Intervention de Nicole Belloubet

Séance en hémicycle du mercredi 11 décembre 2019 à 15h00
Violences au sein de la famille — Présentation

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

Le rapporteur vient de le rappeler, plus de 142 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint depuis le début de l'année 2019. Ce chiffre à lui seul est une exhortation forte à agir, qui nous est adressée collectivement, quelle que soit notre appartenance politique.

C'est dans cet esprit que le Premier ministre a ouvert, le 3 septembre dernier, le Grenelle des violences conjugales et que l'Assemblée nationale a adopté, à la quasi-unanimité, la proposition de loi qui vous est aujourd'hui soumise. C'est encore dans cet esprit que nos débats ont eu lieu dans cet hémicycle, afin que soient rapidement apportées des solutions opérationnelles pour que les situations de violence et les crimes ne soient plus une fatalité.

Dans la lutte contre les violences conjugales, la justice occupe évidemment une place centrale. Je mène à ce titre, depuis plusieurs mois, une action volontariste – car il s'agit bien d'agir, je vous rejoins, monsieur le rapporteur – , fondée sur un plan très structuré. La circulaire du 9 mai dernier, que j'ai adressée aux procureurs généraux et aux procureurs de la République, rappelle ainsi le caractère prioritaire du traitement de ces violences et incite ses destinataires à utiliser pleinement l'arsenal législatif dont ils disposent, comme les téléphones grave danger ou l'ordonnance de protection.

Je souhaite bien entendu que le recours à cette ordonnance soit facilité et devienne une pratique régulière, presque un réflexe.

Mes services ont d'ailleurs analysé toutes les décisions prononçant une ordonnance de protection qui ont été rendues en 2016. Cet important travail, mené pendant plus de six mois et dont les résultats ont été publiés sur le site du ministère de la justice au mois de septembre, a révélé que le recours à ce dispositif est en constante progression depuis sa création. Lorsque le juge est saisi – j'insiste sur ce point – , une ordonnance de protection est prononcée dans près des deux tiers des dossiers.

Cette évolution, certes positive, reste très largement insuffisante. Le texte qui vous est soumis aujourd'hui, auquel s'ajouteront des dispositions dont vous serez prochainement saisis, contribuera à mieux lutter contre le fléau des violences conjugales et à mieux répondre à l'injonction qui nous est faite d'agir, et d'agir vite.

La proposition de loi qui nous réunit aujourd'hui vise, d'une part, à renforcer l'ordonnance de protection et, d'autre part, à généraliser l'utilisation du bracelet anti-rapprochement – BAR. Je partage pleinement cette double volonté, puisqu'elle correspond aux deux axes majeurs sur lesquels travaille le ministère de la justice depuis plusieurs mois. La proposition de loi nous donne de nouveaux arguments puisqu'elle tend non seulement à inciter les parties, ainsi que les avocats qui les assistent, à demander les mesures prévues par les textes, mais aussi à renforcer ces dernières.

Concernant l'ordonnance de protection, le texte que vous vous apprêtez à voter définitivement devrait permettre d'accroître le recours à ce dispositif très protecteur qui permet au juge aux affaires familiales d'organiser la séparation du couple dans un contexte de violences. La victime de violences conjugales peut ainsi obtenir, par une même décision de justice, des mesures à la fois civiles et pénales : mesures civiles concernant l'organisation de la vie familiale, notamment les droits de visite et d'hébergement, la pension alimentaire ou encore l'attribution du logement du couple ; mesures pénales telles que l'interdiction d'entrer en contact et l'interdiction de port d'arme.

Comme vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur, le texte prévoit que le juge aux affaires familiales devra statuer dans un délai de six jours à compter de la date de fixation de l'audience. Afin que ce délai soit effectif, les dispositions du code de procédure civile relatives à l'ordonnance de protection devront être adaptées – mes services y travaillent déjà.

