Intervention de Philippe Gosselin

Séance en hémicycle du jeudi 7 mai 2020 à 15h00
Prorogation de l'état d'urgence sanitaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gosselin :

Nous nous retrouvons donc dans cet hémicycle, quelques semaines après avoir voté l'état d'urgence sanitaire, conformément à une clause de revoyure que nous aimerions d'ailleurs retrouver dans d'autres textes.

Aujourd'hui, la crise est toujours présente. Je pense aux malades et aux familles qui sont dans la peine, mais je rappelle qu'ils sont entourés de soignants et de nombreuses personnes qui se sont rassemblées, unies, dans un élan de solidarité. Pour autant, nous nous trouvons dans un état d'exception, dans un état exorbitant du droit commun où des pans entiers de notre droit positif sont mis à l'écart. C'est vrai pour le droit du travail, le droit des obligations, le droit de la santé ou encore le droit pénal. La liste est évidemment très longue : celle que j'ai dressée est loin d'être exhaustive ! De nombreuses habilitations ont été accordées au Gouvernement : des ordonnances ont été publiées, dont les objets recoupent des pans entiers de notre droit. Un nombre important de libertés fondamentales, constitutionnelles, sont en ce moment mises à l'écart : je pense à la liberté des cultes, à la liberté de circulation ou encore à la liberté de réunion : autant de libertés qui sont loin d'être les moins importantes.

Quand le Premier ministre déclare, ici même, que l'état d'urgence sanitaire sera prorogé pour deux mois, nous nous interrogeons. Quand le présent projet de loi instaure un nouveau système d'information – en réalité, il en instaure même deux – , nous nous interrogeons. Certes, nous avons échappé au pire puisqu'un projet de texte prévoyait pratiquement une assignation à résidence de centaines de milliers de nos concitoyens, qui auraient été quasiment enfermés à leur domicile. Ce projet a heureusement été abandonné. Néanmoins, un certain nombre de difficultés demeurent.

La première de ces difficultés réside dans l'article 1er et porte sur la durée de la prorogation de l'état d'urgence sanitaire. Le Gouvernement veut maintenir l'état d'urgence jusqu'au 24 juillet, deux mois après l'échéance actuelle. Le Sénat s'est prononcé pour la date du 10 juillet. Quant à nous, nous souhaitons que l'état d'urgence soit prorogé pour un mois, car c'est la durée prévue par la loi de 1955 relative à l'état d'urgence, qui nous sert de référence – en tout cas, c'est un précédent qui nous semble important. Il importe aussi de remettre le Parlement au coeur du dispositif, comme nous l'avons déjà dit tout à l'heure : une clause de rendez-vous au bout d'un mois permettrait de répondre à cet impératif de contrôle de l'état d'urgence sanitaire par le Parlement, qui n'est pas la moindre des choses. Le choix de la date du 24 juin permettrait enfin de voter d'autres dispositions dans le cadre de la session ordinaire, sans attendre que le Président de la République convoque le Parlement en session extraordinaire. Il n'y a aucune raison de prolonger outre mesure cet état d'exception.

Une autre question importante est celle de la responsabilité. Sur ce sujet, M. Boudié a rappelé qu'il existait des différences d'approche. Le Sénat a introduit dans le projet de loi des dispositions visant à fixer les conditions d'engagement de cette responsabilité. Il ne s'agit nullement d'amnistie déguisée ou généralisée ; il s'agit tout simplement de fixer le cadre d'engagement de la responsabilité pendant la crise du Covid-19. Ces dispositions excluent évidemment la faute intentionnelle et toute violation manifestement délibérée d'une mesure administrative de police ou d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité. Il n'y a donc aucune exclusion de la faute caractérisée. En réalité, les ministres, les préfets et les directeurs d'ARS et d'administrations centrales sont exclus du dispositif adopté par le Sénat, ce qui est logique car ils sont les détenteurs du pouvoir de réglementer, de concevoir le déconfinement. En revanche, l'exclusion de la responsabilité pénale de ceux qui sont censés faire appliquer le déconfinement paraît bien la moindre des choses.

La majorité veut intégrer à ce dispositif la notion d'« état des connaissances scientifiques », qui me semble assez floue. Sommes-nous sûrs que les scientifiques soient d'accord au sujet de tel ou tel produit pharmaceutique ? On a vu des professeurs se déchirer en la matière ! S'agissant des masques, le Conseil scientifique a adopté différentes approches. En réalité, la proposition de la majorité vise surtout à protéger de la même façon le ministre et le maire, le puissant et le petit : c'est une forme d'exonération de la responsabilité des ministres, des hautes autorités et des fonctionnaires qui détiennent l'autorité. Cela, nous n'en voulons pas.

Enfin, l'article 6, relatif au contact tracing, suscite bien des questions. Comme je l'ai dit tout à l'heure, deux systèmes d'information seront mis en place. À l'application StopCovid, qui devrait être lancée le 2 juin, s'ajoutera un autre ensemble, le data hub. Le secret médical et le secret professionnel seront ainsi largement amputés.

Mes chers collègues, vous voyez bien que beaucoup de chemin reste à parcourir avant de nous retrouver, le cas échéant. Il n'est pas sûr que ce chemin soit le chemin de Damas.

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