Intervention de Mathilde Panot

Séance en hémicycle du mercredi 15 juillet 2020 à 21h30
Encadrement du démarchage téléphonique et lutte contre les appels frauduleux — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMathilde Panot :

« Du harcèlement, un fléau qui pourrit nos vies jusqu'à quatre fois par jour, parfois la nuit » : ma mère n'a pas de mots assez durs pour parler du démarchage téléphonique. « Tu sais, Mathilde, on nous dérange chez nous – quand ce n'est pas pour une cheminée, c'est pour des fenêtres ; quand ce n'est pas pour des fenêtres, c'est pour des brosses à dents électriques ; quand ce n'est pas pour des brosses à dents électriques, c'est pour des portes, des assurances, des chaussettes triple épaisseur. »

Le propre du démarchage téléphonique est de vouloir vendre des choses inutiles à des gens qui n'en éprouvent pas le besoin. Il s'adresse à des personnes vulnérables, dont le téléphone fixe est parfois le seul moyen de communication et de contact avec l'extérieur ; à des personnes âgées, isolées, qui attendaient un coup de fil de leurs proches et qui, au lieu d'entendre une voix familière et rassurante, tombent sur une voix robotique ou pressée qui les somme d'acheter le dernier gadget à la mode – quand il ne s'agit pas tout simplement d'une arnaque.

L'expression « démarchage téléphonique » que vous employez est un euphémisme : il s'agit, en réalité, du marché qui s'immisce dans tous les aspects de notre vie, jusqu'à notre domicile, jusqu'à notre intimité, jusqu'à des heures tardives. C'est le marché qui s'attaque à la tranquillité des citoyens, qui s'adresse à eux comme à des consommateurs éternels, à toute heure du jour ou de la nuit.

Dans les coulisses, c'est une aberration sociale. Les centres d'appel délocalisés sont le théâtre de ce gâchis humain. On y emploie – bien souvent de l'autre côté de la Méditerranée – des milliers de salariés, payés une misère pour appeler frénétiquement des inconnus et leur vendre des choses à tout prix. On y croise des employés sous pression, à qui il est demandé d'appeler, de rappeler, d'appeler plus vite, qui sont insultés au téléphone, à qui l'on raccroche au nez tout au long de la journée. Contrôlés en permanence, ils vivent sous la dictature du chiffre : leur travail est traduit en statistiques, en performance, en reporting quotidien.

Quel est le sens de ces emplois, alors que neuf Français sur dix se déclarent excédés par le démarchage téléphonique ? Les capacités et les qualifications de ces salariés seraient mieux utilisées ailleurs. Leur métier est l'archétype de l'emploi inutile, et même nuisible, qui produit du mal-être. Comme le dit David Graeber, « des populations entières [… ] passent toute leur vie professionnelle à effectuer des tâches dont elles pensent secrètement qu'elles n'ont pas vraiment lieu d'être. Cette situation provoque des dégâts moraux et spirituels profonds. C'est une cicatrice qui balafre notre âme collective ».

« Mais, au moins, cela crée des emplois ! », me répondrez-vous – sans jamais vous interroger sur la vision du monde à laquelle ces emplois contribuent. Nous pouvons créer des millions d'emplois utiles en opérant une véritable bifurcation écologique et solidaire. Le démarchage téléphonique, lui, est une aberration non seulement sociale, mais aussi écologique. Vendre des choses inutiles n'a jamais été autant qu'aujourd'hui en décalage avec l'époque.

Une activité nuisible, qui dérange les Français dans leur quotidien, pratiquée par des salariés bien souvent maltraités et coûteuse écologiquement : vous avez là toutes les raisons d'interdire une telle pratique. Pourtant, vous préférez accorder un sursis au marché. Avec vous, c'est l'incitation plutôt que l'interdiction. Nous y sommes habitués : vous nous aviez fait le même coup pendant l'examen de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire. Nous proposions alors d'inverser le principe en vigueur de sorte que seules les personnes ayant accolé une mention « Oui pub » sur leur boîte aux lettres puissent recevoir de la publicité. Mais vous aviez déjà préféré laisser la main aux entreprises – il est vrai qu'il serait dommage de priver les citoyens d'un après-midi de lecture de brochures publicitaires…

La vérité, c'est que personne n'apprécie le démarchage téléphonique. Or, de ce point de vue, que change concrètement la proposition de loi ? Va-t-elle permettre à nos proches de cesser d'être harcelés par des appels commerciaux ? Non : ils recevront toujours des appels intempestifs, mais on leur présentera la démarche à entreprendre pour ne plus être sollicités. Les entreprises auront même une charte de déontologie et un code de bonnes pratiques. Et peu importe que les personnes harcelées ne soient peut-être pas à l'aise avec les démarches à suivre, qu'ils n'aient pas le courage de les effectuer ou que le dispositif Bloctel lui-même dysfonctionne. Vous protégez l'intérêt des centres d'appel et faites porter la responsabilité des démarches aux citoyens : quel progrès !

Le démarchage téléphonique est l'archétype de la société du vide, où la sphère marchande engloutit tout sur son passage en se servant des moyens de communication qui nous relient à celles et ceux que nous aimons. Nous ne voulons pas de cette civilisation. Nous ne voulons pas de ces interactions désincarnées, inauthentiques, qui n'ont pour but que d'engraisser les entreprises. Personne ne souhaite être traité comme un moyen, comme un acheteur, plutôt que comme un être humain.

On n'encadre pas par des mesurettes une pratique qui produit de la souffrance au travail et dont personne ne veut : on l'interdit. C'est le principe même de la politique comme mode d'organisation de notre vie collective.

Le groupe de La France insoumise s'abstiendra donc lors du vote du texte, en attendant qu'un jour, peut-être, vous vous placiez du côté des citoyens plutôt que de celui des entreprises.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.