Intervention de Muriel Ressiguier

Séance en hémicycle du mardi 6 octobre 2020 à 15h00
Encadrement de l'image des enfants sur les plateformes en ligne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMuriel Ressiguier :

L'avènement du web 2. 0 a provoqué une révolution dans la vitesse de diffusion des contenus et dans leur multiplicité. Véritable phénomène sociétal, l'apparition de nouveaux modes de communication sur les plateformes entraîne des comportements inédits, notamment chez les jeunes générations qui sont friandes de ces technologies et y sont particulièrement exposées. La frontière entre le simple partage en ligne, la recherche de popularité et la démarche commerciale n'est pas toujours clairement affichée, et la notion de travail n'est pas toujours évidente.

La notoriété sur le web est lucrative ; elle est convoitée par des marques et des sociétés de communication qui ne proposent pas toujours une rémunération directe, mais des accès à des lieux privilégiés, à des voyages ou à des produits, en échange de contenus promotionnels. Actuellement, ces contreparties ne sont pas valorisées comme des revenus financiers ni soumises à des cotisations sociales, bien qu'elles atteignent parfois des sommes importantes. Selon un classement des youtubers les mieux payés réalisé par Forbes en 2019, la chaîne de Ryan, un jeune garçon de 8 ans, a ainsi enregistré 26 millions de dollars de recettes. À cet égard, votre proposition de loi a le mérite de combler un vide juridique.

Certes, le phénomène des enfants stars et l'utilisation des plus jeunes dans un but commercial ne sont pas nouveaux. Dans les domaines du mannequinat et du spectacle, la frontière entre l'intime et le professionnel est relativement définie. S'agissant de vidéos enregistrées dans un contexte familial, en revanche, le temps de travail et la notion même de travail sont plus difficiles à appréhender pour l'enfant, voire pour ses parents. Quand un enfant est filmé en train de faire ses devoirs ou de jouer, a-t-il conscience qu'il travaille ? Que dire de la pratique de l'unboxing, consistant à déballer des cadeaux devant la caméra pour faire découvrir un produit ? Face à l'ampleur du phénomène, les plateformes, les parents et les autorités publiques de régulation doivent assumer pleinement leurs responsabilités.

Les enfants qui tournent des vidéos avec leurs parents sont, en outre, soumis aux dérives comportementales observées sur les réseaux sociaux : addiction au web, hyper-narcissisme, compétition exacerbée, harcèlement, risque d'isolement… Le sentiment d'être toujours observé et jugé entraîne une modification des comportements et rétrécit la sphère de l'intime. En quête d'identité et de reconnaissance, les enfants et les adolescents sont particulièrement vulnérables. Votre proposition de loi n'évoque pourtant pas ces risques, pas plus qu'elle n'aborde la collecte de données personnelles occasionnée par le visionnage de vidéos.

En guise de moyen protecteur, vous proposez de délivrer une autorisation ou un agrément à l'employeur – les représentants légaux de l'enfant – et d'inviter les plateformes à signer une charte. Ces propositions, si elles vont dans le bon sens, ne sont pas assez contraignantes pour les plateformes. Il est certes nécessaire – bien que difficile – de dialoguer avec elles, mais l'incitation seule ne peut être un moyen de régulation efficace. La Commission européenne en a d'ailleurs conscience. Une ébauche d'étude d'impact du Digital Services Act, la législation européenne relative aux services numériques, affirme ainsi que les plateformes se soumettent de manière inégale aux obligations de la directive e-commerce, vu leur nature volontaire.

Le texte devrait également être plus protecteur concernant le délai de retrait des images imposé aux plateformes dans le cadre du droit à l'oubli numérique – car, à l'heure de la communication instantanée, la diffusion virale des contenus est souvent fulgurante.

Enfin, le placement de produits devrait être proscrit des vidéos diffusées sur les plateformes dont l'auteur ou le destinataire est un enfant de moins de 16 ans. Ce n'est pas un scoop : les enfants sont particulièrement influencés par la publicité, qu'elle soit assumée ou déguisée. Selon l'association Résistance à l'agression publicitaire, 76 % des demandes d'achat ou des achats émanant d'enfants de 4 à 10 ans sont liés à une publicité. Dans une tribune de janvier 2016, Philippe Meirieu et Serge Tisseron observent qu'avant 6 ou 7 ans, les enfants n'établissent pas de distinction entre les programmes et les messages publicitaires, mélangeant réalité, fiction et prescription.

Si la proposition de loi pose un premier jalon utile, nous regrettons – vous vous en doutez – qu'elle ait été en grande partie vidée de sa portée coercitive lors de la première lecture par la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale. Nous restons convaincus qu'il est nécessaire de montrer une détermination politique sans faille pour contraindre les plateformes, guidées par la seule logique du profit, à respecter certaines règles. Avec les réserves que je viens d'évoquer, le groupe La France insoumise votera ce texte.

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