Intervention de Mathilde Panot

Séance en hémicycle du lundi 22 juin 2020 à 16h00
Santé au travail — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMathilde Panot :

Il y a les paroles – et puis il y a les actes. Il y a les belles paroles : vous nous proposez de faire de la France l'un des pays les plus performants en matière de santé au travail – et puis il y a les actes.

Vos actes, c'est gazer des soignants en colère, épuisés par les heures passées à nous soigner, nous et nos proches, sans moyens, sans avoir été testés et trop souvent sans protection. Farida C. est l'une d'entre elles. Mardi, alors qu'elle manifestait, elle a été tirée par les cheveux, traînée à terre, violentée, alors qu'elle suppliait qu'on lui donne sa Ventoline. Voici ses mots : « Je ne comprends pas pourquoi on gaze les soignants. Nous venons réclamer nos droits, nous venons dire : "Au secours, l'hôpital brûle ! " Ça fait longtemps que nous vous disons que nous allons mal, que nous ne pouvons plus soigner les gens dans la dignité, que nous ne pouvons plus honorer nos missions. Vous n'entendez pas, vous nous envoyez des gaz ? C'est incroyable, je croyais que c'était fini, ça, je croyais que nous étions les héros de la République… »

Vos actes, c'est supprimer certains critères de pénibilité, casser le code du travail par ordonnances et détruire les CHSCT.

Vos actes, c'est laisser faire le travail détaché, qui exploite plus de 1 million de salariés dans notre pays.

Vos actes, c'est détruire l'inspection du travail et sanctionner les inspecteurs quand ils dérangent trop les entreprises à votre goût, comme ce fut le cas pour Anthony Smith, qui demandait seulement à une structure d'équiper ses salariés en masques.

Vos actes, c'est laisser les entreprises maintenir leurs activités non essentielles, en dépit du fait que des milliers de salariés sont inutilement exposés au virus.

Vos actes, c'est rejeter une proposition de loi pour la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle. Ce syndrome d'épuisement professionnel est pourtant connu depuis 1975, mesuré, documenté, classé, quantifié – mais il est ignoré par la loi.

Vos actes, c'est rejeter notre proposition visant à ce que l'infection au covid-19 soit reconnue comme une maladie professionnelle, alors que les soignants, les caissiers, les femmes de ménage qui se sont mobilisés pendant le confinement et qui ont contracté le virus ont payé le prix de votre désinvolture et de celle de leur direction.

Vos actes, c'est balayer d'un revers de la main notre proposition de loi visant à interdire le glyphosate, qui empoisonne la population, et les paysans en premier lieu, puisque ce pesticide augmente de 41 % le risque de cancer chez les travailleurs agricoles.

Vos paroles, celles contenues dans la proposition de résolution, prennent bien soin d'éluder les inégalités sociales et économiques. Pourtant, celles-ci sont inextricablement liées aux inégalités en matière de santé. C'est cette réalité sociologique que vous évacuez à chaque ligne de la proposition de résolution. Dans votre monde, les entreprises n'auront qu'à diffuser des messages de santé publique sur les addictions, le sommeil, la nutrition… et le problème sera réglé.

En aucune manière, vous ne faites la genèse de telles pathologies. Vous dites par exemple que « personne ne doit être écarté du monde du travail parce qu'il a subi un cancer ou un accident grave ». Là encore, vous prenez le problème à l'envers. Comme le souligne la sociologue de la santé, Annie Thébaud-Mony : dans les années 1980, un ouvrier avait quatre fois plus de risques de mourir du cancer qu'un cadre supérieur ; aujourd'hui, c'est dix fois plus !

Les travailleurs et les travailleuses de ce pays ne sont pas en apesanteur sociale. Résorber les inégalités de santé nous oblige à repenser notre système économique à la racine. La santé au travail nous propose un défi qui dépasse de bien loin la pâle communication à laquelle se réduit votre texte. Que vous osiez déposer une proposition de résolution pour faire de la France l'un des pays les plus performants en matière de santé au travail semble une provocation. C'est comme si vous déposiez une proposition de résolution pour une meilleure répartition des richesses après avoir baissé les APL, les aides personnalisées au logement, et supprimé l'impôt de solidarité sur la fortune, l'ISF.

Il y a les paroles – et puis il y a les actes. Quand les paroles sont creuses et la volonté politique inexistante, le résultat est funeste : au moins dix personnes meurent chaque semaine sur leur lieu de travail en France.

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