Intervention de Bruno le Maire

Séance en hémicycle du vendredi 17 avril 2020 à 9h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2020 — Discussion générale

Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances :

J'aimerais apporter des précisions en réponse aux questions posées par Mme Le Pen et M. de Courson sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » et sur le soutien qui sera apporté à certaines entreprises. Le compte d'affectation spéciale présente actuellement un montant d'environ 4 milliards d'euros disponibles, dont une partie est déjà employée. Nous ajoutons 20 milliards, ce qui met à notre disposition 24 milliards d'euros pour apporter du capital à certaines entreprises.

Lesquelles ? Il s'agira d'entreprises cotées, privées ou publiques, donc nécessairement des entreprises de taille importante, qui ne répondent pas aux critères d'éligibilité aux prêts garantis par l'État ou au soutien par le fonds de développement économique et social.

Quels sont les secteurs concernés ? Quels sont les critères de choix ? Tout d'abord, il s'agira des secteurs stratégiques, qui sont indispensables à notre indépendance nationale. Tel est le premier critère que j'ai retenu pour dresser une liste comprenant une vingtaine d'entreprises, que j'ai adressée au Président de la République et au Premier ministre.

Prenons l'exemple d'Air France : cette entreprise est vitale pour notre indépendance nationale. On peut estimer qu'il n'est pas grave de ne pas avoir de compagnie nationale ; nous pensons le contraire. Nous avons bien vu qu'il était absolument indispensable d'avoir à notre disposition une compagnie nationale capable de rapatrier nos ressortissants en cas de crise sanitaire.

Deuxième critère : les enjeux technologiques, le fait de présenter un caractère sensible de ce point de vue. Il s'agit d'entreprises dans lesquelles nous avons investi des sommes considérables au cours des années passées – notamment grâce au crédit d'impôt recherche – pour qu'elles figurent parmi les leaders technologiques mondiaux. À l'heure actuelle, le cours des actions de ces entreprises peut être très affaibli, ce qui en fait des proies faciles. Les laisser se faire racheter signifierait vendre pour rien des technologies dans lesquelles les Français ont investi des milliards d'euros depuis des décennies. Il faut donc les protéger.

Enfin, le troisième critère – Mme Le Pen l'a évoqué – est l'emploi. L'industrie automobile – Renault fait partie de la liste – représente de nombreux emplois, directs et indirects, dans nos territoires. La filière du décolletage dans la vallée de l'Arve, par exemple, dépend à 60 % de l'industrie automobile. Par conséquent, si nous sacrifions une grande entreprise automobile, nous pouvons être certains qu'il en résultera demain des conséquences sur l'emploi dans tous nos territoires.

Tels sont donc les trois critères de choix qui ont été retenus : l'indépendance nationale, les technologies et l'emploi.

Sous quelle forme pouvons-nous intervenir ? Sous forme d'apport en capital, en montant au capital des entreprises concernées, ou sous forme de nationalisation. Pour vous répondre, madame Rabault, les nationalisations ont vocation à être temporaires, je le dis très clairement. Il ne s'agit pas de vivre demain dans une économie administrée, dans laquelle l'État dirigerait les entreprises à la place de personnes qui peuvent le faire mieux que lui. Telle n'est pas sa vocation. Elle est de protéger, et j'assume totalement ce rôle de protection. Je ne laisserai pas de grandes entreprises stratégiques, nécessaires à notre indépendance, se faire racheter soit par des fonds étrangers, soit par des puissances étrangères, pour la raison que nous n'aurions pas investi le capital nécessaire pour les protéger.

Toutefois, je le dis avec beaucoup de clarté, nous le ferons en fixant des conditions. Il ne s'agira pas d'un chèque en blanc pour ces entreprises. Si l'État leur apporte du capital, qui est, je le rappelle, l'argent des Français, il doit l'assortir de conditions.

Nous fixerons deux conditions. Premièrement, ces entreprises devront consentir un effort de redressement de compétitivité. Il s'agit, je le répète, de l'argent des Français, et nous ne l'emploierons pas à fonds perdu.

La seconde condition est l'adoption d'une politique environnementale ambitieuse. Si nous apportons de l'argent – encore une fois, il s'agit de l'argent des Français – à de grandes entreprises industrielles, celles-ci devront bien évidemment s'engager totalement en faveur d'une économie décarbonée.

Cela vaudra notamment pour le secteur du transport, en particulier pour le transport aérien. Les Français auraient du mal à comprendre que nous apportions des milliards d'euros de soutien à des entreprises industrielles sans qu'elles consentent aucun effort pour remplir nos engagements en matière de réduction des émissions de carbone, afin de progresser vers une économie décarbonée, différente de celle qui existait avant la crise.

Notre politique, je le redis clairement, ne consistera pas à donner un chèque en blanc. Des conditions seront fixées à ces entreprises stratégiques auxquelles nous apportons un soutien : l'accroissement de leur compétitivité et le respect de l'environnement, en vue d'accélérer la transition énergétique de la nation française.

J'insiste sur un dernier point : toutes les grandes puissances font de même, notamment les États-Unis, la Chine et l'Allemagne. Notre partenaire allemand a d'ores et déjà apporté 3 milliards d'euros de prêts directs à l'entreprise Adidas, dont elle estime qu'elle est un pilier de son économie et fait partie de sa culture. Toutes les grandes puissances ont compris que certaines de leurs grandes entreprises stratégiques avaient besoin de la protection publique. La France fait partie de ces grandes puissances ; elle apportera aux siennes la protection de la puissance publique.

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