Intervention de Bertrand Sorre

Séance en hémicycle du mardi 6 octobre 2020 à 15h00
Encadrement de l'image des enfants sur les plateformes en ligne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBertrand Sorre :

Je vous félicite, monsieur le rapporteur, pour le travail que vous avez accompli avec ce texte précurseur en la matière : il était important de se saisir d'un sujet de société qui revêt aujourd'hui une ampleur mondiale. Le développement du numérique, d'internet et des nombreux réseaux sociaux ouvre des perspectives inégalées à la création et à l'imagination. Si ce contexte offre de nouvelles possibilités, il comporte aussi son lot de risques face auxquels il est de notre responsabilité, en tant que législateurs, de combler les vides juridiques : la toile ne doit pas être un espace de non-droit pour nos enfants, que nous devons protéger d'eux-mêmes, des autres, et parfois de leur environnement.

Depuis de nombreuses années, nous assistons à la multiplication de vidéos, parfois diffusées sur des chaînes dédiées, mettant en scène des enfants sur des plateformes numériques publiques. Si ce nouveau phénomène prend une ampleur considérable, c'est notamment parce qu'il peut engendrer d'importants revenus pour les parents et les plateformes. Certaines vidéos et chaînes ont une audience très forte, pouvant atteindre plusieurs millions d'abonnés et totalisant des milliards de vues à travers le monde. Il s'agit donc d'activités pouvant s'avérer extrêmement rentables.

S'improvisant scénaristes, des parents peuvent demander à leurs enfants de recommencer une prise de vue plusieurs fois jusqu'à obtenir la vidéo parfaite et la diffuser, ce qui caractérise une relation de travail. En l'état actuel de notre droit, les gains financiers résultant du placement de produit ou de l'audience obtenue ne sont pas encadrés, et rien ne permet de garantir que l'enfant les percevra à sa majorité. C'est donc la double peine : non seulement les enfants ne bénéficient pas de la protection juridique offerte par le droit du travail, mais ils ne perçoivent pas les revenus dont ils sont pourtant à l'origine.

Créant un nouveau cadre juridique, les dispositions de cette proposition de loi visent à appliquer aux enfants youtubeurs les dérogations existantes, sur le modèle du régime applicable aux enfants du spectacle et aux enfants mannequins, dont le lien de travail avec leurs parents est établi. Elles offrent ainsi un cadre juridique clair, qui assure à l'enfant de pouvoir profiter de l'argent gagné en échange du travail fourni.

Si, bien souvent, les scènes filmées montrent un moment du quotidien en famille, une journée au parc, les enfants en train de manger ou de cuisiner, il arrive que certains parents filment leurs enfants dans des situations ou des postures dégradantes, ce qui peut s'apparenter à de la maltraitance. Il est donc primordial de sensibiliser les parents à ce qu'il est possible de faire ou de ne pas faire, car les abus constatés sont très inquiétants, et la diffusion sur internet de ces moments immortalisés soulève de nombreuses questions au regard de l'intérêt de l'enfant comme de son développement harmonieux.

L'autorité compétente sera donc chargée de délivrer un agrément aux parents et de formuler des recommandations quant aux modalités de réalisation des vidéos, notamment en ce qui concerne les durées maximales quotidienne et hebdomadaire souhaitables. Pour l'heure, nous ne disposons d'aucun recul sur les effets psychologiques liés à l'exposition médiatique des enfants, sur l'augmentation du cyberharcèlement dont ils peuvent être victimes, ou encore sur l'augmentation de la pédopornographie dont ils peuvent être la cible. À ce titre, l'un des points forts du texte est de prévoir un droit à l'oubli numérique. Appelé aussi « droit à l'effacement », il fait partie des droits fondamentaux en matière de traitement des données personnelles. Il est ainsi prévu que, sur demande du mineur, les vidéos concernées pourront être retirées de la plateforme dans les meilleurs délais.

Les parents ne sont pas les seuls à exploiter ce filon : les entreprises et les grandes marques profitent aussi pleinement de la notoriété de certains enfants afin de faire du placement de produit. Il est donc indispensable de sécuriser les gains engendrés et de prévoir des sanctions en cas de non-respect des règles.

Cette proposition de loi est pionnière en matière de protection des droits de l'enfant sur internet : à ce jour, aucun autre État au monde n'a encore légiféré sur le sujet. Elle s'inscrit également dans un mouvement plus large, engagé par notre majorité et concrétisé par l'adoption de la loi relative à la lutte conte la manipulation de l'information et de la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet.

Les sénateurs ont su apporter toute leur compétence technique à ce texte en le précisant et en le renforçant, mais sans en dénaturer l'esprit. J'appelle donc tous mes collègues à voter une nouvelle fois à l'unanimité cette proposition de loi, mais aussi à l'adopter conforme, afin qu'elle puisse entrer en vigueur le plus rapidement possible.

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