Intervention de Bruno le Maire

Séance en hémicycle du jeudi 19 mars 2020 à 16h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2020 — Présentation

Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances :

Le monde fait aussi face à un choc économique dont nous devons mesurer l'ampleur pour notre nation. Il est immédiat, et il touche l'économie réelle : du jour au lendemain, les restaurants, les bars, les théâtres, les cinémas sont obligés de fermer. Ce sont des dizaines de milliers de commerces, d'artisans, d'entrepreneurs, d'indépendants, qui ont dû mettre temporairement la clef sous la porte. Nous devons tous mesurer le désarroi et les inquiétudes profondes de ces acteurs économiques : certains se trouvent, du jour au lendemain, sans rien.

Ce choc est violent ; certains petits entrepreneurs n'ont plus aucune recette, et les pertes de certaines grandes entreprises industrielles atteignent 80 % à 90 % de leur chiffre d'affaires.

Ce choc, enfin, est global : aucun pays n'est épargné. La Chine a été frappée ; l'Europe est frappée à son tour ; les États-Unis seront frappés.

Les conséquences de ces phénomènes nous amènent, dans ce projet de loi de finances rectificative, à réviser notre prévision de croissance pour 2020. M. le ministre de l'action et des comptes publics et moi-même estimons que la croissance française sera négative en 2020 : elle devrait être de moins 1 % au lieu des 1,3 % prévus par la loi de finances initiale pour 2020. Je veux être clair devant vous : cette estimation est provisoire, et elle pourra se détériorer en fonction de l'évolution de la situation sanitaire en Europe, de la durée nécessaire des mesures de confinement, et de la situation aux États-Unis, première économie de la planète et l'un des principaux partenaires commerciaux de l'Union européenne.

Nous sommes entrés dans une guerre économique et financière. Elle sera longue ; elle aura un coût. Je veux faire preuve de transparence : ce coût, nous ne pouvons pas l'estimer précisément au moment où je vous parle.

Cette guerre doit être menée sur tous les fronts, national, européen et international. À l'échelle nationale, le projet de loi de finances rectificative que nous vous présentons inclut un plan de soutien de 45 milliards destiné à préserver les compétences des salariés et l'activité de nos entreprises. Il comprend quatre mesures d'urgence, et pourra naturellement être renforcé en cas d'aggravation ou de prolongement de la crise sanitaire.

La première mesure, c'est le report des charges fiscales et sociales du mois de mars, pour toutes les entreprises. Cela représente pour les finances publiques, pour ce seul mois, un coût de 35 milliards en trésorerie. Ces reports doivent permettre aux trésoreries des entreprises de tenir le temps de la crise ; ils pourront conduire à des annulations d'impôts directs si certaines entreprises ne pouvaient pas payer.

Pour les plus petites entreprises, qui sont celles qui connaissent les plus grandes difficultés, les factures de gaz et d'électricité, ainsi que les loyers, comme l'a indiqué le Président de la République, pourront également être reportés. S'agissant des loyers, nous travaillons avec les bailleurs publics pour reporter les échéances des plus petites entreprises ; et je souhaite que tous les bailleurs privés fassent preuve de solidarité face à cette crise économique. Si vous pouvez reporter l'encaissement de votre loyer, que vous soyez un grand ou un petit bailleur, faites-le ! Suivez l'exemple qu'a donné le Conseil national des centres commerciaux, qui a accepté de reporter pour 38 000 commerces les loyers du mois de mars.

La logique que nous défendons, avec le Président de la République et le Premier ministre, pour les plus petites entreprises, les plus affectées et les plus menacées de disparition dans cette crise économique, est simple : zéro recette, zéro dépense. Et nous ne parviendrons à respecter ce principe que si, au-delà de la solidarité publique, au-delà de la solidarité de l'État, au-delà de la solidarité des collectivités locales, tous les acteurs économiques sans exception participent à ce mouvement.

