Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du mardi 9 juin 2020 à 15h00
Débat sur le soutien à l'économie face à la crise due au covid-19

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

Je suis assez surpris du thème de notre débat. Nous sommes censés voir comment la sincérité et le rétablissement des finances publiques favorisent le soutien à l'économie dans la crise du covid-19. En d'autres termes, nous devrions déterminer si la politique économique macronienne nous a bien sauvé la mise.

L'autosatisfaction qui se dégage de cette question est stupéfiante pour qui connaît la gravité de la crise sanitaire et économique que nous traversons. Vous sous-entendez non seulement que la crise économique est sous contrôle et que le soutien de l'État est suffisant, mais aussi que ce serait grâce à toutes vos super-décisions d'austérité et autres baisses de budget ou diminutions des recettes dues aux cadeaux fiscaux faits aux plus riches que vous avez opérées depuis 2017 ! Je l'affirme sans hésiter : c'est complètement faux, et c'est même tout l'inverse !

La logique économique que vous appelez pudiquement « la sincérité et le rétablissement des finances publiques » a fragilisé le pays. C'est cette logique qui a transformé l'épidémie en véritable crise sanitaire, sociale et économique. En précarisant la recherche et l'hôpital publics, vous n'avez pas protégé les finances publiques : vous nous avez mis en danger. En fermant des lits et en supprimant des postes, vous nous avez mis en danger – les soignants en premier lieu. En laissant faire la délocalisation et la fermeture d'usines – je songe par exemple à l'usine de masques de Plaintel, en 2018 – , comme vous annoncez maintenant vouloir laisser faire les suppressions de postes à Renault, vous nous avez mis en danger. En cassant le code du travail, en affaiblissant le rapport de force des employés face à leur patron et en supprimant les CHSCT – comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail – , qui furent si importants pour prévenir les épidémies, vous avez mis les salariés en danger. En laissant les plateformes prétendre que les livreurs ubérisés ne sont pas vraiment leurs employés et qu'elles n'en sont donc pas responsables, vous nous avez mis en danger.

Ce que vous présentez comme la sincérité budgétaire, comme des décisions sages et raisonnables, c'est ce que j'appelle, pour ma part, des bombes à retardement. À répéter sans cesse que l'État coûte trop cher, à vouloir couper du budget tout ce qui dépasse ou dont la suppression ne fera pas trop de bruit, et à ne jamais investir dans rien, on détruit tout. On le constate dans tous les secteurs décisifs : celui de la santé, bien sûr, mais aussi celui du logement. Le mal-logement et les souffrances qui y sont associées sont devenus un fléau pour des millions de Français – plus encore pendant le confinement.

Gouverner, ce n'est pas trouver des solutions de bric et de broc pour limiter la casse face à une catastrophe. C'est anticiper et investir pour prévenir et éviter le plus possible ces catastrophes. C'est faire en sorte que nous soyons, toutes et tous, les plus forts possible pour y faire face collectivement, en prenant des mesures sociales et en conservant des services publics solides, pour être en mesure d'affronter les crises quand elles se manifestent malgré tout.

Une fois les drames survenus, on regrette. Cela avait déjà été le cas lors de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen, lequel a tristement illustré le manque de budget et d'inspecteurs dédiés à la prévention des risques. C'est encore ce qu'on constate maintenant, à une autre échelle, avec la crise du covid-19. Ces regrets, il faut s'en saisir et les prendre très au sérieux. Vous ne pouvez pas vous contenter de les agiter pendant la crise pour rassurer la population et finalement ne rien changer.

Lors de son allocution du 12 mars, le président Emmanuel Macron a annoncé : « Ce que révèle d'ores et déjà cette pandémie, c'est que la santé gratuite sans conditions de revenu, de parcours ou de profession, notre État-providence, ne sont pas des coûts ou des charges, mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c'est qu'il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner – notre cadre de vie, au fond – à d'autres est une folie. » Ces mots étaient justes. Ils ont même donné des espoirs aux Françaises et aux Français qui les ont crus. Emmanuel Macron avait ensuite ajouté : « Les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de rupture en ce sens. » Il a été jusqu'à parler de réinvention. Malheureusement, j'ai beau chercher ces décisions de rupture, je ne les trouve pas.

Une pandémie plus tard, Emmanuel Macron voudrait même nous convaincre que sa politique va dans le bon sens depuis le début, mais qu'elle ne produit simplement pas ses effets assez vite. C'est faux. Il n'est plus l'heure de communiquer et de tenter de faire croire que casser les services publics et les renforcer reviendrait exactement au même. Il faut savoir assumer ses regrets et ses erreurs. Il faut savoir changer de cap quand une pandémie nous montre, par A plus B, qu'on avait tout faux depuis le départ.

Au lieu de quoi vous recommencez tout comme s'il ne s'était rien passé. Vous parlez de remboursement de la dette, de remise en question des 35 heures en échange d'une augmentation du salaire des soignants, comme s'ils ne travaillaient pas suffisamment ! Vous donnez des milliards aux grandes entreprises, sans conditions ni contreparties. Vous ne rétablissez même pas l'ISF. Et voilà que vous voudriez même nous faire applaudir les choix politiques que vous avez faits depuis 2017, au nom de la crise ?

L'heure n'est plus au déni : il est encore temps de sortir de votre carcan idéologique, de prendre sérieusement conscience de vos erreurs et de changer de politique, même si, pour ma part, j'estime que cela passera par un changement de majorité.

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