12 aborde un sujet en lien avec les missions des officiers publics et ministériels. Il a été profondément remanié par nos collègues du Sénat, et prévoit, dans sa rédaction actuelle, d'autoriser les ordres professionnels des commissaires de justice et des notaires à percevoir directement des contributions volontaires obligatoires. À cela s'ajoute une disposition réformant la procédure d'installation des nouveaux offices dans les zones contrôlées. Cette nouvelle version de l'article 12 me semble de bon sens.

Tel est le contenu du projet de loi, particulièrement enrichi lors des débats en commission. Nous évoquerons plus longuement ces sujets au cours de l'examen des amendements, mais je suis convaincue que le texte forme un ensemble cohérent et efficace. Le travail de qualité qui a été mené n'efface pas mes quelques regrets concernant des sujets qui me tiennent à coeur – la protection du secret professionnel et la durée de l'enquête préliminaire – , mais je sais que vous y travaillez, monsieur le ministre.

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