Intervention de Adrien Taquet

Séance en hémicycle du mardi 26 mai 2020 à 15h00
Droits des travailleurs et accompagnement des familles après le décès d'un enfant — Présentation

Adrien Taquet, secrétaire d'état auprès du ministre des solidarités et de la santé :

Après des échanges avec les familles, vous avez également souhaité la prolongation d'un certain nombre de prestations : les allocations familiales, le complément familial, l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé ou encore l'allocation de soutien familial. Pour certaines familles, non seulement l'arrêt brutal du versement de ces prestations entraîne des difficultés financières mais il est vécu comme une violence supplémentaire. De même, le maintien de la prise en compte de l'enfant dans le calcul du revenu de solidarité active, le RSA, et de la prime d'activité sera désormais automatique. Pendant treize semaines, comme l'a rappelé Mme la ministre, les parents endeuillés seront protégés dans leur environnement professionnel : aucune rupture de contrat de travail ne sera possible.

Enfin, nous expérimenterons un accompagnement psychologique des parents mais aussi des frères et soeurs, qui sont trop souvent les oubliés de ces drames. Chaque membre de la famille, jusqu'aux plus jeunes, doit trouver le soutien dont il ressent le besoin. Cet accompagnement sera donc de plein droit. L'expérimentation, qui commencera cette année, permettra de préciser les modalités des interventions professionnelles en consultation avec les parties prenantes, en particulier les familles et les associations qui les accompagnent.

Telles sont les principales améliorations que produira ce texte, dont l'examen permettra d'en préciser d'autres. Toutes découlent d'une exigence collective résolue : tout faire pour que ne s'ajoutent pas à la souffrance des difficultés et de la complexité, accompagner le mieux possible, autant que possible, les familles confrontées à la douleur.

Autre dimension essentielle, que nous – les uns et les autres – n'avons peut-être pas perçue immédiatement : nous avons tous fait de la question du deuil d'un enfant le sujet de société qu'il mérite d'être. La mort d'un enfant est de l'ordre de l'inconcevable, de l'indicible ; elle nous renvoie à nos propres angoisses intimes qui naissent dès que naissent nos propres enfants. Peut-être aussi par une forme de respect pudique de la douleur des familles, nous avons enfermé ces tragédies dans le silence collectif. Ces tragédies silencieuses à nos yeux hurlent pourtant aux oreilles des familles.

Depuis quelques semaines, nous avons brisé un tabou. Nous avons fracassé ce silence collectif et nous nous sommes enfin saisis de ce sujet sans détourner le regard. Dans un récit magnifique intitulé L'année de la pensée magique, la romancière américaine Joan Didion met en relief le contraste entre le deuil tel qu'on l'imagine et le deuil tel qu'elle l'a vécu. Elle écrit ceci : « Le deuil est un endroit que nous ne connaissons pas jusqu'à ce que nous ne l'atteignions. Dans la version du deuil que nous imaginons, le modèle est celui de la guérison. Nous ne pouvons pas imaginer à l'avance le vide infini qui nous attend, le trou béant, la succession sans relâche de moments durant lesquels nous sommes confrontés à l'absence même du sens. » Elle écrit aussi qu'il existe un gouffre entre le deuil tel qu'on le conçoit de l'extérieur et la réalité vécue de l'intérieur par une personne endeuillée.

Nul ici ne l'ayant vécu ne prétend naturellement comprendre ce que vit un parent dans le deuil de son enfant. Grâce au débat, néanmoins, et grâce au fracas de la naissance de ce texte, je suis convaincu que nous tous et, à travers nous, la société tout entière, ne pourrons plus détourner le regard, et que le voeu des familles endeuillées d'être mieux comprises par chacun d'entre nous s'exaucera enfin. Par ce texte et par ces débats, nous faisons sortir de l'ombre non seulement la question de la mort de l'enfant mais des milliers de familles qui, désormais, peuvent espérer que le gouffre qui nous séparait hier se réduise et que nous nous rapprochions les uns des autres.

Chacun de nos enfants est différent. L'histoire que nous avons nouée avec eux est différente. Chaque douleur est différente. Pourtant, tous les parents endeuillés doivent bénéficier d'un accompagnement pour tenter de faire face au deuil. Si vous décidez d'adopter ce texte conforme, mesdames et messieurs les députés, c'est ce que vous leur offrirez dès la semaine prochaine. Sans doute ressentirez-vous alors une forme de fierté d'avoir adressé à la société ce message né d'une réalité cruelle mais porteur d'espérance : quand on est parent, on l'est pour la vie, par-delà la mort. Jamais votre enfant ne cesse d'être à vos côtés.

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