Intervention de Christophe Castaner

Séance en hémicycle du mardi 3 décembre 2019 à 15h00
Lutte contre l'antisémitisme — Discussion générale

Christophe Castaner, ministre de l'intérieur :

Dans toutes vos interventions, mesdames et messieurs les députés, j'ai entendu un message commun : la haine n'a pas sa place dans la République ; l'intolérance n'a pas sa place en France. J'ai aussi entendu beaucoup de prises de position et d'interrogations dont l'objet ne concerne pas l'article unique qui vous est soumis.

J'en resterai donc à l'essentiel, c'est-à-dire à cette conviction que le Président de la République et tout le Gouvernement partage avec moi : la haine est un venin puissant. Elle s'alimente des préjugés. Elle nourrit les rumeurs les plus folles. Elle nie les évidences comme les faits historiques. Elle se répand sur internet comme dans les esprits avant de passer à l'action, à l'attaque. La haine peut tous nous concerner, tous nous toucher. Elle est celle qui sévit contre les croyants et contre les athées. Elle est celle qui touche les chrétiens, les musulmans, les juifs. La haine est un concentré de bêtise et, au fond, elle ne fait que traduire la peur de la différence. Nous devons donc lutter contre toutes les haines et protéger chacun.

Ce combat est long et difficile. Aussi devons-nous saisir chaque occasion qui nous est donnée de le faire avancer. En prononçant ces mots, je me souviens, comme vous, du martyre d'Ilan Halimi, mort torturé, victime de préjugés odieux parce qu'il était juif. Je me souviens aussi de ce soir de l'hiver dernier où je me suis rendu à son mémorial, ce mémorial qui fut profané pour souiller sa mémoire, les deux arbres plantés en son hommage ayant été abattus.

En m'adressant à vous, je me rappelle les tombes du cimetière juif de Quatzenheim, renversées et souillées. Ce matin même, ce sont les tombes du cimetière juif de Westhoffen qui ont été profanées. Je me souviens qu'en février dernier, un jeune homme, âgé de 16 ans à peine, fut roué de coup parce qu'il était de confession juive. Je me rappelle encore qu'en avril, à Paris, un homme fut braqué avec un pistolet sur la tempe au seul motif qu'il était juif. Nous ne pouvons pas l'accepter. Nous devons réagir de manière forte et systématique ; dénoncer, appeler le mal par son nom et condamner sans pudeur coupable ni faux-semblant.

L'antisémitisme, c'est la haine de l'autre. L'antisémitisme, c'est la bêtise et la violence. L'antisémitisme, c'est un affront fait à la République et c'est une atteinte à la France. En février dernier, le Président de la République avait donc fait une promesse : « Plus jamais ça ». Cela signifie que personne ne peut être injurié, menacé ou agressé pour ce qu'il est, pour son origine ou pour sa couleur de peau.

Cette promesse, je crois, n'est pas seulement adressée aux Français de confession juive. Non : selon moi, elle est plus large, elle s'adresse à toutes celles et à tous ceux qui aiment et respectent la République, qu'ils croient ou qu'ils ne croient pas. « Plus jamais ça », cela veut dire que chacun doit être protégé, que chacun doit être en mesure d'exercer son culte dès lors qu'il accepte nos valeurs et nos lois. Cette promesse, enfin, c'est un avertissement : un avertissement ferme et sans ambiguïté à tous ceux qui se croient au-dessus des lois.

La proposition de résolution nous permet de nous joindre à cet appel et de faire un pas de plus pour honorer cette promesse républicaine. Ce texte ne dit qu'une chose : il affirme haut et fort la position de la France ; il est une condamnation sans aucune ambiguïté de tous les mots, de tous les gestes, de tous les actes antisémites. C'est l'objet même de son renvoi à la définition de l'antisémitisme élaborée par l'Alliance internationale pour la mémoire de l'Holocauste.

D'abord, et afin d'éviter tout malentendu, il me semble important, compte tenu de ce que j'ai pu entendre cet après-midi, de préciser ce qu'est l'IHRA. Cette organisation internationale, fondée en 1998, regroupe trente et un pays, parmi lesquels la France et le Canada, pour renforcer et promouvoir, autour d'experts, l'enseignement de la Shoah, la recherche et la mémoire.

Il y a trois ans, sur la base d'un consensus entre les pays membres auquel s'était associée la France, l'IHRA a adopté une définition dite de « travail » de l'antisémitisme. C'est sur cette définition que, mesdames et messieurs les députés, vous allez voter dans quelques instants. Je veux donc vous la relire : « L'antisémitisme est une certaine perception des juifs, pouvant s'exprimer par de la haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l'antisémitisme sont dirigées contre des individus juifs ou non-juifs etou leurs biens, contre les institutions de la communauté juive et contre les institutions religieuses juives. »

Il est important, je crois, de revenir aux termes mêmes de cette définition pour éviter de lui faire dire tout et n'importe quoi. Or, cet après-midi, j'ai entendu beaucoup d'arguments hors de propos à cet égard. Les termes « sionisme » et « antisionisme », par exemple, ne figurent pas dans la définition de travail de l'IHRA. Les exemples en sont également choisis avec attention, afin d'éviter tout empiétement sur la liberté d'expression. Cette définition est rassembleuse : lisons-la, écoutons-la et respectons-la. Vingt pays l'ont d'ailleurs d'ores et déjà adoptée, dont seize membres de l'Union européenne, comme le Parlement européen lui-même, à une très large majorité, le 1er juin 2017.

Le Parlement européen, de fait, s'est prononcé sur le texte, non sur un débat fantasmé. Le document de l'IHRA précise aussi que « les critiques à l'égard d'Israël comparables à celles exprimées à l'encontre d'autres pays ne peuvent être qualifiées d'antisémites ». Telle est la réalité du texte sur lequel, mesdames et messieurs les députés, vous devez vous prononcer. Cette définition a volontairement été choisie et pesée pour mieux saisir la réalité de l'antisémitisme moderne sans prêter le flanc aux polémiques. Elle n'est juridiquement pas contraignante, et n'a pas vocation à l'être. Je le dis devant vous, cette proposition de résolution n'a vocation à modifier ni notre code pénal, ni notre droit en matière de liberté d'expression. C'est de cela seul que nous devons parler, et cela seul qui est aujourd'hui soumis à votre vote.

1 commentaire :

Le 11/12/2019 à 17:52, Laïc1 a dit :

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"Cela signifie que personne ne peut être injurié, menacé ou agressé pour ce qu'il est, pour son origine ou pour sa couleur de peau."

Ainsi que pour sa religion supposée ou réelle.

Et quand on voit comment ces femmes ou jeunes filles musulmanes sont menacées d'exclusion de l'école si elles ne retirent pas leur foulard supposé islamique, on se dit qu'on est quand même très très loin du compte.

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