Intervention de Muriel Pénicaud

Séance en hémicycle du lundi 22 juin 2020 à 16h00
Santé au travail — Discussion générale

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

Permettez-moi de remercier le groupe La République en marche, ainsi que les groupes du Mouvement démocrate et apparentés et Agir ensemble, d'avoir inscrit cette proposition de résolution à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. J'en suis très heureuse, d'autant que c'est un sujet qui me tient particulièrement à coeur et sur lequel je travaille depuis des années. Je pense en particulier à ma collaboration, en 2010, avec Henri Lachmann, alors président du conseil de surveillance de Schneider Electric, et Christian Larose, qui était secrétaire général de la fédération Textile-habillement-cuir de la CGT et vice-président du Conseil économique, social et environnemental, dans le cadre de notre rapport sur le bien-être et la santé au travail.

Dans ma vie précédente, j'ai également lancé Dan'Cares, premier système mondial de protection sociale et de couverture santé qu'ait créé une entreprise internationale, à destination de l'ensemble de ses salariés. Cette initiative a été suivie par plus de trois cents autres entreprises internationales, et elle a été saluée et encouragée par l'OIT, l'Organisation internationale du travail.

Toujours sur le plan international, à la suite du discours du Président de la République au siège de l'OIT, le 11 juin 2019, j'oeuvre à la mise en place, à l'initiative de la France, d'un fonds mondial de protection sociale en vue d'apporter une couverture santé à l'ensemble de la population de chaque pays. On sait en effet qu'aujourd'hui près de la moitié de la population mondiale n'a pas de couverture santé. Cette initiative est soutenue par le G7 social, que j'ai eu l'honneur de présider, par les partenaires sociaux mondiaux, tant syndicaux que patronaux, par la Commission européenne et, désormais, par l'OIT, le FMI – Fonds monétaire international – et l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques.

Outre le fait que cela me permet de partager avec vous cette expérience, je me réjouis d'être ici pour deux raisons.

D'abord, parce que la proposition ambitieuse que vous présentez est le fruit d'un travail approfondi et d'un engagement de longue date des députées Charlotte Lecocq, Carole Grandjean et Cendra Motin, que je tiens à saluer tout particulièrement. Vous avez été au demeurant nombreux à le rappeler : cette proposition de résolution s'inscrit dans la continuité de travaux parlementaires de qualité – je pense notamment au rapport de MM. Julien Borowczyk et Pierre Dharréville, ainsi qu'au rapport sénatorial de M. Stéphane Artano et Mme Pascale Gruny.

Ensuite, l'inscription de l'examen de cette proposition de résolution à l'ordre du jour intervient à un moment particulièrement opportun, qu'il s'agisse du contexte sanitaire ou de l'engagement, il y a quelques jours, de négociations par les partenaires sociaux. C'est pourquoi, monsieur Viry, monsieur Favennec Becot, votre abstention m'étonne et me désole. Cette proposition de résolution appelant à faire de la France l'un des pays les plus performants en matière de santé au travail permet à l'ensemble de la représentation nationale d'être en parfaite résonance, à cet instant, avec les aspirations de nos concitoyens. C'est là le rôle premier du législateur, son essence même ; cette résolution nous le rend particulièrement palpable, et je vous en remercie.

De façons différentes, dans vos interventions, vous avez au fond posé la même question : comment éviter aux travailleurs d'être exposés, dans l'exercice de leurs fonctions, à un risque pour leur santé, en l'occurrence au risque de contamination par un virus jusqu'alors inconnu ? On ne doit pas avoir à choisir entre l'émancipation par le travail et la protection de la santé des travailleurs. Car, oui, dès que les risques de propagation du covid-19 ont été connus, cette question fondamentale s'est posée, dans nos esprits et dans nos actes, avec une acuité et une omniprésence inédites – je pèse mes mots puisque pendant presque trois mois, nous avons tenu, deux fois par semaine, une réunion téléphonique avec les partenaires sociaux, et le sujet de la santé au travail a été au coeur de l'ensemble de ces vingt réunions.

Cette question s'est posée au Gouvernement comme aux parlementaires engagés sur le sujet. Elle s'est posée, dans vos circonscriptions, aux chefs d'entreprise, aux salariés eux-mêmes et aux organisations syndicales. Par capillarité, ce défi s'est imposé de façon impérieuse à toute la société, révélant ainsi la puissance de ce lien humain, économique et social qui constitue la force première de notre pays. Oui, le travail est la force première ; et si nous avons pu traverser cette période inédite, c'est grâce à la poursuite du travail de nombreux salariés, qu'il s'agisse des soignants et des personnels paramédicaux ou des salariés de la deuxième ligne. Ils ont permis à tous nos compatriotes de rester confinés et protégés pendant des semaines. En assurant les services les plus importants pour la continuité économique et sociale du pays, ils nous ont permis de tenir.