La proposition de loi apporte également des précisions indispensables. J'en cite quelques-unes à titre d'exemple : une plainte pénale n'est pas nécessaire pour pouvoir demander une ordonnance de protection ; les auditions peuvent se tenir séparément si la partie demanderesse le souhaite ; l'ordonnance de protection peut être délivrée aux couples qui ne cohabitent pas et n'ont jamais cohabité.

Ces précisions et d'autres encore ont une vertu pédagogique et nous permettent de répondre aux recommandations formulées par le GREVIO – groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique – dans son rapport d'évaluation sur la France, publié le 19 novembre dernier. Notons que le groupe « salue la grande détermination dont les autorités françaises font preuve pour inscrire la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes parmi leurs priorités nationales. » Il souligne également que « l'adhésion des autorités à cette cause a été renforcée d'initiatives récentes, tel que le premier Grenelle contre les violences conjugales lancé par le Gouvernement le 3 septembre 2019. »

S'agissant du bracelet anti-rapprochement, il pourra être imposé aux auteurs de violences conjugales à titre de peine, mais aussi avant tout jugement pénal dans le cadre d'un contrôle judiciaire, ou en dehors de toute plainte, dans le cadre civil d'une procédure d'ordonnance de protection, ainsi que cela avait été annoncé par le Premier ministre dès l'ouverture du Grenelle.

Cette mesure fait l'objet d'un très large consensus. J'avais d'ailleurs moi-même engagé des travaux en ce sens avec plusieurs parlementaires – je pense notamment aux députés Guillaume Vuilletet, Guillaume Gouffier-Cha et Fiona Lazaar. Le groupe La République en marche de l'Assemblée nationale avait déposé une proposition de loi en ce sens.

Je me félicite que, dans un esprit de coconstruction, il ait finalement été décidé, afin d'avancer plus rapidement, d'opter pour l'examen de la proposition de loi déposée par le groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale. Le bracelet anti-rapprochement constitue en effet une avancée majeure et le point saillant du texte. Je crois profondément que ce nouveau dispositif, dédié à la seule protection des victimes, pourra éviter un nombre important de féminicides, comme cela a été le cas en Espagne.

S'agissant de son financement, je rappelle depuis cette tribune qu'il a été anticipé par les services du ministère : nous avons provisionné 6 millions d'euros grâce au report pour 2020, selon un principe posé lors de l'examen de la loi de finances rectificative pour 2019, de crédits de paiement du programme 107 « Administration pénitentiaire » qui n'avaient pas été consommés en 2019. Cette somme correspond au coût estimatif de la mesure, les marchés n'ayant pas encore été passés.

Vous avez, mesdames et messieurs les parlementaires, en accord avec le Gouvernement, enrichi la proposition de loi initiale. De nouvelles dispositions concernant l'autorité parentale ont par exemple été insérées, qui répondent à la volonté forte du Gouvernement de mieux protéger les femmes victimes de violences conjugales et leurs enfants. Figurent ainsi dans le texte deux mesures que le Premier ministre avait annoncées dans son discours d'ouverture du Grenelle. La première ouvre au juge pénal la possibilité de statuer sur le retrait de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement. Cette disposition, qui offre plus de souplesse au juge, est de nature à lui permettre de mettre en oeuvre une solution plus adaptée à la situation familiale lorsque le retrait de l'autorité parentale paraîtrait trop radical. La seconde crée une suspension provisoire de plein droit de l'exercice de l'autorité parentale en cas de poursuite ou de condamnation pour un crime commis par un parent sur la personne de l'autre parent, et ce dans l'attente de la décision du juge aux affaires familiales. Mme la députée Valérie Boyer en avait également formulé la demande.

La commission mixte paritaire a donc fait le choix d'inclure ces dispositions dans le texte que nous examinons aujourd'hui, sans attendre la discussion de la proposition de loi relative à la protection des victimes de violences conjugales. Je me réjouis que ces nouvelles mesures fassent l'objet d'une forte adhésion et qu'il soit inscrit plus tôt que prévu dans la loi que définitivement non, un conjoint violent ne peut être un bon parent !