Cette solidarité concerne aussi les grands donneurs d'ordre : prestataires et fournisseurs doivent être payés en temps et en heure. Certaines entreprises s'estiment exonérées du paiement de leurs factures par la crise sanitaire ; c'est inacceptable, et dangereux pour des milliers de plus petites entreprises sous-traitantes. Les délais de paiement entre les entreprises, entre les donneurs d'ordre et leurs sous-traitants, ne doivent pas augmenter. J'ai demandé à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, de veiller attentivement au respect de ces règles : nous n'accepterons aucun chacun pour soi.

La deuxième mesure, c'est la mise en place massive du chômage partiel. C'est la première fois dans notre histoire qu'un tel dispositif est instauré en France : 100 % du chômage partiel sera pris en charge jusqu'à 4,5 SMIC. C'est le dispositif le plus généreux en Europe. Le coût sera de 8,5 milliards d'euros pour deux mois à partir de mars.

Cette mesure répond évidemment à un impératif politique : protéger les compétences et les savoir-faire des salariés, qui font la force de l'économie française. Avec ce dispositif, la crise économique ne doit donner lieu à aucun licenciement dans nos territoires : licencier aujourd'hui, ce serait ralentir, demain, la reprise économique. Nous faisons donc le pari du maintien des compétences, des qualifications et des savoir-faire.

La troisième mesure, c'est la création d'un fonds de solidarité, qui permettra de soutenir les plus petites entreprises, les indépendants et les micro-entrepreneurs dont le chiffre d'affaires est inférieur à 1 million d'euros. Ces hommes et ces femmes sont les premiers employeurs de France, et les premiers fragilisés par la crise sanitaire et les mesures de confinement. Ils doivent donc être soutenus : 1 milliard d'euros par mois leur sera dédié – 750 millions financés par l'État, et 250 millions par les régions. Il va de soi que ce fonds de solidarité aura vocation à être renouvelé, si nécessaire, mois après mois.

Je tiens à saluer ici la mobilisation des régions et l'esprit de coopération dans lequel nous travaillons avec l'ensemble de leurs présidents.

Ce fonds de solidarité soutiendra toutes les entreprises qui ont été fermées en raison des règles de sécurité sanitaire : 160 000 entreprises de la restauration, 140 000 entreprises du commerce, 100 000 entreprises du tourisme. Il soutiendra également toutes les entreprises dont le chiffre d'affaires aura diminué de 70 % entre le mois de mars 2019 et le mois de mars 2020. Il concernera les TPE, les PME dont le chiffre d'affaires est inférieur à 1 million d'euros, les micro-entrepreneurs, les indépendants. Nous avons également décidé d'inclure dans le champ d'application de ce fonds les professions libérales les plus modestes, celles qui pourraient être condamnées par la crise actuelle. Un kinésithérapeute de Mulhouse qui n'a plus aucune activité, mais qui a décidé de se mettre gratuitement à la disposition de l'hôpital de cette ville pour aider les personnels soignants, doit pouvoir bénéficier de la solidarité nationale, et de ce fonds de solidarité.

Ce fonds comportera deux étages. Le premier, c'est un soutien immédiat de 1 500 euros aux entreprises qui en ont besoin ; c'est une prestation forfaitaire pour tous ceux qui rentrent dans le champ que j'ai défini. Le second, c'est une protection contre les faillites : aucune entreprise ne doit risquer la faillite du simple fait de la crise. Au cas par cas, le fonds apportera donc un soutien complémentaire aux entreprises les plus en difficulté.

La quatrième mesure est exceptionnelle et massive : l'État apportera sa garantie pour tous les prêts de trésorerie aux entreprises, à hauteur de 300 milliards d'euros. Il s'agit de protéger les entreprises contre le risque de faillite. Ce dispositif est ouvert à compter du 16 mars et durera jusqu'au 31 décembre 2020 ; il concerne toutes les entreprises, les petites comme les grandes. Il apportera la garantie de l'État jusqu'à 90 %, et permettra de financer jusqu'à 25 % du chiffre d'affaires annuel. Si une entreprise demande à une banque un prêt d'un montant de 25 % de son chiffre d'affaires, afin de pouvoir continuer son activité, alors la banque doit accepter.