La crise sanitaire a donc ravivé la question primordiale de la préservation de la sécurité et de la santé des travailleurs – de tous les travailleurs. La santé au travail est devenue un enjeu de société, et non plus une question réservée aux experts. Chacun s'est senti et se sent désormais concerné : sur ce point, il y a une différence entre il y a quatre mois et aujourd'hui. L'impératif de protection de la santé des salariés n'a d'ailleurs guère disparu avec la levée du confinement. Il continue évidemment à s'imposer aujourd'hui, dans la perspective d'une reprise d'activité la plus importante possible, alors que le virus circule toujours, bien que de manière réduite.

Contrairement à ce qu'ont dit MM. Alain David et Pierre Dharréville, les 50 000 comités sociaux et économiques créés depuis 2018 ont pleinement joué leur rôle pour mettre en oeuvre les guides sanitaires et, aujourd'hui, pour réfléchir aux conditions de la reprise du travail sans mise en danger des salariés. On voit là toute la pertinence de l'approche globale, déjà adoptée dans d'autres pays plus avancés que nous en matière de prévention et de santé au travail. Pour définir les plans de reprise de l'activité, il faut à la fois faire évoluer l'organisation et les horaires du travail et aménager les gestes barrières ; or toutes ces questions relevaient d'instances différentes, il n'y avait aucun lieu dans l'entreprise où l'on pouvait adopter une vision systémique. Cette fusion est désormais réalisée, et c'est une bonne chose.

Durant les mois précédents, vous le savez, des mesures exceptionnelles ont été prises par le Gouvernement pour aider les entreprises à protéger les salariés et à limiter la propagation du virus. Nous avons élaboré et diffusé des consignes générales, ainsi que plus de quatre-vingt-dix guides métiers, permettant d'adapter les gestes barrières à différentes professions et protéger ainsi la santé des salariés. Ces guides sont le fruit du travail remarquable de la direction générale du travail, qui fait partie de mon ministère – je salue les agents qui se sont donnés corps et âme – , des autorités de santé, ainsi que des branches professionnelles et des partenaires sociaux qui les ont coélaborés et validés. Je salue le travail de coordination réalisé par le secrétaire d'État Laurent Pietraszewski, dans le cadre de sa mission auprès de moi. Je remercie en outre toutes celles et tous ceux qui, sur ces bancs, se sont fait le relais des attentes des acteurs de leurs circonscriptions, s'agissant de ces guides et de leur adaptation en temps réel.

En outre, les services de l'État ont été mobilisés pour accompagner les entreprises et contrôler la mise en oeuvre des mesures de protection.

Vos interventions montrent que nous partageons le constat suivant : la période récente n'a cessé d'exacerber la tension entre, d'une part, l'impératif renforcé d'assurer aux salariés la protection de leur santé et de leur sécurité dans leur activité professionnelle et, d'autre part, la réalité de terrain. On a ainsi mesuré à quel point il est parfois difficile, pour les acteurs – entreprises et salariés – , de trouver les bonnes mesures de protection et de bénéficier, partout sur le territoire, des services adéquats pour assurer celle-ci.

Je parle d'impératif renforcé, car la protection des salariés est, vous le savez, depuis longtemps une priorité de notre action. Je l'ai dit : pour que le travail soit et demeure véritablement un vecteur d'émancipation pour tous – c'est notre vision du travail – , il ne doit altérer ni la santé ni la sécurité de celles et ceux qui l'exercent. C'est pour cela que nous considérons la santé au travail comme un enjeu de progrès social, un enjeu d'humanité et d'efficacité collective.

Votre proposition de résolution montre la complexité du système actuel, fondé sur un ensemble d'obligations plus ou moins précises à la charge de l'entreprise, avec divers acteurs chargés d'accompagner, de contrôler ou de conseiller les entreprises en la matière. Certains ont regretté que, durant la crise du covid-19, les services de santé au travail aient été insuffisamment présents – avec d'heureuses exceptions. Ce système a suscité des critiques de la part de certains employeurs, notamment des PME, ou de salariés. Il conviendra d'analyser très prochainement la période que nous venons de traverser afin de mieux identifier les réussites et les défaillances de ce système, notamment lorsqu'il doit faire face à une situation exceptionnelle.

