Intervention de Agnès Firmin Le Bodo

Séance en hémicycle du jeudi 30 janvier 2020 à 15h00
Ouverture du marché du travail aux personnes atteintes de diabète — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAgnès Firmin Le Bodo, rapporteure de la commission des affaires sociales :

Oui, ces discriminations sont parfaitement absurdes. Vous connaissez l'histoire d'Alizée Agier, championne du monde de karaté, qui fut déclarée physiquement inapte à devenir gardienne de la paix du fait de son diabète de type 1, après avoir passé avec succès toutes les épreuves de ce concours. Les histoires comme la sienne, quoique moins médiatisées, sont nombreuses. Ce sont autant de rêves brisés.

Dans la France de 2020, une personne atteinte de diabète peut donc remporter le titre de championne du monde de karaté mais ne peut toujours pas devenir militaire, policier, pilote de ligne, contrôleur aérien, sapeur-pompier, steward, capitaine de navire ou encore marin dans la marine marchande, pour ne citer que ces exemples. Ceux qui exercent déjà ces professions peuvent être déclarés inaptes ou être « placardisés » lorsque leur affection est découverte en cours de carrière. En effet, le fait d'être atteint d'un diabète ou de certaines autres maladies chroniques ferme totalement l'accès à plusieurs professions sans qu'aucune évaluation de la situation personnelle du candidat, de son état de santé réel et de sa capacité à gérer sa maladie ne soit conduite.

Comment une telle injustice peut-elle persister ? Comment expliquer qu'un diabétique capable de contrôler de manière continue et instantanée son taux de glycémie – notamment grâce aux innovations telles que les holters glycémiques – soit, encore aujourd'hui, systématiquement écarté de certains emplois ?

Des textes obsolètes réglementant l'accès à certaines professions n'ont pas connu de véritable révision en dépit des importantes avancées thérapeutiques et médicales réalisées depuis plusieurs armées. C'est alors même que le vieillissement de la population entraînera inévitablement l'augmentation de la part des personnes atteintes de maladies chroniques. Plus de 10 millions de personnes sont déjà prises en charge pour une maladie chronique au titre du dispositif d'affections de longue durée. Rien que pour le diabète, 3,3 millions de personnes sont traitées en France, soit 5 % de la population. En outre, la discrimination que créent ces textes réglementaires s'ajoute à des difficultés préexistantes, car la prévalence du diabète se caractérise par des inégalités sociales et territoriales très marquées. En commission, vous étiez d'ailleurs nombreux, chers collègues, à citer le cas de personnes diabétiques venues dans vos circonscriptions vous faire part de situations similaires.

Sur cette question, nous ferions bien de regarder nos voisins. Le Royaume-Uni, le Canada, l'Irlande, les États-Unis acceptent désormais les pilotes de ligne diabétiques, à condition qu'ils respectent certains critères et certaines procédures. Aux États-Unis, les malades atteints de diabète peuvent également entrer dans la police sous certaines conditions, notamment en l'absence de risque d'hypoglycémie ou d'hyperglycémie grave. En Espagne, le gouvernement a décidé, en novembre 2018, de supprimer le diabète, le VIH, la maladie coeliaque et le psoriasis de la liste des maladies pouvant justifier l'impossibilité de postuler un emploi public, notamment dans l'armée et dans la police.

Faut-il se contenter du statu quo alors que d'autres pays ont déjà modifié leur législation ? Nous en conviendrons tous : la réponse est non. Qu'attendons-nous donc pour suivre ce mouvement ?

Ce n'est pas la première fois que l'Assemblée se mobilise sur cette question et appelle le Gouvernement à prendre des mesures concrètes. La première question d'actualité relative à l'emploi des personnes diabétiques fut posée au Gouvernement en 1983 ! En janvier 2017, Marisol Touraine, alors ministre, s'était engagée, en réponse là aussi à une question au Gouvernement, à réviser les textes concernés. Plus de deux ans après, en mars 2019, alors que rien ne s'était passé entre-temps, la ministre des solidarités et de la santé a annoncé, toujours en réponse à une question au Gouvernement, le lancement d'une mission conduite par l'inspection générale des affaires sociales et l'inspection générale de l'administration – l'IGAS et l'IGA – qui devait aboutir au réexamen de ces dispositions. En mai 2019, lors de l'examen du projet de loi de transformation de la fonction publique, le secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics a pris l'engagement de faire évoluer avant la fin de l'année le référentiel d'aptitude dit SIGYCOP, utilisé dans l'armée et dans plusieurs métiers de la fonction publique.

Des mesures concrètes ont-elles été prises depuis ? Hélas, non. En dépit des nombreuses promesses du Gouvernement, nous sommes en 2020 et rien n'a été fait : aucune mission d'information n'a été lancée ; aucune révision du SIGYCOP n'a eu lieu. C'est pourquoi la proposition de loi que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui au nom du groupe UDI, Agir et indépendants, que la commission des affaires sociales a adoptée à l'unanimité la semaine dernière, a précisément pour objectif de remédier enfin à cette injustice et de passer des promesses aux actes. Je l'avais lors de son dépôt conçue comme un texte d'appel, mais son adoption m'apparaît désormais indispensable.

