Intervention de Gérald Darmanin

Séance en hémicycle du vendredi 17 avril 2020 à 9h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2020 — Discussion générale

Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics :

Je souhaite répondre aux interpellations émanant de divers bancs concernant les annulations de charges, sachant que le Président de la République a établi, dans son discours du 13 avril 2020, la liste des secteurs concernés.

Rappelons d'abord que jamais un gouvernement de la République n'a annulé de charges par secteur économique, y compris pendant des crises telles que celle de 2009. Bien sûr, ce n'est pas parce que cela n'est jamais arrivé qu'il ne faut pas le faire ; je tenais néanmoins à le signaler à la représentation nationale. Soit nous l'avons fait pour un territoire géographique donné, non pour un secteur, en raison d'un motif particulier, par exemple une calamité naturelle – tel a été le cas pour les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy à la suite de la tempête Irma. Soit des annulations, parfois générales et en grand nombre, ont été décidées au cas par cas – je pense aux décisions prises par M. Woerth lorsqu'il exerçait des responsabilités ministérielles en 2009.

Pour procéder à des annulations générales de charges pour les secteurs concernés, il faudra en passer par la loi – il ne suffit pas de convenir entre nous qu'il faut le faire ! – et il faudra être attentif à la constitutionnalité du dispositif, sachant qu'il ne faut pas susciter de concurrence indue entre les secteurs. Nous disposons d'un espace juridique, sans doute ténu, et devrons travailler sur ce point collectivement.

Les charges concernées ne sont évidemment pas les cotisations salariales. Celles-ci sont payées de façon automatique lorsque le salaire est versé, un peu comme l'impôt sur le revenu, désormais prélevé à la source. Par ailleurs, ces cotisations ouvrent aux salariés des droits individuels ; il ne s'agit pas de renier ces droits en supprimant les cotisations salariales.

Notre objectif consiste à revenir sur les charges patronales qui ont été versées au mois de mars 2020. Au mois d'avril, les charges seront mécaniquement moins élevées, l'activité économique s'étant fortement ralentie – nous continuons néanmoins à accepter le report des charges.

Au demeurant, une difficulté juridique se présente. Le Gouvernement a listé, dans un acte réglementaire, les secteurs qui ont été fermés à sa demande avant tout le monde et qui, manifestement, rouvriront après tout le monde : la restauration, les arts et spectacles, ainsi que l'événementiel. D'autres secteurs sont particulièrement touchés, mais ne sont pas soumis aux fermetures administratives décidées par le Gouvernement : l'hôtellerie par exemple. Ainsi, de nombreux hôtels sont fermés, beaucoup ont un restaurant qui est fermé, d'autres encore sont ouverts mais ont très peu de clients, certains enfin sont réquisitionnés par le Gouvernement, mais aucun n'est soumis au même régime juridique que les restaurants pendant cette crise sanitaire. Néanmoins, il ne nous est pas possible d'oublier le secteur de l'hôtellerie, qui a d'ailleurs été cité par le Président de la République. Les secteurs économiques concernés étant placés sous des régimes juridiques d'intérêt général différents, il conviendra d'objectiver les annulations de charges, en les fondant notamment sur les pertes de recettes constatées.

La question se pose en outre d'intégrer à ces secteurs différents sous-secteurs. Ainsi, il n'a pas été demandé aux blanchisseurs qui travaillent pour l'hôtellerie de fermer, mais il est évident qu'ils ont beaucoup moins travaillé ces dernières semaines. Il faudra examiner les situations au cas par cas : ainsi, certaines blanchisseries ne travaillent sans doute pas qu'avec des hôtels et ne perdent pas autant de chiffre d'affaires que d'autres. Bref, s'agissant des annulations de charges patronales, il nous faut prendre en considération les secteurs, puis les sous-secteurs.

En définitive, il n'est pas facile pour moi de trancher face à une situation sans précédent juridique et à des risques d'inconstitutionnalité, et concernant des secteurs dont il est difficile d'établir la liste – toutes les fédérations professionnelles n'étant pas nécessairement organisées pour ce faire.

Par ailleurs, je ne suis pas aujourd'hui en mesure de communiquer le montant exact des charges patronales reportées – je l'ai demandé à l'ACOSS qui me le fournira sans doute la semaine prochaine. À ce jour, 60 % des restaurateurs ont demandé ce report, ce qui signifie que 40 % ne l'ont pas demandé. Cependant, je ne proposerai pas l'annulation des charges uniquement pour ceux qui en ont demandé le report ; il m'apparaît normal de le faire également pour ceux qui ont joué le jeu, si je puis dire, en payant leurs charges grâce à leur trésorerie.

Nous avons proposé le report des charges dès le 18 mars 2020. Or, le 15 de chaque mois, les entreprises de moins de 50 salariés paient leurs charges, notamment par l'intermédiaire de la déclaration sociale nominative – DSN. Le 15 mars 2020, ils avaient perçu l'argent leur permettant de payer ces charges, puisqu'ils avaient travaillé normalement au cours de la première quinzaine du mois. Toutefois, ils avaient des problèmes de trésorerie pour la suite et ont demandé que ces charges leur soient remboursées, ce que nous avons accepté. Ainsi, des restaurateurs ou des experts-comptables ont modifié leur DSN et obtenu un remboursement des URSSAF. Bien évidemment, ces entrepreneurs doivent également être concernés par les annulations de charges.

Le Gouvernement travaille avec l'ACOSS, les URSSAF et les professionnels concernés. Hier encore, j'ai dialogué en visioconférence avec les représentants des filières de la restauration, de l'hôtellerie, des campings et du thermalisme – on pourrait multiplier les exemples en citant le secteur des arts et spectacles ou celui de l'événementiel – sur la question stricte des annulations de charges.

Sans doute trouverons-nous un bon compromis sur ce point, peut-être en proposant au Parlement une exonération de charges, lors de la reprise, pour un certain nombre de mois. Au demeurant, peut-être les entreprises auront-elles beaucoup plus de mal à les payer à ce moment-là, parce que leur chiffre d'affaires aura diminué, parce qu'on leur demandera d'appliquer des mesures de distanciation sociale, parce qu'elles devront embaucher des salariés pour relancer la machine. Bref, nous en débattons avec les représentants des secteurs concernés.

Par ailleurs, nous élaborons un plan pour les secteurs de la restauration et de l'hôtellerie – M. le ministre de l'économie et des finances l'évoquera s'il le souhaite – excédant de beaucoup le cadre des annulations et des exonérations de charges.

J'appelle néanmoins l'attention sur la difficulté juridique qui se pose, même si nous la surmonterons, j'imagine, par notre volonté politique : il est difficile de distinguer les secteurs concernés. Nous devons veiller à ne pas laisser monter de passager clandestin. Par ailleurs, les membres du groupe Socialistes et apparentés ont évoqué les PME, et ceux du groupe Les Républicains préfèrent ne pas tenir compte de la taille des entreprises, question qui se posera également.

S'il va de soi que le Gouvernement appliquera les annulations de charges annoncées par le Président de la République, il n'est pas si facile de les définir à un instant t. Je m'efforcerai d'y parvenir devant vos commissions, si vous le souhaitez, mesdames et messieurs les députés.

Quoi qu'il en soit, nous proposerons une mesure législative, dont le Parlement aura donc à connaître. Il n'aurait pas été raisonnable de le faire sous vingt-quatre heures, la mesure risquant alors de ne pas être économiquement efficace pour les entreprises concernées. Dans l'attente, celles-ci bénéficient du report de charges. Nous reporterons les charges autant que possible, afin que nous puissions débattre de leur annulation ou de leur exonération.

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