Intervention de Barbara Pompili

Séance en hémicycle du mardi 19 mai 2020 à 15h00
Débat sur la souveraineté économique écologique et sanitaire à l'épreuve de la crise du covid-19

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBarbara Pompili :

La crise que nous traversons n'est pas seulement sanitaire, économique et sociale : elle révèle le dysfonctionnement profond de notre modèle de développement, qui n'est plus soutenable. Elle est un des symptômes de l'effondrement de ce que nous prenions à tort pour un équilibre. Plus de la moitié de l'humanité vit aujourd'hui confinée. Certains, inconscients ou cyniques, proposent un retour à la normale. Mais ce qui est profondément anormal, c'est d'avoir nous-mêmes provoqué cette crise. Nous en sommes les premiers responsables, par nos atteintes aux écosystèmes. En disant cela, je n'assène pas une opinion : je relaie des travaux scientifiques dont la qualité internationale est reconnue et qui font consensus, comme ceux de l'IPBES – la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques – qui, en 2019, alertait sur le lien entre les maladies infectieuses émergentes et les activités humaines.

Le mécanisme à l'oeuvre, nous le connaissons : il est malheureusement implacable. Il trouve son origine dans la déforestation. Entre 1980 et 2000, 200 millions d'hectares de forêt ont disparu dans le monde. Dans cette forêt fragmentée où prolifèrent les trafics d'espèces, les populations d'animaux, morcelées, fragilisées, sont exposées à de nouveaux virus. Il en résulte une exposition accrue des hommes à de nouveaux pathogènes, avec les risques de transmission à l'espèce humaine qui y sont associés. Il est désormais établi que 75 % des maladies infectieuses humaines sont d'origine zoonotique. Pendant ce temps, la déforestation se poursuit à marche forcée, pour produire du soja ou de l'huile de palme, tandis que la production animale augmente à un rythme quasi exponentiel et que nous consommons des biens produits à l'autre bout de la planète. Tout cela nous mène droit dans le mur !

Il n'est pas trop tard pour agir, mais cela implique de prendre des décisions lourdes, structurelles. Ces choix, certains les ont déjà faits sur le terrain. On peut s'appuyer sur leurs initiatives pour généraliser le mouvement. Il s'agit tout d'abord de faire le choix de la souveraineté agricole et alimentaire, ce qui suppose de relocaliser la production des protéines végétales tout en diminuant la consommation des protéines animales. Qu'on ne se méprenne pas : il ne s'agit pas de valoriser sans nuance des coproduits comme les agrocarburants, bien pratiques pour nous donner l'illusion que nous entamons enfin notre transition écologique.

Nous devons revoir nos modes d'élevage intensif, diversifier les cultures de légumineuses en prévoyant des rotations de production, remettre en herbe des vaches laitières et privilégier les circuits courts. Nous devons sortir des pesticides et leur préférer les solutions fondées sur la nature, mais aussi valoriser les services environnementaux rendus par les agriculteurs. Nous devons également reconquérir la biodiversité, ce qui nécessite de lutter contre l'artificialisation et le changement d'affectation des sols.

Certains diront que cette voie est utopique, et que l'agriculture conventionnelle a pour mérite d'avoir assuré notre souveraineté agricole et alimentaire. Mais en quoi sommes-nous souverains, quand nous importons des viandes et du soja à une échelle intercontinentale, menaçant par là même nos agriculteurs ?

La révision de la PAC, la politique agricole commune, est une chance à saisir pour généraliser les démarches d'agroécologie et soutenir les agriculteurs dans cette voie. Sachons la saisir, dans l'intérêt de tous, agriculteurs comme consommateurs.

Nous devons aussi assurer notre souveraineté énergétique et en garantir la soutenabilité. Cela implique d'opérer une réelle transition énergétique, donc de nous engager résolument dans la maîtrise de la consommation. Il nous faut aussi encourager la production locale d'énergie et les énergies renouvelables, et permettre leur production sur notre territoire sans obérer l'avenir en produisant des déchets dont nous ne savons que faire et en laissant aux générations suivantes la charge de gérer cet héritage. Les énergies citoyennes commencent à émerger. Sachons les soutenir.

Garantir la soutenabilité, c'est aussi s'assurer qu'on ne produit pas pour jeter immédiatement ce qu'on a produit. Dans ce domaine, même si nous avons progressé l'an dernier grâce à la loi antigaspillage, le chemin reste long vers un véritable réemploi et vers la sobriété dans la consommation quotidienne.

Et puis, bien sûr, il faut penser la relance. On la veut verte, et c'est tant mieux, mais il nous faut désormais être concrets. Les mots ne suffiront pas. La rénovation thermique et la lutte contre les passoires énergétiques, voilà des démarches dont nous savons qu'elles contribuent à la fois à notre souveraineté énergétique, à l'emploi et au pouvoir d'achat de nos concitoyens.

Mais rien ne serait pire que des demi-mesures. Il faut opter pour la rénovation qualitative globale et soutenir les ménages dans leurs projets, car cette crise a aussi jeté un éclairage cru sur le besoin de solidarité envers les plus fragiles. Le prochain projet de loi de finances sera, de ce point de vue, un rendez-vous crucial pour accomplir ce saut qualitatif et solidaire.

Reconstruire notre souveraineté, ce n'est pas seulement relocaliser la production de masques et de médicaments : c'est reprendre la main dans ces domaines essentiels. Nous connaissons les vieilles recettes qui nous ont conduits à la crise actuelle. Nos concitoyens attendent plus et mieux. Il est temps de travailler ensemble pour leur apporter les bonnes réponses.

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