Intervention de Nicole Trisse

Séance en hémicycle du mercredi 18 septembre 2019 à 15h00
Accord de coopération entre l'union européenne et l'afghanistan — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicole Trisse, rapporteure de la commission des affaires étrangères :

Je voudrais tout d'abord vous remercier, monsieur le secrétaire d'État, pour les propos liminaires que vous venez de prononcer. Ils me touchent profondément, parce que vous avez évoqué la teneur même de ce rapport, qui est crucial.

L'Afghanistan se trouve actuellement en proie à une situation particulièrement critique, dans un contexte sécuritaire fortement dégradé. Selon un rapport de la mission d'assistance des Nations unies dans ce pays, l'année 2018 a été la plus meurtrière jamais enregistrée pour les civils afghans : 3 804 personnes ont trouvé la mort, et il à craindre que ce nombre augmente cette année. La plupart de ces décès sont imputables aux exactions des groupes insurgés talibans. Ceux-ci se révèlent actifs sur 40 % à 50 % du territoire, et continuent de mener des offensives d'envergure. Hier encore, vous le disiez, monsieur le secrétaire d'État, deux attentats ont été perpétrés à Kaboul, alors que le président Ghani, candidat à sa réélection, tenait un meeting. On parle, à l'heure actuelle, de quarante-quatre morts parmi la population civile. Il y a une dizaine de jours, l'OTAN a perdu deux de ses soldats lors d'un autre attentat qui a fait plusieurs victimes, dont plusieurs dizaines de blessés.

Un autre groupe, la wilaya Khorassan, branche de Daech en Afghanistan créée en 2015, possède également une capacité de nuisance particulièrement élevée. Elle s'emploie actuellement à favoriser le renforcement de ses effectifs par la relocalisation de combattants étrangers venant du Levant, notamment des djihadistes originaires d'Asie centrale, dont plusieurs centaines auraient déjà rejoint l'Afghanistan.

Elle compterait, à l'heure actuelle, entre 2 500 et 4 000 combattants actifs, qui commettent eux aussi des attentats : qu'il suffise de rappeler l'attaque particulièrement meurtrière du 17 août dernier, qui a durement frappé la communauté chiite en provoquant la mort d'au moins soixante-trois personnes et en en blessant 182 autres lors d'une cérémonie de mariage.

Il n'est donc pas exagéré de dire que l'Afghanistan est actuellement en butte à une situation politique précaire. La prochaine élection présidentielle, que les autorités du pays s'efforcent d'organiser, sera un moment démocratique important, mais délicat. Après deux reports, le scrutin est désormais fixé au 28 septembre.

Par ailleurs, le président américain a brutalement mis un terme, il y a une dizaine de jours, aux pourparlers de paix menés par les États-Unis avec les talibans. Les discussions ont notamment achoppé, semble-t-il, sur la question du maintien de la « force antiterroriste » américaine sur le sol afghan, rejeté par les insurgés. L'échec de ces négociations, qui correspondaient à la promesse de campagne de Donald Trump de retirer les troupes américaines d'Afghanistan, vient s'ajouter à la longue liste des tentatives de paix avortées depuis 2001.

S'agissant des négociations de paix, le dialogue inter-afghan constitue, à nos yeux, un prérequis que les Américains ont, hélas, beaucoup trop négligé. Dans le cadre de l'accord entre l'Union européenne et l'Afghanistan, il est à juste titre précisé que la paix doit être établie par les Afghans eux-mêmes. Il nous faut donc utilement favoriser et soutenir le dialogue inter-afghan, si nous voulons aider ce pays à se reconstruire et à se relever durablement.

Ainsi, dans ce contexte particulièrement difficile, le présent accord entre l'Union européenne, ses États membres et l'Afghanistan apparaît comme l'occasion d'apporter un soutien opportun aux bonnes volontés de ce pays qui cherchent à ramener l'Afghanistan sur le chemin de la stabilité.

Cet outil, signé à Munich le 18 février 2017, constitue la toute première relation conventionnelle entre l'Union et l'Afghanistan. Il remplace une déclaration conjointe adoptée en 2005, et reflète la volonté commune des deux parties de renforcer et d'étendre le dialogue et le partenariat.

Il s'agit de redéfinir les relations que l'Union européenne entretient avec ce pays. Le texte vise à offrir un nouveau cadre juridique à ce partenariat avec, pour objectifs, le renforcement de sa dimension politique et le dépassement du simple rôle de bailleur de fonds.