Mais la lutte contre les violences au sein du couple va se poursuivre, y compris au sein de votre hémicycle. Il est désormais temps de tirer les enseignements des travaux menés dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales, ainsi que de ceux menés par les députés du groupe La République en Marche à l'issue de leurs journées de travail en région. Ces réflexions ont conduit à formuler de nombreuses propositions. Plusieurs d'entre elles, et je m'en félicite une nouvelle fois, sont convergentes avec les réflexions et travaux menés dans le cadre du groupe de travail « Justice » que j'ai installé à la chancellerie à la suite du lancement du Grenelle. J'insiste d'ailleurs sur le fait que ce groupe de travail continuera ses travaux afin de suivre l'avancée des actions qui ont été annoncées. Il s'agit bien de s'inscrire dans la durée, au-delà même de la séquence du Grenelle.

Parmi les nombreuses propositions formulées par les députés, certaines exigeaient des modifications de nature législative. Elles trouvent aujourd'hui leur expression dans la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales, déposée le 3 décembre dernier par Bérangère Couillard, députée de la majorité, et pour laquelle le Gouvernement a engagé la procédure accélérée. Cette proposition de loi sera discutée dans les semaines à venir et connaîtra également, je n'en doute pas, une adoption consensuelle. Elle envisage de modifier le code civil, le code pénal et le code de procédure pénale, et vise à assurer l'organisation de la vie de famille ainsi que la protection effective des victimes de violences familiales, qu'il s'agisse du parent ou des enfants. Son objectif premier est de répondre au besoin de protection des victimes de violences.

À ce titre, elle tend à inscrire dans la loi que les enfants ne seront plus tenus d'aucune obligation alimentaire à l'égard du parent qui aura tué l'autre parent, à proscrire toute médiation tant civile que pénale en cas de violence et en cas d'emprise, ce qui répond à une demande très forte des associations et à permettre aux médecins de révéler plus facilement les faits de violences conjugales à la justice, même en l'absence d'accord de la victime, dans certaines circonstances particulières rigoureusement encadrées. Elle propose par ailleurs d'étendre l'incrimination de certains comportements et de favoriser leur répression, notamment en sanctionnant plus sévèrement le harcèlement au sein du couple qui aura conduit la victime à se suicider ou à tenter de le faire, et en pénalisant plus largement les comportements d'espionnage. Enfin, elle prévoit certains aménagements spécifiques de l'autorité parentale : en cas de violences conjugales, et dans le cadre d'un contrôle judiciaire, le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention pourrait prévoir spécifiquement, avant toute condamnation, la suspension du droit de visite et d'hébergement à l'égard des enfants, y compris en l'absence de violences directes à leur encontre.

Pour revenir au texte que vous vous apprêtez à voter, je tiens, mesdames et messieurs les députés, à souligner que celui-ci est le fruit d'un dialogue parlementaire constructif. Je suis certaine que la loi qui en sera issue contribuera à assurer une meilleure protection des victimes de violences au sein du couple. En ce sens, il me tient particulièrement à coeur que les dispositifs retenus soient opérationnels dans les meilleurs délais ; c'est pour moi un enjeu majeur. Mes services travaillent donc dès à présent, et même depuis quelque temps déjà – donc avant même l'adoption définitive du texte – à élaborer les dispositions réglementaires nécessaires afin de permettre une application aussi rapide que possible des dispositions de la proposition de loi.

En conclusion, je tiens à vous assurer de l'engagement absolu du ministère de la justice sur ce sujet, et du mien en particulier. Nous continuerons, avec l'aide de tous – non seulement des magistrats et des forces de l'ordre, mais aussi des avocats, des réseaux associatifs et de l'ensemble de la société civile – à lutter contre des actes qui, en meurtrissant chaque jour des femmes, heurtent la société tout entière. Cette proposition de loi contribue pleinement à un tel objectif.

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