Intervention de Philippe Huppé

Séance en hémicycle du mardi 19 mai 2020 à 15h00
Débat sur la souveraineté économique écologique et sanitaire à l'épreuve de la crise du covid-19

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Huppé :

Les tribulations vécues ces derniers temps par les Français exigent que nous prenions tous la mesure des changements à engager. La pandémie actuelle nous rappelle que l'histoire est tragique, et que nous devons faire courageusement face à notre destin collectif. Cette tragédie nous rappelle aussi que nous ne sommes pas des demi-dieux mais simplement des hommes contraints par le monde dans lequel ils vivent.

L'accélération de cette prise de conscience nous oblige à repenser le modèle économique que nous avons construit, fondé sur la spécialisation de lieux de production et le transport international, le tout à bas coût et sans tenir compte des dégâts humains et écologiques engendrés.

Le premier devoir d'un gouvernement est de protéger ses citoyens ; et pour cela, nous devons relocaliser des entreprises dans nos territoires et faire reconnaître notre souveraineté industrielle, économique, sanitaire et budgétaire. Depuis le début du quinquennat, la course à la désindustrialisation a été freinée au point que la tendance s'inverse désormais : la France recrée de l'emploi et redevient attractive – elle était même, en 2018, le pays le plus attractif du continent européen. Nous devons cependant aller plus loin en réaffirmant une volonté commune de souveraineté européenne. Nous devons bâtir des nouveaux champions.

Dans cette perspective, il faut évoquer trois axes majeurs : la souveraineté sanitaire, la souveraineté industrielle et la souveraineté alimentaire.

La souveraineté sanitaire est une nécessité à l'échelle française et européenne. La pandémie actuelle nous aura fait prendre conscience de la chute de la place de la France dans la production de médicaments. Face aux tensions dans l'approvisionnement, allant jusqu'à la pénurie, et plus généralement au vu de la dépendance de nos soins à l'égard de l'étranger, une nécessité émerge, celle de la souveraineté en matière de santé.

En 2005, la France était le premier pays producteur de médicaments en Europe ; quinze ans plus tard, nous ne sommes plus qu'en quatrième place. Cela est incontestablement dû à trois facteurs qui se cumulent : une politique de désindustrialisation, la recherche permanente d'une baisse des coûts de production, et la volonté de réduire le prix des médicaments afin de limiter la charge de leur remboursement.

Le rapatriement de la production de médicaments implique cependant de relocaliser celle des principes actifs qui, pour 60 à 80 %, sont fabriqués hors de l'Union européenne, en Inde ou en Chine.

Si la France possède de véritables atouts pour accueillir de nouveaux sites de production, la relocalisation de l'industrie pharmaceutique doit toutefois être pensée à l'échelle européenne, comme le Président de la République l'a annoncé hier. Notre pays doit toutefois prendre des mesures fiscales incitatives et améliorer son attractivité financière pour pousser les entreprises concernées à se réimplanter sur son territoire.

Plus généralement, nous devons retrouver une souveraineté industrielle. La relocalisation de notre économie est un élément clé pour nos territoires. Ces dix dernières années, 80 % de la richesse nationale a été produite dans les métropoles. Relocaliser la production au plus près de la consommation permettrait de lutter contre ce phénomène et de donner les mêmes chances à tous les Français, y compris ceux de la ruralité. Il y a cependant un écueil à éviter : le repli sur soi, qui mènerait à l'appauvrissement. Car il faut que nous en ayons bien conscience : ce qui fait la réussite de nos secteurs économiques les plus dynamiques, de nos fleurons – le luxe, la viticulture ou l'aéronautique, par exemple – , c'est l'export.

Dans cette période de grande fragilité pour toutes nos entreprises, nous devons mieux les protéger. À cet égard, le ministre de l'économie et des finances, Bruno Le Maire, a pris une bonne décision en abaissant à 10 % le seuil de déclenchement du contrôle des investisseurs non européens prenant des parts dans une grande entreprise française.

Enfin, la souveraineté alimentaire présente également un intérêt évident – la France n'est-elle pas le pays de la gastronomie ? Relocaliser la production agricole est également un moyen de relever le défi de l'économie décarbonée, de contribuer au développement de nos territoires et de permettre aux agriculteurs de vivre de leur travail.

Nous avons probablement tous, dans cet hémicycle, la volonté de relocaliser nos productions, de réindustrialiser la France et d'acquérir notre souveraineté nationale et européenne. Mais n'oublions pas que les Français doivent être au coeur de ce processus grâce à un geste simple : acheter français !

Le monde est notre demeure et cela nous oblige. Jusqu'à il y a quelques semaines, nous pensions en être les maîtres absolus. Depuis, cette vanité n'est plus soutenable. Le monde reste notre unique demeure, les distances se sont fortement raccourcies, mais n'oublions pas notre pré carré ! La pandémie nous a rappelé que la vie est fragile, que les États sont mortels et que les hommes et les femmes ont besoin de racines vivantes. La mondialisation est perfectible ; nous devons nous atteler à la tâche sans perdre de temps.

Cette liberté économique et budgétaire retrouvée nous permettra de nouer des alliances européennes et de renforcer ainsi la place de notre continent dans le jeu des nations. Le chemin sera long : cela exigera une volonté tenue sur le long terme et des choix clairs de la part de tous les citoyens. Mais c'est à ce prix que la France pourra toujours tenir son rang et continuer à parler au monde.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.