Intervention de Pierre Dharréville

Séance en hémicycle du lundi 18 mai 2020 à 21h30
Débat sur les conséquences de la réforme de l'assurance chômage

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Dharréville :

« La protection sociale est donc un mécanisme indispensable pour apporter un soutien aux individus pendant la crise en leur donnant accès à des soins de santé et en les protégeant contre les pertes massives de revenus résultant du ralentissement économique le plus profond depuis la Seconde guerre mondiale », écrivait voici quelques jours l'Organisation internationale du travail. « En accélérant la reprise grâce à sa contribution positive à la consommation et à la demande globale, la protection sociale peut également agir comme un stabilisateur social et économique » ajoutait-elle. Elle invite notamment les pays en développement à « combler les lacunes de la protection sociale pour prévenir de futures crises ». Or, nous faisons l'inverse en dégradant notre système de sécurité sociale plutôt qu'en « l'upgradant » – j'emploie à dessein les mots des start-upers pour mieux me faire comprendre.

La crise qui s'annonce risque de détruire de nombreux emplois alors que le travail ne manque pas pour relever les nouveaux défis. Nous avons besoin d'inventer pour amortir la crise et accélérer la transition écologique.

Dans l'urgence, s'il n'a pas garanti le niveau de revenus des salariés, le Gouvernement a étendu le dispositif d'indemnisation du chômage partiel et technique. Il fallait le faire mais, déjà, vous en amorcez la décrue plutôt que de sécuriser socialement les parcours professionnels dans la durée grâce à de nouveaux dispositifs de garantie, lesquels seront au coeur d'une proposition de loi que nous placerons à l'ordre du jour de notre journée d'initiative parlementaire, le 18 juin prochain.

Pour l'heure, il convient de s'appuyer sur l'assurance chômage en tâchant, au moins, de réparer les séquelles des méfaits qu'elle a subis avant l'apparition du virus. Le Gouvernement s'est jusqu'ici refusé à revenir sur cette réforme qu'il a imposée aux acteurs sociaux qui gèrent l'UNEDIC, l'organisme de gestion de l'assurance chômage, se contentant de reporter du 1er avril au 1er septembre l'entrée en application des nouvelles règles d'indemnisation des demandeurs d'emploi et de suspendre la mesure concernant la dégressivité des allocations chômage pour les cadres. C'est un début d'aveu de la nocivité de ces dispositions, nocivité décuplée par la crise.

Malgré cela, le Gouvernement prend une simple décision de report alors que le premier volet de la réforme de l'assurance chômage, entré en application le 1er novembre 2019, est, quant à lui, toujours en vigueur. Il prévoit de durcir les conditions d'accès à l'allocation chômage pour les salariés qui doivent désormais avoir travaillé six mois durant une période de référence de vingt-quatre mois pour bénéficier d'une ouverture de droits, alors qu'il n'était auparavant exigé qu'une durée minimale de quatre mois au cours des vingt-huit derniers mois. De même, les conditions de rechargement des droits sont nettement plus sévères puisqu'elles imposent une période travaillée de six mois contre cent cinquante heures auparavant.

Ces règles excluent dès aujourd'hui du dispositif de l'indemnisation chômage des centaines de milliers de travailleurs : intérimaires, saisonniers, travailleurs enchaînant des contrats courts dans les secteurs de la restauration, de l'hôtellerie ou la culture. L'étude d'impact de l'UNEDIC de septembre 2019 estimait que 710 000 personnes seraient concernées durant la première année de mise en oeuvre.

Du fait de la crise sanitaire et économique, un véritable drame social s'annonce. Le droit à l'indemnisation du chômage doit au contraire être suffisamment puissant dans les périodes de récession économique pour jouer son rôle d'amortisseur et de protection à l'égard des plus fragilisés.

Par conséquent, le groupe GDR vous invite à retirer totalement la réforme de l'assurance chômage et à ouvrir, sans plus tarder, les négociations avec les organisations syndicales et patronales pour élaborer une nouvelle convention UNEDIC qui permettra de renforcer les droits au chômage des travailleurs.

Lors de l'annonce de cette réforme, le Premier ministre déclarait : « Les règles actuelles datent de 2009, c'est-à-dire d'une époque où il fallait amortir le choc de la crise économique et financière. Aujourd'hui, la conjoncture est meilleure. Il est donc normal que les règles d'accès changent aussi. » Avez-vous un autre choix que de revenir sur cette réforme, qui a déjà causé suffisamment de dégâts ? N'est-il pas irréel de continuer à compter sur 4,5 milliards d'euros d'économies d'ici à 2022 ?