Toutes ces mesures n'ont qu'un seul objectif : maintenir l'activité économique française le temps de la crise sanitaire, afin qu'une fois celle-ci derrière nous, notre économie se relance rapidement. Dans une guerre économique, il faut limiter les pertes ; nous ne voulons aucune perte économique à cause de cette crise sanitaire.

Ces mesures ont évidemment un coût : 300 milliards de garanties apportées par l'État, 45 milliards pour le plan d'urgence ; par conséquent, le déficit public pour 2020 devrait atteindre 3,9 % du PIB au lieu des 2,2 % prévus initialement. La dette française dépassera, en 2020, 100 % du PIB.

Vous connaissez le combat que le ministre de l'action et des comptes publics et moi-même menons depuis trois ans pour restaurer les finances publiques, mais ces temps de crise imposent de faire des choix politiques clairs, simples et tranchés. Notre choix est de faire bloc pour soutenir les salariés et les entreprises, quoi qu'il en coûte, comme l'a dit le Président de la République ; nous privilégions le soutien à nos salariés et à nos entreprises par rapport aux équilibres des finances publiques. Ce choix politique, temporaire et dicté par des circonstances exceptionnelles, est à mon sens le seul choix responsable face à la crise que nous traversons.

À cet égard, la Commission européenne vient d'annoncer qu'elle lèverait, en 2020, toutes les contraintes réglementaires du pacte de stabilité et de croissance auxquelles sont soumis les États membres de la zone euro. Je salue cette décision, qui nous donne la liberté nécessaire pour soutenir notre économie.

Sur le front international, les pays européens et les membres du G7 font face ensemble. Lundi dernier, les ministres des finances de la zone euro ont pris la décision de coordonner une réponse budgétaire massive, à hauteur de 1 % du PIB européen, pour soutenir les économies de la zone euro. Les pays de la zone euro ont en outre annoncé des garanties de prêt pour un montant total de 1 000 milliards.

Enfin, je tiens à saluer le programme d'achat d'actifs annoncé hier par la Banque centrale européenne. Grâce à ce programme massif, la BCE pourra acheter 750 milliards d'actifs sans plafond de dépense mensuelle. Ce programme judicieux aidera non seulement les entreprises, mais aussi les États à traverser la crise sanitaire que nous vivons. Derrière ce soutien de la BCE, il y a un enjeu principal : éviter la fragmentation qui menace la zone euro et renforcer la solidarité entre les États membres. Je me réjouis d'ailleurs de constater que, depuis cette annonce, les écarts de taux entre les dettes souveraines des États membres de la zone euro se sont réduits.

Ne nous y trompons pas, c'est l'unité de la zone euro qui est en jeu dans les jours et les semaines qui viennent : soit la zone euro réagit de manière unie à la crise économique, et elle en sortira plus forte ; soit elle réagit en ordre dispersé, et elle disparaîtra. Derrière toute crise économique se profile une crise politique. Il nous appartient de prévenir, de combattre et de dépasser cette crise politique. Notre responsabilité dépasse le cadre des seules questions économiques et financières. Il y va de l'avenir politique de notre continent.

C'est pourquoi nous continuerons à nous battre dans les prochains jours pour proposer des solutions communes. Les dix-neuf pays de la zone euro et les vingt-sept États membres de l'Union européenne doivent se battre ensemble. Au-delà de la crise elle-même, nous devons réfléchir à ses conséquences. Du point de vue économique et financier, il y aura un « avant » et un « après » la crise sanitaire du coronavirus.

Ce vendredi, lors de la réunion du conseil compétitivité, nous nous pencherons sur le renforcement de la souveraineté industrielle européenne, car la crise actuelle montre cruellement nos faiblesses et nos dépendances dans de nombreux secteurs industriels stratégiques.

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