Intervention de Mathilde Panot

Séance en hémicycle du mardi 21 juillet 2020 à 15h00
Prorogation de mesures du code de la sécurité intérieure — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMathilde Panot :

Monsieur le ministre, 30 octobre 2017, vote de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ; 21 juillet 2020, vote pour la prolongation de cette même loi ; 10 septembre 2018, vote de la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie ; 10 avril 2019, vote de la loi visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations, dite anti-casseurs – ou, devrais-je dire, anti-manifestants ; 13 mai 2020, vote de la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, retoquée ensuite par le Conseil constitutionnel ; 23 mars 2020, vote de la loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 ; 28 avril 2020, vote du projet StopCovid ; 11 mai 2020, vote de la loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire. Dernièrement, nous avons débattu de la proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine, et prochainement, nous devrons nous pencher sur le projet de loi contre les séparatismes, annoncé par le Premier ministre – rien que cela. Chers collègues, n'en avez-vous pas assez ?

Nous voilà convoqués une nouvelle fois dans l'hémicycle pour votre énième caprice sécuritaire. Et comme toujours, nous ne disposons d'aucune information qui garantisse l'efficacité des mesures que vous voulez prolonger. Vous nous invitez à prendre position sur la prorogation d'une loi, alors que la mission de contrôle de l'Assemblée nationale n'a toujours pas rendu son rapport. Une évaluation a pourtant été exigée par la Commission nationale consultative des droits de l'homme – CNCDH – et par la rapporteure spéciale des Nations unies. Non : à la place, nous disposons des données et des affirmations du ministère de l'intérieur dans son rapport annuel sur l'application de la loi, sans aucune contradiction. Bien entendu, on imagine mal le ministère de l'intérieur contester un dispositif que le ministre lui-même soutient !

Votre surenchère sécuritaire montre ses limites. L'argument derrière l'article qui renforce les algorithmes est contesté par les faits : une publication du Monde, datant de 2019, nous révèle que, d'après une source du ministère de l'intérieur – vous n'allez pas la contester ! – , cinquante-huit des cinquante-neuf attentats déjoués depuis six ans l'ont été grâce au renseignement humain. C'est une intervention humaine qui permet, dans l'immense majorité des cas, d'empêcher le mal d'advenir. Les boîtes noires que vous pérennisez ont permis, entre 2017 et fin 2018, d'identifier moins de dix personnes à risque, sans qu'aucune de ces trouvailles n'ait à ce jour débouché sur un dossier opérationnel. Pourtant, dans l'étude d'impact, vous vantez le dispositif et vous en inversez la logique. La technologie n'attrape pas suffisamment de coupables potentiels ? Il faut accroître la technologie ! Vous savez où mène cette logique : à la fabrication artisanale des coupables.

Et tout cela, à quel prix ? Amnesty International a démontré que les mesures de la loi SILT pouvaient conduire à des violations du droit à une procédure équitable, du droit de circuler librement, du droit au travail et du droit au respect de la vie privée et familiale, ainsi qu'à de graves conséquences psychologiques. Le recueil de renseignement par algorithmes est taillé pour avaler une grande quantité de données et pourrait, à terme, être étendu à l'ensemble de la population. Ni la nécessité, ni la proportionnalité, ni l'efficacité de telles mesures n'ont été démontrées.

L'antiterrorisme est un sujet bien trop sérieux pour n'en faire qu'un appât électoral. Ce n'est pas parce que vous agitez les bras, que vous parlez fort et proposez un énième texte de loi que vous garantirez la sécurité de la nation. Il est temps de revenir à la raison : donnez des moyens à la justice et des moyens humains aux services de renseignement. Voilà ce que devrait être une véritable politique contre les actes terroristes !

Mais surtout, ne jouez pas avec nos libertés fondamentales. Au fond, vous pensez que la peur prépare à tout accepter. Elle permet d'accomplir votre rêve, qui a échoué à Tarnac et qui continue à Bure : celui de contrôler la population jusqu'à l'absurde, en distribuant des « associations de malfaiteurs » selon votre envie.

Des coupables fabriqués de toutes pièces, Tarnac en a connu. Ayez à l'esprit ce fiasco de l'antiterrorisme, quand des individus ont été poursuivis pour association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste sur la base d'un livre, puis poursuivis pour association de malfaiteurs tout court, et enfin pour rien du tout, puisqu'ils ont été relaxés en 2018. Cette procédure a duré dix années : dix années durant lesquelles les services de renseignement se sont mêlés à l'enquête judiciaire, dix années durant lesquelles les propos et constatations des policiers, protégés par le secret défense, ne pouvaient être vérifiés par le juge judiciaire.

Pensez à Bure, bastion de la surveillance généralisée des militants antinucléaire. L'enquête pénale sur les opposants au projet d'enfouissement de déchets a déjà coûté 1 million d'euros. La politique répressive qui consistait à faire des contrôles d'identité systématiques a même été jugée illégale par la cour d'appel de Nancy.

Il y a ceux sur lesquels on s'acharne et ceux que l'on épargne, comme lorsqu'on prétend n'avoir pas trouvé les organisateurs d'une manifestation de policiers. C'est là votre pouvoir : vous décidez qui sème la terreur.

Nous voilà, encore une fois, à nous installer dans le provisoire en prolongeant des mesures sécuritaires sous prétexte d'épidémie. Le coronavirus a bon dos et nous ne sommes pas dupes : il y a un continuum sécuritaire dans votre politique. Avec ce vote, vous confortez Giorgio Agamben dans ses positions : « Le pouvoir aujourd'hui n'a d'autre forme de légitimité que l'état d'urgence et partout et continuellement en appelle à lui et travaille en même temps secrètement à sa production (comment ne pas penser qu'un système qui ne peut désormais fonctionner que sur la base d'un état d'urgence ne soit pas également intéressé à maintenir cet état à n'importe quel prix ? ). »

Chers collègues, sans surprise, le groupe La France insoumise votera contre ce texte. On ne gouverne pas dans l'exception !

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