Vous pensiez que ces mesures réduiraient mécaniquement le nombre de chômeurs de 150 000 à 250 000 sur trois ans. Vous disiez qu'il faudrait travailler davantage pour ouvrir des droits à l'assurance chômage. Vous faisiez fausse route en pensant que le durcissement des règles réduirait le chômage, comme s'il n'était pas largement subi. Et vos arguments tombent avec la crise. Pour être en accord avec vous-mêmes, vous devez adapter vos choix à la nouvelle situation.

Nous vous invitons, pour notre part, à concrétiser votre intention, mollement affichée à l'époque, et contredite dans les faits, de lutter contre les contrats courts, afin de juguler la spirale de la crise plutôt que de l'encourager. Il conviendrait donc de renoncer à favoriser la précarisation que vous avez inscrite dans la loi portant diverses mesures d'urgence – et de non urgence – adoptée la semaine dernière. La relance ne doit pas se faire au prix du déclassement social, de la dégradation du travail, de la pression sur les salaires, du chômage et de la précarité. La relance ne pourra être que sociale.

Voici quelques jours, j'ai présenté avec ma collègue Michèle de Vaucouleurs le bilan d'une mission concernant les solidarités durant cette période. Le constat est sans appel : la crise a exacerbé la précarité, faisant basculer un grand nombre de personnes dans la pauvreté. Des enfants, des femmes, des hommes ont faim. Ils ont perdu les rênes de leur vie. Voulons-nous encore aggraver la situation ? L'Assemblée des départements de France s'alarme de ce que cette réforme renverra vers le revenu de solidarité active – RSA – nombre de femmes et d'hommes qui bénéficiaient jusqu'ici de leurs droits à l'assurance chômage.

Le nombre d'inscriptions à Pôle emploi a augmenté d'un peu plus de 42 000, soit 15 %, au cours des trois premières semaines du confinement, ce qui résulte en partie de la réforme que vous avez conduite. Nous aurons besoin d'un service public de l'emploi pleinement capable d'accompagner les demandeurs dans la période qui s'ouvre. Saluons, à ce propos, la mobilisation des agents qui ont assuré le lien si précieux pendant le confinement. Ils exercent ces métiers mal reconnus et pourtant essentiels à notre vie sociale. Renforçons les missions de Pôle emploi et tirons les leçons de l'expérience de ces dernières semaines.

Nous défendons une société des droits, une société solidaire, une société qui respecte l'humain. L'assurance chômage, avec les caisses professionnelles mutuelles, est une vieille idée mais dont la mise en oeuvre a été récemment unifiée. Depuis 1958, elle protège les salariés qui perdent leur emploi en leur versant une allocation indexée sur leur ancien salaire et en les accompagnant vers le retour à l'emploi. Elle s'inscrit dans une logique de salaire continué, reconnaissant ainsi la force de travail, la qualification de ceux qui sont temporairement privés d'emploi. C'est un risque que chacun court dans sa vie active, et l'on s'assure ainsi mutuellement face à ce risque. C'est une part des cotisations sociales que certains nomment « charges » pour les discréditer.

Vous devez revenir sur votre réforme et ouvrir une nouvelle discussion avec les organisations syndicales. L'assurance chômage est une composante essentielle de la protection sociale, qu'il faut d'autant plus renforcer que la crise guette.

Enfin, il convient de prendre des mesures en faveur des intermittents du spectacle. L'année blanche pour les intermittents doit correspondre à un renouvellement de douze mois tant que le calcul des heures demeure affecté par la crise. Au-delà, il faut agir en faveur de l'ensemble des artistes-auteurs et des travailleurs et travailleuses du monde de la culture, pour lesquels des mesures adaptées doivent être prises.

Dans sa recommandation no 205 de 2017, l'Organisation internationale du travail invitait ses membres, dans leur réponse aux situations de crise, à s'efforcer de garantir une sécurité élémentaire de revenu, en particulier aux personnes que la crise a privées de leur emploi ou de leurs moyens de subsistance, à élaborer, rétablir ou améliorer des régimes complets de sécurité sociale et d'autres mécanismes de protection sociale en tenant compte de la législation nationale et des accords internationaux. Pour prévenir les crises, permettre le redressement et renforcer la résilience, elle les invitait à établir, rétablir ou maintenir des socles de protection sociale et à s'efforcer de combler les lacunes de leur couverture.

Notre pays est concerné. Faisons-le. Saisissons-nous de ce moment pour inventer la protection sociale de notre temps face à la sauvagerie du marché, de la finance et de la crise.

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