Intervention de Benoit Simian

Séance en hémicycle du vendredi 30 octobre 2020 à 15h00
Mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBenoit Simian :

Il va être difficile de faire aussi bien que monsieur Benoît !

Je suis fils d'apiculteur : la déontologue de cette institution dira peut-être que je suis en conflit d'intérêts sur le sujet. J'aime les abeilles et ce qu'elles produisent ; dans ma famille, nous prenons soin des abeilles. Tout est dit, je pourrais m'arrêter là et repartir dans ma circonscription du Médoc, mais j'ai trop de respect pour nos débats démocratiques et pour la biodiversité pour en rester là.

Je ne comprends pas que notre assemblée propose de revenir sur une avancée majeure du précédent quinquennat, je dirais même sur un des progrès fondamentaux de ces cinq dernières années en matière d'agroécologie.

La non-régression est un principe juridique, inscrit en tête du code de l'environnement. En réintroduisant l'autorisation d'utilisation des néonicotinoïdes, et donc des produits phytopharmaceutiques, le Gouvernement viole ce principe. Du point de vue du législateur, ce n'est pas acceptable.

Finalement, de quoi nous est-il demandé de débattre ? Sans aucun doute, du vivant. Qu'est-ce que le vivant ? Qu'est-ce que la vie ? Nous décidons de la protéger ou bien de la détruire, mais pourquoi ferions-nous cela ? Il est établi par plus de 1 000 études scientifiques que les néonicotinoïdes empoisonnent durablement ; il est prouvé qu'ils sont présents dans les eaux de ruissellement et qu'ils polluent nos nappes phréatiques ; il est démontré qu'ils ont des conséquences graves sur la faune, en multipliant par six la mortalité des colonies d'abeilles, en décimant les populations de pollinisateurs et en étant nuisibles aux oiseaux granivores. Mes chers collègues, je n'ai aucun doute que voter pour la réintroduction, c'est voter contre le vivant.

Qu'est-ce que le vivant ? C'est vous, c'est moi, vos parents, vos enfants, vos petits-enfants, c'est l'air que nous respirons – même si c'est parfois difficile avec un masque – , l'eau que nous buvons, la nourriture que nous mangeons. Vous voteriez donc contre votre famille, ou contre vous-mêmes.

En 2016, lors de l'examen du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, interdisant l'usage des néonicotinoïdes, à l'époque secrétaire d'État chargée de la biodiversité, Barbara Pompili, avait bien dit que « la biodiversité est essentielle non seulement à notre qualité de vie, mais désormais, tout simplement, à la survie même de l'humanité. » Je crois qu'elle avait raison : sa phrase sonne toujours très juste. J'imagine qu'aujourd'hui elle ne se sentirait pas trahie que nous la citions ici.

Ensuite se pose la question de savoir pourquoi, en responsabilité, prendre de telles décisions dont les conséquences, nous le savons, seront nuisibles au vivant, et pour longtemps. J'ai entendu vos arguments : la filière sucrière serait acculée par l'importance des pertes et de nombreux emplois seraient en jeu. Je ne minimise ni les difficultés, ni les enjeux pour la filière. J'en ai discuté avec certains collègues. La coopérative Tereos estime que les rendements de ses coopérateurs ont diminué de 12 % par rapport à la campagne de 2019-2020. Nous sommes bien loin des 50 % à 70 % avancés par le Gouvernement pour justifier la réintroduction des néonicotinoïdes.

Je trouve également que vous avez écarté un peu trop rapidement la solution de l'indemnisation des agriculteurs. Nous en avons déjà parlé : des fonds existent, qui pourraient soutenir la filière en attendant que la recherche trouve des produits de substitution. C'est aussi la proposition défendue par notre ancien ministre Nicolas Hulot. Réautoriser les néonicotinoïdes ne protégera pas les agriculteurs ; leur garantir une rémunération décente me semble bien plus important. Ce fut le combat de Stéphane Travert, ici présent, quand il était ministre de l'agriculture et de l'alimentation.

Et puis, disons-le franchement : l'imbroglio autour du glyphosate comme il a été dit précédemment, ne laisse pas un bon souvenir. Son interdiction a été inscrite dans la loi, puis levée, repoussée à dix ans, puis trois. Finalement, aucun texte n'est contraignant quant à l'arrêt de l'utilisation de cet herbicide.

Dans ce contexte empirique, qui peut imaginer que la réintroduction des néonicotinoïdes ne constitue une dérogation que pour une filière ? Pas grand monde, puisque d'autres filières se pressent pour bénéficier elles aussi de dérogations – elles arrivent, elles sont là, elles sont aux portes.

Enfin, et à mon sens c'est très grave, vous nous présentez un texte dont l'article 2 risque fort la censure du Conseil constitutionnel, puisqu'il contient une dérogation pour une filière et crée donc une rupture d'égalité vis-à-vis des autres filières. Si cet article, du fait de son inconstitutionnalité, venait à disparaître, les candidats n'auront plus même besoin de se bousculer au portillon, il leur suffira de remercier l'ensemble des défenseurs de ce texte d'avoir réintroduit les néonicotinoïdes pour tous.

Je n'aime pas opposer écologie et économie selon les termes du rapporteur. Néanmoins, il faut bien considérer que si nous votons ce texte, cela fera un point pour la finance, et zéro pointé pour le vivant.

Chers collègues, une majorité du groupe Libertés et territoires, convaincue de la nécessité de s'engager vers des pratiques respectueuses de l'environnement, ne votera pas le projet de loi.

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