Avant même ce contexte épidémique, nous étions confrontés, en matière de préservation de la santé au travail, à des enjeux nouveaux. J'en vois quatre. D'abord, des enjeux liés aux évolutions technologiques, qui présentent à la fois des risques et des opportunités pour la santé et la sécurité des travailleurs : du côté des risques, je pense notamment à l'évolution des risques chimiques et au travail sur les plateformes ; du côté des opportunités, à la télémédecine, qui peut permettre une couverture plus large, en particulier des zones rurales. Ensuite, des enjeux liés à la révolution démographique, au vieillissement de la population et à l'allongement de la durée de vie professionnelle, ainsi qu'à la nécessité de prendre en considération la situation des plus vulnérables – maladie ou handicap – dans le monde du travail, comme Mmes Charlotte Lecocq et Sophie Auconie l'ont souligné. Troisièmement, des enjeux économiques, qui ont profondément transformé, ces dernières années, l'organisation du travail, notamment dans le cadre des relations entre donneurs d'ordre et sous-traitants, affectant directement la santé des travailleurs. Enfin, quatrième série d'enjeux, évoqués par Mmes Michèle de Vaucouleurs et Charlotte Lecocq, ainsi que par MM. Guillaume Chiche et Paul Christophe : les enjeux liés à la gouvernance ; au recrutement, aux parcours de formation, de valorisation et d'amélioration des carrières des services de santé au travail ; et aux modalités de coopération avec la médecine de ville, qui sont plus que perfectibles.

Ces enjeux ont fait évoluer la notion de protection des travailleurs. Et, tout comme vous, les acteurs s'accordent désormais à dire qu'il faut améliorer de façon significative la santé au travail – c'est de bon augure pour le jour où il y aura un texte à débattre ! – et installer durablement, au quotidien, une véritable culture de la prévention qui permette de conjuguer performance économique et protection des salariés.

Pour hâter la traduction opérationnelle de cette priorité, nous avons souhaité, dès 2018, donner une nouvelle dynamique pour faire évoluer notre système de santé au travail vers une prévention plus efficace. Pour explorer les orientations à prendre en la matière, le Premier ministre vous a confié, madame Lecocq, ainsi qu'à Bruno Dupuis et Henri Forest, une mission en janvier 2018. Après une longue et importante consultation, le rapport « Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée », que vous avez remis en août 2018, a formulé plusieurs propositions pour concrétiser ces principes grâce à une refonte de la structuration des acteurs de la santé au travail. Ces propositions ambitieuses ont été soumises aux partenaires sociaux, dans le cadre du Conseil d'orientation des conditions de travail, afin qu'ils en débattent et formulent des propositions d'évolution ou de négociation. Malheureusement, ces travaux n'ont pas pu aboutir dans le cadre de cette instance. Néanmoins, à l'issue de ces premiers travaux, à la fin de l'année 2019, les organisations syndicales et patronales représentatives au niveau interprofessionnel ont annoncé qu'elles souhaitaient ouvrir une négociation sur le sujet de la santé au travail.

À la suite des récents événements – nous sommes tombés d'accord pour constater la difficulté de l'organiser dans ce contexte – , cette négociation a dû être reportée, mais elle s'est finalement officiellement ouverte le 15 juin dernier. Le 13 juin, j'ai adressé aux négociateurs un document d'orientation présentant les principaux objectifs de cette négociation, conformément aux règles en matière législative. Trois axes sont clairement identifiés : mieux protéger la sécurité et la santé des travailleurs et favoriser leur maintien dans l'emploi tout au long de la vie ; accompagner plus efficacement les entreprises, quels que soient leur taille, leur secteur d'activité et leur environnement, pour qu'elles adoptent des mesures de prévention adaptées aux risques qui leur sont propres – tous les salariés doivent être couverts, y compris dans les TPE, ce qui n'est pas toujours le cas, et la prévention doit être le maître mot ; améliorer l'efficacité de la gouvernance de la santé au travail, au service de l'objectif général d'amélioration de la prévention, au bénéfice des employeurs et des salariés.

Nous partageons pleinement ces objectifs – en témoignent les discours que vous venez de tenir dans cet hémicycle. La proposition de résolution que vous présentez aujourd'hui les promeut très clairement. Je pense en particulier à l'alinéa 12, qui exprime votre intention de légiférer, ainsi qu'à l'alinéa 13, qui rappelle votre triple ambition : faire de la santé au travail, en particulier de la prévention des risques professionnels, un axe prioritaire des politiques publiques des prochaines années ; garantir à tous les travailleurs un accès rapide et de qualité aux services de santé au travail ; renforcer les moyens d'accès et de maintien dans l'emploi des travailleurs les plus vulnérables.

Je connais et je partage votre attachement au dialogue social à tous les niveaux. En matière de santé du travail, comme je viens de l'indiquer, le temps de la démocratie sociale est à présent ouvert et il convient de le respecter. Sans anticiper sur l'issue des négociations en cours, nous savons que l'apport des représentants des employeurs et des salariés sera très utile, voire indispensable, pour conduire sur le terrain une réforme ambitieuse et efficace, que la démocratie parlementaire enrichira, dans un second temps – le plus rapidement possible – , avant de lui donner sa traduction législative.

Dans cette perspective, que cette proposition de résolution nous permet de réaffirmer, je confirme l'intention du Gouvernement de vous accompagner dans le travail sur une réforme ambitieuse en matière de santé au travail, plus que jamais au coeur des préoccupations de nos concitoyens. C'est pourquoi le Gouvernement soutient pleinement l'adoption de ce texte.

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