Intervention de Patrick Hetzel

Séance en hémicycle du jeudi 3 décembre 2020 à 15h00
Carte vitale biométrique — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Hetzel, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Nous avons achevé lundi l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 qui entérine, pour l'année 2020, un déficit de plus de 46 milliards d'euros des régimes obligatoires de base et du fonds de solidarité vieillesse. C'est abyssal.

Les prévisions pour les années à venir sont tout aussi sombres. Jamais, d'ici à 2024, nous ne retrouverons un déficit inférieur à 20 milliards d'euros, à moins que nous ne prenions des mesures d'ampleur. Cette semaine, une étude de l'OCDE a démontré que la France demeurait le premier pays au monde en matière de prestations sociales : ces dernières se sont élevées, en 2019, à 31 % de la richesse nationale. Pourtant, nous ne pouvons que constater l'augmentation du taux de pauvreté, les difficultés structurelles de notre système de soins, et l'inégalité rampante dans l'accès aux professionnels de santé sur tout le territoire, notamment dans les zones rurales.

Comment expliquer ce paradoxe français : nous dépensons collectivement un tiers de notre richesse nationale sans accompagner efficacement nos concitoyens ? Une partie de la réponse se trouve dans la fraude aux prestations sociales. C'est la conclusion à laquelle parvient le rapport de la commission d'enquête relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales, que j'ai eu l'honneur de présider et dont Pascal Brindeau était le rapporteur. C'est aussi la conclusion du rapport de notre collègue Carole Grandjean et de la sénatrice Nathalie Goulet, que le Gouvernement avait chargées d'une mission sur le même sujet. C'est encore la conclusion du rapport que la Cour des Comptes a remis au Sénat en septembre dernier. Bref, c'est la conclusion évidente qui s'impose, étude après étude, et dont le Gouvernement a refusé jusque-là de prendre la mesure – la fin de votre intervention en atteste, monsieur le secrétaire d'État.

Si l'on considère le spectre de l'ensemble des fraudes aux prestations sociales, la plus insupportable est sans doute la fraude à l'assurance maladie. À l'heure où de nombreux Français repoussent leurs consultations médicales ; à l'heure où les soignants doivent parfois établir une priorité entre deux patients, il est simplement intolérable que des fraudeurs puissent passer entre les mailles du filet, quand ce n'est pas se lancer dans du trafic de médicaments.

Quelle est la part comptable de cette fraude ? Selon les estimations conservatrices de la CNAM – Caisse nationale d'assurance maladie – , les fraudes détectées s'élèvent à 300 millions d'euros en 2019. On est bien loin des estimations de la Cour des comptes, qui estimait, en 2010, le montant total des fraudes aux prestations sociales à un minimum de 2 milliards d'euros par an.

D'où vient cet écart ? La fraude à l'assurance maladie se serait-elle soudainement résorbée, alors que les efforts menés les années précédentes sont loin de suffire ? Hélas, non. L'explication vient avant tout de ce que, en matière de fraude aux prestations d'assurance maladie, nous évoluons dans une terra incognita. En septembre dernier, le rapport de la Cour des Comptes s'étonnait encore que le ministère des solidarités et de la santé s'obstine à ne pas « prescrire à la CNAM d'estimer la fraude aux prestations d'assurance maladie ». Rien de plus facile, pour ne pas résoudre un problème, que d'éviter de le quantifier. On ne peut pas accuser le Gouvernement de mener une politique du chiffre sur ce sujet : il n'y a ni chiffre, ni politique !

La fraude aux cartes Vitale, qui constitue l'un des points saillants de l'ensemble des fraudes à l'assurance maladie, n'échappe pas à ce flou artistique généralisé. On assiste même à une valse-hésitation : ainsi, durant ces deux dernières années, les estimations du nombre de cartes surnuméraires n'ont pas connu moins de cinq approximations différentes, dont deux issues de la même source, la direction de la sécurité sociale. Ces chiffres pourraient donner le tournis : le nombre de cartes surnuméraires varie entre 609 000 et 2,5 millions !

On nous a opposé en commission, et je crois que l'argument sera de nouveau utilisé en séance, que cette fraude ne coûterait que 11 millions d'euros, qu'il s'agirait en quelque sorte d'une vue de l'esprit. Circulez, il n'y a rien à voir ! C'était le sens de votre discours, monsieur le secrétaire d'État.

