Intervention de éric Dupond-Moretti

Séance en hémicycle du mardi 8 décembre 2020 à 15h00
Parquet européen et justice pénale spécialisée — Présentation

éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice :

Le projet de loi relatif au parquet européen et à la justice pénale spécialisée que nous examinons aujourd'hui traite en particulier de l'Europe et de l'environnement. Ce sont des sujets particulièrement chers à ce gouvernement et vous comprendrez le plaisir qui est le mien d'être devant vous pour présenter ces réformes importantes, à la fois opérationnelles et fortes en symboles.

Il s'agit d'intégrer dans notre droit la création d'une nouvelle institution européenne qui constitue une rupture conceptuelle pour l'espace judiciaire européen, évolution dans laquelle la France peut s'enorgueillir d'avoir joué, depuis le début, un rôle moteur.

Rupture conceptuelle car, pour la première fois, une structure européenne, le nouveau parquet européen, sera compétent pour exercer directement l'action publique partout sur le territoire des vingt-deux États membres participants.

Mécanisme équilibré aussi car tout en actant cette nouvelle compétence européenne, le parquet européen respecte pleinement notre système judiciaire, dans lequel il s'intègre de façon harmonieuse.

De quoi s'agit-il au fond ? Ce nouveau parquet européen aura pour mission de combattre les fraudes au budget de l'Union européenne. Ce budget est le principal levier d'action de l'Union européenne : il finance toutes les politiques communes ; c'est en quelque sorte notre bien commun. Ce sera donc désormais au niveau européen que les fraudes européennes, dont la nature est souvent transnationale, pourront être poursuivies. Entre 2010 et 2019, l'Office européen de lutte anti-fraude – OLAF – a recommandé le recouvrement de plus de 7,3 milliards d'euros. En 2018, d'après la Commission européenne, les fraudes à la taxe sur la valeur ajoutée – TVA – ont représenté 140 milliards d'euros de manque pour le budget des États membres, et il y a lieu de craindre que ce chiffre soit plus élevé en 2020.

En cette période difficile où l'Europe, à travers un plan de relance sans précédent, se mobilise pour faire repartir nos économies, la lutte contre la fraude aux financements européens est impérative. C'est une question de crédibilité pour l'Union et un devoir vis-à-vis des contribuables européens. C'est précisément pour mettre un terme à ces agissements pour lesquels l'action au niveau national n'est pas suffisante qu'a été pensé le parquet européen.

Je me réjouis du large consensus qui a présidé à l'adoption par le Sénat, puis par votre commission des lois, des dispositions modifiant le code de procédure pénale, le code de l'organisation judiciaire et le code des douanes qui garantiront le fonctionnement du parquet européen.

Ce projet de loi permet, d'une part, d'assurer l'indépendance statutaire des procureurs européens requise par le règlement européen et, d'autre part, d'organiser les modalités selon lesquelles ils pourront conduire leurs investigations et exercer leurs poursuites devant les juridictions françaises. Ils disposeront ainsi des mêmes prérogatives que le procureur de la République mais aussi, ce qui est beaucoup plus novateur, de certaines prérogatives des juges d'instruction, le cas échéant, sous le contrôle du juge des libertés et de la détention – JLD – , lorsqu'ils seront amenés, pour les besoins de l'enquête, à porter atteinte aux libertés individuelles.

Sans anticiper sur nos débats, et comme je l'ai déjà dit devant la commission des lois, je tiens dès à présent à apaiser des craintes de deux ordres.

À ceux qui voient une atteinte à notre souveraineté, je rappelle que cette question a été tranchée par le Conseil d'État, qui a indiqué que l'insertion de cette nouvelle institution dans notre système judiciaire n'appelait pas de nouvelle révision constitutionnelle. J'ajoute d'ailleurs que les procureurs européens délégués – PED – appliqueront la procédure française ainsi aménagée en se reposant sur les services d'enquête nationaux et en exerçant les poursuites devant le tribunal judiciaire de Paris. Celui-ci se voit d'ailleurs doter d'une compétence exclusive pour l'ensemble des matières relevant de la compétence du parquet européen.

À ceux qui craignent que ce nouveau parquet soit un premier pas vers la remise en cause du juge d'instruction français, je veux dire qu'il n'en est rien : l'organisation judiciaire de droit commun restera ce qu'elle est.

Je souhaite ensuite évoquer l'autre volet de ce texte, celui relatif à la justice pénale spécialisée.

Le projet de loi renforce significativement l'efficacité et la cohérence des dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, la criminalité organisée, la délinquance économique et financière ainsi qu'aux atteintes à l'environnement. À cette fin, il facilite l'exercice des compétences des parquets spécialisés, dont l'expertise est désormais reconnue. Leur action sur notre territoire doit être coordonnée au mieux pour permettre une meilleure réponse pénale dans des domaines souvent complexes.

De même, le parquet national antiterroriste verra ses compétences élargies, en particulier en matière d'entraide avec la Cour pénale internationale, dont il devient l'interlocuteur privilégié. Les travaux de la commission des lois, qui ont enrichi ces dispositions, vont aussi lui permettre de bénéficier de l'appui précieux d'assistants spécialisés en matière de terrorisme.

Le renforcement de l'efficacité de la justice en matière environnementale est le troisième grand axe de ce projet de loi. Je serai d'ailleurs favorable à l'amendement de Mme Naïma Moutchou, rapporteure de la commission des lois, qui vise à inclure cette dimension dans son intitulé même. Permettez-moi de profiter de cet instant pour adresser des remerciements appuyés à Mme la rapporteure, ainsi qu'à Didier Paris, pour leur implication et pour leur travail d'une très grande qualité.

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