Intervention de Bernard Perrut

Séance en hémicycle du mardi 19 mai 2020 à 15h00
Débat sur la souveraineté économique écologique et sanitaire à l'épreuve de la crise du covid-19

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Perrut :

« Il nous faudra rebâtir une indépendance agricole, sanitaire, industrielle et technologique française. » Tels sont les mots prononcés par le Président de la République, qui semble reconnaître les limites de notre autonomie dans ces différents secteurs éprouvés par la crise du covid-19. En effet, tant le manque de matériel médical et les difficultés d'approvisionnement que la polémique qui a entouré les vaccins de Sanofi ont jeté une lumière crue sur la désindustrialisation française et sur la dépendance du pays vis-à-vis de ses partenaires commerciaux pour des biens pourtant essentiels. La crise sanitaire a montré que nous sommes allés trop loin dans des relations commerciales que l'on nous disait heureuses et qui se révèlent fragiles et source d'insécurité pour la population française dans certains secteurs stratégiques.

Cette crise sanitaire est aussi celle du manque d'anticipation, et c'est pourquoi notre souveraineté nationale exige que nous revoyions en profondeur notre logiciel pour mieux préparer l'avenir. La crise du coronavirus nous démontre que la souveraineté industrielle n'est pas un concept suranné, mais bien une condition de sécurité de la nation, et que la souveraineté ne doit pas être confondue avec le souverainisme.

En lien avec les établissements et les personnels de santé, nous avons tous constaté le manque de matériel médical et de produits sanitaires qu'ils ont subi avec les pénuries de masques, de gants, de blouses, de gel hydroalcoolique, de respirateurs et même de médicaments, notamment anesthésiants. L'Agence nationale de la sécurité des médicaments porte à ce problème une attention toute particulière et le ministre de la santé reconnaissait dès le 31 mars des tensions sur les stocks de ces produits essentiellement fabriqués en Chine et en Inde, ce qui nous conduit à un incroyable degré de dépendance.

Dans ce contexte de pandémie mondiale, la chaîne d'approvisionnement en France est perturbée, alors que la demande a explosé pour soigner les patients atteints du covid-19. Cette indisponibilité qui retarde aujourd'hui les soins est inacceptable, car elle conduit à des pertes de chances pour les patients et met en danger la santé publique. Cette récurrence des indisponibilités alimente la perte de confiance de nos concitoyens dans un système de santé incapable d'assurer la souveraineté de notre pays. Ce n'est pourtant pas nouveau : depuis plusieurs années, des pénuries de médicaments et de vaccins sont régulièrement constatées, mais cette crise en est aujourd'hui l'apogée.

Pire : cette pénurie résulte bien souvent d'une priorité accordée aux objectifs économiques par rapport aux enjeux de santé publique. Cette constatation vaut tant pour les acteurs privés de la chaîne que pour les pouvoirs publics. Les décisions résultant de stratégies industrielles et commerciales tendent à donner priorité aux rendements les plus élevés, dont les conditions ne sont guère compatibles avec un approvisionnement continu des marchés et des patients français. Ainsi, si on reproche à l'industrie d'avoir délocalisé, ce mouvement s'est produit sous la pression des prix et des clients, parce que la compétitivité du site France n'était plus au bon niveau. Il ne s'agit pas de produire aussi bon marché qu'en Asie, mais de trouver le bon équilibre entre compétitivité et prix de vente.

Une relocalisation de la production des substances pharmaceutiques actives essentielles sur le territoire national, ou du moins européen, est donc fondamentale. Après des décennies de délocalisations, il est temps de réarmer le pays dans certains secteurs. Pour réussir à relever ce défi, il faut cependant aller plus loin dans la définition de secteurs stratégiques tels que la défense, la sécurité ou l'énergie, en commençant par la santé, dont on saisit dorénavant le caractère stratégique. J'aurais souhaité évoquer également ici les souverainetés alimentaire et écologique, qui me paraissent être aussi importantes.

Au-delà de ces constats, et sans tomber dans la critique non constructive, je souhaite aujourd'hui vous interroger, mesdames les ministres, sur la faiblesse de nos moyens de réaction telle que la révèle la comparaison entre les plans français et allemand, ainsi que sur une crise qui démontre que la souveraineté industrielle conditionne notre sécurité nationale. Comment comptez-vous mettre en application la relocalisation des chaînes de valeur que vous avez déjà évoquée, notamment dans l'architecture du plan de relance que vous nous présenterez prochainement ? Comment accompagner la relocalisation de certaines productions stratégiques par des incitations fiscales et des aides à l'embauche ciblées ? Comment définir des engagements réciproques entre les pouvoirs publics et les industriels ? Comment, encore, encourager le développement de technologies de production permettant de prévenir les situations de pénurie, comme la fabrication en continu ?

Mesdames les ministres, la crise économique qui résulte de l'épidémie pousse l'Europe à repenser sa stratégie. Une solution pour une relance économique coordonnée en Europe n'est pas impossible puisque, hier même, le président Emmanuel Macron et Mme Angela Merkel ont dévoilé une initiative franco-allemande de relance économique portant notamment sur la santé. Pouvez-vous nous en dire plus ? Tout cela aboutira-t-il, et dans quelles conditions ?

En conclusion, nous attendons des éclaircissements sur les intentions du Gouvernement pour, enfin, réarmer la France et lui rendre toute sa souveraineté. Puissions-nous espérer que la France, « allant et venant sans relâche de la grandeur au déclin », soit redressée par le « génie du renouveau », selon la très belle expression du général De Gaulle, plus que jamais d'actualité dans cette crise économique majeure.

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