Intervention de Adrien Quatennens

Séance en hémicycle du mercredi 8 janvier 2020 à 15h00
Débat sur les politiques de l'emploi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAdrien Quatennens :

Nous avons changé d'année et, par la même occasion, de calendrier, mais la réalité sociale demeure. Une chape de plomb s'est comme durablement installée sur le pays. Que l'on connaisse la précarité ou que l'on soit matériellement plus préservé, personne ne se sent plus vraiment à l'abri de rien.

La peur du déclassement, le constat que les enfants vivent moins bien que leurs parents, la crainte de perdre son emploi ou de bénéficier d'un emploi tellement précaire qu'il ne permet pas d'assurer les projets qui balisent une vie normale, la peur d'une mobilité géographique contrainte… Il est loin le temps où, lorsqu'on était insatisfait de son travail, on pouvait démissionner avec l'espoir d'en trouver un autre très rapidement ; il est loin le temps où il suffisait de « traverser la rue » pour trouver un emploi.

Il n'y a guère que les voeux présidentiels qui permettent, telle une page de publicité, de rêver à une autre réalité. Le 31 décembre, un peu après vingt heures, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à tous ces Français qui subissent l'extension de la pauvreté ou de la précarité depuis le début du quinquennat. Ils ont dû être ravis d'apprendre de la bouche du Président que la France n'avait « jamais connu un tel élan » !

Depuis le début du quinquennat, vous nous appelez à nous réjouir de sursauts statistiques qui ne modifient en rien la réalité sociale profonde du pays et qui ne tiennent pas compte de la précarité de l'emploi. Vous louez le dynamisme de la création d'emplois et avez dit récemment que l'on n'avait jamais autant embauché au cours de ces vingt dernières années. C'est vrai, mais à quel prix ? Au prix d'une précarité de l'emploi qui s'est considérablement renforcée. Pour être exact, il faudrait plutôt dire que l'on n'avait jamais signé autant de contrats de travail au cours de ces vingt dernières années. Mais peut-on s'en réjouir quand on sait que 87 % de ces contrats sont des contrats courts, et que 83 % de ceux-ci durent moins d'un mois et un tiers moins d'une journée ?

Quelle vie peut-on prévoir, madame la ministre, quand le travail est à ce point précaire ? Aucune ! Absolument aucune ! Alors que nous produisons plus de richesses que jamais, la vie ne peut se résumer à une guerre permanente pour subvenir aux besoins les plus primaires. Ce n'est ni supportable, ni acceptable.

Vous dites aussi que le taux de chômage est à son plus bas niveau depuis dix ans, mais vous oubliez de préciser que le Gouvernement a fait le choix de ne plus publier de statistiques trimestrielles. Il faudrait donc y ajouter les chômeurs qui ont eu quelques heures d'activité, les chômeurs empêchés de travailler immédiatement, les découragés qui se retirent de Pôle emploi, où iI y a toujours environ une offre d'emploi non pourvue pour 100 chômeurs disponibles. Bref, le chômage de masse et la précarité de l'emploi demeurent la toile de fond de la situation sociale du pays.

Y a-t-il pour autant moins de tâches à accomplir ? Assurément non, surtout si l'on veut bien se projeter un instant vers tout ce que nous aurions dû commencer d'entreprendre depuis déjà un long moment en vue de répondre au défi humain et technique qui se dresse devant nous, à savoir le changement climatique, face auquel nous perdons beaucoup de temps du fait de votre aveuglement idéologique et de la poursuite des vieilles recettes. Songeons-y : avec la transition énergétique, la transition agricole, la relocalisation de notre activité, l'économie de la mer, ce sont des centaines de milliers, voire plusieurs millions d'emplois nouveaux qui attendent d'être créés. Au lieu de quoi, la seule trajectoire que vous nous proposez de suivre demeure la compétition, la concurrence et la réduction des coûts.

Votre politique de l'emploi tient sur deux jambes, mais elle ne marche pas. La première jambe, c'est la réduction des droits des travailleurs : vous vous figurez, en dépit du bon sens, qu'il existe un lien entre la réduction des droits des travailleurs dans l'entreprise et le niveau d'emploi. Nous aurons l'occasion d'en discuter tout à l'heure lorsque nous évoquerons les résultats de l'application de vos ordonnances réformant le code du travail. La deuxième jambe, c'est l'incitation fiscale sans contrepartie et les cadeaux aux plus gros détenteurs de capital, dans l'espoir qu'ils rejaillissent, de manière presque magique, sur l'emploi. Vous avez ainsi supprimé l'impôt de solidarité sur la fortune – ISF – en nous promettant la relance des investissements productifs. Mais depuis cette suppression, les investissements dans les PME ont reculé de 70 % ! Vous avez pérennisé le crédit d'impôt compétitivité emploi – CICE – en le transformant en une baisse des cotisations sociales, mais cela coûte très cher : 200 000 euros en moyenne l'emploi créé ou maintenu !

Sur le front de l'emploi, s'il y a donc une chose à souhaiter pour cette nouvelle année, c'est que vous changiez de braquet.

Puisque j'en suis certain, je ne vais pas le taire : si nous étions aux affaires, nos résultats seraient bien meilleurs que les vôtres.

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