La commission d'enquête que j'ai eu l'honneur de présider a néanmoins réussi à déterminer que 1,8 million de cartes Vitale actives surnuméraires étaient en circulation. Si l'on fait l'hypothèse que seulement la moitié de ces cartes sont utilisées au niveau de la consommation moyenne de biens et de dispositifs de santé des Français, la fraude pourrait dépasser les 2,5 milliards d'euros par an ! C'est un cas d'école, mais nous ne saurions ignorer ce problème plus longtemps.

Les débats en commission ont d'ailleurs permis de confirmer que certains de nos collègues avaient été directement confrontés à des tentatives de fraude aux cartes Vitale dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions médicales. Aujourd'hui, plus que jamais, nous devons donc redoubler d'efforts pour sécuriser notre système de protection sociale, mais aussi pour sauvegarder les principes qui se trouvent à son fondement.

Peut-on encore s'offrir le luxe de considérer qu'il s'agit d'un problème marginal, lorsque notre système de protection sociale est privé de plusieurs milliards d'euros chaque année, alors même que les comptes sociaux sont en train de plonger ? Peut-on parler d'un non-sujet, lorsque le pacte de confiance qui lie les assurés au système de santé est mis à mal par des fraudeurs qui s'affranchissent de toutes les règles et profitent indûment de prestations sociales financées par le contribuable ? Je crois que minimiser les effets de la fraude aux prestations sociales ne fera qu'en aggraver la portée. Il faut, bien au contraire, prendre l'entière mesure du phénomène et agir en conséquence. C'est précisément ce à quoi, avec les députés du groupe Les Républicains, nous vous proposons de nous atteler ensemble grâce à la proposition de loi visant à expérimenter une carte Vitale biométrique, que le Gouvernement veut balayer.

La carte Vitale possède une forte dimension symbolique pour l'ensemble de nos concitoyens, puisqu'elle ouvre la porte à la prise en charge et au remboursement des frais de santé par l'assurance maladie. Mais c'est aussi ce qui en fait un outil particulièrement exposé à la fraude. La fraude à la carte Vitale se présente sous différentes formes : elle peut passer par le recours à des cartes prêtées, volées ou perdues, avec usurpation de l'identité du titulaire, mais aussi par l'utilisation d'une même carte pour faire le tour des prestataires de santé et obtenir gratuitement plusieurs fois les mêmes médicaments.

Ces détournements permettent aux fraudeurs de bénéficier indûment de prestations d'assurance maladie ou d'obtenir une meilleure prise en charge des frais de santé. Bien souvent, il s'agit de bandes organisées : oui, des bandes organisées, qui se procurent, au moyen de la carte Vitale, des produits de santé qu'elles revendent ensuite en territoire étranger.

Contre ce phénomène, la présente proposition de loi, déposée l'année dernière au Sénat, prévoit l'expérimentation de la carte Vitale biométrique, avec pour objectif d'avancer sur la voie de l'authentification et de l'individualisation des droits. En la matière, le recours à l'outil biométrique est particulièrement indiqué : il a fait ses preuves sur notre sol depuis l'instauration du passeport biométrique.

Le stockage numérique des empreintes digitales représente aujourd'hui la meilleure garantie d'un versement ou d'un remboursement sécurisé des prestations d'assurance maladie. Il est donc pertinent de l'expérimenter dans le cadre de la lutte contre la fraude. Nos collègues du Sénat, dont on ne peut pas mettre en cause l'attachement aux libertés et aux droits fondamentaux, ont travaillé à améliorer la proposition de loi dans le sens d'un respect complet des textes encadrant l'usage des données personnelles, qu'il s'agisse de la loi dite informatique et libertés de 1978 ou du RGPD, entré plus récemment en vigueur dans toute l'Union européenne. L'ensemble des données des assurés sera bien protégé selon les plus hauts standards de sécurité.

Je tiens également à rassurer mes collègues sur le coût du dispositif proposé. Vous évoquiez 400 millions de dépenses, monsieur le secrétaire d'État : certes, mais pour un retour sur investissement de plus de 2 milliards par an ! Ne pensez-vous pas que la mesure soit intéressante ?

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