L'Union européenne a en effet apporté à l'Afghanistan, depuis 2001, un soutien à hauteur de 3,7 milliards d'euros. Si l'on y ajoute l'aide accordée à titre bilatéral par ses États membres, l'Europe apparaît comme le second donateur pour l'Afghanistan, derrière les États Unis, avec un montant de 5,3 milliards d'euros. L'Union européenne, dont les forces armées de plusieurs États membres ont été ou sont encore présentes dans le pays, dispose ainsi d'une légitimité politique incontestable mais qui, à ce jour, ne se concrétise malheureusement pas dans les faits.

D'où l'intérêt de cet accord-cadre, qui s'appuie sur les quatre piliers de la nouvelle stratégie de l'Union européenne vis-à-vis de l'Afghanistan. Il s'agit de la promotion de la paix, de la stabilité et de la sécurité régionales ; du renforcement de la démocratie, de l'État de droit et des droits de l'homme, de la promotion de la bonne gouvernance et de l'émancipation des femmes ; du soutien au développement économique et humain de l'Afghanistan ; des enjeux migratoires, enfin, dont je dirai peut-être un mot un peu plus tard.

Cet instrument, qui n'ajoute aucune nouvelle implication financière, je tiens à le dire, se révèle à la fois peu contraignant et ambitieux. Il vise à créer une relation englobante avec l'Afghanistan, en développant des coopérations en matière politique – lutte contre le terrorisme, la prolifération des armes et la drogue, soutien à la protection des droits de l'homme – , en matière économique – pour le commerce et investissement – et, de façon sectorielle, dans les domaines de la justice, de l'énergie, du transport, de la santé et de l'éducation.

Le présent accord traite également des enjeux migratoires, qui constituent un sujet central de la nouvelle stratégie de l'Union européenne à l'égard de l'Afghanistan. L'accord devrait ainsi contribuer à favoriser la mise en oeuvre d'une déclaration politique conjointe adoptée sur ce sujet, en 2016. Pour mémoire, les Afghans représentent actuellement la deuxième nationalité, derrière les Syriens, au titre des demandes d'asile recueillies dans l'Union européenne en 2019, et la première pour les demandes d'asile en France.

Quant aux enjeux migratoires, il ne s'agit pas d'accélérer un retour des Afghans déboutés vers leur pays, comme cela aurait pu être dit ou écrit ici ou là. Il s'agit plutôt d'envisager un retour digne, et dans les meilleures conditions de sécurité, pour ceux qui n'ont pas vocation à rester en Europe.

Pour y parvenir, il est prévu de travailler avec les associations de la société civile, afin de pouvoir mesurer et maîtriser les flux migratoires, pour assurer de bonnes conditions d'asile aux réfugiés, mais aussi pour que les personnes ne répondant pas aux critères permettant de prétendre à une protection puissent retourner sans crainte dans leur pays, et y vivre à nouveau. Je rappelle que plus de 65 % des demandeurs d'asile Afghans ayant fait leur première demande en France ont reçu une réponse positive.

Cet accord ne comporte, enfin, que peu de dispositions contraignantes, mais il a vocation à offrir un cadre général pour les relations entre l'Union européenne et l'Afghanistan. Il devra, par la suite, être décliné en accords sectoriels plus contraignants.

Il devrait en outre permettre de combler le déficit de visibilité de l'Union en Afghanistan, et de renforcer l'implication de l'Union et de ses États membres dans les pourparlers de paix. Je précise qu'à ce stade, l'Afghanistan, ainsi que seize États membres de l'Union européenne, ont déjà achevé leur processus de ratification interne.

Ainsi, mes chers collègues, je vous invite à voter sans réserve en faveur de la ratification de cet accord-cadre, qui permettra de conférer une nouvelle dimension à la relation de l'Union avec l'Afghanistan, qui renforcera la position de l'Union européenne dans le cadre des négociations de paix et qui contribuera, je l'espère, à aider l'Afghanistan à se développer, et à sortir enfin de cette spirale de violence qui déchire le pays depuis plus de quarante ans.

Je terminerai en ajoutant qu'après l'échec du dialogue entre les États-Unis et les talibans, cet accord représente une réelle alternative, à même de soutenir un processus de paix.

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