Elle pose les jalons d'un nécessaire travail de recensement des textes qui empêchent l'accès des personnes atteintes d'une maladie chronique, notamment le diabète, à une formation ou à un emploi. Les nombreux textes normatifs imposant de telles restrictions sont aujourd'hui éparpillés au point qu'aucune des personnes que nous avons auditionnées n'a su en dresser une liste exhaustive. Il reviendra à un comité d'évaluation interministériel dont la création est prévue à l'article 1er d'établir cet état des lieux. Ses travaux devront déboucher sur une révision d'ampleur des textes qu'il jugera obsolètes. Ce comité agira de manière collégiale et concertée, et se composera de représentants des administrations mais aussi des associations de patients, d'experts médicaux et scientifiques et de parlementaires.

Je l'ai dit en commission et je le répète : il ne s'agit pas d'ouvrir toutes les professions réglementées – pour des raisons de sécurité notamment – à toutes les personnes atteintes de diabète et d'autres maladies chroniques, quel que soit leur état de santé. En revanche, il me paraît fondamental de revenir sur l'interdiction, et donc l'exclusion, qui existent a priori à l'encontre des malades, sans examen au cas par cas de leur état de santé et sans prise en compte des progrès technologiques leur permettant de mener une carrière professionnelle normale.

Nous devons à mon sens nous inspirer de la doctrine proposée par le défenseur des droits, qui considère que l'appréciation des conditions d'aptitude particulières doit se faire au vu de la capacité de chaque candidat au moment de l'admission, puis in concreto, au regard des fonctions auxquelles le candidat est destiné, enfin, en cas de maladie chronique ou évolutive, en tenant compte de l'existence de traitements permettant de guérir l'affection ou de bloquer son évolution, ou de l'absence de nécessité de tels traitements.

Je me réjouis du chemin parcouru ensemble ces dernières semaines pour faire évoluer cette proposition de loi. Mercredi dernier, la commission des affaires sociales a adopté plusieurs amendements visant à en élargir le champ à toutes les maladies chroniques. Son objectif initial était en effet de mettre fin aux discriminations à l'entrée sur le marché du travail que subissent les personnes atteintes de diabète. Au fur et à mesure de mes auditions, toutefois, il m'est apparu primordial d'élargir le champ de cette proposition de loi à toutes les maladies chroniques, par souci d'équité mais également pour ne pas stigmatiser une maladie plutôt qu'une autre. C'est aussi la position que prône le défenseur des droits. Nos collègues de la commission de la défense avaient d'ailleurs ouvert la voie à cette réflexion dès l'année dernière dans un rapport de Bastien Lachaud et Christophe Lejeune sur la lutte contre les discriminations au sein des forces armées, en mettant en cause la discrimination des personnes séropositives dans le référentiel d'aptitude SIGYCOP. Je me réjouis de l'extension adoptée par la commission.

Je me réjouis aussi de l'adoption en commission de l'article 2, malgré les interrogations qu'il a initialement suscitées au sein du groupe majoritaire, et j'en profite pour me féliciter de la qualité de nos échanges. Cet article pose le principe de l'interdiction de toute exclusion générale et absolue a priori de l'accès des personnes atteintes de maladies chroniques au marché du travail. J'insiste sur ce point, car cet article est au coeur de la proposition de loi qui, sans lui, n'aurait pas eu de sens. L'amendement déposé par le Gouvernement, qui précise celui qu'a adopté la commission, va dans le même sens, et je me félicite de nos échanges très constructifs sur ce sujet.

S'agissant de cet amendement, madame la ministre du travail, pouvez-vous confirmer que toutes les dispositions généralement discriminatoires à l'égard des malades chroniques à l'entrée au marché du travail seront abrogées, et que la règle, dans toutes les professions nécessitant des conditions d'aptitude physique particulières, imposera désormais l'examen au cas par cas de l'état de santé de chaque candidat, et de sa capacité à gérer sa maladie dans le cadre de sa fonction ?

Les articles 3 et 4 complètent ce dispositif. Ils prévoient que le Gouvernement remet au Parlement un rapport faisant état des progrès réalisés par le comité d'évaluation, ainsi que le déploiement d'une campagne de communication publique sur le diabète.

Je me félicite que nous soyons arrivés à ce large consensus. Le caractère transpartisan et rassembleur de ce texte, cosigné par des membres de six groupes parlementaires différents, n'est plus à démontrer. C'est pourquoi, chers collègues, je ne doute point que nous parviendrons aujourd'hui à adopter cette proposition. Nous le devons à tous les malades concernés, dont une grande partie suit attentivement nos travaux.

Enfin, la rédaction d'une proposition de loi est le fruit d'un travail d'équipe : je remercie sincèrement mes collaboratrices ainsi que l'administratrice de l'Assemblée qui nous a accompagnées.

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